Benoît XVI, ce progressiste post-moderne

papegrozyeux
L’expression « la fin du monde est proche » retourne 20000 hits sur Google, la prophétie de Malachie affirme que Benoît XVI serait l’avant-dernier pape avant le Grand Dawa Cosmique, le prix de la Pils a augmenté de 3.5%, bref, tous les signes d’une Apocalypse – au sens d’un changement de monde et non de sa fin – sont rassemblés, hosanna, alleluia, et caetera. Et son plus fier héraut, le front levé, l’intention imperturbable, est le Saint Père, homme suprême auquel, oui, lecteur ébahi, je m’en vais rendre un vibrant hommage, bombant le torse face à la critique et à la pensée unique.

Bref rappel des faits bien connus: inflexible, l’ex-cardinal Ratzinger Zeta, tel un mechwarrior engoncé dans son armure de lumière, enchaîne ces temps-ci les réactions polémiques. Citons le tiercé dans l’ordre:
– La levée d’excommunication de l’évêque négationniste Williamson
– L’excommunication d’une mère brésilienne ayant fait avorter sa fille violée (citons quand même, par souci d’honnêteté intellectuelle, que la procédure est automatique dans ces cas de
figure)
– Ses récents propos sur l’usage du préservatif en Afrique (« son utilisation aggrave le problème »)

La communauté catholique est sidérée par ces retours en arrière après l’ère Jean-Paul II qui, malgré un discours semblable sur le latex (reconnaissons quand même, aussi, qu’il est difficile de faire progresser l’attitude canonique sur la question), s’était efforcé, pas toujours clairement il est vrai, de faire entrer son Eglise dans le XXIe siècle (les débuts de réconciliation avec l’Eglise orthodoxe, par exemple). Si le retour de Benoît XVI à un certain traditionalisme avait fait hausser des sourcils dubitatifs chez les croyants, c’est la levée d’excommunication de Williamson qui a véritablement mis le feu aux cieux.

Le malaise est plus que réel, il devient revendicatoire, au point que même nos autorités morales suprêmes autoproclamées, célébrées pour la profondeur de leur  engagement philosophique, tels Alain Juppé et Daniel Cohn-Bendit qui joignent leurs voix comme à la chorale, proclament leur désaccord – que dis-je, leur rupture avec le Saint Père. (Benoît XVI vit en « autisme total » – A. Juppé)
Rupture de plus en plus affirmée et nette chez les catholiques de tous bords; même les conservateurs silencieux, opposés à l’avortement et incommodés par l’idée du préservatif, se trouvent choqués par ces prises de position radicales.

Les croyants se trouvent donc forcés à une position inédite à une aussi grande échelle: à un examen de conscience, non pas vis-à-vis de leur fidélité aux valeurs chrétiennes, mais vis-à-vis de leur Eglise. Malgré leurs opinions traditionalistes, beaucoup se sentent mal à l’aise, voire en franc désaccord avec les décisions du Saint Père. Attachés aux valeurs de l’Eglise, du moins, à celles qu’ils y lisent, voilà les croyants obligés d’examiner d’un oeil critique les déclarations, les décisions de son chef – et, par extension, le dogme en lui-même. Quel inventaire conduire, quelle décision approuver, quelle opinion suivre? Et c’est en cela, exactement, que Benoît XVI est soit le plus grand progressiste qu’ait connu l’Eglise catholique, soit le plus idiot des politiques à avoir jamais posé son auguste fessier sur les dorures d’un trône.

Car l’esprit critique est une faculté néfaste – et même antinomique – à toute religion dogmatique. Les voies dites de la main droite, comme les religions révélées mais aussi certaines formes de bouddhisme, postulent l’existence d’un ordre divin fondamentalement supérieur auquel l’homme doit se soumettre; une fois son parcours, son illumination achevée, il ne peut espérer, au mieux, que se fondre à cet ordre, abandonnant tous les oripeaux de la vie matérielle (nirvana) . Souvent, il s’agit simplement de reconnaître pour l’éternité la grandeur de Dieu et d’espérer n’être pas assis trop loin à la table du banquet céleste, histoire de ne pas gueuler trop fort pour qu’on vous passe les hosties.

