La fin des livres ?

lastpageinternetQuel effet suscite la fin de l’écriture d’un livre ? Est-ce que ça rend content, ou bien vide, malheureux, abandonné ? Chaque écrivain le vit évidemment à sa manière, et a sa propre réponse. En ce qui me concerne, parr rapport à Léviathan, c’est un peu surréaliste d’être arrivé à la fin de cette longue histoire de 2.8 millions de signes au total, et qui m’a accompagné tant de temps ; je ne mesure pas bien. Mais je crois que je le vis plutôt bien. Ce que je veux dire, c’est que je suis le créateur de ces persos, de cette histoire, de cet univers, de tout ce qui l’entoure, et en général tout cela vit toujours, dans ma tête, dans un bac plus vaste, avec des pistes abandonnées, un avant l’histoire et un après (mais je place aussi beaucoup mes bouquins dans des univers que j’essaie de développer à la manière des licences, parce que j’aime ça). Si je veux y retourner, je n’ai qu’à me plonger dans cet univers à nouveau, à retrouver ces personnages qui, même s’ils sont parfois morts, continuent à vivre dans ma tête, ne serait-ce qu’à travers leur passé. Quand j’étais jeune, j’étais dépité de terminer des bouquins (et même des séries) que j’adorais parce que voilà : c’était fini. Je me sentais en particulier orphelin de séries qui ne finissaient pas parce que l’auteur était mort. Mais quand c’est moi l’auteur, c’est différent. Je peux y retourner quand je veux. Je connais ces personnages mieux que quiconque parce que je les crée, et je peux inventer – ne serait-ce que pour moi – autant d’aventures nouvelles que je le souhaite. Je ne suis jamais orphelin d’eux. Je me suis dit, en terminant le supertanker, que c’était un coup super vache à un lecteur que d’écrire une fin à un livre. Pour lui, c’est fini, à jamais, sauf s’il s’approprie l’histoire en la prolongeant en imagination comme il le souhaite – mais quand je faisais ça moi-même, ça ne m’intéressait que moyennement, je voulais que l’auteur m’en donne davantage, je voulais sa vision, les suprises qu’il me réservait. Sinon, j’inventais moi-même mes univers, mes histoires, mes questions. Du coup, quand c’est moi qui termine le livre, qui écris le mot « Fin », ces personnages continuent malgré tout à m’habiter éternellement et ça n’est jamais fini. Finalement, je fais peut-être ce métier pour me rassurer et créer des choses qui, au moins dans ma tête, sont éternelles. Je n’en sais rien, ce serait un boulot pour mon psy… si j’en avais un.

(Merci à celle qui a lancé la discussion qui m’a conduit à cette prise de conscience.)

2013-06-20T12:23:58+02:00mardi 25 juin 2013|Technique d'écriture|3 Commentaires

Question : comment construire ma méthode d’écriture ? (2/2)

Comme promis, voici la deuxième partie de la question entamée la semaine dernière sur la méthode d’écriture. Cette fois, nous partons dans des considérations plus générales, autour de la constitution d’une méthode, si tant est qu’il existe… une méthode pour construire une méthode.

Pour ma part, je ne sais toujours pas qu’elle est la bonne méthode pour moi, car je n’ai toujours pas sauté le pas : un cahier, un ordinateur ; rédiger sans plus attendre après une vague idée jetée sur le papier/l’écran ?
Je crois que ce qui est fascinant dans l’écriture, comme dans l’art en général, c’est outre raconter quelque chose à quelqu’un, se raconter à soi-même, se découvrir, s’apprendre, s’apprivoiser. Faut-il se poser la question du « comment dois-je travailler ? » ou bien travailler pour découvrir qu’elle est la méthode qui me correspond ?

Je répète sans cesse en atelier quelque chose de proche : pour apprendre à écrire, il faut apprendre avant tout à se connaître. Les techniques d’écriture ont, je pense, surtout valeur d’exercice, et aucun écrivain n’a le même processus que son voisin ; néanmoins, je crois qu’il existe quand même une approche profitable à tous.

Tout d’abord, il convient de définir ce qu’est « apprendre l’écriture de fiction » :

Le premier volet, le plus technique et par conséquent le plus facile à apprendre, concerne l’acquisition des principes narratifs de base. Cela recouvre tout ce qui fera d’un récit quelque chose de « professionnel », c’est-à-dire écrit en prenant le lecteur en compte. Non pas seulement pour lui, mais pas exclusivement pour soi non plus. Il s’agit simplement d’accessibilité : cela concerne par exemple la clarté du style en fonction du récit visé, construire un dialogue dynamique, gérer les attentes du lecteur (même si c’est pour les trahir à dessein). On pourrait considérer qu’il s’agit d’une forme de proactivité1 vis-à-vis de la narration, un recul que l’on acquiert principalement par deux vecteurs ; en lisant, encore et toujours, et en réfléchissant à ce qu’on a lu ; et par la pratique, l’expérimentation, prélude à la prise d’expérience.

Ce n’est cependant pas exactement de cela dont il est question ici. Apprendre l’écriture de fiction, c’est aussi (et c’est surtout ce qui m’intéresse) le comment-faire. La réponse (complexe) à une interrogation (simple) : j’ai ces idées, ces images en tête, et surtout cette envie de transmettre ces émotions brutes que je ressens, ces concepts, comme j’ai pu les éprouver en lisant ceux qui m’ont précédé. Comment, foutrediable, donné-je de l’ordre au chaos ? 

