Pourquoi je ne me revendique plus du féminisme (mais continue à le défendre)

men_and_feminism_2_400x400Spoiler alert : la clé est dans le mot “revendiquer”, pas dans le mot “féminisme”. 

J’ai écrit pas mal de trucs ici, assez agressifs d’ailleurs, sur le fait que, principalement, le patriarcat n’est qu’un étalage de faiblesse, de peur, de petitesse intellectuelle et émotionnelle, et, probablement, d’une béance psychologique aussi tragique qu’ancienne. Je les écrirais peut-être un peu différemment aujourd’hui pour certains détails mais, globalement, je les assume et, surtout, je suis content qu’ils existent, et soient disponibles d’une manière ou d’une autre dans les archives.

Pourtant, aujourd’hui, je n’écris plus rien sur le sujet, même si cela ne m’empêche pas de continuer à partager un certain nombre d’articles sur les réseaux sociaux concernant les aberrations moralistes de régimes oppressifs venus d’un autre temps (hint : on parle ici de diktats religieux davantage que politiques, les premiers gouvernant les seconds), que mon opinion n’a pas changé sur le sujet, et qu’au contraire, à force d’éducation personnelle, j’ose espérer qu’elle s’est raffinée et renforcée.

Alors, quoi ?

Eh bien, toute la clé est dans cette simple équation. M’entendre dire avec un air méfiant « dis-donc, tu serais pas féministe, toi ? » sera toujours pour moi un grand compliment, que je prendrai comme la preuve que je fais peut-être deux ou trois trucs correctement. Dans l’écriture, j’espère profondément que je traite mes personnages féminins avec la même dose de forces et de faiblesses que mes personnages masculins. (Ce qui veut dire que mes femmes sont potentiellement tout aussi faillibles que mes hommes, pas qu’elles sont parfaites – car c’est une autre forme de sexisme insidieux.) Avoir été l’homme invité sur la table ronde des Utopiales portant sur le féminisme il y a quelques années restera pour moi, sincèrement, un des plus grands honneurs et plaisirs de mon existence.

En revanche, je constate que j’ai arrêté depuis un moment d’affirmer, clairement et fortement « je suis féministe ». Pourquoi ? La réponse en trois points, comme dans toute bonne dissertation.

La main-mise masculine sur l’étiquette

Un article que j’ai en vain cherché à retrouver, d’un autre auteur, présentait plus ou moins la thèse suivante, qui m’a fait beaucoup réfléchir : une certaine frange masculine a plus ou moins fait main basse sur l’appellation pour s’attirer une forme de crédit et de respectabilité. Voire, dans un placement qui s’apparente à une forme retorse de mecsplication (mansplaining), pour tirer à soi la couverture de l’anti-sexisme.

Je me suis toujours qualifié de féministe en toute bonne foi, et je continue à défendre l’appellation au quotidien quand elle est interprétée de travers (comme c’est hélas encore souvent le cas). Mais j’éprouve une fausse note quand je l’endosse moi-même comme une revendication. Même si toute population est infiniment diverse, certain-es ne voient pas d’un œil favorable la revendication d’une mouvance vue comme une lutte par un membre de l’oppresseur.

Ce qui amène au point suivant :

No man’s club ?

L’attitude féministe envers la place et le rôle des hommes dans les luttes varie énormément : l’exclusion radicale (qui tombe heureusement en désuétude), l’exclusion « de survie » (pour éviter à court terme le noyautage par des emmerdeurs, pour résumer rapidement – comme certaines réunions de Nuit Debout), jusqu’au travail en concertation.

Certaines féministes soutiennent qu’un homme ne peut pas, voire ne doit pas, parler de lutte sexiste parce qu’il fait partie de la classe privilégiée. Cette attitude est pour moi aussi absurde que décourageante – mais devinez quoi : je ne me bats pas contre, parce que j’ai mieux à faire.

Elle me semble absurde et décourageante car elle nie l’une des capacités les plus fondamentales de l’être humain, à savoir l’empathie – la capacité de se mettre à la place d’autrui. Tous les jours, j’écris des livres parlant d’autres personnes que moi ; c’est justement pour moi une façon très personnelle d’explorer mon empathie, et si j’ai une telle proportion de personnages « cassés » ou extrêmes (Julius, Masha, Alukar ou Puck dans Léviathan, une grande part des militaires de l’Empire d’Asreth, etc.), c’est parce que je suis obsédé par la quête de la part humaine dans l’inhumain, de ce qui reste de l’identité quand l’humain pousse au dernier degré l’une de ses pulsions les plus fondamentales mais aussi, peut-être, les plus monstrueuses, la quête de la transcendance et la transfiguration qui s’ensuit. Plus prosaïquement, je peux activement clamer le droit républicain au mariage pour tous sans avoir envie d’épouser un homme.

Je comprends pleinement, intellectuellement, qu’exclure les hommes représente fréquemment une réaction de survie ou de ras-le-bol après d’innombrables confrontations avec de sombres individus indignes de confiance, incapables de cette empathie, justement, et qu’éduquer les masses mal dégrossies est un travail profondément usant et dont on peut légitimement souhaiter s’affranchir. De même, à titre purement personnel, je ne suis pas obligé, en tant qu’individu, d’apprécier ni d’approuver, et ce sans donner dans le not all men ; il est bien plus simple, pour tout le monde, de ne pas insister à vouloir à tout prix être admis dans certaines franges d’un club où l’on n’est pas le bienvenu. Car quelle insécurité, malaise ou faille cela cacherait-il ? Une des belles leçons que j’ai apprises en passant trente ans, c’est que chercher à tout prix à affirmer son identité peut (j’insiste : peut et à tout prix) cacher une forme d’insécurité et une quête de validation par l’extérieur – tout particulièrement dans le cas de l’appartenance aux strates privilégiées (d’où l’insistance sur le peut et à tout prix). (Culpabilité, anyone ?) La soif de reconnaissance et de validation par l’autre est, bien sûr, bien plus fondée quand on se trouve du mauvais côté de l’injustice (quelle qu’elle soit – un autre jour, on pourrait parler du diktat de la reproduction).

