300 000 signes dégraissés de La Succession des Âges

De deux choses l’une : soit ce marqueur est la preuve que, ma foi, j’ai parcouru un mètre ou deux en une quinzaine d’années, soit c’est le début de la fin et il faut que j’arrête tout.

Le manuscrit de La Succession des Âges vient de franchir une étape importante dans mon retravail : j’ai dégraissé 300 000 signes espaces comprises sur 1, 5 millions en correction personnelle, soit l’équivalent… de la masse complète de mon premier roman, La Volonté du Dragon.

Comme on dit en anglais, sobering thought (pensée qui rend sobre ? l’état de base de l’anglophone étant donc l’ivresse ? de l’existence ? c’est beau). Plus sobering encore, c’est un tout petit peu moins que la moitié du volume déjà écrit (3,2 millions) et un gros tiers du volume restant à écrire (environ 800 000 signes). On avance, mais on n’est pas encore arrivé.

Ai-je fait des coupes drastiques pour en arriver là ? Fichtre, même pas. Du tout. Au contraire : j’ai rajouté deux scènes entièrement nouvelles par rapport au premier jet (dont une assez grosse), et je suis quand même largement en-deçà du volume d’origine.

L’écriture implique toujours un minimum d'”échafaudages de construction” – ces moments où tu cernes un peu toi-même les détails d’une scène, l’état d’esprit des personnages, son organisation, malgré la meilleure clarté d’esprit possible : tu racontes, mais tu découvres aussi forcément un peu. Dans un roman choral, le phénomène est multiplié par le nombre de points de vue ; dans un monstre du type de La Succession des Âges, il y a énormément de choses à suivre ; et en plus, c’est une conclusion de saga, dictant de ficeler définitivement un bon paquet d’éléments. Au final, ces échafaudages n’ont pas plus leur place dans le produit fini qu’on ne s’attend à voir les échafaudages devant un monument dévoilé un public : ça vire. Et ça vire, en large partie, dans le tissu même de la narration – je n’ai rien coupé en termes de structure, seulement dynamisé un grand coup l’ensemble en virant le gras, en ébarbant des détours narratifs sans importance, en simplifiant un certain nombre de fils ou considérations tertiaires (il y a déjà bien assez de trucs à suivre comme ça), en réécrivant plus ou moins, donc. C’est un exemple typique où l’écriture et la réflexion prolongée conduisent en définitive à faire moins, parce qu’après être parti un peu dans tous les sens, on cerne ce que l’histoire veut être, et on ne garde que ça (plus ou un deux jolis détours quand même, parce qu’on n’est pas des brutes). Certaines scènes ont perdu 20, 30, 50% de leur masse en pure élégance. Et c’est BIEN.

Le rythme va ralentir un peu pendant mon séjour en France, forcément (hé ! on se voit à Grésimaginaire ce week-end, hein), mais j’ai le plus gros Acte du livre avec moi qui doit dégraisser d’autant plus.

Onwards.

Dédicace de House of Hades de Rick Riordan :
“À mes merveilleux lecteurs,
désolé pour le cliffhanger précédent.
Enfin, non, pas vraiment. HAHAHAHA.
Mais, sérieusement, je vous aime.”
2024-03-31T16:02:11+02:00jeudi 4 avril 2024|Journal|0 commentaire

Procrastination podcast s08e09 – Parlons de l’IA générative

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “s08e09 – Parlons de l’IA générative“.

C’était la grande actualité du domaine technologique en 2023, la mise sur le marché des « Intelligences Artificielles », des algorithmes génératifs de texte type ChatGPT, et Procrastination ne peut pas faire l’économie d’en parler quinze minutes : où se situent ces outils, et peut-on en faire quelque chose pour l’écriture de fiction ?
Lionel rappelle la définition technique de ces « modèles de langage », en quoi ils ne sont pas des « intelligences » et en quoi le fantasme qu’ils représentent trahit un état d’esprit nocif pour la création. Estelle expose les problèmes éthiques, économiques et sociaux qu’ils soulèvent en termes de viabilité de la création et d’accès à l’expression publique, et met en avant l’importance de la résistance humaine face aux abus.

Références citées :

  • ChatGPT
  • Blake Lemoine et son entretien avec LaMDA (et non LLaMA, qui est un autre modèle) https://cajundiscordian.medium.com/is-lamda-sentient-an-interview-ea64d916d917
  • Stéphanie Le Cam et la Ligue des Auteurs Professionnels https://ligue.auteurs.pro
  • Blade Runner, film de Ridley Scott
  • Kelly McKernan
  • Le Monde
  • La Caisse d’Allocations Familiales française, qui doit se demander pourquoi elle est citée ici : ça n’est pas pour de bonnes raisons
  • La Charte des Auteurs et illustrateurs Jeunesse
  • Pierrick Marissal, L’Humanité
  • Microsoft
  • X
  • L’affaire du registre ReLIRE, déclaré illégal par la Cour de Justice de l’Union Européenne https://actualitte.com/article/30516/numerisation/l-europe-abat-la-loi-oeuvres-indisponibles-pour-avoir-meprise-les-auteurs
  • Amazon
  • Glaze https://glaze.cs.uchicago.edu/download.html
  • Interview de François Baranger dans Numerama https://www.numerama.com/tech/1221908-les-ia-generent-des-images-mais-pas-de-lart.html
  • Steven Pressfield

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2024-02-06T08:54:14+01:00lundi 15 janvier 2024|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s08e09 – Parlons de l’IA générative

Procrastination podcast s08e06 – Briser les codes

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “s08e06 – Briser les codes“.

