Question : choix du point de vue

Une autre question qu’on m’a posé de visu, cette fois :

Comment puis-je savoir le meilleur point de vue à adopter pour mon histoire ? J’ai deux personnages, l’un plutôt blasé, l’autre un peu instable sur les bords, qui se complètent et se couvrent mutuellement. J’aimerais bien passer de l’un à l’autre, mais j’aimerais aussi installer leur relation progressivement de manière à ce que le lecteur ne se rende pas compte tout de suite des enjeux de leur association. Si j’alterne les points de vue, est-ce que je ne risque pas de casser mon effet ?

La réponse facile est : si, mais à toi de te débrouiller pour slalomer entre les trous…

Je sais, je sais. Tu l’as bien compris, mais comment fait-on ?

Plus sérieusement, cette réponse lapidaire n’est pas aussi gratuite qu’il y paraît. Chaque histoire a sa propre dynamique et, sans connaître tes personnages moi-même, sans même être toi, je ne peux pas te donner une réponse toute faite qui réglera ton problème. Le choix du point de vue est si central à l’écriture de fiction qu’on pourrait sans problème écrire un livre sur la question. En revanche, il y a peut-être quelques pistes qui pourront t’aider – ce billet sera forcément un peu simpliste et lapidaire, mais j’espère qu’il saura mettre en relief les enjeux.

Tout est subjectif (ou pas)

Le choix du point de vue est une question fondamentale qu’on néglige ou expédie parfois, alors que son choix peut faire ou défaire un récit. En effet, le point de vue dicte en grande partie le ton, et donc la dynamique de l’histoire. Si je traite de l’ascension de l’Everest, je n’écrirai pas le même livre en prenant le point de vue de l’alpiniste (aventure ! danger ! dépassement de soi !) ou de sa femme restée à la maison (soirées thé ! réflexions sur le quotidien ! Madame Bovary !). Tu as donc parfaitement raison de t’interroger en amont de la rédaction.

C’est déjà un premier élément de réponse : si tu prends donc tes personnages en troisième personne “caméra à l’épaule” (personnage-point-de-vue) ou à la première personne, soit les deux formes les plus courantes, tu es limité (approximativement) à leurs perceptions, leurs opinions, leur vision du monde. Ce qui est un atout, car c’est un excellent outil de caractérisation, mais aussi un handicap, si, mettons, tu cherches à cacher un élément à ton lecteur. Prends un récit policier dont l’enjeu est de trouver qui a tué le docteur Lenoir. Si tu passes sur le point de vue du colonel Moutarde, qui sait parfaitement bien qu’il a dézingué Lenoir dans la véranda avec le chandelier, il va être très difficile de le cacher au lecteur à moins d’une bonne raison, et celui-ci risque de se sentir floué si tu n’en dis rien. Mais vu que l’objectif de ton récit est de trouver qui a tué, tu casses la dynamique de ton histoire. Solution : dans ce type de récit, tu ne passes pas sur Moutarde (à moins de tricher : amnésie, folie passagère, etc.).

Dans le cas d’éléments moins centraux, tu peux les dissimuler un moment en faisant diversion avec l’intrigue ; après tout, ton personnage-point-de-vue est là pour raconter ce qu’il lui arrive, pas pour récapituler quinze ans de psychanalyse à chaque fois qu’il sort le lait du frigo, et on veut le voir agir. Mais il faut se montrer très adroit et subtil si tu veux cacher au lecteur des éléments que, selon toute vraisemblance, il devrait savoir : ce genre de dissimulation paraît souvent artificiel, ce qui rompt la suspension d’incrédulité ou brise le “rêve fictionnel”, comme dit Gardner.

Mais c’est aussi un atout car tout personnage, comme dans la vie réelle, projette son vécu, sa vision du monde, sur ce qui l’entoure. Là, en revanche, tu as un outil puissant et cohérent pour lui donner, en quelque sorte, des “angles morts” dans sa vision du monde. Un sociopathe ne voit pas la réalité comme le reste de la population, par exemple, ce qui peut parfaitement justifier que des détails, des subtilités dans les relations humaines, lui échappent et donc, si tu réussis bien ton coup, échappent à ton lecteur. De façon plus simple, pourquoi ton protagoniste récapitulerait-il ce qu’il sait pour son seul bénéfice ? Ce sont ses initiatives qui nous l’apprennent, et les conséquences qu’elles entraînent sur sa psyché ; c’est une façon de construire une personnalité par strates successives, in media res.

