De la double acception du mot luxe

Image trouvée ici.  Je ne pouvais pas passer à côté.

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La controverse autour de Rêver 2074 a de quoi laisser baba : un projet qui semblait tout de même globalement inoffensif a polarisé le microcosme de l’imaginaire avec une puissance si radicale qu’on est forcé de suspecter que le vrai discours, le vrai “problème », si problème il y a, se trouve ailleurs. À présent que les réseaux sociaux sont carbonisés, que les insultes ont volé, que des amitiés ont été brisées  – le tout dans un cercle d’une cinquantaine de personnes au maximum, car il faut bien concevoir que le vaste monde, lui, le lecteur, n’a guère cure de qui se passe – et c’est très bien ; à moins que ce cercle de cinquante personnes représente le cercle réel du lectorat fidèle, auquel cas nous avons de bien plus graves problèmes littéraires que le financement de cette anthologie de science-fiction -, si je puis, timidement, m’essayer à un post mortem qui essaie de comprendre cette polarisation, dans l’espoir de tirer des leçons sur la chose, il me semble que le différend – une anthologie financée par un comité promouvant le luxe – vient de la double acception du mot luxe.

S’il y a bien une chose que cette tempête dans, moins qu’un verre d’eau, un dé à coudre, prouve, c’est que le luxe entraîne les fantasmes. Mais la science-fiction également, vue avant tout comme une littérature sérieuse, d’idées, et d’idées plutôt sociales. On a prêté toutes sortes d’intentions à ce projet, aux limites du conspirationnisme, et on peut s’amuser, comme le faisait remarquer Charlotte Bousquet sur Facebook, que la question ne se serait probablement même pas posée en fantasy, laquelle ne véhicule pas cette image de littérature sérieuse. J’ai envie de dire : grand merci pour la liberté de création que cela nous donne – y compris d’être sérieux, mais clandestinement.

Qu’on ouvre un dictionnaire, et la double acception du mot saute aux yeux, l’ambiguïté est présente : il s’agit de dépenses “somptuaires” associant “raffinement” et “ostentation”. Le luxe, au-delà des fantasmes qu’il suscite, se trouve ainsi ramené dans les débats à une seule de ses dimensions.

1. Le raffinement évoque immédiatement l’art et la culture ; il porte l’idée générale de progrès – c’est ce qu’aborde Charlotte Bousquet sur son blog, par exemple, mais également plusieurs commentateurs dans la discussion poussée qui s’est déroulée ici, évoquant la valeur de rêve, la motivation au progrès. Il faut également considérer que bien des progrès, intégrés depuis dans notre quotidien, ont commencé sous la forme d’un luxe, en des temps où la société fonctionnait différemment. Jadis, posséder un ordinateur familial était un luxe, aujourd’hui ne pas en avoir un constitue un handicap ; avoir du temps libre était un luxe, c’est aujourd’hui un élément inhérent à la qualité de vie, et ce temps dégagé, cette aisance, nourrit toute l’industrie culturelle, laquelle est empreinte d’une certaine “superficialité” au sens qu’elle est, sensu stricto, dispensable. Je fais pleinement partie de cette catégorie ; dans l’absolu, nul n’a besoin de lire mes livres ; même si je m’efforce d’y élargir les thèmes avec quelques questions historiques et philosophiques, ça ne sera jamais aussi dense – et donc nécessaire, dans une conception utilitariste du monde – qu’un essai sur la question (mais peut-être un peu plus rigolo, du moins je l’espère). Le luxe, dans cette acception, représente la marge de manoeuvre de l’humanité, le défrichage de terrains adjacents, l’exploration de possibilités nouvelles qui donneront, ou pas, d’authentiques progrès. C’est un jeu élaboré, pour adultes.

2. Et puis le luxe évoque le superflu, quand d’autres n’ont même pas le nécessaire ; il cristallise tous les péchés du monde capitaliste, le symbole d’inégalités scandaleuses où certains dépensent des fortunes pour des sacs de marque quand d’autres crèvent de faim. C’est l’aspect “ostentatoire” intolérable pour beaucoup, qui représente à son plus haut point les excès d’une société marchande, c’est le symbole de l’impuissance du simple citoyen face à un système qui l’oublie et lui donne l’impression de se construire sans sa voix, malgré l’étiquette “démocratie” censément portée par les civilisations modernes. Colère, impuissance.

Le truc, c’est qu’aucune des deux définitions n’est fausse, et qu’en plus, les deux peuvent se rencontrer dans le même phénomène. Prenons pour exemple les Médicis : sans leurs dépenses “somptuaires” en art et en architecture, la Renaissance n’aurait pas eu le même visage, voire n’aurait pas eu lieu. Elle engendra tout un bouillonnement et un progrès culturels ; ils financèrent et entretinrent des intellectuels de haut vol, qui travaillèrent à faire progresser l’époque où ils vivaient. Laurent le Magnifique protégeait par exemple Léonard de Vinci ou Marsile Ficin, traducteur de Platon.

À côté de ça, Laurent de Médicis faisait preuve d’une brutalité méticuleuse envers ses opposants.

Qui est le véritable homme ? Le protecteur des arts, ou bien l’homme politique sans merci ? Les cathédrales florentines se sont-elles bâties sur la spoliation de la famille Pazzi ?

N’est-ce pas un peu simpliste ? Cette question a-t-elle seulement un sens ?