De l’influence que l’on redoute pour conserver sa voix, son originalité, au suivi aveugle d’une formule, que sont exactement les codes littéraires, et surtout, où se trouvent leurs limites et leurs bénéfices ? Faut-il réinventer la roue ? Estelle rappelle, exemples à l’appui, que pour les briser, il faut d’abord les connaître ; et notre époque a soif d’œuvres qui brisent certaines représentations surannées. Pour Lionel, les codes de la forme narrative qui ont traversé les époques présentent peut-être un intérêt parce qu’ils sont transparents, ce qui permet de déplacer l’effort mental du lecteur sur un discours ou un message. Mélanie appuie vigoureusement !

Références citées :

  • Élisabeth Vonarburg
  • J. R. R. Tolkien
  • Elantris, de Brandon Sanderson
  • Guy Gavriel Kay
  • « Abyme », diptyique de Mathieu Gaborit
  • Courtney Solomon (qui a réalisé le Donjons et Dragons de 2000)
  • Peter Jackson et ses adaptations du Seigneur des Anneaux
  • Notre-Dame des Fleurs, de Jean Genet
  • Pablo Picasso

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2023-12-15T08:22:55+01:00vendredi 1 décembre 2023|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s08e06 – Briser les codes

Les éditeurs n’ont pas pour mission de vous faire progresser

This just in, cet excellent fil sur Twix (ben quoi ?) d’absolue utilité publique :

Et qui me rappelle deux choses : d’une part, la passionnante intervention de Mireille Rivalland dans l’épisode 501 de Procrastination, où elle expliquait ouvertement que dans ses débuts à l’Atalante, elle renvoyait des retours circonstanciés pour chaque refus de manuscrit, et que les discussions sans fin qui s’ensuivaient ont fini par la dissuader de rentrer là-dedans.

D’autre part, des réflexions amères qui passent de loin en loin sur les réseaux, concernant, le fait que les maisons d’édition ne veulent pas aider les jeunes auteurs, relire des manuscrits déjà soumis auparavant, et mettent des années à répondre – insérez les frustrations courantes vis-à-vis du système.

Mes amis, je suis navré, je vais être brutal, mais les maisons d’édition n’ont pas pour vocation de vous apprendre à écrire ni de vous faire devenir de meilleurs auteurs, du moins pas tant que vous et elle ne vous êtes pas accordés un minimum sur un projet à défendre (ce qui implique un niveau basal de compétence comme de professionnalisme pour arriver à construire ladite entente), et là encore, vous n’êtes pas la finalité, c’est le projet, la finalité. (Votre apprentissage est un heureux sous-produit du processus, qui pourra être réinvesti dans tous les projets à venir, qui se conduiront à nouveau avec les mêmes équipes si tout le monde est content.) Ce sont des entreprises qui sont chroniquement en sous-effectif, noyées sous la masse des soumissions (qu’elles lisent et éclusent néanmoins parce qu’elles aiment sincèrement le livre) et dont le travail est de produire de chouettes livres pour leur public.

Pas de prendre en main votre carrière à vous. Vous êtes la seule personne à pouvoir le faire.

Encore une fois, appliquons la transformée simple qui consiste à transposer la problématique dans le domaine de la musique :

Une maison de disque n’a pas pour rôle de vous apprendre à chanter ni à jouer de la guitare, hein ? C’est absurde, on est d’accord ? Si vous présentez du potentiel, et si la rencontre esthétique / artistique se fait, alors oui, la maison va vous aiguiller et bâtir dessus. Mais il faut déjà que le potentiel soit là, et cela veut dire savoir jouer un minimum de son instrument.

C’est exactement la même chose dans l’édition littéraire, ni plus, ni moins. La difficulté inhérente à l’édition est que le langage est un outil largement plus répandu que le chant lyrique, et qu’il est donc plus ardu de voir soi-même si l’on chante juste ou pas. D’où l’importance supplémentaire du travail et, oserais-je dire, du retour critique.

Sérieusement, lisez le thread ci-dessus – chaque twix (je ne m’en laisserai pas) est un distillat d’un problème chronique dans le monde de l’édition pour les jeunes auteurs, et certaines réponses imbéciles qui y ont été faites ne viennent qu’inscrire un gros “CQFD” en lettres de feu visibles depuis Jupiter. Sur chaque point qu’adresse Bleuenn, les éditeurs pestent en coulisses depuis des années.

Maintenant, ne déprimez pas. Au contraire. Soyez malins. Revers positif de la médaille : si, sans même parler d’attitude professionnelle, vous vous comportez avec un minimum de bon sens, c’est-à-dire que vous n’arrivez pas comme un complet abruti sorti du métatarse de Jupiter, vous vous placez au-devant d’une grande masse qui, tragiquement, s’autodisqualifie. Dans votre cas, il ne restera plus qu’à parler du texte, ce qui place la conversation sur le seul domaine où, très franchement, elle devrait se tenir avant toute chose !