Le point de vue est le véhicule par lequel on entre dans un récit : si le véhicule a une roue crevée et une fuite d’huile, on restera sur les grandes routes, et tant pis pour les montagnes. Tu peux donc forger ton point de vue en accord avec l’effet que tu cherches à rendre ; il faut alors te poser la question de ton intention narrative, pour réfléchir à la meilleure façon de la transmettre.

La piste active

Holly Lisle propose pour sa part une règle extrêmement simple : il faut choisir le point de vue qui en sait le moins. Je suis méfiant avec les “règles” mais le conseil n’est pas sans mérite. Le plus ignorant, dans une scène, est souvent celui qui a le plus de raisons d’agir (et propose donc la narration la plus intéressante), et celui qui pourra le mieux exposer la situation au lecteur, puisqu’il a lui-même besoin de la comprendre. Il ne faut évidemment pas pousser l’axiome dans ses derniers retranchements (le point de vue de la plinthe lors d’un interrogatoire de police n’a pas grand intérêt, à part peut-être pour du postmoderne) mais, si l’on reprend l’exemple de l’assassinat de Lenoir, on a logiquement envie de suivre l’enquêteur qui devra démêler les faux-semblants, collecter les indices, etc. Bref, c’est une astuce commode qui peut aider à prendre une décision rapide dans les cas simples.

2020-10-12T16:36:43+02:00vendredi 29 octobre 2010|Best Of, Technique d'écriture|13 Commentaires

Festivals de novembre

Ill. P. Druillet

Novembre est souvent le mois connu des amateurs d’imaginaire comme étant celui des Utopiales, le festival international de science-fiction de Nantes ; si vous ne connaissez la manifestation et avez l’occcasion de venir, je ne saurais trop vous recommander de faire le déplacement. Avec littéraure, cinéma, expositions, animations, débats, il y a très amplement de quoi passer un week-end mémorable. Mais ce n’est pas la seule manifestation où j’aurai le plaisir de venir faire mon intéressant :

6 & 7 nov. : La Chapelle de Guinchay (71)

Je serai présent à la première édition du Salon Fantasy, Aventure, Contes et Légendes (site), pour des dédicaces et peut-être une ou deux interventions (à voir). N’hésitez pas à venir soutenir cette initiative locale !

Adresse : Maison de Pays, clos Méziat, 71570 La Chapelle de Guinchay. Entrée libre.

11 au 14 nov. : Nantes (44)

Et je serai donc aux Utopiales, festival international de science-fiction (site), pour des dédicaces et une intervention en café littéraire :

  • Vendredi 12 novembre, 15h30, bar de Madame Spock. La guerre, une question de frontières ? La frontière n’est-elle pas née du point de contact, de conflit, d’opposition, de défense ou d’attaque ? Avec Gérard Klein, Brandon Sanderson, LD. (Je devrais vraisemblablement parler de La Volonté du Dragon et de l’univers d’Évanégyre dans son ensemble. C’est un plateau impressionnant et j’espère être à la hauteur !)

Adresse : Cité Internationale des Congrès Nantes Métropole, 5 rue Valmy, 44000 Nantes.

Prochaines dédicaces et interventions

6 & 7 nov. : La Chapelle de Guinchay (71)

Pour le Salon Fantasy, Aventure, Contes et Légendes (site).

Adresse : Maison de Pays, clos Méziat, 71570 La Chapelle de Guinchay. Entrée libre.


Ill. P. Druillet

11 au 14 nov. : Nantes (44)

Pour les Utopiales, festival international de science-fiction (site).

Dédicaces et une intervention en café littéraire prévue :

  • Ven. 12 nov., 15h30, bar de Madame Spock. La guerre, une question de frontières ? La frontière n’est-elle pas née du point de contact, de conflit, d’opposition, de défense ou d’attaque ? Avec Gérard Klein, Brandon Sanderson, LD.

