Camille Leboulanger sur Alain Damasio et le privilège de la création

J’avais raté cet article de Camille Leboulanger et c’est bien dommage car il est à la fois d’une concision et d’une pertinence parfaites :

Dans une interview parue 02 avril dernier dans la revue Livres Hebdo, Alain Damasio, questionné à propos de ses relations aux « difficultés rencontrées par des auteurs », donnait la réponse suivante :

« Je ne me sens pas touché en raison du corporatisme que cela représente. D’abord, il y a tellement d’autres secteurs dans la merde et qu’il faut mieux aider. En second, je pense que nous produisons trop. Certains écrivent sans avoir la nécessité vitale de le faire. À un moment donné, même si on est très brillant, on ne se renouvelle pas assez. Je n’ai pas envie de défendre tout ça, ce n’est pas prioritaire. Pouvoir créer est un privilège. » […]

Alain Damasio, dans cette intervention, paraît donc considérer son travail comme essentiellement différent de celui de la majorité des autres auteurs, comme de tous les autres travailleurs. Ce faisant, il personnalise, incarne (involontairement, on le souhaite, à défaut de l’espérer vraiment) le mythe libéral du créateur mystique, hors des choses matérielles de ce monde, rentier que pousse une inspiration mystique.

Alors, pouvoir créer est-il un privilège ? Les auteurs légitimes sont-ils des êtres essentiellement différents des autres êtres humains ? Cette position, en tout cas, semble bien peu compatible avec les valeurs humanistes qu’Alain Damasio se targue de représenter.

Graissage de mon fait, car c’est exactement ce qui, pour le dire poliment, me fait fumer les narines dans les interventions récentes d’Alain Damasio1.

Tout l’article vaut votre lecture (encore une fois, il est rapide) ; la démonstration est brillante et limpide. Et elle est calme et civile, ce dont, en toute honnêteté, je n’aurais pas forcément été capable.

  1. En fait, pas si récentes, puisque je râlais déjà il y a trois ans.