Les ressources disponibles aujourd’hui pour travailler son écriture sont ultra abondantes (je me contenterai de citer la nôtre et la mienne). Écrire, c’est comme un instrument de musique : ça demande autant de boulot. Alors : au travail – c’est comme toujours la seule chose que vous contrôlez. Bon courage – et bon dieu, amusez-vous !

2023-07-31T09:15:39+02:00lundi 31 juillet 2023|Technique d'écriture|2 Commentaires

De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Autre serpent de mer assez régulier sur la pertinence de la technique artistique et de son apprentissage, quand il existe (c’est vrai) des contre-exemples ponctuels qui ont tout appris tout seuls (l’exemple du guitariste qui apprend tout dans sa chambre et revient avec une approche novatrice). L’existence de prodiges autodidactes prouve-t-elle l’inutilité de la technique, voire, comme on peut le lire, sa nocivité en dévoyant les instincts ?

Ces contre-exemples (évoqués à l’occasion d’une conversation sur Twitter) sont souvent brandis comme la preuve qu’en art, la théorie artistique est inutile, voire contreproductive.

C’est faux (et la conversation est tellement importante que j’en ai dit un mot dans Comment écrire de la fiction).

Tout d’abord, absolument, il existe des autodidactes géniaux en art. Dans la conversation sus-nommée, il était question de Martin Gore, on pourrait mentionner quantité de jazz people. Ce que l’on oublie très fréquemment quand on parle de ces cas particuliers, c’est le boulot qu’il faut pour en arriver là. Si vous pensez qu’il est difficile d’apprendre une langue étrangère, imaginez-vous le faire sans méthode ni prof. Est-ce possible ? Absolument. Est-ce que cela vous donnera une perception unique et personnelle ? Sans doute. Est-ce que c’est difficile sa mère ? Voyons ça comme ça : combien de fois êtes-vous passé.e devant un instrument de musique / un pinceau et n’avez-vous PAS décidé de vous y investir corps et âme au détriment de tout le reste ?

Pour un prodige autodidacte, il existe trois millions (estimation non contractuelle) de personnes qui avaient mieux à faire que prendre la guitare pour en faire leur mission. Je veux dire. Combien de fois n’avez-vous PAS pratiqué l’instrument pour lequel vous preniez pourtant des cours ?

Ensuite, et c’est beaucoup plus important, la technique et la théorie n’ont jamais fait des génies, mais elles expliquent comment les choses fonctionnent. Quand on sait comment elles fonctionnent, on peut y adhérer quand c’est indiqué, les déconstruire et/ou les pousser plus loin. (J’utilise génie comme raccourci, mais – comprenez “personne dont la pratique artistique qualitative entraîne des réalisations couronnées d’un succès marquant son époque”.) Aux prodiges autodidactes, j’oppose Picasso, à qui il a fallu “toute une vie [d’étude] pour apprendre à dessiner comme un enfant”. Ou Pierre Henry, figure de proue de la musique concrète (plus pionnier tu meurs) qui sortait du Conservatoire de Paris.

La bonne voie, c’est celle qui nous permet d’avancer et d’appréhender l’art que l’on veut faire. Ni plus, ni moins. Sauf que c’est un apprentissage bougrement difficile et qu’il est pertinent d’envisager de ne pas réinventer la roue, en profitant de millénaires de théorie.

Théorie qui ne fait pas des génies. Les génies se font autrement, par la passion, le feu et le dévouement. Théorie ou non, ce n’est pas le sujet : en revanche, la théorie peut souvent faciliter le processus et éviter de vraies maladresses dans les premiers temps du parcours.

Unpopular opinion : ce qui me gêne fondamentalement dans l’argument “la technique est facultative”, c’est que cela devient souvent une justification pour ne pas bosser. Souvent, il y a de la peur derrière, une peur cent fois compréhensible devant l’envergure de la tâche. Mais on n’y échappe pas, que ce soit en bossant la guitare dans sa chambre ou en allant au Conservatoire. On peut avoir des facilités, mais comme disait Brassens, “sans travail, le talent n’est qu’une sale manie”. Seule la pratique (guidée ou non) améliore ce qu’on fait.

L’argument qu’on voit souvent, c’est : “Moi, je brise les codes, je fais différemment, c’est original, je suis à contre-courant !” Hélas, 99 fois sur 100, ça ne fonctionne pas… parce que ça n’est pas abouti. Ça me fend le cœur chaque fois que je vois un jeune (ou moins jeune) auteur prometteur se paralyser dans sa fierté (en réalité sa peur) sans faire l’effort d’humilité nécessaire pour admettre que l’on peut, et doit apprendre toujours1.

Bref: il n’existe encore et toujours qu’une seule chose à notre portée en art, c’est notre travail (par des cours, de la recherche, de la pratique, en proportions variables et personnelles). Il existe des génies, comme le talent existe peut-être, mais je pense toujours plus sûr de ne pas considérer qu’on en fait partie ni qu’on en a.