Les phénomènes ne connaissent pas de cause unique, et la complexité est bien la seule règle qui régisse l’univers, en particulier social, et, dès lors qu’on se décide humaniste, nul homme n’est réductible à une seule dimension. Si j’ai bien fini par cerner un truc dans cette affaire (big up à Lam Rona sur Facebook pour la discussion qui m’a aidé à mettre le doigt dessus), c’est que, bien souvent, la mésentente vient du fait que les interlocuteurs n’emploient pas la même acception du thème, lesquelles charrient des sous-ensembles sémantiques différents, aux connotations différentes, allant de vaguement positives à une négativité confinant à la haine (du système). Je reste convaincu que se scandaliser de ce petit projet (petit par son impact sur le vaste monde en regard des inégalités qu’on entendrait combattre) revient à prendre le problème par un bout particulièrement microscopique de la lorgnette, et qu’il s’agit de s’outrer d’un arbrisseau qui cache une forêt mille fois plus dense et complexe ; qu’on n’abattra pas le système capitaliste en vociférant sur Rêver 2074 et que, au-delà de cela, ça n’a franchement pas grand-chose à voir avec la lutte dont il est question – pas plus que de militer pour le développement durable mondial en se focalisant sur le chlore employé pour blanchir les tickets de métro de Plan-de-Cuques, ou qu’on obtiendra une révolution économique et intellectuelle mondiale en commençant par dynamiter les droits des créateurs, qui sont les plus isolés et les plus fragilisés du secteur, par exemple. Rêver 2074 cristallise un épouvantail rhétorique et, si l’on veut lutter contre le système en commençant  par ce point-là, par cohérence et par traitement identique de toute interaction avec l’économie contemporaine, il faut cesser toute collusion de toute sorte et élever des poules sur un bateau en autarcie. Sinon, je crois qu’il faut composer avec le réel de manière à choisir ses combats et où investir le maximum d’énergie.

Si le débat autour du thème doit se poursuivre, de grâce, prenons au moins conscience d’une chose : avant de s’écharper, qu’on se mette d’accord sur le sens du thème qu’on emploie ; le raffinement ou bien l’ostentation, qu’on comprenne au moins de quelle position l’on parle, pour commencer.

Dans l’intervalle, par exemple, BP a été condamné à verser 4,5 milliards de dollars de plus pour la marée noire du golfe du Mexique, mais ça, ça fait bien moins buzzer les réseaux sociaux, parce que c’est loin, ça ne parle pas de SF, c’est vague, on n’y peut rien. On ne se sent paradoxalement pas concerné. Cela ne nous donne pas, en discutant avec véhémence, l’impression d’une action immédiate sur notre monde. Lentille déformante des réseaux sociaux et de leur immédiateté. 

XKCD avec annotation personnelle

XKCD avec annotation personnelle

Juste un dernier mot pour finir pour te remercier, auguste lectorat, de ta civilité générale dans la discussion idoine, malgré les polarisations, les frustrations perceptibles ; globalement, tout le monde est resté dans les clous d’argumentations construites. Je disais sur Facebook que je ne prétendais pas avoir la science infuse, c’est bien pour ça qu’il y a les commentaires ; si au moins, sur ce blog, tout le monde arrive à discuter en assez bonne intelligence, y compris les gens mieux documentés que moi et surtout ceux d’un avis différent, ma foi, on n’aura pas tout perdu, hey.

Maintenant, passons à autre chose. Parlant de financement, Mythologica et Fiction ont tous deux réussi leur financement participatif, et ça, c’est super chouette ! 

2014-12-10T10:14:35+01:00mercredi 10 décembre 2014|Humeurs aqueuses|82 Commentaires

Les riches sont méchants (il faudrait les tuer)

worf_killyouAaaaah, monde de la science-fiction française. Viennent parfois des moments comme celui-ci où tu ne peux me décevoir, car les réactions étaient courues d’avance. J’aurais dû mettre mes prévisions dans une petite enveloppe, convier une assemblée choisie à une salle de cabaret décorée de tentures rouges, façon bordel classieux, revêtir mon plus beau smoking et puis ouvrir l’enveloppe devant cette assistance médusée. Dedans, j’aurais écrit :

L’anthologie Rêver 2074 va soulever un torrent d’amertume et de désapprobation publique moraliste, pouvant aller jusqu’à l’ostracisation des auteurs ayant participé au projet.

(J’aurais dû faire payer l’entrée.)

Et donc, ça n’a pas loupé. Pour mémoire, Rêver 2074, c’est un projet financé par le comité Colbert (association pour la promotion du luxe français) : pour résumer, une anthologie de science-fiction plutôt positive, présentant le luxe sous un jour favorable (le sous-titre annonce “Une utopie du luxe français”). L’anthologie est présentée en grande pompe, entre autres à New York, et elle est traduite en langue anglaise. Mentionnons qu’elle est gratuite. Si je résume : ce sont des gens qui ont de l’argent, qui se sont payé une anthologie de science-fiction sur le thème de leur métier, avec des auteurs qui ont choisi de jouer le jeu, et qui la présentent au monde anglophone, tout cela sans que personne ne paie rien pour la lire.

Eh bien, apprends et répète après moi, auguste lectorat : ça, c’est mal. Je ne parle pas de la qualité des textes. Je parle du projet en lui-même. 

C’est mal parce que c’est financé par des gens qui ont de l’argent. C’est mal parce que ces gens représentent des produits hors de prix que seule une minorité peut se payer. C’est mal parce que c’est l’élite qui parle à l’élite, et que l’élite c’est mal. C’est mal parce que ça conforte une industrie foncièrement mauvaise dans sa position. Et surtout, ces gens, qui sont riches et donc par là-même hautement suspects, osent dévoyer la science-fiction en teintant son image pure. Les auteurs complices de ce forfait sont des social-traîtres, il faut les bannir des forums, les brûler en place publique, les inscrire à l’index et jamais plus ne les approcher – rendez-vous compte la collusion ! Ils ont travaillé avec ces gens-là ! Des gens riches – des malhonnêtes, donc !