Pour quelle raison chercherais-je (et cherche-t-on) à tout prix à être admis dans les strates féministes qui me refusent l’entrée ? Pour être rassuré sur un statut de mâle respectable ? Pour être différent, privilégié ? Pour qu’on me confirme que « not all men » ? À quoi cela rime-t-il – et si on passait son chemin, plutôt ?

Faisant partie sur ce point de la classe privilégiée, je n’ai pas à me sentir menacé en aucune manière, je n’ai pas à donner de leçons même si je ne suis pas d’accord ; c’est la beauté de la liberté offerte par la civilisation, et du lâcher-prise qui est toujours accessible à l’individu.

Peter via Flickr CC License by CC

Striving to be a “man of quality”. Peter via Flickr CC License by CC

Plus beau encore : je peux agir en féministe, défendre le féminisme, sans chercher à tout prix à à le revendiquer pour moi, à m’en réclamer, à mendier une admission sans condition dans l’intégralité de cercles qui sont de toute façon vastes et divers ; je pense que c’est une dépense d’énergie totalement vaine et, de plus, psychologiquement suspecte. Les débats sans fin concernant qui peut se réclamer de quoi dans quelles circonstances me, désolé, gonflent prodigieusement. Il me paraît plus intéressant (et important) de réfléchir et surtout d’agir en accord avec cette réflexion, à chaque instant. Pleine conscience, tout ça. C’est aussi là que, quand on appartient à la classe privilégiée, on porte une importante responsabilité quand à l’usage à bon escient de sa parole et au respect d’autrui (en commençant, par exemple, par laisser aux autres la place de parler).

Mais je ne suis pas un homme d’action collective, de toute manière.

Cent féminismes différents

Ce qui enchaîne sur un point encore plus fondamental (et je remercie Anne Larue et d’autres pour les discussions enrichissantes) : il n’y a pas « un » féminisme mais des féminismes (historiques, géographiques, etc.) – une discussion féministe entre deux femmes (pour éviter le biais sus-nommé) conduit de toute façon rarement à un assentiment parfait – et pourquoi cela devrait-il être le cas ? Existe-t-il une Vérité Féministe Ultime à laquelle « la » femme (unique et archétypale, comme on le sait, comme « la » ménagère, « le » lecteur, « le » musulman) accéderait-elle une fois la révélation reçue ?

Lolilol.

C’est, en théorie, la beauté du débat et du pluralisme respectueux d’une civilisation qui aspire à être éclairée : la reconnaissance et le respect de la diversité des opinions, une réflexion de fond subséquente conduisant à une évolution (ou pas), et un peu de cuir tanné chez tout le monde pour qu’on puisse gratter un peu là où ça pique et où, justement, ce serait intéressant de gratter.

Des intellectuels et des bancs

En conclusion, Gandhi disait « sois le changement que tu souhaites voir dans le monde », une phrase que je ressors à toutes les sauces parce qu’elle me paraît le meilleur guide éthique de la personne : elle incite à l’action, à se confronter au monde, à chercher l’inspiration dans cette action pour soi-même et, si l’on y parvient, à la propager peut-être aussi.

C’est dorénavant ma ligne directrice, dans ce domaine mais aussi beaucoup d’autres : je me frotte à la réalité, j’essaie d’agir et de me surveiller plutôt que de parler et de revendiquer. J’ai très envie que « Les Dieux sauvages » porte un fort message féministe (à l’image de « Quelques grammes d’oubli sur la neige », nous sommes à une époque semblable d’Évanégyre), et il y a près d’un an, j’en parlais en ces termes ; mais j’ai arrêté, et c’est la dernière fois que je le mentionnerai ici ou ailleurs de moi-même de cette façon, pour toutes les raisons qui précèdent. Parce que, pour reprendre les trois points précédents : a) je ne veux pas m’arroger l’étiquette. b) Je n’ai pas envie qu’un débat sur l’étiquette et son bien-fondé prenne l’ascendant sur les autres aspects du roman (car ce sont des romans). c) La littérature parle de diversité, elle s’efforce de mimer la vie ; mes personnages féminins sont des gens, ils sont faillibles, agaçants, adorables, courageux, inquiets, balaises, drôles, comme tous les autres, en tout cas j’espère, et vous aurez pleinement le droit de ne pas tous les aimer autant, d’en haïr certains, et c’est justement tout le fond de la question : j’aimerais que vous les aimiez, ou pas, parce que ce sont des êtres humains, et que j’ai des gens sympas, stupides, tragiques, intéressants, amusants, en raison de ce qu’ils sont et d’où ils viennent (leur genre formant un pan de leur identité, certes, mais un pan seulement).

En résumé, un intellectuel assis va toujours moins loin qu’un con qui marche ; approchant de la quarantaine, je me suis dépouillé de l’illusion d’être un jour un véritable intellectuel (… et là encore, nous pourrions parler des insécurités relatives à ce genre d’aspiration). Alors, dans le doute, autant que je marche.

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2016-09-24T15:21:34+02:00lundi 26 septembre 2016|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

[Utopiales 2014] Féminisme et science-fiction : le genre est-il un nouvel espace idéologique ?

Affiche Chris Foss

Affiche Chris Foss

La science-fiction a été à l’avant-garde du combat féministe, avec des auteurs comme Octavia Butler, Joanna Russ, Margaret Atwood, ou Élisabeth Vonarburg mais aussi Robert A. Heinlein et Théodore Sturgeon. La place des femmes dans les récits de science-fiction a considérablement évolué depuis les pulps, mais, aujourd’hui, la question reste d’une vive actualité.

Ce débat s’est déroulé dans le cadre des Utopiales 2014, en compagnie de Jeanne-A. Debats, Anne Larue, Florence Porcel, Estelle Rochon, et Elisabeth Vonarburg, modéré par Sara Doke. Le site de référence et d’actualité ActuSF en a réalisé une captation écoutable en ligne ou téléchargeable directement sur cette page.

