Écrire est plus difficile qu’imaginer
Tout le monde ne fonctionne pas comme ça – il existe des auteurs et autrices pour qui le flot de l’écriture court automatiquement au fil des mots et du clavier ; mais j’oserais gager que même pour ces personnes, il existe des moments où elles calent – où la pensée consciente s’invite dans le flot, et fait tousser la machine.
Une grande partie de l’effort d’écriture vient du fait de chercher ce que l’on va dire, et comment le mettre en scène ; le jeu et la joie libres de l’imagination représentent un mode de pensée très distinct de celui d’écrire, où l’effort consiste à rendre l’infini palpable, à borner la vision, à la faire rentrer dans les briques LEGO des mots. Et ce changement de mode est difficile, peut susciter une certaine fatigue mentale (voire l’envie de fuir), car la liberté de penser se trouve à présent contrainte par un système vaste mais fini, le langage.
Il est important de reconnaître cette difficulté de manière à accepter la fatigue mentale ponctuelle, pour ne pas céder à la peur et à la tentation de l’abandon. Cela peut être un état très vulnérable. Dans ces moments, il convient de se donner un instant pour se recentrer, accepter la peur, et potentiellement identifier la difficulté qui vient (s’agit-il d’imaginer, de concevoir, de rédiger, de trouver comment aborder une scène ou un problème ? etc.)
Car ce que l’on inventorie et identifie est à son tour délimité ; et ce qui est délimité perd de sa capacité anxiogène.
Analogiques post-its
C’est bien joli, les bases de connaissances, les Zettelkästen (un Zettelkasten, des Zettelkästen, oui madame, et c’est probablement la seule notion d’allemand que je possède à part la signification du mot Unheimliche, ce qui n’a rien à voir avec le château d’un magicien mort-vivant de Ravenloft), mais parfois, on a besoin de manipuler des bidules et des machins, l’évolution nous a faits pour gambader dans les plaines et manipuler des cailloux, pas pour organiser virtuellement nos pensées dans un espace purement mental, enfin, elle a pas encore rattrapé en tout cas.
Donc des fois, on fait ça.
Le plus marrant, avec ce genre de manipulation, c’est qu’une fois l’outil créé, les petits post-its placés sur le bureau, la réflexion prête à être incarnée, la réponse saute aux yeux, et on se dit qu’on a fait tout ça pour rien. Mais non, c’est certainement le processus de créer l’outil de réflexion à manipuler qui a fourni à la réflexion le temps d’incuber et de mûrir. Si ça n’est pas une métaphore de l’écriture, ça : c’est moins le but qui compte que le processus. Parce que le processus est le but. Et du coup le raisonnement est cassé. Ce qui est aussi une métaphore de l’écriture.
Changez de police de caractères en fonction du mode de travail
Dans la série « ça ne mange pas de pain, mais ça ne fait pas de mal », un petit truc à la fois sympa et qui, personnellement, aide mon cerveau à passer d’un mode de travail à l’autre consiste à configurer de façon cohérente son environnement selon la tâche. Et là-dedans, quand on travaille sur du texte, l’un des repères les plus évidents et les plus agréables pour les esthètes du mode numérique que nous sommes concerne la police de caractères.
C’est certainement couillon, mais je trouve qu’employer une police de texte jolie, qui fait « texte final », imprimé dans mes notes tend à ralentir ma réflexion, parce qu’inconsciemment, je cherche à me rapprocher d’un produit final. Or, les notes ont justement le but inverse : l’exploration, la réflexion, l’essai-erreur (qu’on retrouve bien sûr aussi dans le premier jet, mais c’est une phase ultérieure, en principe plus raffinée, du travail). Il y a en gros trois grandes étapes :
Idée aléatoire (capture) → Décantation et réflexion (notes) → Rédaction (production)
Ce qui correspond dans mon environnement à trois apps actuellement : Drafts → Obsidian (dont je dois longuement parler) → Scrivener.
Drafts, pour la capture, utilise iA Writer Duospace, l’une des polices gratuites conçues par les développeurs de iA Writer :
Obsidian, pour la réflexion, utilise Atkinson Hyperlegible, police gratuite conçue par l’institut Braille pour optimiser la lecture des malvoyants :
(Si c’est bon pour les yeux des malvoyants, c’est forcément bon pour ma vision de Schtroumpf à lunettes, et j’aime le fait que cette police soit à mi-chemin entre la première et la dernière.)
Scrivener, pour la production, utilise Valkyrie, une police commerciale (des gens achètent des tonnes de jolis carnets, moi j’achète des fontes commerciales) conçue par le génial Matthew Butterick, et l’une des polices à serif les plus belles qu’il m’ait été donné de voir :
Ça n’a l’air de rien, mais à force, mon cerveau se prépare déjà, rien qu’en voyant la page sous ses yeux, à passer dans le mode de travail correspondant. Et puis c’est joli, et si on peut dépenser des fortunes dans des carnets à paillettes et des stylos plume, on peut bien configurer ses apps de la façon qu’on souhaite, à la manière d’une paire de chaussons troués parfaitement confortables car adaptés à nos cals de pied, cette comparaison sonnait plus élégante dans ma tête, okay bref.