Adresse : Cité Internationale des Congrès Nantes Métropole, 5 rue Valmy, 44000 Nantes.

2010-10-28T10:09:13+02:00jeudi 28 octobre 2010|Actu|6 Commentaires

Finalistes du prix Julia Verlanger

Ill. P. Druillet

Créé en 1986, ce prix attribué par la fondation du même nom (sous l’égide de la Fondation de France) récompense des romans de SF ou fantasy faisant la part belle à l’aventure et au romanesque.

Les finalistes de cette année sont :

  • La Nuit sans fin, de M. Chadbourn (Orbit), trad. B. Mariot
  • L’Odyssée du temps – 1 de A.C. Clarke &  S. Baxter (Bragelonne), trad. L. Carissimo
  • Cygnis de V. Gessler (L’Atalante )
  • Rien que l’Acier de R. Morgan (Bragelonne), trad. C. Perdereau
  • Nuigrave, L. Murail  (Robert Laffont/Ailleurs&  Demain)
  • Le Nom du Vent, P. Rothfuss (Bragelonne), trad. C. Carrière
  • L’Empire ultime de B. Sanderson (Orbit), trad. M. Fazi
  • Ceci n’est pas un jeu de W. J. Williams (L’Atalante), trad. J.-D. Brèque

Le nom du lauréat sera révélé lors de la cérémonie de remise des prix qui se tiendra pendant le festival Utopiales de Nantes, vendredi 12 novembre à 18h30. Félicitations à tous les sélectionnés !

2010-10-27T09:36:05+02:00mercredi 27 octobre 2010|Le monde du livre|3 Commentaires

Tactique de la grève absolue

Solidarité chez les électrons :

Pour la petite histoire, j’ai vu peu après le personnel brancher un clavier à l’écran en question pour le redémarrer. J’ai regardé l’outil de diagnostic système et figurez-vous que ces écrans sont des PC autonomes sous XP embarquant 1 Go de RAM. 1 giga, quoi, pour faire tourner un pauvre panneau d’affichage en couleurs qui clignotouille. C’est décidé, la prochaine fois je dois ouvrir un PowerPoint de petits chatons, je commande un Cray.

2010-10-26T14:54:46+02:00mardi 26 octobre 2010|Expériences en temps réel|Commentaires fermés sur Tactique de la grève absolue

Elizabeth George, Mes secrets d’écrivain

Comme bien des livres de technique écrits pas des grands noms, Mes secrets d’écrivain (titre un peu bling-bling par rapport à l’original Write Away, soit un appel positif à l’écriture sans complexes) se place entre le livre de technique aride et les mémoires d’auteur. C’est la même approche que Patrica Highsmith avec son Art du suspense, mais George propose un volume bien plus intéressant et profitable.

La première partie, “Vue d’ensemble du métier »1, récapitule de façon très générique ce qui fait la chair d’une histoire : personnages, atmosphère, intrigue. C’est là qu’elle attaque sans ambiguïté sur son “story is character” (une histoire, ce sont des personnages), une déclaration éventuellement discutable mais dont la démonstration est d’un grand intérêt, surtout pour tous ceux qui ont tendance à se laisser entraîner par leur monde.

La deuxième, “Les bases”, est la plus technique : George ne craint pas de dévoiler étape par étape la façon dont elle construit ses romans, livrant de nombreux “trucs” pratiques pour dynamiser un dialogue, organiser les scènes. George a fait des études de psychologie et cela se sent : son approche des personnages est très psychanalytique, peut-être trop pour certains, mais j’aurais tendance à penser que tout écrivain doit avoir une part de psychologue en lui pour construire des personnages humains, complexes, vraisemblables et donc intéressants. Elle explique notamment en grand détail son approche des besoins et objectifs de chacun, à travers le “besoin fondateur” et la “manoeuvre pathologique“, deux germes incroyablement simples et précieux pour guider l’écriture.

La troisième et la quatrième sont plus attachées au processus de construction en lui-même, et on trouve là moins d’informations originales, à part, peut-être, l’emphase énorme que place George sur la discipline d’écriture : elle le dit sans détours, selon elle, c’est la seule qualité indispensable à la réussite, devant la passion et le talent. Un coup de pied au derrière taille 72, toujours bienvenu. La dernière partie est la moins intéressante, concentrée autour d’exemples et d’études de cas tirés de son propre travail.