Photo ActuSF

Photo ActuSF

2014-11-04T09:50:28+01:00jeudi 6 novembre 2014|Entretiens|3 Commentaires

Genre, rôles, narration et Final Fantasy

ffxv_castÇa râloche un peu sur la toile alors que la sortie de Final Fantasy XV approche à grands pas : le groupe de personnages central est constitué presque exclusivement d’hommes.

Je suis le premier à râler, pour ma part, sur des représentations bidimensionnelles des femmes dans la fiction, sur leur présence comme simples faire-valoir, ou comme accessoires narratifs allant à la limite du McGuffin (Sauver la princesse ! Pourquoi ? Pour donner une raison à nos péripéties !), mais il y a toujours quelque chose qui me dérange dans l’établissement de principes. Et, alors que le jeu n’est pas encore sorti, j’ai l’impression que les quelques cris d’outrage qui s’élèvent devant la forte proportion masculine du groupe relèvent du principe. Nous ignorons comment ces personnages sont écrits. Nous ignorons si la moitié des mecs ne sont pas simplement là, justement, comme faire-valoir, s’ils ne sont pas crétins comme des jantes alu. Nous ignorons la profondeur d’écriture des personnages féminins minoritaires.

Peut-être ces femmes seront-elles insignifiantes, je ne dis pas. Nous ne le savons simplement pas à l’heure actuelle.

Je peux concevoir qu’on peine à s’identifier au sexe opposé, dans la lecture ou le jeu vidéo (même si cela me paraît toujours un peu mystérieux, étant peu sensible à la chose et ayant toujours préféré Motoko Kusanagi à Conan). Je peux concevoir, donc, qu’on regrette de ne pouvoir jouer une femme, le cas échéant (Final Fantasy XIII, par exemple, équilibrait bien les genres avec une palette assez étendue de caractères, du crétin-e au réfléchi-e). Je suis gêné quand, au nom d’un principe, il semble devenir obligatoire de respecter une forme de parité dans la fiction, préférant l’équilibre des nombres à celui de la qualité1.

La fiction, en particulier littéraire, mais on l’exige de plus en plus du jeu vidéo, vise à l’illusion de réalité. La réalité est que, dans certains groupes, certaines étapes de l’existence, des communautés du même sexe se fédèrent. Les bandes de copains, les bandes de copines. Final Fantasy XV (au désespoir de beaucoup, mais c’est un autre sujet) semble tenir du road movie centré sur un prince en fuite et sa bande de potes dans une grosse bagnole. Sachant qu’on ignore la teneur exacte du scénario, il me semble étrange, pour le moins, de s’offusquer de l’absence de femmes dans ce qui est, de toute évidence, l’histoire d’un groupe de bros. Comme Final Fantasy X-2 était l’histoire d’une bande de filles.

Sans compter que les bros en question ressemblent quand même sévèrement à des idoles de pop asiatique, gominés et un chouia efféminés, plutôt destinés à la contemplation des adolescentes japonaises… Les intentions et raisons me semblent plus complexes qu’il n’y paraît. Ah là là, cases et catégories, vous êtes pourtant si pratiques ; pourquoi les événements refusent-ils d’y rentrer commodément afin que l’on puisse désigner qui l’on doit fustiger, qui l’on doit encenser ?

Je pense, peut-être avec faiblesse, qu’il vaut mieux éviter de coller une donzelle mal écrite pour éviter de froisser les sensibilités superficielles en plaidant: “vous avez vu, j’ai mis une femme, je suis super progressiste !” et plutôt s’abstenir si ça ne colle pas à l’histoire, ou pire, si on ne sait pas bien l’écrire (plutôt ne pas représenter que mal représenter, me semble-t-il). Il me semble que l’honnêteté narrative et morale d’un auteur doit être simplement gouvernée par deux principes : 1) ne pas éclipser ou amoindrir la présence des femmes 2) leur consacrer le même soin dans la profondeur du traitement qu’aux hommes.

Au-delà de ça, je crois qu’il ne faut pas mélanger les intentions. Si je me rappelle bien, dans Ghost in the Shell, Kusanagi est à peu près la seule femme importante de la narration, dans une unité par ailleurs masculine, et pourtant, elle éclipse à peu près tout le monde par sa compétence, sa complexité, ses dilemmes, son importance dans le récit2. Au fond, je suis très ennuyé de me dire qu’un jour, parce que je chercherais à dépeindre un groupe masculin comme une fraternité lycéenne ou simplement m’inspirer des codes du buddy movie, on pourrait compter le pourcentage de chromosomes XX dans ma narration et venir me présenter l’addition, comme ce qui se passe en ce moment autour de FF XV. La vie, et donc la narration, dont elle est le reflet à la fois pâle est sublimé, est plus complexe que cela. Il existe des communautés unigenre ; si la fiction peut aider à faire bouger les lignes en présentant des personnages à contrepied des conventions, en ouvrant des horizons nouveaux sur la société, ce qui est fantastique, elle se tient aussi comme peintre du réel, ce qui lui fait arpenter une ligne aussi fine que casse-gueule.

Ce qui fait la différence, c’est l’intelligence du traitement, du propos.

Je crois simplement que le critère d’évaluation n’est pas les effectifs, mais la qualité. Dans le cas de FF XV, je suis prêt à parier que la moitié des dudes en question seront des clichés ambulants de lycéens abrutis. Est-ce que cela ne sera guère flatteur pour la gent masculine ? Peut-être, mais quelle importance ? Ce n’est pas la bonne question : c’est la réalité, quantité de lycéens masculins sont des clichés ambulants, et ça peut être amusant dans le cadre d’une narration, tant qu’il y a une bonne histoire, et de l’intelligence dans le propos par ailleurs. Tant que, par ailleurs, on équilibre le discours global avec de plus hautes aspirations. Peut-être que les filles vont leur rabattre le caquet en permanence (je suis prêt à le parier là aussi, si j’ai bien pigé le nouveau public que FF XV essaie de rallier). Et en plus… nous ne savons même pas précisément quels seront les personnages jouables.