Que nous reste-t-il quoi qu’il arrive ? Faire notre art, le lire / écouter / voir, s’en imprégner, le bosser. Le travail ne vous trahira jamais. C’est même la seule chose sur laquelle on puisse compter.

Je répète : le seul chemin valable, c’est celui qui vous permet de faire ce que vous souhaitez. Que cela passe par la théorie (c’est recommandé) ou pas (OK, si vous avez une volonté en béton armé). Ce dont vous ne ferez pas l’économie, c’est le travail (motivé par la passion).

Comprendre le fonctionnement des choses n’abîme pas une vision. Cela la renforce, la précise. Et j’arguerais qu’un.e artiste solide ne peut être abîmé.e par un peu de théorie. Sa vision est assez forte pour être transmutée et la transmuter.

Sinon, il y a un autre problème.

  1. Le travail devrait d’ailleurs former sa propre récompense. Ce qui compte, c’est le processus avant le résultat, car on ne pratique QUE le processus, et se concentrer sur le résultat, l’accueil, la publication, c’est se tromper fondamentalement de jeu. C’est un autre débat.
2023-01-10T05:33:00+01:00jeudi 12 janvier 2023|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Les deux bases techniques minimales pour écrire de la fiction : point de vue et temps de narration

Et croyez bien que je suis circonspect en écrivant ça, mais après un certain nombre d’ateliers d’écriture, force m’est de constater qu’il est important d’en parler.

Je suis circonspect là-dessus parce que j’ai un souvenir gravé au fer rouge dans ma mémoire. Je devais avoir dix-sept ans, en route pour des études scientifiques, et nous traînions entre copains et copines dans un bar à boire des cocktails de fruits. (J’aimerais bien vous dire que c’est un prude euphémisme pour cacher quelque chose de beaucoup plus rock’n’roll, mais non : nous buvions vraiment des cocktails de fruits. Sans alcool.) Alors que du haut de nos vingt ans à venir nos études nous contemplaient, nous nous sommes évidemment mis à causer rêves et futures hautes responsabilités gouvernementales, et j’ai avoué mon envie d’écrire, et peut-être de faire carrière, si cela pouvait se présenter.

Notez bien : je faisais des études scientifiques. (De garçon.) Il y avait avec nous des filles. (Qui faisaient des études littéraires.) (C’était le siècle dernier. À l’époque, on n’avait pas Internet et nos téléphones portables fonctionnaient avec des antennes télescopiques dans un rayon de 10m autour de leur base. Nous étions des sauvages.) L’une d’elles, promise à une vraie carrière de lettres, elle, a répondu ce qui suit à ma visiblement tragique candeur : “Quoi ? Tu ne peux évidemment pas faire ça, et tu ne peux pas décemment l’imaginer ! Tu n’as pas lu tout ce qu’il y a à lire pour pouvoir t’octroyer le droit d’écrire, et évidemment, tu ne pourras jamais espérer rattraper et acquérir tout ce bagage.”

(On en sait, des trucs, à dix-sept ans.)

Heureusement, la Providence (et un léger esprit revanchard de ma part) en ont décidé autrement. (Surtout le fait qu’écrire de la fiction recouvre un métier différent que celui d’essayiste.) Oui, il est indispensable de lire pour écrire, peut-être avant toute chose parce qu’il est étrange de ne pas avoir le goût de la forme littéraire que l’on entend pratiquer, mais il n’arrive jamais un moment où l’on peut dire “j’ai lu 32678 bouquins, j’ai fini le game, je vais maintenant écrire Germinal” – on peut écrire n’importe quand, mais il faut lire en parallèle.

Donc. Les bases techniques minimales pour écrire de la fiction : c’est avec grande circonspection que je vous le dis. Mais si la fiction littéraire passe par le langage, elle est nécessairement empreinte de codes fondamentaux qu’il est indispensable de posséder avant d’espérer construire davantage. Non, ce n’est pas l’orthographe, ce n’est pas la typographie, ni même (tout au contraire) la mise en page de votre livre électronique. Oubliez la tension narrative, les dialogues, les descriptions, la gestion du rythme, les conflits complexes, la construction de monde imaginaire, si vous ne possédez pas deux choses :

  • La gestion du point de vue,
  • Les temps de narration.

La gestion du point de vue concerne les règles fondamentales par lesquelles le récit va transmettre son information, or dans la fiction, qui passe donc par le langage écrit, il n’y a rien qui ne soit pas information. Un auteur qui ne fait pas l’effort de se familiariser avec ce code (quitte à s’en affranchir ensuite, mais pour s’affranchir de quelque chose, il faut le maîtriser) est condamné à produire des textes flottants, incapables de concentrer l’attention du lecteur et de la guider subtilement pour produire les effets souhaités. Un choix de point de vue n’est jamais neutre (même s’il peut être inconscient, et même si le point de vue lui-même peut être neutre, mais c’est déjà un choix de narration). Donc : autant choisir, puis garder la main, sur la forme narrative qui servira le projet.

Les temps de narration (que vous écriviez au présent ou au passé simple / imparfait) représentent l’autre versant de la gestion de l’information : ils sont directement liés au rythme, au ton et à l’enchaînement relatif des événements. Il y a ce qui se passe avec la narration, la vitesse à laquelle cela se passe, ainsi que ce qui s’est passé avant, voire après relativement à l’action. Être flottant là-dessus, c’est potentiellement détruire la logique même des événements de l’histoire au niveau le plus fondamental : le temps.