Ce qui rend ce livre aussi intéressant à mon sens est une véritable envie pédagogique. George ne prétend nullement enseigner une méthode infaillible de réussite, mais elle met à nu son propre processus de création en partageant au fil de l’eau quelques leçons qu’elle a apprises. Cet équilibre, difficile à négocier, lui permet justement de dégager quelques leçons de valeur (qu’on aurait envie de qualifier d’universelles) tout en encourageant chaque auteur au travail et à la quête de ses propres vérités. Elle explique humblement ses propres travers et comment elle les combat ; elle délimite clairement les circonstances où la rigueur et la logique doivent dominer (George est clairement structurelle), et celles où c’est la liberté et l’inspiration qui doivent prendre la main.

En revanche, il faut noter que la forme et le discours de ce livre sont d’une simplicité trompeuse. En conséquence, il me semble que pour en tirer le maximum de profit, il convient d’avoir soi-même déjà conduit une certaine forme de réflexion sur les défis de l’écriture – et même de s’être heurté plusieurs fois à des difficultés. Je doute qu’il puisse donc être très pertinent pour le très grand débutant. On peut aussi grogner devant la quantité d’extraits tirés de son propre travail George présente au fil des pages, mais il faut admettre que les exemples sont pertinents et, surtout, admirables de justesse narrative : de vraies démonstrations.

En définitive, plus qu’un exposé de technique ou des mémoires d’écrivain, ces Secrets sont presque un appel à construire sa propre méthode, libéré des entraves et des attentes quant au résultat. Bien peu de livres sur l’écriture parviennent à transmettre ce message, à distiller une telle passion, à redonner une telle envie quand le découragement guette face à un obstacle en apparence insurmontable.

  1. Les traductions sont de mon fait, ayant lu le livre en anglais.
2014-08-05T15:23:07+02:00lundi 25 octobre 2010|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Elizabeth George, Mes secrets d’écrivain

Revue de presse

Couv. Anne-Claire Payet

Je cherche une façon de rendre ces revues de presse attractives – je cherche, après tout, à renvoyer du trafic aux chroniqueurs qui ont pris le temps de s’intéresser aux livres et de rédiger leurs critiques – mais ce n’est pas évident sans discuter des articles, ce que je me refuse à faire. (Et si c’est pour proposer une précision, c’est chez avant tout chez le chroniqueur qu’il convient de l’apporter, pas ici.) Je trouve très inélégant de remettre en question la lecture que d’autres font de son propre travail ; la chronique appartient au chroniqueur, comme la lecture au lecteur.

Peut-être devrais-je tout simplement me taire. (Qui a dit : “ça nous fera des vacances ? »)

Bref, voici les derniers articles en date. Merci à tous les chroniqueurs !

L’Importance de ton regard

La Volonté du Dragon

Contes de villes et de fusées

Couv. Eric Scala

(L’anthologie de Lucie Chenu aux éditions Ad Astra, où a été publiée “Le Sang du large »)

Magiciennes et sorciers

(L’anthologie de Stéphanie Nicot aux éditions Mnémos, où a été publiée “Quelques grammes d’oubli sur la neige »)

Rois et capitaines

(L’anthologie de Stéphanie Nicot aux éditions Mnémos, où a été publiée “L’Impassible armada »)


Sinon, cela n’a rien à voir, mais le carousel de la page d’accueil a été corrigé : cliquer sur les bannières vous emmènera bien vers les pages d’informations correspondantes.

2010-10-22T10:37:29+02:00vendredi 22 octobre 2010|Actu|2 Commentaires

Tuer quelques mythes pour combattre la procrastination

La procrastination est probablement une des afflictions les plus sévères à frapper les écrivains : enracinée dans diverses causes, souvent la peur de l’inadéquation ou du manque de maîtrise, elle peut indiquer le réel besoin de réfléchir davantage à son histoire avant de s’y engager, mais c’est plus souvent une véritable paralysie devant la fameuse “page blanche”, dénuée de véritable fondement. Même Victor Hugo procrastinait. Victor Hugo, quoi !