La page Facebook a retrouvé une adresse intelligible : https://www.facebook.com/lioneldavoust
Après une petite plaidoirie au service client, la page Facebook (parce que, comme vous l’avez lu, je suis un social traître) a retrouvé son ancienne adresse, beaucoup plus facile et compréhensible à mémoriser qu’une séquence alphanumérique de vingt-douze caractères qu’on peut aisément confondre avec le code de sa propre valise nucléaire, ce qui serait quand même ballot. Donc, suivant les conventions des autres comptes sociaux, contemplez dans toute sa gloire cette URL lisible, transformée en lien cliquable par la magie de l’hypertexte :
https://www.facebook.com/lioneldavoust
Et à bientôt là-bas, puisque plus rien ne ressemble à rien.
Procrastination podcast s07e13 – L’inconscient constructeur
Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « s07e13 – L’inconscient constructeur« .
Il arrive qu’au cours de l’écriture, des éléments disparates prennent une force et une signification totalement imprévues, et qui dépasse la raison de l’auteur ou autrice : l’inconscient était à l’œuvre, et révèle le dessein dont on était le jouet… Et c’est en général vachement bien. Comment cela se produit-il, et est-il possible d’apprivoiser ou du moins de stimuler son inconscient ?
C’est exactement le processus créatif de Mélanie, qui se laisse guider par les images, les imprévus, et les visions a priori emplies d’étrangeté ; elle met en contraste l’écriture du premier jet avec la correction, où la démarche est bien plus rationnelle.
Estelle se fonde moins sur cet aspect des choses, et justement, propose plusieurs exercices et approches pour nourrir son inconscient et laisser ses personnages guider l’histoire. Même en tant qu’architecte, Lionel défend la vie que doit conserver un projet et la confiance qu’il faut témoigner à son inconscient, qui sait où il va, et qui doit avoir la marge d’évolution de se révéler.Références citées
- Chris Vuklisevic, post de forum : http://www.elbakin.net/forum/viewtopic.php?id=10101&p=2
- Constantin Stanislavski
- Dean Wesley Smith, Writing into the Dark
- Élisabeth Vonarburg, Comment écrire des histoires, Guide de l’explorateur
Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :
Bonne écoute !
En présence ou en visio : nouvelle édition de l’atelier « Techniques avancées de création d’un monde imaginaire » les 6-7 mai
Le succès de cet atelier avait très largement dépassé ce que j’imaginais pour un sujet raisonnablement pointu, et j’ai donc le grand plaisir de pouvoir le proposer à nouveau : il se tiendra une nouvelle édition du stage intensif « Créer un monde imaginaire : techniques avancées » le week-end du 6-7 mai. Il se déroulera à l’école Les Mots à Paris, que vous devez commencer à bien connaître, mais il est tout à fait possible de le suivre à distance en visio (ça marche très bien).
N’ayez pas peur du terme « avancé » : il désigne simplement, par rapport au public généraliste de l’école, le fait qu’on ne défrichera pas pendant ce week-end le concept de worldbuilding. L’atelier s’adresse à vous si vous avez une idée de projet existant (qui peut être très sommaire – une demie-page de notes suffit !). Il s’agira d’explorer les difficultés spécifiques du domaine à travers des exercices et techniques opérantes afin d’étoffer ses mondes imaginaires, d’y rechercher de nouvelles occasions narratives, et surtout de dynamiser ses histoires et d’esquiver les pièges les plus courants.
Qui ne connaît pas le célèbre « Luke, je suis ton père », le pouvoir terrifiant de l’Œil de Sauron ou encore la devise Winter is coming ? Des succès planétaires de Star Wars au Seigneur des Anneaux, de Game of Thrones à Harry Potter, l’imaginaire forme la première culture mondiale, transcendant les générations et les nationalités.
Parler des « littératures de l’imaginaire » est en réalité un raccourci pour désigner les littératures des mondes imaginaires. Ces réalités fictionnelles peuvent être proches de la nôtre dans le cadre du fantastique ou de la fantasy urbaine, ou bien totalement disjointes comme dans le cas de la Terre du Milieu ou de Westeros. Ce qui régit ce monde, qu’il s’agisse de l’horreur indicible des Grands Anciens de Lovecraft, des systèmes magiques extrêmement poussés et complexes de Brandon Sanderson ou de la science du voyage spatial et des relations entre espèces extraterrestres dans Star Trek, constitue ce que l’on peut appeler « l’hypothèse de monde » imaginaire.
Or la construction d’un monde imaginaire est une entreprise créative à part entière, mais pour laquelle l’auteur ou autrice doit ménager un équilibre délicat : proposer une réalité complexe, tangible et intéressante, sans pour autant ensevelir l’intérêt de son récit sous l’exposition.
Cet atelier vise à explorer les difficultés spécifiques de cette approche à travers des exercices et techniques opérantes afin d’étoffer ses mondes imaginaires, d’y rechercher de nouvelles occasions narratives, et surtout de dynamiser ses histoires et d’esquiver les pièges les plus courants.
Pour suivre cet atelier il est indispensable :
● De posséder une familiarité de base avec l’imaginaire et ses genres (science-fiction, fantasy, fantastique), que ce soit sous forme littéraire, cinématographique et/ou ludique.
● D’arriver à l’atelier avec une proposition succincte d’hypothèse de monde imaginaire (une demie-page minimum définissant les grandes règles du fonctionnement de la réalité fictionnelle en question selon les intérêts de l’auteur ou autrice : réalité géographique, physique, magique, ou bien sociale, ou encore un peu de tout cela à la fois). Elle servira de base au travail du stage.
Attention, comme toujours avec les stages des Mots, les places partent très vite, donc n’attendez pas pour vous inscrire (10 places max, inscriptions possibles jusqu’au 29 avril).