L’idée d’esprit critique, d’examen réfléchi de la doctrine par le croyant lambda, est donc fondamentalement incompatible avec l’idée de dogme: les pères de la foi sont là pour décoder la sainte parole à l’intention de l’homme et celui-ci doit obéissance à ce qu’il discerne de cet ordre supérieur. Cela explique en partie pourquoi les religions peinent tant à évoluer: difficile de discerner au premier abord la déviance de l’évolution. (L’histoire est bien la discipline qui consiste à vous expliquer après-demain pourquoi vous aviez tort avant-hier.)

Mais la situation est encore plus critique quand il s’agit du pape. Après tout, c’est quand même le chef infaillible de l’Eglise, le représentant de dieu sur Terre – ce que symbolise son changement de nom à son sacre -, avec un téléphone rouge en ligne directe vers les cieux. Comment le simple croyant, aussi éclairé qu’il soit, peut-il oser remettre en question la parole divine – pire, y appliquer le filtre de la raison? Le voilà forcé par sa conscience moderne, séculaire, à opérer une sorte de tri (sélectif) entre les actes de son Eglise, pire, de la parole de son dieu.
Cela existe bien sûr depuis deux ou trois siècles, quand il a fallu constater que certains des passages les plus hardcore de la Bible, tel le Deutéronome, étaient clairement périmés et que les lire sous un nouvel éclairage s’imposait grave, mais, hormis peut-être pendant la Seconde Guerre mondiale (à laquelle Benoît XVI n’est pas étranger non plus, certes – mais une casserole à la fois, please), c’est la première fois que le croyant, l’homme ou la femme cherchant sa voie, se trouve forcé à un tel examen.

blasphemy

Cependant, si le croyant se met à jouer au patchwork avec la Parole, à prendre et à laisser ce qui lui convient comme à un buffet de mariage, que devient le dogme? Il éclate, puisque le dogme est, par essence, unique et indiscutable. Et si le dogme (qui tient déjà pas mal avec du chatterton) éclate, qu’est-ce qui reste de la religion, de la soumission à l’ordre divin, de la béatitude de la voie unique? Elle s’effondre promptement à sa suite, désagrégée, non pas en nouvelles chapelles, mais en autant de microcosmes individuels ou chacun compose sa propre assiette anglaise au pâté de Foi (elle était facile), faisant de la religion catholique une espèce de courant de pensée aussi inoffensif qu’un new age hippie où il faut s’aimer les uns les autres (de préférence en buvant du pinard transsubstantié).

Par ses prises de position radicales, Benoît XVI précipite donc l’effondrement de sa religion dogmatique (par ailleurs inéluctable, comme toute voie unique, parce de plus en plus incompatible avec la pluralité du monde… CQFD). Loin d’avoir un pape rétrograde, nous avons donc un pape post-moderne qui force ses ouailles à réfléchir sur l’éventuelle mort de dieu et sur le véritable rôle séculaire de la religion – la cohésion sociale. Il scie avec un talent consommé la branche sur laquelle il est assis, dynamite son fonds de commerce sans même passer par la case réforme. En un mot comme en cent, il est train de concrétiser avec un talent admirable et une alacrité surprenante le rêve de tous les anticléricaux bellicistes, ce qui, doux euphémisme, est incroyable.

Alors, Ratzinger Zeta, intégriste aveugle épaulé par des attachés de presse incompétents ou agent double à la solde de Friedrich Nietzsche? En le taxant de rétrograde, on oublie un peu vite une facette fascinante de sa doctrine: son admiration pour l’héritage grec et la place qu’il tient dans la religion catholique. Rappelons que, dans les débuts de son office, il a affirmé la valeur profonde de la raison humaine, la place centrale qu’elle occupe dans les valeurs chrétiennes au point d’en être indissociable, parlant même de rationalité de la foi (et si ça, c’est pas un oxymore, j’en ai jamais vu).