Y a-t-il du sexisme là-dedans ?

Nous le saurons une fois le jeu sorti. Dans l’intervalle, à mon humble avis : il y a sexisme dans la narration quand les personnages d’un sexe donné ne servent que d’outils, de faire-valoir, sont dépeints à la va-vite. Il y a sexisme dans la narration quand les personnages d’un sexe donné sont volontairement passés sous silence par rapport au milieu où se déroule l’intrigue, comme une fraternité ou une sororité. L’équilibre des genres est un noble but à atteindre et, si le récit le permet, je trouve qu’il est très bon d’y prendre un peu garde afin d’élargir ses horizons.

En revanche, je ne crois pas que, dans le contexte d’une narration, le sexisme puisse se résumer à une comptabilité abstraite, déconnectée de tout discours sous-jacent.

  1. Il ne s’agit pas de l’Assemblée Nationale ou de la direction d’une grande entreprise, où le problème est autre. Oui, la fiction peut être en avance sur la réalité mais… lisez la suite de l’article, sur le milieu dont il semble s’agir.
  2. Du moins, quand Masamune Shiro évite d’en faire une pin-up à la limite du vulgaire sur certaines illustrations.
2014-11-06T09:44:39+01:00jeudi 25 septembre 2014|Humeurs aqueuses|5 Commentaires

“Not all men” ou l’argument du “oui mais pas moi”

Cette petite BD circule partout sur Internet, et il faut dire qu’elle est très drôle :

not-all-men

Elle met l’accent sur la “défense” dite du “not all men” : en réponse à la dénonciation des problèmes de sexisme, certains répondent “oui mais pas tous les hommes” (= ne sont des violeurs / ne sont payés plus que les femmes / ne battent leur épouse etc.) Soit : “OK, mais pas moi” – ce qui à la fois une évidence, et une façon pour l’individu de se dédouaner, s’il se sent mal à l’aise dans la discussion (l’usage de cet argument me paraît donc, mécaniquement, prompt à susciter la méfiance). Mais, au-delà et fréquemment, c’est une façon pour certains d’invalider l’argument tout entier : “si l’on formule un problème de discrimination sexuelle, mais que je n’exerce aucune discrimination, alors le problème de discrimination n’existe pas ». Time y consacre un article.

OK, le comic est savoureux, vraiment. Cela dit, il pose d’abord un souci de logique argumentative, et non de société, à mon humble avis, lequel se fonde sur l’idée – toujours casse-gueule – de généralisation dès qu’on quitte le domaine des mathématiques1.

Petite anecdote : un jour, lointain, une femme lors d’un salon, avec un coup dans le nez, se mit à râler sur les traits génériques des hommes à la cantonade. Après quelque diatribe, elle se tourna vers moi (j’avais l’heur d’être son voisin) et me dit : “Ha, vous ne dites rien parce que ça ne doit pas vous faire plaisir de vous entendre décrit comme ça, hein ?” Ce à quoi je répondis sincèrement en souriant : “Non, je ne dis rien parce que je ne corresponds pas au portrait que vous faites, et je ne me sens donc pas concerné.” J’ai pensé que c’était une façon un peu idiote de se comporter. Qu’elle se sente flouée de manière générale, je pouvais le comprendre si son vécu l’y poussait ; qu’elle s’adresse à un parfait inconnu comme confirmation d’une thèse générale était, au mieux, casse-gueule.

De façon formelle : la majorité n’est pas la totalité. Mais et c’est important, la totalité n’est pas nécessaire pour valider une thèse ou une observation, et vouloir se placer sur ce terrain (comme le caricature – j’insiste – la BD) est une perte de temps et une faiblesse argumentative. De façon plus claire : ce n’est pas parce que tous les hommes ne battent pas leur femme (c’est une évidence) que la violence conjugale n’est pas un vrai problème (ce qui devrait être une évidence).

Porter un contre-exemple à une thèse générale n’invalide pas la totalité d’une thèse : cela invalide l’aspect total de la thèse. Lequel tend déjà, par essence, à l’invalidité dès lors qu’on parle de société et non de mathématiques ou de logique formelle. Quand je dis “les hommes” “les femmes” “les Noirs” “les Chrétiens », je suis bien parti pour dire une connerie.

Mais quelle importance a cet aspect total ? Absolument aucun. 

Est-ce que ça nie l’existence des discriminations? Non. Elles concernent la majorité et/ou l’usage qui sont, eux, constatables (dès lors qu’on n’a pas des œillères devant les yeux). Est-ce que ça invalide les combats attenants? Non, encore moins (cela découle tout seul du point précédent). On prend des risques superflus, en revanche, si l’on veut donner un aspect total à une argumentation, à la fois du côté de celui qui argumente et de celui qui réfute, car il donne un poids absurde (c’est-à-dire : qui n’a rien à faire avec la choucroute) au cas minoritaire. Ce n’est pas le sujet. C’est le problème dont on parle, le sujet, en tant que constatation d’une tendance, et c’est la tendance que l’on observe, dénonce et puis combat. 

En d’autres termes : peu importe le contre-exemple. Il n’invalide pas la thèse. Ou, plus précisément, il ne l’invalide que si la thèse se veut totale. Or, cette totalité n’est pas le sujet (ou ne devrait pas l’être – ce qui est le sujet, ici, de cet article. Dites, ça va ? Vous êtes tout bleu.). 