L’ordre que l’on donne est à l’image de l’ordonnateur. C’est en cela qu’il convient d’apprendre à se connaître, pour réfléchir sur sa propre façon de travailler, de fonctionner, afin d’adopter et concevoir, pour soi, les outils qui captureront au mieux les envies, et les approfondiront au mieux. Pour s’y aider, une lecture critique des ressources sur les techniques d’écriture (livres ou blogs comme, humblement, celui-ci), puis un test poussé de celles-ci, suivi d’un raffinement constant en fonction du retour d’expérience, me semble le plus productif. Un guitariste professionnel va affiner peu à peu ses préférences en matière d’instrument, de cordes, de son ; il n’en est pas autrement pour l’écrivain, qui, à mesure qu’il accumule de l’expérience, va opter pour une rédaction à l’intuition, ou bien travailler sur plan, mais aussi employer telle atmosphère quand il travaille, tel outil. Certains aiment le contact de beaux carnets (voir chez Samantha Bailly par exemple), quand votre serviteur fonctionne sur des feuilles volantes, des post-its, des bouts de papier dans tous les sens, des notes parfaitement anarchiques ensuite triées et reconstruites en un seul endroit dans OneNote. Un auteur a besoin de l’ambiance bruyante d’un café, quand je préfère le silence (ou un fond musical tellement bas qu’il est indiscernable).

Il faut trouver l’outil qui plaît, qui donne intuitivement envie de s’y mettre. Peu importe si ce n’est pas le plus optimal ; l’envie de travailler vaut toutes les optimisations du monde. Il vaut mieux bâtir un système sur une approche qui séduit – tout informatique ou imposants cahiers reliés de cuir ou encore dictaphone – et s’accommoder de ses contraintes plutôt que de s’entêter à fonctionner avec un outil théoriquement parfait mais qui ne conviendra pas à l’intellect qui le manie. Rien n’empêchent les outils d’être complémentaires par ailleurs ; j’aime le contact organique et la liberté du papier comme la rigueur et la pérennité de l’informatique, j’utilise les deux dans des contextes différents.

Donc, tester, essayer les recommandations des autres, mener sincèrement un projet au bout (ou du moins, aussi loin que possible) avec une méthode, puis se demander : « comment c’était ? ». De là, retirer les parties qui ne conviennent pas, trouver ce qui a fonctionné, et creuser dans cette direction. Les ateliers ont particulièrement de valeur à mon sens dans ce contexte, car ils servent de laboratoire court pour l’expérimentation et l’exercice. Comme l’art, la pratique de l’art se raffine sans cesse, et on retombe sans cesse sur la première règle d’écriture de Heinlein : you must write. 

Pour information, j’arrive (enfin) au terme de mon stock de questions en souffrance sur le métier de l’écriture. Si vous vous interrogez sur la technique, la pratique, ou tout autre aspect, n’hésitez pas à les envoyer via cette page et si je pense avoir quelque chose de constructif à contribuer sur le sujet, j’en ferai un article comme celui-ci pour le partager avec tous. 

  1. Désolé pour les gros mots, mais j’écris cet article à 7h30 du matin, conséquence d’un tomber de lit aux aurores et d’une journée entamée à finir le mode quête de Bejeweled 3.
2014-08-05T15:18:28+02:00mardi 23 avril 2013|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

Question : comment construire ma méthode d’écriture ? (1/2)

Toujours dans les questions qui me sont arrivées et qui sont restées sans réponse depuis la première moitié du vingtième siècle (au moins), en voici une qui touche à un sujet qui m’intéresse particulièrement, celle de la méthode d’écriture. En préambule, il me faut dire que je considère toute « méthode » comme un échafaudage à la pratique de l’art, quel qu’il soit, et que cette pratique relève toujours d’un mélange de technique et d’inspiration, de métier et de folie, de préoccupation d’accessibilité et de plaisir personnel. C’est un exercice de funambule : le métier donne un cadre à l’envie brute, et il me semble qu’une oeuvre de qualité résulte de la juste application de l’un, comme de l’autre, ensemble. La technique seule entraîne une oeuvre fadasse, aseptisée, vite oubliée. L’inspiration seule donne une oeuvre anarchique, peu accessible, confuse, où, dans les cas extrêmes, le lecteur n’est pas respecté dans ses attentes.

Il arrive fréquemment que prôner l’usage de la technique fasse pousser des hauts cris aux jeunes auteurs qui ne jurent que par leur plume et le respect ultime de l’Art. Okay, le respect ultime de l’Art, c’est cool, mais si l’on veut faire de l’écriture un métier, il faut considérer qu’au bout du livre, il y a un type qui le lit, et qu’à un moment, il faut le prendre en compte. Non pas le prendre par la main, mais pas le prendre pour un abruti non plus. Les tiroirs sont pleins de manuscrits respectant ultimement l’Art, dont l’auteur refuse de toucher une virgule. Ce n’est pas un jugement de ma part sur leur valeur. En revanche, il me semble que le Graal de tout artiste consiste à faire passer son message, à respecter son Art, tout en le rendant accessible, à lui-même comme aux autres, autant qu’il est possible. Mais c’est autrement plus difficile. Et c’est là que la technique intervient, d’une part pour s’aider soi-même à construire cette oeuvre, dans les phases d’élaboration, d’autre part pour atteindre cet objectif, dans les phases de réalisation. (Nous avons déjà discuté de cette problématique autour des diplômes d’écriture.)