Notre monde post-moderne connecté web 2.0 communicatif d’échange en réseau d’influences neuronales collaboratif mobile a ajouté une nouvelle composante terrible aux raisons déjà multiples pour l’auteur de procrastiner : le courrier électronique et les réseaux. Oui, on entend régulièrement dire que le meilleur conseil qu’on puisse donner ces jours-ci pour écrire est de se couper du monde, mail et Internet inclus, mais l’expérience prouve que c’est difficile à faire, et puis, se dit-on, une petite vérification du mail de temps en temps, quel mal cela peut-il faire ?

Un mal énorme, et je suis enfin tombé sur les données qui le prouvent.

Teh Intertubez r not evilz

Il me semble que couper Internet aujourd’hui est quasiment impossible pour la majorité des auteurs. En ce qui me concerne, Internet est mon encyclopédie : besoin d’ancrer une scène dans un lieu réel, je compulse Google Images ; besoin de la donnée précise de telle arme, je fais une recherche croisée dans Wikipédia ; je ne parle même pas des dictionnaires que j’emploie qui sont maintenant en ligne. Le problème n’est pas tant la présence d’Internet comme distraction (il est relativement facile de se réfréner de lire des articles ou de regarder des vidéos de chatons trop lol sur YouTube, car ces activités sont clairement identifiées comme improductives) que celui de vérifier son mail – Twitter – Facebook toutes les cinq minutes (voire moins).

Derrière l’idée du “allez, un petit check Facebook et je m’y mets” se trouvent principalement deux idées :

  • “Je pourrais rater une information importante ». J’ai lancé une discussion ou un commentaire un peu polémique, je voudrais voir ce que ça donne, si c’est bien ou mal compris, ou même si (pour peu qu’on ait ces inclinations) ça va se foutre sur la tronche et je vais pouvoir remettre de l’huile sur le feu de mon troll, qu’est-ce que je suis trop mdr.
  • Ça prend trois secondes. C’est vrai, quoi un petit clic sur la barre de tâches, “Check mail” – ding, oh tiens, que se passe-t-il dans le vaste monde ? Quoi, on veut connaître mon avis sur la meilleure marque de tuyaux d’arrosage à utiliser en cas de gel fréquent ? Allez, je réponds, c’est vite fait. Après tout, si je réponds maintenant, je suis efficace, j’aurai réglé un problème immédiat et je pourrai me remettre à bosser l’esprit tranquille, n’est-ce pas?

Faux.

Despite all my rage, I am still just a rat in a cage

En vérifiant nos mails toutes les trois minutes, nous nous comportons ni plus ni moins comme des rats de laboratoire. Cet article établit un parallèle (que j’ai vu ailleurs) qui me semble frappé au coin du bon sens : le mail est une machine à renforcement variable.

En deux mots : prenons deux lots de rats. Le premier est entraîné à recevoir une récompense chaque qu’il appuie, mettons, vingt fois sur une pédale (= renforcement fixe). Le second reçoit sa récompense au bout d’un nombre aléatoire (parfois tout de suite, parfois au bout de cinquante coups de pédale) : renforcement variable. Si l’on arrête de récompenser les deux, on constate que les premiers rats cessent presque aussitôt de travailler, quand les autres continuent longtemps à presser la pédale (normal, puisqu’ils sont incapables de prévoir l’arrivée de la récompense).

C’est le mécanisme de la machine à sous, et c’est exactement le mécanisme du courriel. Dans un monde connecté, l’arrivée d’un nouveau message est un plaisir basique, qui flatte l’ego en lui donnant l’impression de recevoir de l’attention, ou d’avoir quelque chose à faire et à régler, ce qui, par la suite, procure du bien-être.

Bon, okay, dites-vous, le mail, c’est la machine à sous. Et alors ? Ça ne me coûte rien, ça ne fait de mal à personne. Où est le problème ?

Non, vous n’êtes pas multi-tâches

Eh bien, le problème est expliqué dans cet autre article du même site (consacré à la productivité des programmeurs, mais peu importe). En un mot comme en cent, “multitasking is a myth” : être multi-tâches est un mythe. Bien sûr, on peut faire deux ou trois choses en même temps qui ne nécessitent guère de capacité de réflexion, comme marcher et téléphoner, manger et jouer à WoW regarder la télé, écouter les débats de l’Assemblée Nationale et dormir.