Pour caricaturer, ce n’est pas parce qu’il y a des riches (qui sont donc censés invalider la notion de pauvreté) que la pauvreté n’existe pas. A mon humble avis, le “not all men” n’est pas tant un souci de société, que de logique pure et, donc, de communication entre les êtres (tiens donc). Dire “tous les x” est une bêtise (qu’on parle de féminisme, d’environnement ou de chats), c’est déplacer une discussion potentiellement vitale sur un terrain inadapté et c’est prêter inutilement le flanc à une critique toute aussi bête. Dire: “ce problème existe” est en revanche une observation sociale valide, réfutable (donc scientifique), qu’il peut être difficile à faire admettre, certes, mais sur laquelle il devient possible d’agir (commençant, peut-être, par la prise de conscience, justement). Et cela rend, pour le coup, l’argument “not all men” particulièrement crétin et déplacé dans ce contexte. (« Oui, génie, pas toi, c’est inclus dans la formulation d’origine, mais tu vois, ce n’est pas de ton petit cas personnel et restreint dont on parle. »)

Tous autant que nous sommes, n’y prêtons donc pas stupidement le flanc dans notre expression publique. Parce que je crois que bien des combats sont trop importants pour les saper avec des formulations abusives qui font perdre du temps avec des critiques épiphénoménales comme le “not all men », de la même façon que la dame de mon dîner, plus haut, a sottement sapé son discours en cherchant autour d’elle une confirmation qui était, et c’est bien le pire, parfaitement inutile pour sa démonstration. (Après, je suis d’accord. Démontrer avec un coup dans le nez, c’est pas facile.)

  1. Oui, j’ai pigé que la fille de la BD à la fin était peut-être agacée / triste / parlait à sa pote sans que cela porte à conséquence. La BD est drôle, caricaturale, et pointe un intéressant problème. Mais, en tant que caricature, faut-il la prendre au premier degré ?
2019-09-16T18:17:20+02:00mercredi 7 mai 2014|Humeurs aqueuses|10 Commentaires

Créer du lien : édition garantie AVEC conservateurs, mais on se tape aussi des barres (de chargement)

lolcats-kahnSalut, auguste lectorat, mon état mental étant à situer quelque part entre la chaise et la courgette ce matin, petite compilation de liens et d’actus récentes.

La nouvelle de la semaine, c’est évidemment, et hélas, la disparition de Nelson Mandela. Le Monde revient sur sa vie dans un article développé et très intéressant.

Je fouillais dans les liens que j’ai passé sur les réseaux sociaux et ai été assez stupéfait de constater la quantité d’offensives conservatrices ces derniers temps. Que ce soit avec le Dico des Filles paru chez Fleurus qui ne sent pas très bon les cours de maintien des années 50, la circulation un pamphlet catholique intitulé Marie-toi et sois soumise (… écrit par une femme, WTFBBQ) que l’Espagne veut interdire, le récit hallucinant de cette femme enceinte mal informée et mise en danger dans un hôpital catholique, on peine un peu à croire que nous nous trouvons dans des pays prétendûment “civilisés ».

Heureusement, cette belle lettre d’un père souhaite à sa fille une vie sexuelle épanouie et redonne un peu de foi dans le genre humain :

Tu es ta propre personne, et certaines choses que tu aimeras pourront me sembler bizarres, folles, sales ou désagréables. C’est la beauté et la diversité du monde ! Si tout le monde aimait la même chose, on en serait réduit à se battre pour les dix mêmes personnes. Or le miracle, c’est que les rejetés des uns sont les trésors des autres. Et je serais un bien triste petit bonhomme si je te manipulais à devenir un clone de mes propres désirs. Aime la musique que je déteste, regarde les films que je hais, deviens cette femme forte qui sait où est son bonheur et ce qu’elle doit faire pour le trouver.

Allez, on se remet de cette négativité avec neuf choses que les gens heureux choisissent d’ignorer. On peut aussi verser une petite larme.

Et puis, on peut quand même pas nier que l’univers est bon, vu que les Monty Python se reforment. Et c’est la vérité, contrairement à toutes ces fois où les gens ont cru que The Onion disait la vérité (drôle ou terrifiant, c’est selon votre perception). Enfin, Bouygyes Telecom promeut sa 4G avec une idée rigolote, le musée des barres de chargement.

Pour finir, une petite découverte récente, The Man-Eating Tree :

Bon week-end, n’oubliez pas, dimanche, concert des Deep Ones à Paris !

2013-12-13T10:02:24+01:00vendredi 13 décembre 2013|Juste parce que c'est cool|21 Commentaires

Les vrais mecs sont féministes

feminism-women-are-peopleOK, avec tous les remous qui agitent la question du genre, du mariage pour tous à l’article de Mar_Lard sur le sexisme dans le milieu geek en passant par les innommables lois anti-avortement dans les États fondamentalistes du sud des USA, on voit surgir un nouveau machisme en réaction aux progrès acquis par les droits des femmes et sur les rôles en général. Une espèce de patriarcat bon teint, qui ressemble un peu au racisme bon teint, c’est-à-dire la profération d’âneries (voire d’horreurs) comme des évidences bénignes.

Je crois qu’il est temps de dire une bonne fois pour toutes que les vrais mecs sont féministes

Caveat : C’est un peu difficile, quand on appartient à la population dominante comme moi (mâle blanc hétéro), de parler de ce genre de sujet ; on y fait promptement, mais involontairement, preuve de condescendance envers la population qu’on s’efforce de défendre, ce qui est une forme insidieuse de domination. Qu’il soit donc déclaré tout de suite, ô, mes soeurs humaines, que j’ai conscience de la place (chanceuse) que j’occupe, et que toute possible imprécision de ma part n’est pas de la condescendance, mais de l’ignorance – le débat est ouvert en commentaires. Je n’ai volontairement pas fait relire ce article par une femme pour qu’il soit brut de décoffrage, dans son (possible) aveuglement comme sa (réelle) sincérité : ainsi, espérons-le, parlera-t-il aux autres mâles blancs hétéros (auquel il s’adresse surtout, puisque les femmes, en principe, seront convaincues). Je remercie aussi toutes les nanas que j’ai croisées (et espère bien croiser encore !) pour les discussions riches d’enseignements.