C’est tellement français, putain. Aux États-Unis, on aurait… ah bien tiens, aux États-Unis, ils vont présenter l’antho, justement.

Remarquez bien qui paie : pas l’industrie de l’armement, pas un groupement politique, pas le nucléaire, Monsanto ni même l’industrie de l’élevage animal – oh non, non. L’industrie du luxe – c’est-à-dire un des trucs les plus superflus de la planète. C’est écrit dans le nom : le mot luxe a cette acception double. Le luxe, c’est financé par des gens qui ont de l’argent à dépenser, et ce sont des industries qui fournissent à ces gens-là un exutoire pour leurs moyens, parfois avec de la qualité, très souvent avec de l’image. C’est, par essence, le truc dont on peut se passer, potentiellement survendu, mais cela fait partie du jeu : c’est presque une notion de cote artistique – j’achète ce tableau peut-être parce qu’il me plaît, mais surtout parce que le peintre a la cote. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est inoffensif, car nulle industrie n’est inoffensive de nos jours, que ce soit économiquement ou socialement, mais quand même, bon sang, à part vendre du rêve de papier glacé sur-Photoshoppé et hors de prix, et sachant qu’il ne s’agit pas d’un produit nécessaire, je peine à comprendre en quoi certains peuvent se sentir carrément insultés par un tel projet. À part sur la base de cette tendance gauloise qui consiste à n’être heureux que si l’on possède davantage que le voisin. Je n’ose soupçonner la jalousie, car je persiste naïvement à nourrir une plus haute opinion de mes contemporains.

Bon dieu, vous êtes révoltés, vous voulez pointer les inégalités de la société ? Mais OK, d’accord ! Toutefois, qu’on me permette de penser que se scandaliser de Rêver 2074 pour cela est une révolte de canapé, aussi absurde que liker une page Facebook contre l’assemblage des smartphones par des enfants chinois en guise d’action humanitaire – et ce depuis un iPhone.

La question subsidiaire, puisque ça semble être à la mode : est-ce que j’aurais accepté de participer à ça, moi ? Eh bah ouais, carrément – qu’on me fasse donc un procès d’intention, alors. Je me serais efforcé d’introduire une part subversive (je ne sais pas si j’y serais parvenu). J’aurais eu pleinement conscience que j’allais être marqué au fer rouge du sceau de l’infamie par une certaine bien-pensance en révolte si perpétuelle sur les réseaux sociaux qu’elle a perdu de vue l’idée même d’échelle de valeur. Mais je vais vous dire : c’est probablement une des raisons pour lesquelles je l’aurais fait – parce que j’aurais eu pleinement conscience que ça emmerderait du monde.

Et pendant ce temps, je serais allé parler à New York – à des Américains – de SF française, ce qui aurait été à mon sens, qu’on m’en excuse, largement plus constructif que de déverser ma vindicte dans un sérail franco-français, qui peine à dépasser ses frontières, à alimenter son marché interne, à communiquer auprès de son lectorat en raison de la contraction toujours plus marquée des collections et de la communication. Pendant que l’excellente revue Mythologica peine à se pérenniser et lance un crowdfunding pour sortir son quatrième numéro, on jette l’opprobre sur des projets qui sont financés, se lancent, promeuvent l’existence même d’une science-fiction française dans le monde.

Hé bah, ça m’échappe, pour le dire poliment.

Je n’ai pas encore lu les nouvelles. Je ne me prononce pas sur leur qualité. Non, ce sur quoi je me prononce, c’est :

En quoi, fichtredieu, la réalisation de ce projet enlève quoi que ce soit à qui que ce soit, trahit une quelconque idéologie tacite qu’il convient de respecter (la science-fiction “convenable” serait-elle une idéologie ?), abuse son lecteur, qui ne paie rien pour se le procurer ? 

Je réponds : en rien. Alors, du calme. Et si l’on veut parler de quelque chose, parlons du livre lui-même.

2014-11-24T09:12:15+01:00lundi 24 novembre 2014|Humeurs aqueuses|232 Commentaires

Genre, rôles, narration et Final Fantasy

ffxv_castÇa râloche un peu sur la toile alors que la sortie de Final Fantasy XV approche à grands pas : le groupe de personnages central est constitué presque exclusivement d’hommes.

Je suis le premier à râler, pour ma part, sur des représentations bidimensionnelles des femmes dans la fiction, sur leur présence comme simples faire-valoir, ou comme accessoires narratifs allant à la limite du McGuffin (Sauver la princesse ! Pourquoi ? Pour donner une raison à nos péripéties !), mais il y a toujours quelque chose qui me dérange dans l’établissement de principes. Et, alors que le jeu n’est pas encore sorti, j’ai l’impression que les quelques cris d’outrage qui s’élèvent devant la forte proportion masculine du groupe relèvent du principe. Nous ignorons comment ces personnages sont écrits. Nous ignorons si la moitié des mecs ne sont pas simplement là, justement, comme faire-valoir, s’ils ne sont pas crétins comme des jantes alu. Nous ignorons la profondeur d’écriture des personnages féminins minoritaires.

Peut-être ces femmes seront-elles insignifiantes, je ne dis pas. Nous ne le savons simplement pas à l’heure actuelle.

Je peux concevoir qu’on peine à s’identifier au sexe opposé, dans la lecture ou le jeu vidéo (même si cela me paraît toujours un peu mystérieux, étant peu sensible à la chose et ayant toujours préféré Motoko Kusanagi à Conan). Je peux concevoir, donc, qu’on regrette de ne pouvoir jouer une femme, le cas échéant (Final Fantasy XIII, par exemple, équilibrait bien les genres avec une palette assez étendue de caractères, du crétin-e au réfléchi-e). Je suis gêné quand, au nom d’un principe, il semble devenir obligatoire de respecter une forme de parité dans la fiction, préférant l’équilibre des nombres à celui de la qualité1.