Pendant que le monde hurle au scandale, je me débats avec deux hypothèses: soit, donc, tel Judas révélant le Christ au peuple (car rien n’est plus vendeur qu’un bon sacrifice), Benoît XVI fait de son pontificat un sabotage d’une envergure qui dépasse l’entendement, soit c’est effectivement un autiste total qui conduit son troupeau à l’abattoir de la raison. Comme, telle la nature qui a horreur du vide, j’ai horreur de la bêtise et des actions non motivées, je ferai donc acte de foi, désireux de croire à la première hypothèse: ça fait une bien meilleure histoire. Et je continuerai d’observer, avec une incrédulité fascinée, ses actes invraisemblables, guettant comme un augure dans ses actes et ses paroles la preuve que Benoît XVI est, effectivement, le révolutionnaire auquel j’ai envie de croire, semant à une échelle inégalée le merveilleux poison de la connaissance du bien et du mal.

(Et maintenant, j’ai hâte de recevoir les commentaires haineux des intégristes qui ne comprennent rien au second degré. Que le bal commence, je m’en fous; l’oeuvre du Saint Père leur survivra pour les siècles des siècles!)

2011-01-28T16:04:55+01:00lundi 23 mars 2009|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

SNCFail

Clikety clik pour voir en grand

C’est que « la plupart des internautes consultent des horaires, sans réserver. S’ils devaient monopoliser la fonction ‘réservez’, plus lourde, nos serveurs seraient saturés », « nous sommes des précurseurs », et puis « on ne nous pardonne rien », tu comprends, Coco, gérer de l’Internet multimédia 2.0, c’est pas facile, hein.

Pendant ce temps, Google continue tranquillement d’indexer le monde en répondant en 0,17 secondes à des requêtes retournant plusieurs centaines de millions de réponses.

Demain et après-demain se votera la loi HADOPI.

2010-11-02T20:26:49+01:00mardi 10 mars 2009|Humeurs aqueuses|1 Commentaire

Salut à toi, le président du monde

Dans un discours à l’université de Wesleyan, Barack Obama eut la petite phrase suivante:

« Our individual salvation depends on collective salvation »
(Le salut individuel dépend du salut collectif.)

Phrase qui fut aussitôt vilipendée par la presse et la blogosphère américaine. Car beaucoup y lisent une critique de l’American way of life, enjoignant les étudiants de ne pas se limiter à l’achat de la grosse voiture, de la grande maison et du joli costard qui forme le modèle de réussite de la classe moyenne. Car ce way of life, considéré par beaucoup comme un acquis de haute lutte – par une conquête de l’homme sur l’adversité des éléments et de la vieille Europe – est un principe fondateur de l’inconscient collectif américain.

Mais ce n’est pas son discours. Obama veut inciter son auditoire à prendre la mesure d’enjeux qui les dépassent; à servir leur pays du mieux qu’ils le peuvent – à agir en citoyens responsables. Et, dans le pays dont il risque d’hériter, enlisé en Irak, détesté par une bonne partie du monde, grignoté par un fondamentalisme arriéré, ce discours n’est nullement anodin.

La phrase n’est guère surprenante pour nous, Européens, plus encore Français, qui avons une riche histoire de solidarité et d’avancées sociales. D’ailleurs, en ces temps de mutations où notre pays refait certaines des plus graves erreurs américaines, il est probablement encourageant de la voir dans la bouche d’un présidentiable. Mais, une fois sorti de la légitimité que lui donne son contexte, le discours d’Obama tient-il encore?

Pas entièrement, je crois. Ce ne sera guère original – bien que fort vrai – d’affirmer que l’individu se nourrit de la collectivité autant que l’inverse. Mais nos systèmes politiques, nos modes de vie, nos inconscients gravitent à mon sens autour d’une mauvaise dualité: à savoir la collectivité oeuvrant pour soi, face à l’intérêt de soi, oubliant l’oeuvre de soi.

Il est évident que nous ne pouvons survivre que si le groupe prospère. Mais, simultanément, nous traversons une phase grave de désenchantement, qui conduit à un repli individualiste. Il y a dans l’inconscient collectif actuel un sentiment écrasant d’impuissance rageuse, doublé d’une peur (artificielle ou non), qui se traduit par un égoïsme ordinaire, qu’il s’agisse de se garer sur les places pour handicapés ou de piquer des post-it au boulot, motivé par un obscur sentiment de rétribution. Car si nous n’avons pas d’influence sur le monde, qu’importe notre mesquinerie?