Couv. Xavier Collette

La bonne nouvelle, c’est que cela s’acquiert très facilement. Vous avez la quasi-assurance de voir ces codes correctement employés dans n’importe quel livre publié de façon respectable. Si vous voulez écrire, vous avez des livres chez vous (et si vous n’en avez pas, commencez par acquérir le goût de lire, voir plus haut). Ouvrez-les, regardez comment c’est fait. Des pages web et des résumés sur ces notions, on en trouve partout sur Internet (à commencer par ici). Le Comment écrire des histoires d’Elisabeth Vonarburg propose un excellent panorama du point de vue. Dans mon propre Comment écrire de la fiction ?, même si je voulais traiter le moins possible de la langue elle-même pour me concentrer sur la scénarisation, j’en parle aussi, aussi concisément que possible, mais je ne pouvais pas faire l’impasse dessus.

Ces deux notions sont loin d’être suffisantes, et si l’on aime creuser la technique littéraire, on peut l’étudier toute sa vie. Mais : si vous cherchez un point de départ technique dans votre parcours d’auteur•rice, ce sont ceux-là.

2022-11-21T06:00:53+01:00lundi 28 novembre 2022|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Apprenez le Markdown en trois minutes

Qu’est-ce que ce Markdown dont l’existence atteint de plus en plus la conscience du grand public à la faveur des apps de notes reliées comme Obsidian ? Ce n’est pas le jumeau caché du compositeur de la BO d’X-Files, mais une manière de mettre en forme un texte qui est simple, légère et surtout portable. Vous voyez la galère que vous avez à mettre en forme votre fichier Word ? Ben le Markdown, exactement l’inverse.

En pratique : vous avez un fichier en texte brut (donc lisible par absolument tout). Pour indiquer italiques, gras, titres, vous placez des balises courantes dans le texte, et toute application capable de reconnaître le Markdown (soit l’écrasante majorité d’entre elles : Obsidian, Ulysses, iA Writer, Roam Research, Bear…) les comprendra pour retranscrire le formatage. Vous vous concentrez donc sur le contenu, pas sur le contenant.

Et c’est vraiment hyper simple. Vous n’avez besoin que de connaître deux symboles pour réaliser 90% de ce dont vous aurez jamais besoin : quand je dis trois minutes pour apprendre les bases, c’est presque trop. On y va :

  • Les titres sont indiqués par un hash : #. Le niveau hiérarchique du titre est indiqué par le nombre de hashes. Un hash : # Titre de niveau 1. Deux hashes : ## Titre de niveau 2. On ne peut pas faire plus simple (ça va jusqu’au niveau 6, ###### Comme ça).
  • Les textes en italiques sont encadrées d’astérisques simples : *ceci sera en italiques*.
  • Les textes en gras sont encadrées d’astérisques doubles : **et ça c'est du gras**.

(Moyen mnémotechnique pour se rappeler les astérisques simples ou doubles : les italiques sont discrètes, donc il y a deux moins d’astérisques que pour le gras, que l’on veut visible, donc qui en nécessite deux fois plus.)

Par exemple, dans Ulysses, ça se présentera comme ça :

Ne me dites pas que c’est compliqué.

2022-08-05T04:00:57+02:00mercredi 10 août 2022|Best Of, Geekeries|2 Commentaires

Vivre de la traduction littéraire en attendant de vivre de l’écriture ?

Cela faisait longtemps (si je ne mettais pas 107 ans1 à répondre, aussi) que je n’avais pas reçu de questions en privé sur le boulot, et en voilà une fort importante, qu’il me faut archiver ici en public.

Je me doute que même si je suis publiée, il me faudra du temps avant de pouvoir en vivre. Je cherche donc des plans B pour assurer le côté financier, et j’ai pensé à la traduction. […] Aurais-tu des conseils à me donner si je veux me diriger dans cette branche ? Un niveau d’anglais minimum à présenter, des contacts, des expériences diverses à mener afin d’améliorer mes compétences ? Voir carrément d’autres plans B ?

Alors, c’est une question importante, parce que nous sommes nombreux à le faire ou à l’avoir fait dans la profession, effectivement. Le problème, c’est ce que ça n’est pas aussi simple que ça, et qu’il convient d’en dire un mot, pour bien placer la faisabilité exacte de la chose.

Histoire vraie, pour nous toutes et tous. Par MariNaomi.

C’est-à-dire que, malheureusement et en toute honnêteté, je ne pense pas que ce soit un plan B fonctionnel à court terme (avec une grosse emphase sur le “court terme”, more on that later), pour deux raisons :

  • d’abord, les plannings de l’édition sont très longs (donc il peut se passer un ou deux ans avant d’avoir une ouverture dans un planning),
  • mais surtout, obtenir une place en traduction… suit un peu les mêmes mécanismes que pour se faire éditer.

Ce qui defeate un peu le purpose.