La fiction, en particulier littéraire, mais on l’exige de plus en plus du jeu vidéo, vise à l’illusion de réalité. La réalité est que, dans certains groupes, certaines étapes de l’existence, des communautés du même sexe se fédèrent. Les bandes de copains, les bandes de copines. Final Fantasy XV (au désespoir de beaucoup, mais c’est un autre sujet) semble tenir du road movie centré sur un prince en fuite et sa bande de potes dans une grosse bagnole. Sachant qu’on ignore la teneur exacte du scénario, il me semble étrange, pour le moins, de s’offusquer de l’absence de femmes dans ce qui est, de toute évidence, l’histoire d’un groupe de bros. Comme Final Fantasy X-2 était l’histoire d’une bande de filles.

Sans compter que les bros en question ressemblent quand même sévèrement à des idoles de pop asiatique, gominés et un chouia efféminés, plutôt destinés à la contemplation des adolescentes japonaises… Les intentions et raisons me semblent plus complexes qu’il n’y paraît. Ah là là, cases et catégories, vous êtes pourtant si pratiques ; pourquoi les événements refusent-ils d’y rentrer commodément afin que l’on puisse désigner qui l’on doit fustiger, qui l’on doit encenser ?

Je pense, peut-être avec faiblesse, qu’il vaut mieux éviter de coller une donzelle mal écrite pour éviter de froisser les sensibilités superficielles en plaidant: “vous avez vu, j’ai mis une femme, je suis super progressiste !” et plutôt s’abstenir si ça ne colle pas à l’histoire, ou pire, si on ne sait pas bien l’écrire (plutôt ne pas représenter que mal représenter, me semble-t-il). Il me semble que l’honnêteté narrative et morale d’un auteur doit être simplement gouvernée par deux principes : 1) ne pas éclipser ou amoindrir la présence des femmes 2) leur consacrer le même soin dans la profondeur du traitement qu’aux hommes.

Au-delà de ça, je crois qu’il ne faut pas mélanger les intentions. Si je me rappelle bien, dans Ghost in the Shell, Kusanagi est à peu près la seule femme importante de la narration, dans une unité par ailleurs masculine, et pourtant, elle éclipse à peu près tout le monde par sa compétence, sa complexité, ses dilemmes, son importance dans le récit2. Au fond, je suis très ennuyé de me dire qu’un jour, parce que je chercherais à dépeindre un groupe masculin comme une fraternité lycéenne ou simplement m’inspirer des codes du buddy movie, on pourrait compter le pourcentage de chromosomes XX dans ma narration et venir me présenter l’addition, comme ce qui se passe en ce moment autour de FF XV. La vie, et donc la narration, dont elle est le reflet à la fois pâle est sublimé, est plus complexe que cela. Il existe des communautés unigenre ; si la fiction peut aider à faire bouger les lignes en présentant des personnages à contrepied des conventions, en ouvrant des horizons nouveaux sur la société, ce qui est fantastique, elle se tient aussi comme peintre du réel, ce qui lui fait arpenter une ligne aussi fine que casse-gueule.

Ce qui fait la différence, c’est l’intelligence du traitement, du propos.

Je crois simplement que le critère d’évaluation n’est pas les effectifs, mais la qualité. Dans le cas de FF XV, je suis prêt à parier que la moitié des dudes en question seront des clichés ambulants de lycéens abrutis. Est-ce que cela ne sera guère flatteur pour la gent masculine ? Peut-être, mais quelle importance ? Ce n’est pas la bonne question : c’est la réalité, quantité de lycéens masculins sont des clichés ambulants, et ça peut être amusant dans le cadre d’une narration, tant qu’il y a une bonne histoire, et de l’intelligence dans le propos par ailleurs. Tant que, par ailleurs, on équilibre le discours global avec de plus hautes aspirations. Peut-être que les filles vont leur rabattre le caquet en permanence (je suis prêt à le parier là aussi, si j’ai bien pigé le nouveau public que FF XV essaie de rallier). Et en plus… nous ne savons même pas précisément quels seront les personnages jouables.

Y a-t-il du sexisme là-dedans ?

Nous le saurons une fois le jeu sorti. Dans l’intervalle, à mon humble avis : il y a sexisme dans la narration quand les personnages d’un sexe donné ne servent que d’outils, de faire-valoir, sont dépeints à la va-vite. Il y a sexisme dans la narration quand les personnages d’un sexe donné sont volontairement passés sous silence par rapport au milieu où se déroule l’intrigue, comme une fraternité ou une sororité. L’équilibre des genres est un noble but à atteindre et, si le récit le permet, je trouve qu’il est très bon d’y prendre un peu garde afin d’élargir ses horizons.

En revanche, je ne crois pas que, dans le contexte d’une narration, le sexisme puisse se résumer à une comptabilité abstraite, déconnectée de tout discours sous-jacent.