La vérité, c’est que nous ne sommes pas des gouttes d’eau sans influence… Et que le groupe est aussi la somme de ses parties. Sans groupe, point de salut individuel. Mais l’être n’est pas impuissant, sur sa vie, sur le monde, sur les structures qui l’encadrent – c’est un mensonge. Si le salut collectif assure le salut individuel, le salut collectif repose avant tout sur l’action de l’individu… Même loin des caméras ou des yeux divins, comme l’espérait Kant.

C’est idéaliste. J’assume. Je suis un misanthrope optimiste, perpétuellement déçu par mes contemporains mais n’abandonnant jamais l’espoir d’être agréablement surpris. Je crois profondément à l’action individuelle et motivée, à l’inventaire personnel raisonné, à la victoire de chacun sur ses démons. A l’impeccabilité de la personne pour que notre monde franchisse une nouvelle étape, débarrassée de ses vieux oripeaux, de ses vieilles angoisses. Ce n’est probablement pas pour ce siècle, mais ce monde me fait quand même l’effet d’être en retard sur son changement de vie. Nous pouvons au moins commencer maintenant. A tout le moins, l’individu en lui-même vivra mieux, ce qui devrait constituer une incitation suffisante.

2011-02-01T18:30:02+01:00lundi 8 septembre 2008|Humeurs aqueuses|1 Commentaire

Les yeux qui tournent et les couleurs qui parlent

So I went to see Bridget Riley’s exhibition…
J’adore cette formulation du « so » si courante et commode sur les forums et les blogs anglophones. « Alors je suis allé faire un truc. » Faire un truc qui ne m’a pas laissé indifférent mais sur lequel je n’ai pas encore assez de recul / de contexte pour donner un avis intelligent – mais le but de ces expériences en temps réel, c’est de s’efforcer
de trouver ensemble, hein?

J’ai honte, mais je dois admettre que ma sensibilité picturale est plutôt mal dégrossie. J’aime l’image, j’adore m’y projeter, mais cela me demande généralement une démarche plus consciente que la littérature et la musique, qui sont pour ma sensibilité des formes d’art « immédiates » – ça me rentre direct dans l’inconscient. C’est donc avec un oeil de béotien – et l’envie d’apprendre – que je suis allé au Musée d’Art Moderne voir la rétrospective Bridget Riley.

Movement in Squares, 1961

Riley est une des figures de proue de l’op’art mais son travail et sa réflexion vont bien plus loin que de « simples » illusions d’optique (qu’elle n’a d’ailleurs jamais étudié). Elle cherche d’abord à explorer les effets de la couleur et de la forme sur les perceptions humaines, faisant appel à des primitives extrêmement simples, d’abord en noir en blanc, puis faisant peu à peu intervenir des teintes dans la composition. (Plus d’infos sur le site du musée ci-haut mentionné – qui fait le travail de monographie bien mieux que moi.)

Dans les intervalles, dans les courbes, des mouvements et des couleurs inexistantes se forment, révélant au spectateur à quel point son oeil l’abuse, et faisant naître chez lui des émotions, des ambiances particulièrement intenses, non verbalisées, mais bien réelles. Tout est évidememment question d’illusion, thème millénaire, mais Riley y renvoie avec une intensité rarement égalée.