La question posée est si vaste que je vais la séparer en deux parties, la première aujourd’hui, qui me concerne plus directement. Bien sûr, ma réponse ne regarde que moi, et encore, en ce moment ; il n’est pas dit qu’elle n’évoluera pas, comme elle l’a déjà fait pour le passé. Néanmoins, pour ma part, je tire toujours du profit de discuter de méthode avec mes camarades, et de lire celle des autres, alors autant apporter ma pierre à l’édifice collectif.

La seconde partie de la réponse viendra dans le courant de la semaine prochaine.

Vous dites vous imposer d’écrire vite le premier jet, pour ne pas écouter les doutes, mais quelle est la part de réflexion préalable ? Combien de temps passez-vous à réfléchir au synospis, aux personnages, à la trame en général ? Dans ce laps de temps peut également s’insinuer le doute.

Effectivement, je m’impose d’écrire rapidement, d’une part pour ne pas écouter les doutes, mais surtout pour court-circuiter, autant que possible, la part intellectualisante et clinique qui va observer une scène, un personnage, de l’extérieur au lieu de les vivre de l’intérieur – ce qui m’est pourtant nécessaire pour me les montrer d’une façon cohérente, et me permettra de les écrire d’une manière qui va impliquer le lecteur autant que possible. Cependant, cela se couple en effet à une phase de réflexion antérieure, au cours de laquelle je vais construire ma matière, m’en imprégner.

Cette période peut être extrêmement longue. J’ai jeté les toutes premières briques de Léviathan vers la fin des années 90, et celles d’Évanégyre au début des années 2000. Les premiers textes publiés dans l’univers datent respectivement de 2007 et 2009. Après, j’ai aussi fait tout un travail d’entraînement, de recherche de ma propre méthode, qui a aussi nécessité un temps d’apprentissage. Le cycle est à présent plus court, mais j’estimerais en moyenne que le travail « actif » de préparation d’un livre me prend au grand minimum six mois à temps plein d’étude pure, de recherches, de construction de scénario, etc. Je ne parle pas de la construction d’un univers, qui est insondable.

Les doutes peuvent s’insérer à cette étape, mais je pense qu’ils ne sont pas délétères. À l’origine, il y a une idée, une envie d’écriture, un idéal et un projet, et je m’efforce de très soigneusement capturer cette intention dans les premières phases. Elle s’apparente à une forme de saveur, à une émotion brute, originelle, que j’ai envie de ressentir dans l’écriture et, autant que possible, de transmettre au lecteur. Elle constitue mon compas et ma direction. Si je m’embourbe, je prends un moment pour me poser et me dire : « OK, que voulais-je faire à l’origine ? Ce que je suis en train de faire va-t-il dans la bonne direction ? » Les doutes sont donc intéressants dans ce contexte, ils peuvent constituer un signal d’alarme exprimant un potentiel fourvoiement. Et cette réflexion peut conduire à un changement volontaire de cap, parce que l’idée a évolué. Dans les phases de préparation, il n’y a aucune « crainte » du résultat final à avoir. Cela s’apparente à tracer l’itinéraire d’une randonnée sur une carte. C’est sans risque, c’est le terrain des voeux, des désirs, de la volonté, de la vision. C’est sur le terrain lui-même qu’il faudra fournir l’effort réel.

Après, cette approche ne fonctionne pas pour tous – d’autres préfèrent se lancer tête baissée dans le récit, parce que cela leur convient mieux. C’est très bien aussi. Nous parlerons la semaine prochaine de la constitution d’une méthode, ou, de façon plus vaste, d’une approche personnelle de l’écriture, dans la deuxième partie de la question.

2014-08-05T15:18:28+02:00jeudi 18 avril 2013|Best Of, Technique d'écriture|7 Commentaires

Question : subir des influences stylistiques ?

oppa-gangnam-style-funny-frog-pictureJe continue à éplucher les questions sur l’écriture qui me sont arrivées depuis 1872, et auxquelles, pris par le terrible flux érosif de l’activité quotidienne, je ne pus convenablement répondre :

Est-ce que tu arrives à écrire d’une certaine façon, avec un certain style, et à rester imperméable à ce que tu peux lire à côté ? Je sais que moi, je suis une vraie éponge et quand je veux écrire un texte à la première personne, je ne peux que lire un livre écrit comme tel, sinon ça ne ressemblera à rien. Alors docteur, suis-je faible ? Ou est-ce normal ?

Il est évidemment meilleur d’apprendre à se cloisonner l’esprit, à se cuirasser tel le Bismarck, mais soyons honnêtes, nous ne sommes que des êtres de chair et de sang aspirant secrètement à des câlins le soir. Donc, tout en restant conscient qu’il vaut mieux travailler sa discipline mentale, ça n’est pas forcément la peine de se tirer une balle dans le pied. Écrire peut être assez épineux comme ça, et il n’y a rien de honteux à se sentir imprégné par ce qu’on lit, tant qu’on y prend garde. Un auteur a forcément un côté éponge, sinon comment pourrait-il se montrer sensible au réel et le rendre vivant à ses lecteurs ? 