C’est-à-dire que là aussi, il faut construire son expérience, commencer par des publications peut-être plus modestes, construire un réseau de partenaires de confiance, etc. pour gravir des échelons. Donc : c’est long, et ce sont la compétence et l’expérience qui priment avant un quelconque diplôme (avec la difficulté qu’on voit évidemment venir, soit arriver à se construire une expérience quand on débute et qu’on galère justement à se construire le CV qui ouvrirait les portes dont on a besoin. Serpent qui se mord la queue). J’en veux pour preuve que j’ai enseigné longtemps comme intervenant professionnel en Master dans le cadre d’un diplôme de traduction littéraire… que je ne possède pas.

La traduction permet certes d’avoir un revenu un peu plus stable tandis qu’on écrit à côté (en plus d’être une super école d’écriture, même si je déconseille de le faire juste pour ça – si c’est le but, il y a des écoles plus rapides, comme, par exemple, écrire directement), mais c’est long aussi d’arriver à en vivre. Donc, s’il s’agit de chercher plan B « alimentaire » pour vivre en parallèle de l’écriture, cela me semble clairement insuffisant à court terme.

Pour ma part, j’ai mis des années avant d’obtenir un afflux stable de contrats à la fois intéressants et bien payés (soit, à peu près, quand je suis entré dans l’écurie des traducteurs réguliers de L’Atalante ; avant, j’avais toujours eu des contrats intéressants, mais soit ils arrivaient de façon sporadique, soit la rémunération était moins bonne), à partir de quoi j’ai pu souffler un peu (et donc explorer mon écriture avec moins d’angoisse). Cela ne veut pas dire que cela ne doit, ni ne peut faire partie d’une stratégie d’auteur ou d’autrice, juste qu’il faut du coup un troisième truc à plus court terme pour manger. (Personnellement, entre autres choses, je donnais des cours d’informatique au troisième âge quand j’avais 20-24 ans.)

Après, distinction importante, je parle de traduction littéraire. Il y a deux (en gros) grands types de traduction : la littéraire (= d’ouvrages littéraires, comme des romans) et la technique (= de documents techniques, manuels, articles scientifiques etc). Je connais trop mal cette dernière, ne l’ayant pas pratiquée professionnellement, cependant j’entends parfois dire qu’il est plus facile d’y construire quelque chose. Caveat, donc et toutefois.

En résumé, même si je n’aime pas me faire le porteur de mauvaises nouvelles, je préfère clarifier la situation : oui, c’est possible de vivre de la traduction, mais ça n’est pas un domaine où on trouve des offres d’emploi, au même titre qu’on n’en trouve pas dans l’écriture romanesque. C’est à force d’être repéré·e pour son travail qu’on peut obtenir des contrats, ce qui inscrit nécessairement une telle démarche dans la durée, et plutôt avec la véritable envie d’y construire une carrière. Il y faut aussi une certaine dose de passion de persistance. Donc, à mon sens, ça n’est pas une super idée de boulot purement “alimentaire” en parallèle de l’écriture, mais plutôt une compétence supplémentaire dans l’arsenal d’un auteur ou autrice construisant une vie autour de sa plume.

  1. Estimation non contractuelle.
2022-06-16T09:40:01+02:00lundi 20 juin 2022|Best Of, Technique d'écriture|4 Commentaires

Évidemment qu’on peut donner des conseils d’écriture, enfin

C’est un serpent de mer qui ressort régulièrement (ou plutôt des cris d’orfraie, tandis que l’amadou desséché de l’Internet énervé passe une fraction de seconde dans la lumière du soleil et explose façon supernova) : non, on ne peut pas donner de conseils d’écriture. C’est un processus profondément personnel, lié à des manières intimes de se sonder, et chacun, chacune a une approche et des jugements esthétiques différents. Toute conversation sur le sujet de l’approche romanesque est nécessairement prescriptive, donc (je résume au terme d’échanges tout de suite très énervés) : ta gueule.

En termes châtiés, disons que je trouve cette attitude extrêmement mystérieuse (et mon mauvais fond a envie de dire que ça peut peut-être cacher une forme détournée de gatekeeping ; moi, j’ai trouvé, toi, tu dois en baver). Or, c’est spectaculaire comme l’écriture est le seul art où l’on retrouve à la fois ce discours et les réactions épidermiques qui vont avec. Ça n’existe littéralement pas ailleurs, que ce soit en musique, dans le dessin, le game design, la décoration de bullet journal, etc.

Ça ne choque personne de prendre des cours de guitare pour apprendre la guitare. Ça n’exclut pas non plus les génies intuitifs qui prennent une guitare à quinze ans, font dans leur cerveau “ah OK, ça marche comme ça” et deviennent Jimi Hendrix. Personne ne dit que tu dois faire comme Hendrix ; personne ne t’interdit non plus de prendre des cours de guitare. On te dit juste : si tu veux apprendre la guitare, l’étape logique, c’est prendre des cours. Pourquoi ? Ben pour apprendre, bon sang. C’est un peu plus facile d’avoir quelqu’un qui a l’expérience pour te montrer, c’est juste du bon sens. Mais ah, tu peux aussi apprendre en autodidacte comme Hendrix, absolument. En revanche, sache que tu vas y passer un sacré temps et que tu as intérêt à avoir une sacrée motivation. Tu veux pas te faciliter la vie et prendre des cours ? C’est toi qui vois.