Cataract, 1967

Un des éléments les plus frappants de son art, c’est son aspect mathématique, à la fois bien présent et très simple. Les formes sont gouvernées par des rapports de proportion, des répétitions et des déséquilibres et je ne peux m’empêcher de penser que, si ses tableaux les plus épurés datent des années 60, il s’y trouve une véritable idée de la modernité et que ses compositions sont la véritable expression artistique du XXIe siècle. Nous vivons dans une époque curieuse aux rapports ambigus avec la technologie: nous sommes presque tous reliés au Net, avec des iPod, voire, pour certains, des Palm, des ordinateurs portables, des GPS dans la voiture, etc. Et pourtant, par sa forme arrondie, sa couleur claire, son côté « kawai », la machine cache aujourd’hui son rôle – sa sémantique. Comme pour adresser un signal silencieux: je suis inoffensive. Quand, dans les années 70 et 80, la machine proclamait sa fonctionnalité: la voiture était carrée, grosse; l’ordinateur était rectangulaire, couleur plastique; un listing de langage machine constituait la suprême idée de la modernité (rappelez-vous les clips kitsch de Jean-Michel Jarre et Kraftwerk). Elle affirmait alors: je suis l’avenir.

La logique dicterait donc que nous vivions dans une ère beaucoup plus cérébrale et mathématisée qu’elle ne l’est, or c’est tout le contraire: nous semblons fuir toute déclaration technologique. Pourquoi? Par peur, probablement. Mais, chez Riley, je perçois – très personnellement – au contraire, une étude de la pureté des formes d’une modernité éblouissante et ce, trente-cinq ans avant la démocratisation progressive du Net et de l’informatique. Son art reste terriblement moderne pour notre société aux rapports ambigus avec sa technologie (débat très actuel, moyen d’oppression contre corne d’abondance).

Et c’est assez étonnant parce que Riley, en un sens, a suivi la même évolution: son oeuvre récente introduit des formes plus douces, des couleurs plus nombreuses, souvent pastel – ce qui la rend, à mon sens, un peu moins intéressante.

Shadowplay, 1990

L’autre qualité qui m’a frappé est encore plus personnelle (mais comme dit Mélanie Fazi, faire de l’ego-trip, c’est une des fonctions d’un blog – vous serez prévenus…) et profondément, j’en ai l’impression, liée à ma façon d’envisager le monde et l’art. Dans une salle passionnante, le musée a exposé des études et des croquis préparatoires de Riley: courbes tracées sur papier millimétré, évoluant peu à peu jusqu’à ce que le jeu des formes devienne intéressant, essais de couleurs, de motifs, de répétitions. Le tout bardé de notes, du genre (je cite de mémoire, tout cela est fictif):

Pattern: AB BC CA CD – or CA CD?
Slow evolution from middle left to upper right.
Uses: Y, R, B, W.
Shapes exiting the frame?
[Y, R, B, W signifiant par exemple jaune, rouge, noir, blanc]

Maintenant, jouons un peu, si vous le voulez bien.

Mythe bien connu du public. Jeux référentiels possibles sans risquer être abscons.
[…]
OK. Ns avons archétypes incarnés pr donner voie à humanité – ou humanité les a incarnés pour s’en donner une – on sait plus bien, aucune impce: humanité EST archétypes et inversemt.

Ceci est tiré verbatim (comme les abréviations l’indiquent) de mes notes préparatoires pour L’Île close (c’est ainsi que je travaille: je réfléchis à l’écrit comme si je parlais à haute voix, je me raconte tout ce qui me passe par la tête, prenant une foule de notes pour marteler la matière jusqu’à dégager une forme – une idée – de la gangue de néant conceptuel qui l’entoure).

J’ai été pris – fort humblement – d’un étrange écho en considérant combien Riley narrait eses compositions et ses notes, fait d’autant plus inattendu dans le cas de l’op’art, normalement abstrait. Avant que je ne comprenne ce qui m’arrive, ses notes et ses croquis se sont transformés sous mes yeux en histoires avec des personnages. La bande de rouge à côté d’une bleue n’était plus une bande de rouge à côté d’une bleue, mais elle était une entité animée d’une volonté propre, comme un personnage bien conçu se doit de l’être, et elle avait une raison bien précise d’être à côté de la bleue – une relation d’amour-haine comme seules peuvent l’entretenir une couleur chaude et une couleur froide. J’ai eu la sensation très bizarre – et complètement péremptoire, je l’admets – que leur progression dans l’espace échappait tout autant à l’artiste qu’un personnage, parfois, choisit de faire ce qu’il veut dans un récit et pas ce qui arrange l’auteur. Retrouvant la bande rouge et la bande bleue dans un autre tableau, j’avais l’impression d’une suite à l’histoire – leurs relations avaient changé, l’aube d’un nouveau récit, d’un nouveau conflit s’installait aux prémisses de la lecture du tableau.