J’ai lu il y a un sacré bail un entretien d’un grand auteur (je crois que c’était Kristine Kathryn Rusch), lequel oeuvrait dans moult domaines différents, et qui confiait toujours lire dans un genre très différent ce qu’il est en train d’écrire afin de minimiser les influences inconscientes. Je pense que c’est un bon conseil qui ne coûte pas cher, j’ai tendance à le suivre par prudence, et ne m’en porte pas plus mal.

Quoi qu’il arrive, je recommande aussi de toujours prendre un temps de réflexion avant de se mettre à écrire une scène, surtout si l’on reprend un projet en cours. Une sorte de mini-méditation qui évacue les influences extérieures, et laisse l’histoire réinvestir l’auteur. Respirer un grand coup, et laisser venir à nouveau les personnages à soi. Se demander activement : où sont-ils ? Qu’ont-ils récemment vécu ? Dans quel était d’esprit sont-ils ? Et que veulent-ils à l’instant ? Ces réponses et ce petit travail, visant à se rendre à nouveau disponible à son histoire, permettent souvent de changer une séance d’écriture laborieuse en une randonnée au long cours, guidée par ses voix internes.

Pour mémoire, vous pouvez toujours m’envoyer vos questions sur le métier, l’écriture, via cette page

2014-08-05T15:18:28+02:00mercredi 10 avril 2013|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

O RLY

L’écriture ressemble à la prostitution. D’abord on écrit pour l’amour de la chose, puis pour quelques amis, et à la fin, pour de l’argent. – Molière

… mais est-ce mal, et cela signifie-t-il qu’on ne fasse pas ça bien, ou et même avec plaisir ?

Si c’est la vérité, alors je m’emploierai à être une geisha (et là, des images mentales d’horreur vous assaillent, qui vous accompagneront toute la journée. De rien).

2014-08-30T16:34:14+02:00jeudi 21 mars 2013|Technique d'écriture|9 Commentaires

Question : vaincre le doute… et ceux qui nous précèdent

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L’écriture d’un roman est toujours une période particulière, une parenthèse faite autant d’exaltation que d’abattement à vaincre, et je commence à me rendre compte que mes promesses pour le blog mettent toujours du temps à se concrétiser. J’en suis navré, d’autant plus qu’il y en a une qui me tient à coeur, celle de répondre aux questions sur le métier. En voici donc une qui m’est arrivée depuis à peu près deux ou trois éternités, avec mes plates excuses pour ma lenteur, et mon fervent désir d’être plus à jour.

J’ai bien trouvé deux trois choses pour m’orienter dans l’écriture d’un roman. Mais je crois que le plus gros travail reste d’ordre psychologique et prendre suffisamment de confiance en soi pour ne pas jeter l’éponge quand une voix me sussurre : « Laisse tomber, d’autres ont déjà écrit ça mieux que tu ne le feras jamais. » J’envie tous ceux qui n’entendent jamais cette voix et qui peuvent écrire avec leurs tripes sans se soucier de savoir que tout a déjà été écrit. Y a-t-il une méthode pour franchir cette barrière ? Pour enfin faire s’écrouler ce Mur des lamentations ? A force d’y mettre des coups de têtes, peut-être…

Voilà bien une excellente question sur la confiance en soi pour écrire, ainsi qu’un résumé à mon sens très juste de l’essence de ce métier : un mélange d’humilité – pour savoir retravailler, s’améliorer tant qu’on peut, ce qui signifie, au fond, que rien n’est jamais terminé – et d’égocentrisme, car écrire avec une visée professionnelle revient à dire : « j’ai des choses à raconter, et cela va suffisamment intéresser quelqu’un pour qu’il l’achète ».

Eh bien, pas de problème. C’est tout le paradoxe de la chose. Dès qu’on en prend conscience, cela va même mieux, je dirais. Je ne crois pas qu’il y ait de méthode miracle pour vaincre cette ambivalence. Je pense même que le doute, à petites doses, est un aiguillon salutaire pour chercher la qualité et pour ne pas croire que tout ce que l’on fait est génial – un syndrome hélas assez fréquent chez certains jeunes auteurs, ce qui rend impossible tout apprentissage ou tout retravail… Mais, à trop hautes doses, il est paralysant, nous sommes bien d’accord.

Je crains hélas que la réponse – en tout cas celle que j’aie trouvée, pour ma part – soit contenue dans ta question. Prendre confiance en soi, et cela vient avec le travail, l’expérience, la conscience évanescente que l’on parvient de mieux en mieux à atteindre ce que l’on souhaite faire.

Mais au-delà de ça, il y a une réalité réconfortante : seul toi peux écrire ce que tu as à écrire, si tu prends le temps de chercher au fond de toi ta vérité et ce que tu veux vraiment dire. Non, d’autres n’ont pas déjà raconté mieux que toi ton histoire. D’autres ont peut-être déjà traité ce thème, oui – c’est même plus que probable – mais ce que tu peux en faire, ce que tu peux raconter dessus, vient de ta personnalité, de ton vécu, de l’être que tu es, de ton regard sur les choses. Et tout cela est unique, au même titre que tu es une personne unique. Les thèmes sont immensément nombreux mais, à terme, ils représentent l’expérience humaine, le socle de ce que nous sommes, et tu es presque assurément condamné à retomber sur quelque chose de commun. Mais c’est normal. Ce que tu as à dire dessus, par contre, n’appartient qu’à toi. Il faut par contre prendre le temps de le chercher… Et savoir le rendre accessible, le faire partager. C’est là le parcours à apprendre.