Mais des activités qui requièrent une attention poussée de notre part – écrire, donc – exigent de la part du cerveau qu’il s’y consacre entièrement. Et, surtout, notre intellect est ainsi fait – et l’écriture ne fait certainement pas exception – que ces tâches complexes nécessitent un temps de mise en route, une sorte de période “tampon” où nous nous mettons dans l’esprit (haha), le contexte, de ce que nous devons faire. Le graphique de l’article précité montre qu’à cinq projets en même temps, c’est foutu : le cerveau passe tout son temps disponible à changer de contexte au lieu de faire ce qu’il est censé faire.

C’est en cela que la vérification périodique des emails est un mal. Chaque fois que le cerveau pourrait se plonger dans la tâche en cours, la scène, s’investir dans le personnage pour le ressentir, ce qui ne se convoque pas par magie à chaque fois que l’on s’assied au clavier, il se trouve sorti de force de sa réflexion pour aller presser la pédale de la machine à renforcement variable. Comme il est difficile de s’y remettre ensuite, la tentation d’aller tenter un nouveau tour de roue (satisfaction immédiate) devient plus grande, et la journée se transforme peu à peu en longues heures improductives et inexplicablement décourageantes. Chaque fois que l’on change de tâche, et donc de contexte, notre cerveau paie en énergie et en concentration un prix incompressible qui s’ajoute à celui de la tâche elle-même. Changer de tâche quinze fois par heure – même pour vérifier les réseaux sociaux juste trois secondes -, c’est multiplier ce prix par quinze.

La distraction say leu male

Écrire nécessite un immense investissement personnel et intellectuel, de plonger au coeur de soi, de faire abstraction du monde extérieur pour se transporter ailleurs, dans l’esprit d’autrui, pour rapporter ces visions au lecteur. Je pense humblement que c’est bien plus difficile si l’on ne trouve pas le moyen – et la discipline – de se couper de ces stimuli semblables à la ficelle colorée qu’on agite devant le nez du chaton : c’est se condamner à tourner en rond avec un cerveau perpétuellement bloqué en seconde. Cela se comprend intuitivement, et ceux qui ont essayé, comme votre serviteur, en vantent les mérites, mais la science nous dit ici pourquoi – et, avec un peu de chance, cela pourra convaincre les réticents.

2014-08-05T15:23:07+02:00mercredi 20 octobre 2010|Best Of, Technique d'écriture|12 Commentaires

WoW : Cataclysm, cinématique d’intro

OK, faisons les geeks, faisons-nous plaisir et passons en mode fanboy.

Douleur. Supplice. Ma haine brûle à travers les profondeurs caverneuses. Le monde se soulève au rythme de mon tourment. Ses misérables royaumes tremblent sous ma rage. Mais enfin, tout Azeroth se brisera et tout se consumera dans l’ombre de mes ailes.

Bref, il n’est pas content.

Aile-de-Mort était jadis un dragon coolos, protecteur de la terre mais, comme les trois quarts des méchants de WoW, il est un jour devenu fou, corrompu par les trucs qui murmurent dans la terre / la soif de pouvoir / le fait de ne reculer devant rien pour sauver les siens (rayez les mentions inutiles), et, de dragon coolos, il est devenu un psychopathe, mais un psychopathe long de 200 m et cracheur de feu, ce qui compliquerait l’invitation à une éventuelle théorie de groupe (et explique pourquoi, sur Azeroth, on a tendance à traiter la névrose à coups d’épée plutôt qu’à inventer la psychanalyse). Au cours du processus, la forme physique d’Aile-de-Mort s’est mise à se changer en lave en fusion, ce qui lui a posé quelques problèmes de contenance (ha ha), d’où la très seyante armure, mettant bien en valeur son menton, qu’on lui façonne dans la vidéo.