Une étrange épiphanie, vraiment, qui m’a fait entrevoir comme une idée de réalité fondamentale à nous tous et que nous transcririons par les pauvres canaux limités de notre parole, ou cherchant à l’affiner et à la rechercher sans relâche par l’intermédiaire d’un art. Je ne refais pas Platon, simplement, je ne me suis jamais senti aussi proche de la vision de l’art comme expression de la réalité véritable selon Schopenhauer (idée avec laquelle je ne suis normalement pas trop d’accord)…

Je pousserais bien la réflexion plus loin mais, pour l’heure, j’en suis incapable et je ne voudrais pas tuer le plaisir par une surabondance de verbalisation, donc je vais m’arrêter là sur le sujet, mais une citation de l’artiste dans une conférence (merci Wikipedia) me fait entrevoir que je n’ai peut-être pas tapé tellement loin:

« When Samuel Beckett was a young name in the early Thirties and trying to find a basis from which he could develop, he wrote an essay known as Beckett/Proust in which he examined Proust’s views of creative work; and he quotes Proust’s artistic credo as declared in Time Regained – ‘the tasks and duties of a writer [not an artist, a writer] are those of a translator’. This could also be said of a composer, a painter or anyone practising an artistic metier. An artist is someone with a text which he or she wants to decipher.
Beckett interprets Proust as being convinced that such a text cannot be created or invented but only discovered within the artist himself, and that it is, as it were, almost a law of his own nature. It is his most precious possession, and, as Proust explains, the source of his innermost happiness. However, as can be seen from the practice of the great artists, although the text may be strong and durable and able to support a lifetime’s work, it cannot be taken for granted and there is no guarantee of permanent possession. It may be mislaid or even lost, and retrieval is very difficult. It may lie dormant and be discovered late in life after a long struggle, as with Mondrian or Proust himself. Why it should be that some people have this sort of text while others do not, and what ‘meaning’ it has, is not something which lends itself to argument. Nor is it up to the artist to decide how important it is, or what value it has for other people. To ascertain this is perhaps beyond even the capacities of his own time. »

(Riley parle de « texte » pour tout phénomène sujet à une interprétation, comme des perceptions, pas seulement des documents écrits.)

Il va sans dire que la mention d’un travail de « traducteur » me met particulièrement la puce à l’oreille. Encore de quoi alimenter des réflexions personnelles.

Tout cela est absolument fascinant.

2011-02-01T18:41:43+01:00mercredi 6 août 2008|Expériences en temps réel, Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Les yeux qui tournent et les couleurs qui parlent

Amendement contre la loi Lang repoussé

L’attaque dont la loi Lang fut l’objet a été heureusement repoussée.
Voir aussi l’article de Livres Hebdo.

Communiqué de presse du ministère de la Culture et de la Communication

Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, se félicite du maintien par l’Assemblée nationale d’une dispositionessentielle de la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, tient à remercier l’Assemblée nationale d’avoir repoussé, dans le cadre de l’examen de la loi de modernisation de l’économie, l’amendement visant à raccourcir le délai à respecter avant de solder des livres prévu par la loi du 10 août 1981 sur le prix
du livre. La Ministre rappelle que la loi du 10 août 1981 a permis, en une génération, ledéveloppement en France d’un réseau de diffusion particulièrement dense, dans lequel la librairie indépendante a su conserver toute sa place.Véritable garant de la diversité de la production et de la diffusion éditoriales, la loi sur le prix du livre, qui connaît de nombreux équivalents en Europe, reste un moyen essentiel pour donner à chaque livre, une chance de rencontrer son public, et d’offrir aux lecteurs un accès à l’ensemble de la création littéraire, qu’il s’agisse des nouveautés ou des livres de fonds. Paris, le 12 juin 2008

2011-02-02T13:30:23+01:00jeudi 26 juin 2008|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Amendement contre la loi Lang repoussé
Aller en haut