En d’autres termes, si l’on s’était arrêté de parler d’amour parce qu’après Tristan et Yseult, tout avait été dit, Shakespeare n’aurait jamais écrit Romeo et Juliette. Toute création se construit sur les épaules des géants qui viennent avant nous. C’est le processus. Nous sommes des créateurs, mais aussi des continuateurs, des explorateurs à avancer en terrain nouveau, le nôte, en permanence.

Un des intérêts de l’imaginaire, c’est qu’on se trouve à défricher de nouveaux thèmes des décennies, voire des siècles, avant qu’ils ne fassent partie de l’expérience humaine. Mais c’est une autre histoire…

2014-08-05T15:18:28+02:00jeudi 7 mars 2013|Best Of, Technique d'écriture|12 Commentaires

Ce que le jeu de rôle enseigne à l’écriture

Alors que je retravaille Léviathan : Le Pouvoir en vue de sa publication prochaine, je réfléchissais encore aux différences de narration entre la littérature et le jeu de rôle, ce dont nous avions parlé aux dernières Utopiales en particulier avec Romaric Briand sur la table ronde dédiée. Il est dangereux de transposer les leçons ou pratiques d’une forme à l’autre, parce que la littérature est faite pour être vécue seule, alors que le jeu de rôle est par essence une expérience collective ; ce qui se joue ne fonctionne pas forcément de la même manière que ce qui se reçoit. Convertir un scénario de jeu (l’exploration d’un donjon en tête) en roman est un exercice fortement casse-gueule, du moins sans adaptation, et une scène d’action excitante en jeu s’avère souvent plate une fois narrée.

Mais au lieu de s’attarder sur les différences, il m’est venu un point commun potentiellement utile, que je pratique plus ou moins consciemment. Il s’agit, non pas de concevoir l’histoire comme un scénario de jeu de rôle, mais de penser à son approche pour les personnages. En effet, dans une saga où ceux-ci se multiplient, où chacun a un caractère, des allégeances, des talents particuliers, il peut être difficile de garder la trace de tout de manière ordonnée. C’est là que le jeu de rôle vient à la rescousse, car il propose une façon de « modéliser » un personnage selon ses aptitudes naturelles (caractéristiques), ses talents acquis (compétences) et ses traits particuliers (avantages / désavantages).

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Attention, il ne s’agit pas de passer trois heures à se demander si Bob a 17 ou 18 en Force ni de remplir chaque case méticuleusement – ni même de remplir une fiche réelle (sauf si c’est votre dada), car quel système adopter ? À partir du moment où l’on se contraint à des cases, à des formulaires, on court le risque d’handicaper la créativité, soit parce que l’esprit se trouve forcé à répondre à des questions sans importance pour le projet en question, soit parce que les réponses nécessaires pour lui donner vie se trouvent justement dans les marges.

Néanmoins, on a coutume de penser à l’histoire personnelle, aux alliés, ennemis, au caractère, à l’apparence d’un personnage lors de sa création, des éléments bien sûr indispensables, mais c’est avant tout ce qu’il sait faire, ce à quoi il est doué ou non, qui va déterminer son action dans l’histoire, et donc la faire avancer. Pour cette raison, c’est aussi important que son passé, si ce n’est davantage. Quantité de romans pulps ou même de séries policières modernes s’en tirent avec un passif pour les personnages qui tient sur une serviette en papier, mais ce sont les compétences extraordinaires de ceux-ci qui propulsent l’histoire – et motivent le lecteur.

Pour prendre un exemple très récent, le pilote d’Unforgettable nous sert une héroïne avec une histoire rebattue cent fois (sa soeur est morte assassinée, c’est ce qui l’a poussée à entrer dans la police puis à démissionner, ajoutez un ex un peu benêt resté flic avec qui on sent que tout n’est pas fini), mais le côté extraordinaire, et ce sur quoi repose le concept, est que cette femme se trouve incapable d’oublier quoi que ce soit, ce qui en fait un témoin de première qualité, et la rend capable de tirer des déductions uniques : voilà la motivation du récit. (Bon, à part ça, la série est pas terrible, hein.) Ayez le passif pour les personnages ET les compétences et vous tenez potentiellement les éléments d’un Game of Thrones. 

Introduire un soupçon de mécanistique dans la conception des personnages pose donc des questions intéressantes sur eux, mais permet également de mieux cerner ce dont ils sont capables, ce qui crédibilise leurs actions, leurs rapports et fonde leur cohérence. Si Jack crochette une serrure p. 24, il faut qu’il l’ait appris au cours de sa vie – et quel type de personnage apprend à crocheter les serrures ? Et, confronté à la même p. 154, il ne peut pas rester les bras ballants si sa vie en dépend. Pour parler de ce que je connais le mieux, dans Léviathan, l’ordre de puissance des mages est clair : par exemple, globalement, Masha est moins douée que Julius, qui est moins doué qu’Alukar. Cela ne signifie pas que les plus faibles ne pourraient l’emporter sur les plus forts, mais il leur faudra alors déployer une ingéniosité particulière ou disposer d’un avantage inattendu. Si quelqu’un bat Julius en duel, cela signifie quelque chose de fort concernant cet adversaire.