  1. Il ne s’agit pas de l’Assemblée Nationale ou de la direction d’une grande entreprise, où le problème est autre. Oui, la fiction peut être en avance sur la réalité mais… lisez la suite de l’article, sur le milieu dont il semble s’agir.
  2. Du moins, quand Masamune Shiro évite d’en faire une pin-up à la limite du vulgaire sur certaines illustrations.
2014-11-06T09:44:39+01:00jeudi 25 septembre 2014|Humeurs aqueuses|5 Commentaires

Vos gueules, les corbeaux

Grumpy-cat-meme-end-of-the-world-meme-lol-lulz-cats-funny-pictures-blog_thumbJ’en ai définitivement marre de ressentir la négativité ambiante et de la lire dans la presse. Tout va mal, on va tous mourir, rien ne sert de se battre: si, au contraire, bon sang, ce qui nous tue, c’est le défaitisme, c’est la peur, ce sont ceux qui, au nom de la raison, de la norme, ou par jalousie et impuissance, nous empêchent de rêver plus grand, plus haut, plus vaste, qui nous donnent perdants avant même d’être descendus dans l’arène. Il n’y a que deux choses à leur dire : 1) va te faire foutre ; 2) merci, car rien que pour t’emmerder, maintenant, je vais réussir. On n’a qu’une vie: au nom de quoi, bon sang, se priverait-on de tenter des projets fous, des aventures immenses, au nom de quoi, de qui, de quelle morale, de quelle divinité étriquante, se retiendrait-on de vivre ? Au nom de quelle attente ? L’attente d’être plus sage, plus expérimenté ? On le sera toujours davantage demain. Un jour, il faut agir, agir maintenant, car demain, nous serons morts, et ce sera toujours trop tôt ; et ce jour-là, tout sera fini, plus de crédits dans la machine, plus temps de tenter.

Il vaut mieux tenter et échouer. Pour ma part, même si je me vautre, même si je me rate, j’aimerais, au minimum, qu’on dise de moi : “il s’est peut-être planté, mais il aura essayé.”

La réussite n’est jamais garantie. Mais putain, on peut donner tout ce qu’on a, et que faire d’autre ? Peut-on se devoir plus, et oserait-on se satisfaire de moins ?

Ce qui ne veut pas dire foncer stupidement et sans préparation. Le funambule ne regarde pas en bas, mais il n’oublie pas non plus la magnésie sur les pieds. C’est toute la différence avec lui dire inutilement : “mec ! tu vas tomber.”

2014-07-21T17:57:14+02:00mercredi 23 juillet 2014|Humeurs aqueuses|94 Commentaires

Faillite de l’effort

exam_girafeHou là là, trop le seum, la galère, mec, Marc le fermier ce fdp avec sa paille de boloss, Victor Hugo d’où qu’il fait causer un arbre et un roseau sérieux, et les maths du bac S putain sa mère les courbes paramétriques de teupu.

Ô rage, ô désespoir, ô indignation suprême dans les rangs de nos futurs (ou pas) bacheliers, de nos collégiens pour le brevet, et voilà que Benoît Hamon veut des notes moins décourageantes à l’école.

Bref, camarades, l’école c’est devenu vachement trop dur.

J’ai un truc à vous dire, les jeunes : c’est vous les boloss. Je n’ai pas fait de maths depuis quinze ans. L’exercice du bac, je le torche, celui du brevet aussi. Est-ce à dire que je suis suprêmement doué ?

J’aimerais bien, mais non.

C’est vous les boloss. Mais ce n’est pas de votre faute.

La faute revient aux parents qui vous surprotègent, qui ne tolèrent pas un seul instant que vous puissiez ramer, parce que ce serait une insulte à leur propre image, et empêchent vos profs de vous évaluer honnêtement afin que vous rapportiez des bonnes notes déconnectées des réalités.

La faute revient aux politiques qui, pour séduire les parents sus-nommés et vous, futurs électeurs et donc garants de leurs privilèges, cèdent en se donnant l’air auguste à vos pétitions pour vous éviter de reconnaître la perspective d’un échec ou même d’une difficulté.

La faute revient à cette rhétorique absurde qui veut donner à tous les mêmes diplômes, les mêmes vies, les mêmes modèles idéaux de réussite au lieu de reconnaître, valider et louer la diversité des aspirations, des talents, des inclinations.

La faute revient à la lourdeur administrative du système éducatif, qui enferme les profs dans des expressions novlanguesques abracadabrantes, dans une science pédagogique déconnectée de la réalité du terrain, souvent plus handicapante qu’utile.

La faute revient – pour piquer encore une phrase à Nietzsche – au triomphe du faible sur le fort. La faute revient à une société entière en faillite quant à l’idée d’effort, de travail, de conquête, qui handicape totalement des générations entières en leur ôtant toute notion qu’un jour, dans l’existence, dans la vérité du quotidien, des épreuves se dresseront, des couperets tomberont, des sélections s’opéreront, des échecs se produiront.

J’adhère totalement à l’idée que chacun peut tout atteindre, ainsi qu’on semble vouloir le mettre en avant dans le système éducatif. Avec un caveat : tout le monde peut tout atteindre avec du travail. Ce qui nécessite du temps, de l’investissement personnel, une certaine force combative.

C’est un véritable crime collectif commis contre des dizaines de milliers de jeunes que de les désarmer littéralement contre les inévitables – parce qu’elles sont inévitables – difficultés de l’existence. C’est les laisser désorientés, perdus, mollassons ; pire, c’est les encourager dans certaines voies pour lesquelles ils n’ont pas forcément la volonté ou les bases nécessaires, c’est leur faire perdre un temps fou dans des perpétuelles premières années de fac sans but, qui coûtent en plus des sommes non négligeables. Faire croire à tous que tout est possible sans fournir aucun effort est plus qu’une idiotie, c’est une tragédie.

Le problème n’est pas dans l’évaluation scolaire, dans la prétendue paresse des jeunes ou leur inculture ; il s’enracine dans l’idée générale, pernicieuse et persistante – fort arrangeante pour une classe politique qui n’oeuvre plus qu’à court terme – que tout doit être facile, gentil, compréhensif. Réalité à bouts ronds. Le monde n’est pas ainsi, et l’éducation devrait consister à (s’)y préparer, parce que c’est ce qui donne de la ressource. Il ne s’agit pas d’enfoncer la tête sous l’eau de ceux qui rencontrent des difficultés, mais il ne s’agit pas non plus de retirer les difficultés à la moindre anicroche. De considérer obscène l’idée même de difficulté ou d’épreuve. Cela revient à vouloir enseigner la natation en jetant un type dans la piscine sans le prévenir, puis à en retirer l’eau dès qu’il boit la tasse, et à lui dire MAIS OUAIS MEC, PUTAIN, TU NAGES ! Sauf que non. Et en plus, le type en question n’en retient qu’une chose : l’eau, c’est dégueulasse, sa mère la pute.