Nous prendrons également pour acquis que la domination masculine est un fait indéniable. S’il y en a ici pour en douter, juste deux données françaises piochées sans forcer : droit de vote accordé aux femmes en 1944 en France ; 20% d’écart de salaire à l’heure actuelle1 Enfin les commentaires sont bienvenus, mais, les mecs, merci d’éviter le second degré lourdingue. Vous n’êtes pas drôles. Pour le reste, je rappelle que je modère sans pitié.

Ceci étant dit : dans une formule provoc’ comme celle du titre de l’article, il convient de définir les termes, pour montrer en quoi, finalement, elle n’est pas provoc’ du tout.

Le féminisme

Loin de moi l’idée de me prétendre expert ni même de faire un panorama de la question. J’avoue volontiers une certaine ignorance, et les mouvances sont, par ailleurs, multiples. Voir le caveat. Cependant, il me semble qu’il n’est pas nécessaire de faire un doctorat de sciences sociales pour faire de ce mot une notion opérante au quotidien (ce qui est plus immédiat que des thèses), quand on essaie de se comporter en être humain décent (ce qui est un processus constant semé d’embûches).

xkcd-girls and mathLe féminisme, c’est défendre les droits des femmes, c’est tout. Et les droits des femmes, ce sont les droits de l’homme (en tant qu’espèce biologique). Genre, les mêmes. Traiter les femmes comme des êtres humains (ça semble basique, mais ça échappe à beaucoup). Ça représente, sans se limiter à :

  • Respect et dignité de la personne en tant qu’être humain (tu t’habilles comme tu veux sans avoir peur, par exemple)
  • Liberté, en particulier de disposer de soi (c’est ton corps, tu en disposes comme tu l’entends)
  • Pleine reconnaissance de la différence (eu égard, en premier lieu, aux fonctions biologiques qui sont asymétriques dans notre espèce – je le dis pour ceux qui ont séché les cours de SVT)
  • Égalité des droits

Ha, la fameuse égalité des droits, l’argument de discorde, en général. Promouvoir l’égalité des droits pour les femmes conduit le sexiste de base à redouter une restriction des siens. On se demande comment (comme on se demande comment les chrétiens traditionalistes peuvent se sentir menacés par le mariage pour tous : en quoi donner aux uns des droits relatifs à la personne en priverait les autres ?) – sauf si ces fameux droits sont fondés sur une exploitation ou une domination d’autrui.

Tiens donc.

Je me tiens le plus loin possible de Freud et Lacan, mais je connais un peu mes corréligionnaires masculins, et je crois que la résistance à l’égalité prend principalement racine dans la frustration sexuelle et, inconsciemment, d’une ambiguïté envers la féminité, vécue comme un mystère, et donc anxiogène. (Ce n’est probablement pas la seule cause, mais celle-ci me semble profonde, et quasi-suffisante, en tout cas pour un article de blog crypto-subjectif comme celui-ci.) L’être humain redoute ce qu’il ignore, et tend à dominer ce qu’il redoute.

feminist-damned-ifyoudoPar conséquent, je crois qu’il y a, au coeur de la domination masculine, une angoisse de la frustration sexuelle, voire, au-delà, d’une frustration esthétique (qui englobe tout le reste au sens large, si l’on postule un noyau hédoniste à l’être humain). Sinon, pourquoi la notion de dissimulation du corps féminin serait-il tant répandue à travers le monde et érigée comme principe ? Pourquoi la première forme d’oppression masculine sur les femmes est-elle sexuelle ? Pourquoi les femmes sont-elles tant présentées comme des “tentatrices », en particulier dans le vocabulaire religieux (… où le célibat, d’ailleurs, est la norme) ? (Les mecs sont-ils donc si fragiles qu’ils ne savent résister à la tentation ? Bah alors, mes bichons ?)

C’est bien qu’il existe une population masculine tragiquement dominée par des pulsions dont elle ne sait que faire, et qu’elle ne sait assouvir que par la violence, trop mal équipée pour imaginer qu’il existe d’autres registres d’interaction2. Comme un enfant frustré et gâté réagit par le caprice. Je m’arrête là, ça nous entraînerait trop loin, mais vous voyez l’idée (j’espère).

Ce que ne voient pas les sexistes de base (en partie, soyons un peu magnanimes, à cause de siècles de façonnement social, ce qui ne se change pas en un an, mais évolue heureusement peu à peu), c’est que les droits ne sont pas une quantité finie, que si on en donne aux uns, on en enlève aux autres. Il faut ici mentionner le rôle qu’ont joué certaines mouvances extrêmistes du féminisme qui ont donné l’impression, par l’emploi d’une rhétorique guerrière, qu’il s’agissait de destituer les hommes de leur situation. On peut tout à fait comprendre la révolte féministe qui conduit à de tels extrêmes, mais non, les gars, détendez-vous, contrairement à ce qu’on entend ici et là, le féminisme ne vise pas à vous dominer. Et vous êtes un peu couillons si vous le croyez, excusez-moi. Si on vous l’affirme froidement et avec le plus grand sérieux, vous avez parfaitement le droit de répondre posément à votre interlocueur ou trice que c’est un(e) idiot(e), et d’aller discuter avec quelqu’un d’un peu plus intéressant.

En revanche, la révolte est, elle, parfaitement compréhensible, et elle n’est pas à minimiser, ni à prendre de haut. Une révolte est un signal qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Know the difference, it can save your life.

Il y a une façon positive de répondre à l’inégalité (de salaire, de traitement, etc.), et c’est en réfléchissant à la façon dont on peut améliorer le sort de tous, et/ou travailler (quand c’est pertinent) à la symétrie.