Au final, si tu en sors et que tu es Hendrix, personne ne va te demander ton CV ; t’es Hendrix. On s’en fout de par où t’es passé ; ta réalisation est la preuve de ton expérience – et au final, c’est quand même tout le but de l’apprentissage : réaliser les choses que l’on veut. La technique n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen : en art, tout ce qui compte, c’est ce qu’on réalise (qu’on le diffuse ou pas – c’est une autre question).

Néanmoins, toute pratique soutenue d’un art passe par une pratique et un apprentissage dévoués et réguliers. On s’y prend bien comme on veut ; en narration, par exemple, on peut lire beaucoup, suivre des ateliers, méditer et expérimenter la technique, échanger, potasser des manuels, et évidemment rien de tout ça n’exclut le reste, et je trouve qu’idéalement, on essaie de faire tout ce qui précède. Le but, en tout cas l’idéal platonicien à mon sens, c’est de devenir Hendrix ; c’est de maîtriser son instrument (que ce soient la guitare ou les mots) au point qu’il s’exprime sans obstacle à travers soi, de la manière la plus distillée et aboutie pour être reçu de la manière la plus authentique, tout en ayant conscience (parce que Hendrix ne s’est pas arrêté de bosser, discutez avec n’importe quel musicien professionnel et il vous expliquera le temps constant de pratique qu’il investit chaque jour) que c’est un processus et non un but à atteindre (parce qu’il est inatteignable. C’est un idéal platonicien).

Il me semble que deux fondements pour cela, c’est la curiosité et la conversation. La curiosité pour son art, pour ce qui a été fait, comment on le fait, comment ça fonctionne, sans cesse ; c’est pour cela qu’affirmer qu’un auteur peut se permettre de passer de lire… me semble avoir autant de sens qu’un peintre qui prend soin de marcher dans la rue les yeux baissés “par peur que le réel l’influence”. (seriously?) Et ce qui va de pair avec la curiosité, c’est la conversation, portant sur l’art et sa pratique ; quant à ses résonances, ses courants, mais aussi les approches, les mécanismes qui peuvent être, quand même dans une certaine mesure, disséqués et analysés de façon raisonnée. Des phrases courtes servent généralement mieux une scène d’action. Sauf si l’on cherche à établir un ralentissement artificiel, par exemple pour induire un sentiment d’horreur ou d’inéluctable. Dès lors, quel est le projet ? Quelle est l’intention ? Quel outil vais-je utiliser pour m’efforcer de transmettre au mieux mes intentions, parce que je fais la démarche d’écrire pour être reçu·e par des gens avec qui je voudrais idéalement établir une connivence ? Voilà les questions intéressantes : qu’est-ce qui tend à créer quel effet ? Quel est l’effet que je recherche ? Niveau advanced : comment puis-je tordre l’attente pour créer quelque chose d’entièrement différent en prenant une technique à contre-pied ? Et il y a bien sûr une progression dans toutes ces étapes.

Opinion non populaire : dans certains discours très énervés qu’il m’a été donné de voir passer sur l’inutilité de la technique (et sur l’inutilité de lire), je lis le désir non pas d’écrire, mais d’être écrivain. De pouvoir se réclamer auteur, si possible en évitant le boulot qui va avec. Parce que c’est crevant, ça oui (demandez à Hendrix et à tout artiste pro). Et ça fait peur, aussi – croyez-moi, je sais. Mais il s’agit là de vouloir un prétendu statut, un fantasme, alors que la réalité du job, c’est le job lui-même. Et qu’on se fait beaucoup de bien en comprenant ça et en lâchant prise sur des choses sur lesquelles, en plus, on n’a guère de prise.

Je ne jette la pierre à personne. Tout le monde a le droit d’avoir ses rêves ; par contre, d’une, il faut avoir conscience que les rêves, ça se nourrit et ça se travaille, ça n’arrive pas tout cuit dans la bouche (enfin, ça peut, mais c’est quand même toujours plus sûr de bouger ses fesses, vous savez, dans le doute) ; de deux, on court toujours le risque de tomber de haut et il faut de la bravoure ; de trois, avoir des rêves, des angoisses, des douleurs même que sais-je, ne donne pas pour autant le droit de proférer des âneries qui perpétuent l’image dommageable que tout le monde est le Jimi Hendrix de la littérature dès sa première phrase parce que “ça se juge pas, y a pas de vérité objective”.

Il n’y a pas de vérité scientifique objective en art, certes. Mais entre ça et le grand globiboulga qui voudrait que tout le monde soit Marcel Proust au premier roman parce qu’on ne peut pas juger, il y a une sacrée marge. Il serait tout de même étrange que dans un métier on ne puisse pas parler de technique et de fiabilité d’approche. L’ignorance n’est pas une vertu, ne pas être curieux de son processus (ou de ceux des autres) non plus. Et s’il n’y a pas de règles absolues, si chacun doit apprendre à se connaître pour trouver sa voie, il y a aussi des codes, qui sont des chemins de moindre résistance parce que faisant appel à un ensemble de représentations mentales à peu près communes. Connaître les codes, c’est comme connaître par exemple les lois de la perspective en dessin : d’une, cela ne fera pas forcément de toi quelqu’un de génial, de deux, personne ne t’oblige à t’en servir. En revanche, si tu les ignores (quelle que soit la manière dont tu voudrais les apprendre), il est probable que tu te compliques la vie bêtement. “C’est bien beau de vouloir faire sauter la maison mais il faut connaître le plan pour savoir où placer les charges”, disait Elisabeth Vonarburg lors d’une masterclass que nous avions animée à trois avec Jean-Claude Dunyach.