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Les choses deviennent très amusantes quand on doit décider si les personnages sont conscients – ou non – de ce rapport de force ; s’ils le savent, mais se laissent aller à l’agressivité et tentent le tout pour le tout ; bref, il y a toutes les variations humaines et surprenantes induites par les circonstances d’un moment unique, celui de la scène que l’on écrit. Et les personnages ont bien sûr différentes façons de se positionner l’un par rapport à l’autre : qui ne peut l’emporter sur le terrain des armes manoeuvrerera peut-être sur celui de la politique. Julius est meilleur duelliste que Masha, mais elle parvient à le manipuler car elle connaît ses faiblesses et joue sur ses secrets – un levier qu’ici, d’ailleurs, une fiche de personnage représentera mal.

Je crois ne pas m’avancer en affirmant qu’il y a parmi les auteurs d’imaginaire, expérimentés ou non, une convenable proportion de geeks ; et si vous cherchez à faire vos premières armes, sortir vos livres de jeu de rôle, réfléchir à la façon dont ceux-ci s’efforcent de représenter la richesse de l’expérience humaine, vous permettra peut-être de trouver de nouveaux leviers scénaristiques différents de vos réflexes et qui vous surprendront vous-même. N’hésitez pas aussi à jeter un oeil aux adaptations de l’un vers l’autre : les évaluer, juger si vous êtes d’accord, stimulera vos réflexions et vous aidera à cerner ce dont vous, vous avez vraiment envie – ce qui est le fondement de toute création.

À toi, ô auguste lectorat : as-tu déjà réfléchi à cette approche ? Comment la considères-tu ? Des recommandations à faire, des lectures à conseiller ?

2015-06-29T16:51:54+02:00vendredi 11 janvier 2013|Best Of, Technique d'écriture|32 Commentaires

Quelques idées en vrac sur les diplômes d’écriture

lolcat-relevantL’école supérieure d’art et design du Havre a lancé, à la rentrée dernière, un master de création littéraire. Je n’en ai pas parlé parce que, d’une part, j’ai eu l’info un peu tard, d’autre part, je n’avais pas forcément grand-chose à en dire. Sauf que, la semaine dernière, sur un réseau privé, une discussion s’est lancée sur le sujet en mode outré de la part de certains intervenants : keuwâh, on pourrait apprendre à écrire ? Et on donne des diplômes pour ça ? Scandale au formatage, à la mainmise de l’université sur la pensée, à l’illusion qu’on puisse prendre un léger raccourci.

Personnellement, je n’ai pas fait le master, hein, donc je m’abstiens de le critiquer. Mais puisque le débat était assez profond et bien fourni en arguments, je recopie ici mes messages, car cela déborde du cas de ce master pour aborder la notion plus globale de travail Vs. inspiration, d’artisanat Vs. art, d’apprentissage Vs. découverte, et touche finalement aussi à un de mes domaines d’intérêt : parler de technique littéraire.

My two fucking cents :

Les apprentis écrivains ne connaissent souvent pas les codes, les attentes des lecteurs, les questions d’artisanat inhérentes à tout art (car dans tout art, il y a l’inspiration, mais aussi la technique – Picasso, avant de fonder le cubisme, était un roxxor de la perspective, du fusain et de l’anatomie). Ils veulent direct casser la maison, mais sans même savoir quelle maison ils cassent, et ça donne souvent des choses bancales, ou étrangement conventionnelles.

Alors, si un Master enseigne les codes, c’est une excellente chose. Avant de s’en affranchir, avant de réinventer les règles du jeu, il faut savoir à quel jeu on joue, et c’est pour ça que les livres sur l’écriture, les formations, les blogs comme le mien et – ô surprise – le travail existent : pour *comprendre*.

Les formations en art, c’est toujours pareil. On se les approprie et on en fait quelque chose. Si on reste dans la parole imposée et la mécanique, on n’est pas un vrai créateur, on est un abruti.

Mais si cette formation propose un raccourci pour enseigner déjà les briques de base, c’est une excellent chose. Devenir un bon musicien, c’est vachement plus facile en faisant des gammes et du solfège. Devenir un bon dessinateur, c’est vachement plus facile en étudiant les principes de la composition. L’écriture, c’est la même chose. C’est seulement quand on a ingurgité assez de technique qu’elle s’efface et qu’on a la boîte à outils assez fournie pour faire quasiment tout ce qu’on veut. Et c’est le but de la manoeuvre.

Il m’a été répondu que je faisais passer l’attente du lecteur avant la liberté de l’écrivain. Sauf que :

Minute.
Si l’on écrit, avec volonté d’être lu, alors on parle à quelqu’un. Quelqu’un qu’on ne connaît pas forcément, quelqu’un dont on espère peut-être qu’il nous ressemble. Mais quelqu’un quand même. Sinon, on écrit pour son tiroir, donc sans volonté d’être lu ni compris. OK, ça existe, pas de souci. Mais si l’on veut être lu, il faut prendre en compte qu’à un moment, il y aura quelqu’un en face, et si l’on veut que l’histoire soit appréciée, il faut AUSSI lui faire plaisir. Il y a donc communication. Et s’il y a communication, il y a nécessité / volonté / devoir d’intelligibilité.