Case in point

feminaziPour être plus clair, et parce que, comme je l’ai dit, je n’ai pas de définition ni de principe, seulement des questions et une quête de réponses que j’espère opérantes dans l’existence, prenons le cas – pour revenir à la frustration sexuelle et esthétique née de la crainte du mystère féminin – du corps de la femme considéré comme objet. Exemple : une fille nue dans une pub sert à vendre du yaourt. Un groupe féministe s’énerve en râlant qu’on n’a pas besoin de foutre une meuf à poil pour vendre du yaourt. Le sexiste de base répond : “C’est du fascisme ! On ne peut plus rien dire, on est en pays libre, et si on a envie de voir des meufs à poil, merde ? Rentrez à la cuisine, lol, etc.”

Sens-tu, ô auguste lectorat, sous-jacente à cette protestation, la frustration sexuelle et esthétique ? Sens-tu aussi la parfaite incompréhension entre deux discours placés sur des plans qui n’ont rien à voir ?

Ce qu’il faut voir, c’est que si les femmes protestent contre le fait que leur corps soit utilisé comme objet, je crois, il me semble, que c’est avant tout parce qu’il est au service (quasi-)exclusif des hommes et l’héritage de siècles de domination masculine. Une forme de symbole. Ce qui entraîne une protestation que je trouve légitime.

OK, on est là. Que fait-on ?

Soit l’on arrête de montrer le corps féminin, point. C’est illusoire (étant donné les lois du marketing moderne), c’est problématique (parce que la frustration risque certainement de ressortir avec violence, comme en témoigne tristement l’histoire humaine), et bon, c’est esthétiquement dommage, parce que nu et élégance ne sont pas mutuellement exclusifs, comme le prouve le nu dans l’art à travers les âges (l’usage qu’on en fait est plus tangent, mais restons simples).

Mais le problème, éthiquement, vient-il de 1) l’usage du nu féminin en soi, ou de 2) la dissymétrie dans la représentation entre genres ?

Les moralistes répondront 1). Je pense et préfère 2) (et je pense que combattre 1) est un épouvantail rhétorique).

Avant de prôner toute dissimulation, on peut s’interroger sur les notions d’usage en soi du nu et d’égalité. Solution (défendue, presque quotidiennement dirais-je, par Maia Mazaurette) : que diable, faisons du corps masculin un objet aussi, permettons-lui d’acquérir un potentiel érotique qui soit le pendant du féminin ! Hey, du coup, tout le monde peut mater, personne n’est frustré, chacun ses codes, c’est cool, et personne ne se sent plus instrumentalisé que l’autre. On déplace la question de “Faut-il montrer le corps de la femme ?” à “Faut-il montrer le corps ?” ce qui me semble une question plus intéressante et, surtout, dénuée de sexisme et des dérives qui l’accompagnent, parce qu’il n’y a pas lieu d’avoir deux poids, deux mesures. Ce qui est le fond de la question ici.

Évidemment, on n’y est pas. Mais ça progresse un peu, me semble-t-il. Le plus important, c’est qu’on donne à tous le choix d’être instrumentalisé ou pas, comme il le souhaite, si c’est son désir ; le fond du problème, c’est la réciprocité.

Les vrais mecs

voiceless-royDonc, si, au coeur de la domination masculine, il y a une peur née de la frustration, il vient que le sexisme prend racine dans une vision infantile du soi et de l’autre.

Les sexistes de base ne sont rien de plus, psychologiquement que des petits garçons. Des petits garçons, car ils ont peur des femmes ; parce qu’ils n’ont pas conquis et réalisé leurs pulsions ; parce qu’au lieu de mener des combats constructifs (c’est-à-dire en réfléchissant à ce qu’ils sont et en réalisant leur potentiel), ils se défaussent par la bêtise, la discrimination et l’oppression et appellent ça être un “vrai mec” (ce qui colle la honte à tout le reste de la compagnie, pas merci, les gars). Psychologiquement, seul un enfant, un petit garçon, est impressionné par une femme, soit l’archétype à la fois tout-puissant et protecteur de la mère, envers qui il est placé en position de dépendance affective3.

Alors, si la notion – absurde et bancale, c’est clair – de vrai mec définit, disons, une situation mûre et adulte dans l’existence, indépendance et liberté, alors il vient que le “vrai mec » n’est pas gouverné par la peur, mais par la réalisation. Un vrai mec, selon cette acception, n’est autre qu’un vrai être humain, en définitive. En particulier, il n’est pas gouverné par la peur de perdre des prérogatives dominatrices, parce qu’elles ne le définissent pas ; il ne domine pas autrui, il se domine lui-même, et c’est de là que viennent ses accomplissements ; s’il peut bien sûr éprouver la peur, il la reconnaît, l’affronte et s’efforce de la conquérir.

Un vrai mec – un vrai être humain – est féministe parce qu’il a une identité suffisamment robuste pour ne pas se sentir menacé dans sa psyché infantile, parce qu’il accueille au contraire l’égalité des droits comme un progrès pour tous. Ce qui aligne le féminisme à l’intérêt de la personne, quel que soit sa situation.

En définitive

need-feminist-menÀ mon sens, et de mon point de vue de mâle blanc hétéro :

Être féministe, c’est choisir un employé ou un collaborateur sur la compétence du boulot qu’il/elle sera amené(e) à faire, homme ou femme.

Être féministe, c’est considérer que quand on refuse aux femmes le droit de disposer d’elles-mêmes, c’est un peu de l’épanouissement de tous qui s’évanouit.

Être féministe, c’est avoir le droit de penser d’une femme qu’elle est idiote, non pas parce que c’est une femme, mais parce que c’est un être humain idiot.

Être féministe, c’est trouver que tenir la porte à une fille, c’est cool, tout simplement parce que c’est sympa d’être sympa. Et oui, peut-être que la fille est jolie. Et alors ? C’est sympa d’être sympa avec une jolie fille. Moi aussi j’apprécie qu’on soit sympa avec moi. Faut-il que les choses soient plus compliquées que ça ? Être féministe, c’est aussi trouver qu’une jolie fille court vêtue qui se promène dans la rue est magnifique – point barre. Et que c’est cool. Merci d’avoir illuminé ma journée. (Pour être clair : non, ce n’est pas une s*****, elle fait ce qu’elle veut.)