Je vais sauter au-devant de la réplique facile qu’on pourrait me faire : « Hé, Davoust, tu prêches pour ta paroisse, tu donnes des ateliers, des masterclasses et t’as écrit un bouquin d’écriture, évidemment que tu protèges ton fond de commerce. » Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. Je ne me suis pas mis à le faire sorti du bleu sans avoir d’abord testé, dans l’activité et en conditions réelles, ce que je pouvais commencer à comprendre. (On ne fait jamais que commencer à comprendre.) L’activité sur laquelle je prends toujours soin de placer l’accent est l’écriture romanesque, et s’il m’arrive de le transmettre, c’est parce que je suis au front, tous les jours, à m’imposer à moi-même ce que je prêche, et que je m’efforce d’avoir derrière moi des réalisations pour le prouver. Ce que je raconte ne vous convient peut-être pas – c’est tout à fait légitime –, mais vous pouvez au moins être sûr·e d’une chose, je n’ai pas inventé ça le matin même au petit-déj, c’est parce que j’avais besoin d’outils, d’apprendre, que j’ai fait ce parcours, et je me dis aujourd’hui : hé, cela peut peut-être servir à d’autres. Je ne sais pas si mes romans resteront (et pour être honnête, je ne le crois pas ; mais peu m’importe, je recherche la plénitude dans la réalisation elle-même, non dans la postérité, à laquelle par définition personne d’entre nous n’assiste), mais peut-être ma mission en ce bas monde consiste-t-elle à l’apprendre pour moi-même afin d’arriver à le transmettre, pour que d’autres aient à leur tour les outils pour donner forme à leurs propres rêves. Hé, finalement, si j’arrive à faire ne serait-ce que ça, ce serait une vie pas si malhonnête.

Et ces traces, un jour, un autre être affligé,

Voguant sur l’Océan solennel de la vie,

Pauvre frère en misère, et seul et naufragé,

En les voyant, Peut-être aura plus d’énergie.

– Le Psaume de la vie, Henry Wadsworth Longfellow, trad. de sir Tollemache Sinclair.

Et si vous vous posez la question : dans toute l’équation, je ne suis évidemment pas Hendrix non plus. Dans l’équation, mes Hendrix, ce sont mes idoles, Vian, Zelazny, Le Guin, Danielewski, etc. En comparaison, disons que je suis l’équivalent d’un guitariste de métal qui sort des albums et tourne régulièrement : c’est-à-dire un acteur d’une scène underground, et ne vous méprenez pas, je suis incroyablement reconnaissant (et toujours un peu éberlué) d’avoir l’occasion de continuer à tourner et sortir des albums (heu, tout ça devient confus, mais vous suivez). Mais devant la page, chaque jour, il n’y a qu’une seule vérité : mon clavier, moi, et l’attitude que je vais avoir. Personne ne sait s’il ou elle sera Hendrix. Et au final, ça n’a aucune importance. On est uniquement ce qu’on est au moment d’écrire la phrase qui vient.

Et oui, bien sûr qu’on peut discuter de comment l’écrire du mieux possible. Et bien sûr qu’on peut s’écouter ensemble, réfléchir, expérimenter – et, au final, décider.

2022-02-24T10:42:26+01:00jeudi 24 février 2022|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

Procrastination podcast S06e05 – Lire quand on écrit

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “S06e05 – Lire quand on écrit“.

Est-il encore possible d’être candide quand on s’intéresse suffisamment à un art pour en apprendre, puis en pratiquer les techniques et les ficelles ? Pratiquer l’écriture vous condamne-t-il à vous éloigner du plaisir de lire ? D’abord, il est question de rappeler l’importance de la lecture ! Mélanie parle de l’élargissement des horizons et des possibles qu’elle suscite ; pour Estelle, c’est la première école, et une manière d’apprendre tant les tropes que le paysage éditorial. Lionel insiste sur l’aspect du plaisir que l’on est censé éprouver à recevoir l’art que l’on pratique. Il est ensuite question de l’évolution du goût avec l’apprentissage de la technique, et des nouveaux plaisirs qu’elle ouvre.

Références citées

– Gabriel Ariñ-Pillot

– Johnny Hallyday, Allumer le feu

– Manon Fargetton, Tout ce que dit Manon est vrai

– Floriane Soulas, Les Oubliés de l’amas

– Les éditions du chat noir, Dawn Kurtagich

– Hellblade, Senua’s Sacrifice (Ninja Theory)

– Outer Wilds (Mobius Digital)

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2021-12-01T18:09:54+01:00lundi 15 novembre 2021|Procrastination podcast|2 Commentaires

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