C’est à mon sens la plus grande leçon qu’enseigne la technique (ou sa pratique). Suivre son envie, sa volonté, tout en sachant la rendre intelligible aux autres. Les deux ne sont pas antinomiques, mais les concilier demande de l’apprentissage. Savoir se faire plaisir, tout le monde y arrive plus ou moins. Savoir faire plaisir au lecteur tout en se faisant plaisir à soi, c’est, je crois, ce qui fait d’un écrivain un professionnel.

Cette dernière phrase a été interprétée comme la différence entre art et artisanat. Sauf que, again :

Désolé, mais il n’y a pas d’artiste sans artisanat. L’artisanat implique la réalisation et les moyens pour y parvenir. En caricaturant à mort, je peux me déclarer peintre, mais si je n’ai pas de bras et pas de bouche pour tenir le pinceau, je ne peindrai jamais rien.

Attention, l’artisanat ne fait pas la valeur d’une oeuvre, on est d’accord : elle n’est que pratique sans âme.
Mais l’âme, sans la pratique pour lui donner forme et impact, restera mal dégrossie et donc ne prendra pas pleinement son envol et toute la force qu’elle peut véhiculer. Je ne parle même pas des aspects commerciaux ; je parle de faire les choses *bien*.

Si je n’ai pas de muscles dans les doigts et un minimum de pratique, je ne jouerai jamais Beethoven. Les avoir n’assurera pas que je le jouerai bien, mais au moins, il n’y a rien qui me retiendra.

« Sans pratique, le talent n’est qu’une sale manie. » – Brassens.

C’est tout de même amusant cette résistance à la technique, alors qu’elle est parfaitement admise dans la musique, le dessin, même la danse ou le deltaplane ; mais tout le monde est forcément écrivain. Probablement parce que bosser, c’est tout de suite plus chiant que de s’imaginer génial de base, alors on a tendance à considérer que c’est superflu… (Et c’est ainsi que des centaines d’auto-proclamés écrivains en herbe ne grattent pas plus de dix pages dans leur vie.) Le truc, c’est que même Mozart a dû un jour apprendre à lire une partoche. Faut bosser. Personne ne sait si vous êtes génial, et surtout pas vous : la seule chose que vous maîtrisiez, c’est le travail. Alors autant régler ce qu’on maîtrise. Et puis même, les récompenses, la richesse, la maîtrise, les enseignements qui viennent avec le travail sont souvent bien plus délectables que la facilité immédiate. Et voilà que je sonne comme un jésuite, merde.

2014-08-05T15:18:29+02:00lundi 7 janvier 2013|Best Of, Technique d'écriture|29 Commentaires

Le mois de l’écriture commence aujourd’hui

Tous les ans, en novembre, c’est le National Novel Writing Month :

Tous les ans, je me dis que je vais faire un article dessus en avance, parce que le NaNoWriMo est une initiative très intéressante. Tous les ans, je suis en retard. Tant pis, je le dirai quand même.

Le principe du Nano consiste à écrire, sur le mois de novembre, un roman de 50 000 mots minimum (300 000 signes espaces comprises, plus ou moins). Pas de procrastination, pas de prétexte, pas de vie sociale non plus : on se lance dans le marathon de l’écriture, et on se fixe comme objectif 300 ks1 pour le 30 novembre à minuit. C’est beaucoup (surtout quand on travaille à côté), c’est long, c’est dur. Mais c’est un excellent exercice.

Le Nano vous donne un objectif. Plus de projets vaporeux qu’on ne sait pas par quel bout prendre ; il faut avancer. Cela a la salutaire conséquence de vous obliger à donner à votre écriture la place qu’elle mérite : de l’importance. Plus de « Bah, je vais boire un coup avec des copains, je travaillerai demain ». Non, vous travaillez ce soir, parce que vous n’avez pas fini votre quota de signes, et que si vous voulez écrire de façon sérieuse, il faut faire un choix, qui implique parfois de rester face à son manuscrit le temps qu’il faut pour qu’une situation se débloque.

Le Nano vous force également à produire. Un des plus gros obstacles sur le chemin de l’écriture, c’est vous-même : cette petite voix qui vous sussure que « ce n’est pas assez bon », « ce personnage est tarte », « c’est quoi ce dialogue ? » Il faut l’écraser sans pitié, cette petite voix ; elle retient la créativité. Nous en avons parlé cet été avec les déclencheurs, on s’en moque que le premier jet ne soit pas bon ; le rôle du premier jet, c’est d’être présent sur la page afin de disposer d’une matière à retravailler. Le Nano vous force à produire, produire, et ainsi, espérons-le, à zigouiller la petite voix pour vous offrir l’opportunité de vous lâcher. Et c’est quand on se lâche, quand le loa de l’écriture vous chevauche pour établir des connexions inconscientes entre thèmes et intrigue, entre personnages et péripétie, qu’il se passe ce qui doit vraiment se passer. Cela ne peut arriver qu’en s’ouvrant à l’histoire, en restant concentré dessus pour une longue période (et en évitant la procrastination, aussi). Alors, ensuite, il y aura du retravail bien sûr. Peut-être beaucoup. Mais les choses doivent se produire dans l’ordre : écrire en premier, retravailler en deuxième. Vouloir faire les deux ensemble conduit en général à se scier les bras sur lequels on est assis qu’on met avant les boeufs en laissant le frein à main serré. Ça ne veut rien dire. Mais c’est bigrement visuel.