Rien à dire, l’intro est comme toujours parfaitement exécutée et Aile-de-Mort a une GROSSE VOIX comme on l’aime. Néanmoins, côté narration, celle de Wrath of the Lich King était bien plus forte, mais Arthas était un personnage bien plus complexe et intéressant, développé sur des années, qu’un gros dragon qui veut tout péter. Par ailleurs, je commence à trouver la formule “grosse bête qui s’avance lentement vers la caméra – temps de pause – rugissement” vraiment cliché et, depuis que je l’ai repérée, je ne vois plus que ça partout.

Il n’empêche que la colère de la grosse bestiole est bien palpable et voir des régions emblématiques d’Azeroth céder sous son passage – quand on connaît les régions et les conséquences que cela aura – est jouissif. Blizzard, c’est un peu comme un riff de Linkin Park : c’est pas très évolué, mais on s’en fout, c’est diablement bien construit et ça marche. Et puis, j’avoue, le tsunami face à Baie-du-Butin qui emporte le bateau de liaison vers Cabestan, le déferlement dans les Mille Pointes, j’en ai eu la chair de poule.

2010-10-18T10:09:01+02:00lundi 18 octobre 2010|Geekeries|Commentaires fermés sur WoW : Cataclysm, cinématique d’intro

Nouvelle version du site !

Aaaarh.

Vous voyez ce coureur grimaçant, les poings serrés par l’effort, la sueur qui lui coule des tempes façon grandes eaux de Versailles, qui coupe le ruban de la ligne d’arrivée en lâchant un râle qu’on n’entend habituellement que sur le lit des mourants ? Eh ben c’est moi.

En moins sportif, je veux dire. Et plus barbu, aussi (le webdesign est une discipline qui réclame une certaine ascèse).

Bref, dans les heures tardives de la nuit, quand mon cerveau refusait de continuer à travailler sur l’histoire en cours, je me suis mis en tête de refondre le site, dont la mise en page me sortait par les yeux depuis un bon moment : trop d’informations, peu commode, elle n’était plus adaptée à la croissance du site et à la direction qu’il prenait. Ah, et puis elle était laide, aussi. Surtout.

Je suis donc très heureux de vous proposer cette nouvelle version (v3) de LD.com. J’espère que vous la trouverez mieux (sinon je me pends). Les améliorations les plus importantes sont :

  • L’apparition du carousel (la bannière proposant les dernières nouveautés) en page d’accueil. Plus joli que les anciens post-its, elle me permettra surtout de proposer davantage de nouveautés et d’informations importantes sans manger toute la page d’accueil en blocs bleu bébé (pouerk).
  • Un classement rationnel des catégories. Le menu à droite permet (enfin) de sortir les articles relatifs à tel ou tel domaine, ce qui sera surtout utile, je pense, pour les entrées relatives à l’écriture. Le calendrier permet aussi de repérer d’un coup d’oeil les derniers articles.
  • N’oubliez pas de changer l’adresse de vos flux RSS. Je radote encore, mais le point précédent implique la disparition du flux “Actu” et la migration du flux du site vers Feedburner à l’adresse http://feeds.feedburner.com/lioneldavoust. La liste d’informations continue à se limiter à l’actu seule. C’est votre dernière chance de réaliser cette migration : si vous ne le faites pas, votre PC explosera.
  • C’est joli (je trouve). Par exemple, cet article se passe parfaitement bien d’illustration, ce qui était inenvisageable avec l’ancienne mise en page. Il est temps que je te l’avoue, ô auguste lectorat : j’étais secrètement mal dedans, tu vois. Il fallait que je change. Ça devenait vital.

Pour les geeks, cette nouvelle skin est fondée sur le thème commercial “Los Angeles” d’Epicera, traduite et altérée  un peu partout pour convenir à mes besoins. J’ai aussi dû la débugger ici et là,  ce qui m’a pas mal déçu de la part d’un produit commercial en version 1.4 (sans parler d’un support technique insuffisant), mais passons.

Bien sûr, il reste probablement une tonne de détails à affiner : ce nouveau design nécessite un certain nombre de mises à jour sur les articles anciens, qui restent évidemment parfaitement lisibles mais ne profitent pas de toutes les nouveautés bling-bling. Il doit aussi rester des bugs dans tous les sens, certains aspects comme le placement des termes de licence ne me conviennent pas encore, mais en gros, on y est.