On apprend à nager en conquérant la peur de l’eau, en augmentant la difficulté. La… difficulté. 

À l’échelle de la société entière, la formation des jeunes adultes devrait s’articuler autour de la conquête de la difficulté, de l’apprentissage de sa maîtrise, et non dans sa dénégation. C’est conquérir qui forme un caractère, c’est le triomphe qui donne la mesure d’un être ; on peut se développer harmonieusement sans se frotter à l’échec (si l’on est extrêmement talentueux) mais pas si on le retire totalement de l’équation. C’est une leçon de bien plus grande valeur de savoir qu’on peut conquérir la difficulté plutôt que de l’aplanir dès que le danger devient un tant soit peut réel. Et ça n’est tout simplement pas viable. Il se présentera toujours. Et moins on y est préparé, plus il fait mal.

Un combatif peut être gentil. Un gentil ne peut pas être combatif. C’est brutal, mais c’est la vérité. Et, dans l’optique de former chaque être humain à conquérir son propre potentiel, il me semble préférable de donner l’option qui fournit le plus grand éventail de possibles.

En 2004, je publiais dans “Tuning Jack” (lisible gratuitement en ligne ici) quelques modestes galéjades, comme ce prétendu reportage futur de TF1 :

92% de réussite au bac l’année dernière, c’est bien mais c’est encore trop peu pour le ministère de l’Éducation, qui a placé comme objectif à l’horizon 2020, 96% de réussite pour une classe d’âge. Ces résultats sont néanmoins en hausse, grâce à la séparation des disciplines, à la réorganisation des emplois du temps et au recentrage des programmes.

Claire, 19 ans. – Ouais-heu, c’est sûr le bac ça fait flipper mais bon-heu… Bon moi je l’ai raté une fois parce que je me sentais pas en état d’y aller, la dernière fois. Alors-heu, là, cette année-heu… Ben j’espère que j’aurai le courage d’y aller.

La baisse du nombre des mentions ne cesse en revanche de s’accentuer. Cette baisse, amorcée en 2007, est dénoncée par l’opposition qui parle de « laxisme » de la part du gouvernement.

Morad, 17 ans. – Ouais ben j’le tente, là, c’est pour maintenant, hein. Mais j’me prends pas la tête, tu vois. Y a pas que les études dans la vie. Faut savoir faire la fête, hein ! Ha ha.

Sylvie, 17 ans. – Oh moi j’ai trop trop peur. Les examens, je trouve pas ça bien, ça me fait trop trop peur. J’aime pas être jugée par quelqu’un. Je trouve qu’on devrait pas faire comme ça. Parce que la personne qui corrige la copie, elle sait pas qui on est, alors que ce qui compte dans la vie, c’est d’être bien, mais humainement, quoi, hein. Mais forcément quand on écrit, les gens savent pas.

Une chose est sûre : nos chères petites têtes blondes, déjà grandes, vont commencer mercredi par l’épreuve de Géographie Locale. 

Je me disais : oh là là, que je suis plaisantin, jamais nous n’en arriverons là, voyons.

2014, la nouvelle cite un horizon 2020, je dis check, je suis dans les temps.

Soyez malins et combatifs, les gens. (Ne soyez pas ce type.) Bossez. Prenez votre vie en main, parce qu’aujourd’hui plus que jamais, personne ne la prendra en main à votre place. Faites quelque chose de vous-mêmes. Peu importe quoi. Mais quelque chose qui vous appartienne.

Au boulot.

2014-06-30T14:32:45+02:00lundi 30 juin 2014|Humeurs aqueuses|101 Commentaires

L’impératif moral de l’histoire

Couv. Hulton Archive / Getty Images et Times & Life Pictures / Getty Images

Couv. Hulton Archive / Getty Images et Times & Life Pictures / Getty Images

En quelques jours, tout a été dit sur le résultat des élections de dimanche soir, qui font une impression de gueule de bois après la fête qu’étaient les Imaginales, ou de débat sur l’uchronie qui aurait persisté dans le réel par une mécanique toute priestienne. Je ne peux m’empêcher de me demander combien, parmi ceux qui se lamentent aujourd’hui du triomphe du FN aux européennes, sont allés voter ou avaient établi une procuration, parce que ces 60% d’abstention sortent bien de quelque part. J’ai lu qu’en chiffres absolus, paradoxalement, le nombre de suffrages exprimés en faveur du FN est en réalité plus faible qu’au scrutin précédent, mais, par le jeu des pourcentages, cela augmente mécaniquement leur importance et donc leur nombre de sièges à Bruxelles.

Qu’on ne vienne plus jamais me raconter que “voter, ça ne sert à rien de toute façon ».

Christopher Priest s’est exprimé plusieurs fois sur l’uchronie pendant le festival, sur les points de divergence de l’histoire et sur son cours. Si j’essaie de résumer sa pensée, pour lui, l’histoire est empreinte d’un impératif moral qui dépasse et transcende les décisions des chefs d’État, les événements ponctuels, etc. Si le Sud avait gagné la guerre de Sécession, dit-il, peut-on croire qu’aujourd’hui, avec Internet et toutes les technologies modernes, les États-Unis seraient encore une nation esclavagiste ? Le régime nazi se serait effondré sous son propre poids et Hitler aurait été destitué, voire assassiné par des factions au sein même de son parti, si la Deuxième guerre mondiale s’était poursuivie. L’histoire, pour lui, est avant tout construite par les individus, et cela vise, si je ne trahis pas ses propos, à une élévation globale au fil des siècles.