Motivé(e) ? C’est le moment ! Inscrivez-vous sur le site et lancez-vous dans l’aventure.

On m’a demandé plusieurs fois si je le faisais aussi, et, maintenant que j’ai dit tout le bien que j’en pensais, je suis forcé de répondre : heu, non. En fait, mon rythme d’écriture de base est déjà égal à celui du Nano en temps normal (mais il n’y a pas de mérite : d’une, c’est mon métier ; de deux, je le fais à plein temps – le Nano est prévu pour des gens qui travaillent). Cependant, vu que j’ai un volume 3 à rendre et à vous faire partager – Léviathan : Le Pouvoir – je vais faire mon propre Nano dans mon coin avec un quota journalier supérieur à ce que je fais d’habitude, ne serait-ce que par solidarité. Et pour ça, j’ai la meilleure carotte du monde (idée soufflée par ma douce et tendre, Nanoteuse acharnée) – si j’ai rempli l’objectif de la journée…

… j’ai droit à un chocolat. Ne jamais sous-estimer le pouvoir de la régression.

  1. Oui. Kilo-signes. J’ai quelques restes de technocrate, je le crains.
2012-11-01T10:43:29+01:00jeudi 1 novembre 2012|Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Le mois de l’écriture commence aujourd’hui

De la motivation au mur

Quand on fait ce métier parfois solitaire, stupidement angoissant – vais-je être bon, soit : vais-je être fidèle à mon histoire, à mes personnages, à mon discours ; vais-je éviter la facilité tout en restant accessible et distrayant ; surtout, vais-je réussir à me rapprocher raisonnablement de l’idéal que j’ai en tête, le bouquin que j’aimerais lire, qui n’existe pas, qui n’existera peut-être jamais mais que, à travers ma personnalité, mon vécu, mon émotion et ma colère, je suis le seul à pouvoir essayer de faire – il est aisé de sombrer dans la contemplation de ses propres névroses et surtout dans le mirage de sa propre importance. Quand on se lance dans l’entreprise profondément mégalomane d’écrire – de créer des mondes, des gens, et de se dire : il y a quelqu’un là-bas, dehors, que ça va intéresser -, l’angoisse du créateur peut agir comme une preuve de statut. Je rame, donc j’existe ; je m’enveloppe de mon écharpe blanche, je me rends sur la falaise où gronde l’orage, et quand la foudre m’aura terrassé, je ramperai, agonisant, vers le clavier pour partager mes dernières paroles. Si ce sont mes dernières, j’ai une excuse pour les prononcer : je vais mourir, vous comprenez, alors vous allez bien me pardonner ça.

Ou alors, on met les doigts dans la prise comme on se branche sur les nuages, on rit comme un damné et on revient pour le prochain fix, en se disant qu’on ne comprend pas grand-chose à qui peut, ou non, s’intéresser à ce qu’on fait, que finalement ça n’a pas d’importance, qu’on ne fait pas ça pour ça de toute manière, on fait ça pour soi et que si on fait vraiment ça pour soi, avec éthique et fermeté, certains autres, des autres, partageront le moment ; qu’on touche probablement des gens qu’on ne rencontrera jamais, mais ce n’est pas grave, parce qu’en réalité, il y a dans votre travail des dimensions, n’en déplaisent aux professeurs de commentaire composé, que vous ne maîtrisez absolument pas – vous les sentez présentes, comme une ombre entrevue du coin de l’oeil, mais vous préférez les laisser inaperçues, car elles participent de la magie, de l’inexplicable qui rôde sous le courant apparemment maîtrisé du récit, et les sentir naître fait partie du plaisir, peut-être bien, même, de la véritable raison pour laquelle vous faites ce métier ; elles sont votre ange, qui guide votre main, une partie de vous qui est pourtant externe, un animal familier, un daemon.

Pour s’envoler au lieu de se laisser ancrer connement les pieds sur terre avec le poids de sa propre importance, on peut se mettre des petits mots doux au mur.

La dernière ligne de la deuxième maxime aurait pu s’écrire « If not, make it, you fucking moron. » Mais bon, ma maman n’apprécierait pas qu’on me parle comme ça, alors je ne vais pas la contrarier.

Voilà qui rejoint sur mon mur, entre autres choses, un fac-simile de la maxime impériale asrienne d’Évanégyre, les sept principes du Jeu Supérieur du pouvoir et de la connaissance de Léviathan, et surtout la litaine contre la peur d’Elizabeth George, et qui ne dit jamais que la même chose, avec mes propres formulations, qui peuvent bien s’appliquer à l’existence entière.

Life isn’t a support system for art. It’s the other way around. – Stephen King

 

2012-10-15T11:04:55+02:00lundi 15 octobre 2012|Technique d'écriture|11 Commentaires
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