N’hésitez pas à donner vos impressions et surtout à signaler tous les bugs et problèmes que vous trouverez, aussi insignifiant soient-ils : le diable est dans les détails.

Maintenant, je vais me coucher. Ah non, j’ai un livre à faire. Pourquoi je me suis rasé ce matin, au juste ?

2010-10-14T11:45:55+02:00jeudi 14 octobre 2010|Actu|12 Commentaires

Pour écrire virtuellement

Ce titre à goût d’oxymore pour mêler dans le même article des considérations un peu disparates. Mais avant cela, un rappel : n’oubliez pas de changer l’adresse de vos flux RSS si ce n’est pas encore fait pour adopter http://feeds.feedburner.com/lioneldavoust. Le flux “Actu” disparaîtra, donc si c’est avant tout ce qui vous intéresse, n’oubliez pas de vous inscrire à la liste d’informations (trafic réduit).

Je m’active grandement dans les coulisses en ce moment. Principalement sur le roman sur lequel je suis en train de travailler d’arrache-pied, et dont une partie des notes préparatoires (sans parler des fichiers informatiques, plans, diagrammes, digressions sans but sur des feuilles volantes, post-its, bouts de carnets), ressemble à ça :

Cette pile fait dix bons centimètres de haut et ne doit représenter qu’un tiers du matériel total. L’engin est un monstre à organiser et planifier : je n’ai jamais rien construit d’aussi complexe et difficile, sachant que l’objectif, à terme, est que le lecteur ne s’aperçoive évidemment de rien mais profite du récit sans effort. Nous verrons bien si cela fonctionne.

Ce projet a nécessité en amont un important approfondissement de ma méthode de travail et la recherche d’outils nouveaux adaptés à ce récit : alors que je travaillais jusqu’ici uniquement avec OneNote, je tourne en ce moment autour de trois logiciels complémentaires en plus de l’organisation et des réflexions au papier, et je découvre des usages précis à certaines applications que j’avais écartées autrefois.

Cette recherche perpétuelle du Graal – le soft tout-en-un qui me permettrait de conserver à la fois mes bases de données sur les univers et de planifier les histoires qui en découlent – m’a conduit vers deux informations utiles :

  • Scrivener va sortir sous Windows ! Autrefois réservé aux utilisateurs de Mac, Scrivener pourrait être ce Graal ; l’application est sincèrement vénérée par bien des auteurs, dont Michael Marshall Smith qui la qualifie de “plus grand progrès pour l’écrivain depuis l’invention du traitement de texte”, rien que ça. La version commerciale sort en début d’année prochaine, mais une beta doit voir le jour d’ici la fin du mois. J’y suis inscrit et je suis impatient de tripatouiller la bête. (Pour information, il existe déjà une application comparable sous Windows, Liquid Story Binder, mais qui ne m’a pas convaincu principalement à cause de partis pris d’interface un peu étranges.)
  • Desienne, du forum CoCyclics, propose dans ce fil sur les logiciels d’aide à l’écriture trois articles très informatifs et didactiques sur l’utilisation et les intérêts de yWriter, logiciel libre qui occupe la même niche que Scrivener. Rendez-vous sur cette page pour le premier message. J’avais essayé yWriter et l’avais trouvé trop rigide, mais c’est là une question de sensibilité, comme pour le choix d’un instrument de musique.

Sinon, en ce moment, mes divertissements se résument à peu près à la révision et la construction de la version 3 du site (je sais, j’ai besoin d’avoir une vie, mais le monstre précité est toute ma vie en ce moment), une heure par-ci, une heure par-là, tard le soir, alors qu’en toute honnêteté, je devrais dormir. Voici un deuxième petit aperçu, cette fois du haut de la page d’accueil :

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La grande bannière (calée ici sur Contes de Villes et de Fusées) est un “carousel”, c’est-à-dire une animation cyclique donnant les dernières infos et appelée à remplacer les affreux post-its actuels en tête de page. Évidemment, c’est encore assez vide et bien des détails manquent. Comme toujours, n’hésitez pas à donner votre avis !

2014-08-05T15:24:00+02:00mardi 12 octobre 2010|Technique d'écriture|4 Commentaires

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