Hélas, cela n’empêche pas les tragédies, les guerres, les conflits, les atrocités : la guerre de Sécession comme la Deuxième guerre mondiale se sont résolues en faveur, pourrait-on dire, de l’éthique. Mais, si je puis oser modérer les propos du maître, cela n’empêche pas qu’elles ont lieu. L’abolition de l’esclavage est un soulagement pour la marche de l’histoire ; cela fait une belle jambe à ses victimes. Cela n’empêche pas les ténèbres. Il faut espérer et donc se battre pour qu’elles soient les plus courtes possibles.

Loin de moi l’idée de faire de l’alarmisme outrancier parce que le FN remporte 25% de nos sièges au Parlement européen et de hurler, façon point Godwin, au fascisme immédiat. Internet crie si souvent au loup qu’on peine à y croire. En revanche, si l’histoire nous donne bien un avertissement, c’est quand même bien celui-là, et je commence à redouter que nous tombions à court d’avertissements avant que la merde ne cogne le ventilateur, si je puis emprunter une fort graphique expression à l’anglais. C’est une maigre consolation de se dire que l’histoire vise à une élévation globale au fil des siècles quand l’on vit au fil des semaines, voire des jours, l’une des périodes de ténèbres de l’histoire et que l’on espère simplement qu’on survivra pour la voir de ses propres yeux, cette résolution. Il va vraiment falloir éviter qu’on s’impose un tel réveil difficile, maintenant, de l’homme politique à l’électeur, et que nous agissions tous, à notre échelle – “sois le changement que tu veux voir dans le monde” disait Gandhi, probablement l’une des phrases les plus simples et les plus pertinentes quand on s’interroge sur sa place dans le monde et pour guider la direction de sa vie.

Je découvre que dans certains pays, le vote est obligatoire. Je n’aime pas les obligations, mais dans certains cas, et en particulier celui de la mollesse citoyenne ambiante, je pense qu’il serait fort bon de distribuer quelques coups de pied au cul.

2014-05-27T10:12:11+02:00mardi 27 mai 2014|Humeurs aqueuses|82 Commentaires

J’ai une mission pour vous

not_votingAuguste lectorat, j’ai une mission pour toi.

Le 25 mai, dimanche, ce sont les élections européennes.

Il faut que tu ailles voter. 

Si tu ne peux pas (par exemple, si tu es aux Imaginales) il faut que tu fasses fissa une procuration. C’est facile : tu vas à ton commissariat de quartier avec le nom, la date et le lieu de naissance de celui ou celle qui bénéficiera de ta procuration (qui doit voter dans la même commune que toi) et c’est réglé. Ça se fait tout simplement. Il faut juste te bouger une demi-heure. Il faut le faire. (Vite, ça urge.)

C’est important. C’est important parce qu’il se décide énormément de choses à l’échelon européen qui influence nos vies au quotidien. C’est important parce qu’il y a dans les tuyaux un accord secret de libre-échange qui pèsera lourd sur nos vies et sur l’organisation du commerce mondial.

C’est important parce que voter est un droit qui n’est pas universel à travers le monde : il s’agit d’un devoir et non d’un luxe.

Peu importe que tu sois blasé-e de la politique française, de son jeu de dupes, que tu imagines que cela n’a aucune influence. Regarde un peu ceux chez qui on n’a pas le droit de vote, s’il y a une influence du citoyen. Est-ce comparable à notre situation ? Non. Alors agis. Pas de flemme abstentionniste, s’il te plaît.

L’Europe n’est pas la France ; l’échelon international est plus vaste, et différent de notre attitude actuellement un peu mollassonne. Par contre, l’Europe concerne de façon très directe la France, et donc toi, de façon immédiate.

Va voter, sinon je te trouve et te démonte comme lui, là, dans la vidéo.

Nous profitons de 69 ans sans guerre sur nos sols et la Première Mondiale a un siècle cette année. Agis !

Mais, auguste lectorat, tu es quelqu’un de bien, et je pense bien qu’ici, je prêche un convaincu, n’est-ce pas ?

2014-05-15T18:10:09+02:00vendredi 16 mai 2014|Humeurs aqueuses|101 Commentaires

“Not all men” ou l’argument du “oui mais pas moi”

Cette petite BD circule partout sur Internet, et il faut dire qu’elle est très drôle :

not-all-men

Elle met l’accent sur la “défense” dite du “not all men” : en réponse à la dénonciation des problèmes de sexisme, certains répondent “oui mais pas tous les hommes” (= ne sont des violeurs / ne sont payés plus que les femmes / ne battent leur épouse etc.) Soit : “OK, mais pas moi” – ce qui à la fois une évidence, et une façon pour l’individu de se dédouaner, s’il se sent mal à l’aise dans la discussion (l’usage de cet argument me paraît donc, mécaniquement, prompt à susciter la méfiance). Mais, au-delà et fréquemment, c’est une façon pour certains d’invalider l’argument tout entier : “si l’on formule un problème de discrimination sexuelle, mais que je n’exerce aucune discrimination, alors le problème de discrimination n’existe pas ». Time y consacre un article.

OK, le comic est savoureux, vraiment. Cela dit, il pose d’abord un souci de logique argumentative, et non de société, à mon humble avis, lequel se fonde sur l’idée – toujours casse-gueule – de généralisation dès qu’on quitte le domaine des mathématiques1.