Être féministe, c’est considérer que quand on force les femmes à se taire, c’est une diversité de parole et d’opinion, salutaire et nécessaire, dont on se retrouve tragiquement privé.

Diminuer les droits des femmes, c’est restreindre les droits de tous ; c’est infantiliser, ultimement, une population masculine qui ne sait comment résoudre son insécurité. Si tout cela n’est pas une raison amplement suffisante4 de défendre ces droits, je ne sais pas ce qu’il faut. Il n’est pas besoin d’aller jusqu’à la manifestation publique pour se dire féministe. Simplement, déjà, agir soi-même, soit surveiller ses actes et son langage, les questionner en particulier quand on est un mâle blanc hétéro, pour se demander si actes et langage ne viennent pas de présupposés ataviques et non de la vérité de soi, il me semble que c’est un bon début quand il est sincère5.

J’entends d’ici, encore, les petits garçons qui hurleront à la censure. En ce qui vous concerne, on va être clairs, il s’agit juste 1) d’arrêter d’être con 2) de piger qu’en vous remettant en cause et en cherchant sincèrement comment contribuer à la communauté, vous contribuez à améliorer votre propre condition et 3) de consacrer votre énergie à devenir ce que vous voulez être au lieu d’empêcher les autres de le faire par misère intellectuelle et affective. Vous êtes capables ne serait-ce que d’essayer, ou bien vous êtes trop faibles et peureux pour ça ?

  1. En revanche, contrairement à la légende, il n’y a jamais eu de Concile pour déterminer si les femmes avaient une âme. Mëme si j’avoue que l’anecdote est savoureuse.
  2. Sur la violence comme principe, je ne la fustige pas en soi. Nietzsche affirmait que “tout ce qui est important vient en surmontant quelque chose ». La violence est potentiellement créatrice, tant qu’elle est orientée de façon juste, tout comme l’atome ou le marteau, c’est-à-dire par sur le(a) voisin(e).
  3. Je ne parle pas de l’OEdipe freudien, lequel est – à ma connaissance – fondamentalement sexuel.
  4. Car qui relève de l’intérêt personnel et immédiat de l’individu ; bien qu’égocentré, c’est toujours le motivateur à la fois le plus simple et le plus efficace.
  5. Je ne prétends d’ailleurs pas y arriver, et ce n’est pas à moi de le déclarer de toute manière ; je ne peux que m’y efforcer, l’opinion et le ressenti sont, par définition, l’affaire des autres, qui – truc de dingue – communiquent alors
2018-07-17T14:17:49+02:00mercredi 31 juillet 2013|Humeurs aqueuses|56 Commentaires

Geek parmi les geeks (Geek Faeries 2011)

La convention Geek Faeries tient un discours qu’on entend de plus en plus, mais encore trop peu : celui de proclamer avec fierté l’étiquette geek selon tous ses aspects – de l’héritage des jeux vidéos du début des années 80 à la passion pour l’imaginaire en passant par les private jokes et les mèmes assumés (et un volet Erotic Faeries pour la nuit du week-end… dont je ne rapporte pas de photos, navré, j’étais couché asteure, moâ). Je suis très heureux d’avoir pu y être ; les organisateurs, Naya et Laurent, ont porté à bout de bras avec une énergie impressionnante une manifestation d’une énorme complexité entre les débats, dédicaces, stands, concerts, démonstrations diverses, changements totaux d’organisation des lieux toutes les huit heures, toujours souriants et disponibles.

Si vous connaissez ne serait-ce que l’existence du geek test, vous devez trouver le moyen d’aller à cette manifestation, qui parle de fantasy, de SF, de webséries, de BD, de steampunk, de cosplay, de filk, qui proposait un stand retrogaming ahurissant, des démonstrations de combat à l’arme blanche… C’est à ma connaissance la seule du genre et de cette envergure en France. J’ai eu le plaisir d’y retrouver les équipes d’Argemmios (avec Nathalie Dau et Mathieu Coudray), de Voy’el (avec Corinne Guitteaud et Isabelle Wenta), des éditions du Riez (avec Céline Guillaume et Franck Ferric), de rencontrer en vrai l’équipe d’IfIsDead.

Des concerts pleins d’énergie aussi avec Magoyond qui propose un métal heavy un peu halluciné aux textes influencés par les monstres, les fous et les tueurs en série (un petit côté The Vision Bleak en version côté lumineux de la force), et un Naheulband qui a proposé une prestation comme toujours impeccable malgré quelques problèmes de son, et surtout sans retenue aucune pour son public : plus de deux heures sous des spots brûlants, ça c’est du dévouement !

Enfin, qu’on se le dise une bonne fois : non, les geeks ne sont pas tous des mecs, non, l’informatique et les jeux vidéos ne passionne pas que les adolescents, non, l’imaginaire et le jeu de rôle ne s’adresse pas qu’à des nolife sans copine. La gent féminine représentait sans mal la moitié du public de Geek Faeries – je dirais même davantage, mais je crains d’être un peu enthousiaste – et le soin apporté à leurs costumes, leur connaissance manifeste du milieu prouvait, s’il était besoin, qu’il ne s’agissait pas de pauvres nanas traînées malencontreusement par leur copain enthousiaste, mais bien de passionnées au premier chef et à part entière.

Ceci pour répondre au cliché que j’entends encore hélas parfois, du genre « étrange que cette fille joue aux jeux vidéos, elle doit avoir un côté garçon ». C’est bien connu, les filles n’aiment que la réalité vraie, celle constituée de vaisselle et de machines à coudre, cela explique ben pourquoi elles ne sauraient être en aucun cas ni athlètes, ni codeuses, ni militaires.

Il y a des gens qui ont envie de faire des choses : point barre.

2011-06-17T08:45:51+02:00vendredi 17 juin 2011|Le monde du livre|14 Commentaires

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