Petite anecdote : un jour, lointain, une femme lors d’un salon, avec un coup dans le nez, se mit à râler sur les traits génériques des hommes à la cantonade. Après quelque diatribe, elle se tourna vers moi (j’avais l’heur d’être son voisin) et me dit : “Ha, vous ne dites rien parce que ça ne doit pas vous faire plaisir de vous entendre décrit comme ça, hein ?” Ce à quoi je répondis sincèrement en souriant : “Non, je ne dis rien parce que je ne corresponds pas au portrait que vous faites, et je ne me sens donc pas concerné.” J’ai pensé que c’était une façon un peu idiote de se comporter. Qu’elle se sente flouée de manière générale, je pouvais le comprendre si son vécu l’y poussait ; qu’elle s’adresse à un parfait inconnu comme confirmation d’une thèse générale était, au mieux, casse-gueule.

De façon formelle : la majorité n’est pas la totalité. Mais et c’est important, la totalité n’est pas nécessaire pour valider une thèse ou une observation, et vouloir se placer sur ce terrain (comme le caricature – j’insiste – la BD) est une perte de temps et une faiblesse argumentative. De façon plus claire : ce n’est pas parce que tous les hommes ne battent pas leur femme (c’est une évidence) que la violence conjugale n’est pas un vrai problème (ce qui devrait être une évidence).

Porter un contre-exemple à une thèse générale n’invalide pas la totalité d’une thèse : cela invalide l’aspect total de la thèse. Lequel tend déjà, par essence, à l’invalidité dès lors qu’on parle de société et non de mathématiques ou de logique formelle. Quand je dis “les hommes” “les femmes” “les Noirs” “les Chrétiens », je suis bien parti pour dire une connerie.

Mais quelle importance a cet aspect total ? Absolument aucun. 

Est-ce que ça nie l’existence des discriminations? Non. Elles concernent la majorité et/ou l’usage qui sont, eux, constatables (dès lors qu’on n’a pas des œillères devant les yeux). Est-ce que ça invalide les combats attenants? Non, encore moins (cela découle tout seul du point précédent). On prend des risques superflus, en revanche, si l’on veut donner un aspect total à une argumentation, à la fois du côté de celui qui argumente et de celui qui réfute, car il donne un poids absurde (c’est-à-dire : qui n’a rien à faire avec la choucroute) au cas minoritaire. Ce n’est pas le sujet. C’est le problème dont on parle, le sujet, en tant que constatation d’une tendance, et c’est la tendance que l’on observe, dénonce et puis combat. 

En d’autres termes : peu importe le contre-exemple. Il n’invalide pas la thèse. Ou, plus précisément, il ne l’invalide que si la thèse se veut totale. Or, cette totalité n’est pas le sujet (ou ne devrait pas l’être – ce qui est le sujet, ici, de cet article. Dites, ça va ? Vous êtes tout bleu.). 

Pour caricaturer, ce n’est pas parce qu’il y a des riches (qui sont donc censés invalider la notion de pauvreté) que la pauvreté n’existe pas. A mon humble avis, le “not all men” n’est pas tant un souci de société, que de logique pure et, donc, de communication entre les êtres (tiens donc). Dire “tous les x” est une bêtise (qu’on parle de féminisme, d’environnement ou de chats), c’est déplacer une discussion potentiellement vitale sur un terrain inadapté et c’est prêter inutilement le flanc à une critique toute aussi bête. Dire: “ce problème existe” est en revanche une observation sociale valide, réfutable (donc scientifique), qu’il peut être difficile à faire admettre, certes, mais sur laquelle il devient possible d’agir (commençant, peut-être, par la prise de conscience, justement). Et cela rend, pour le coup, l’argument “not all men” particulièrement crétin et déplacé dans ce contexte. (« Oui, génie, pas toi, c’est inclus dans la formulation d’origine, mais tu vois, ce n’est pas de ton petit cas personnel et restreint dont on parle. »)

Tous autant que nous sommes, n’y prêtons donc pas stupidement le flanc dans notre expression publique. Parce que je crois que bien des combats sont trop importants pour les saper avec des formulations abusives qui font perdre du temps avec des critiques épiphénoménales comme le “not all men », de la même façon que la dame de mon dîner, plus haut, a sottement sapé son discours en cherchant autour d’elle une confirmation qui était, et c’est bien le pire, parfaitement inutile pour sa démonstration. (Après, je suis d’accord. Démontrer avec un coup dans le nez, c’est pas facile.)

  1. Oui, j’ai pigé que la fille de la BD à la fin était peut-être agacée / triste / parlait à sa pote sans que cela porte à conséquence. La BD est drôle, caricaturale, et pointe un intéressant problème. Mais, en tant que caricature, faut-il la prendre au premier degré ?
2019-09-16T18:17:20+02:00mercredi 7 mai 2014|Humeurs aqueuses|10 Commentaires

Cet article est-il sérieux ?

Dès lors que l’on dispose d’un solide faisceau d’inférences et d’observations, il doit être possible de décider que quelqu’un est un abruti sans que cela relève de l’attaque personnelle, mais du jugement de valeur – une hypothèse que l’on peut parfaitement réfuter dans le cadre d’une argumentation construite -, voire, dans les cas les plus sérieux, de la conclusion scientifique ; l’information étant alors éclairante dans le cadre d’un débat.

En effet, puisque nous convenons généralement qu’il y a des abrutis partout, il vient qu’à un moment, on les trouve.

Ensuite, l’expérience prouve à 95% que pointer cette conclusion à l’intéressé emporte difficilement son adhésion quant à celle-ci, mais il est important de noter qu’on ne saurait, pour des raisons de biais cognitifs et de logique formelle, considérer cette divergence précise comme une validation de l’hypothèse susnommée.

2014-08-30T18:25:19+02:00mardi 29 avril 2014|Best Of, Humeurs aqueuses|2 Commentaires
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