Tour d’horizon des principaux logiciels d’écriture dédiés (édition 2018)

BORDEEEL je sais bien que j’avais eu une super idée un jour, mais où… (Photo Joao Silas)

La situation a bien évolué en sept ans, époque où j’ai proposé un premier tour d’horizon des principaux logiciels d’écriture dédiés. Le marché était bien plus diversifié, proposant des tas de paradigmes différents pour rédiger une histoire ; des usines à gaz, des environnements tout zens, et puis des solutions robustes, bien sûr, le tout en plein foisonnement. Aujourd’hui, le marché s’est hyper contracté et resserré autour de solutions à peu près toutes comparables. Et cette solution, c’est celle que propose Scrivener depuis vingt ans : un environnement d’écriture hiérarchique, où l’on peut conserver à la fois notes de création et texte proprement dit, où l’on peut structurer son récit au fur et à mesure en développant ses chapitres et ses scènes dans l’ordre que l’on souhaite, avec une vue d’ensemble qui permet de constater à chaque instant à quoi ressemblent rythme et ambiance. Un peu comme si l’explorateur Windows, ou le Finder de macOS, ne contenait que des fichiers texte que l’on peut bouger à son gré – le tout formant, d’un côté, la nouvelle ou le roman, de l’autre, les notes ayant servi à l’élaboration. (Voir les ressources reliées à Scrivener pour plus de détails.)

Cependant, ce paradigme connaît plusieurs approches très diverses, qui n’est plus – et depuis longtemps – limité aux seuls logiciels professionnels d’aide à l’écriture. Déjà, écartons tout de suite l’évidence avant de recevoir la visite de la police de la pensée : aucun de ces outils n’est indispensable pour écrire un bon livre ; ils aspirent juste à aider l’auteur à structurer ses idées et à lui faire gagner du temps, pour peu que l’on soit sensible à ce genre d’approche. D’autre part, un bon vieux traitement de texte des familles convient parfaitement, comme l’ont exposé mes camarades Mélanie Fazi et Laurent Genefort dans Procrastination (s01e11, les logiciels d’écriture). On parlera ici d’outils dédiés qui prétendent aider l’auteur à réaliser son œuvre (romanesque – les logiciels d’écriture de scénario étant un autre genre d’animal).

Ce qu’on veut, et pas

Les recommandations de 2011 tiennent à peu près, mais on va y ajouter quelques avertissements, mentionnés dans la conférence sur les logiciels d’aide à l’écriture (diaporama en accès libre ici). Pour récapituler, on veut un outil non-intrusif, qui sache s’adapter à la manière de travailler ; qui fournisse à la fois des outils puissants d’organisation, de rédaction, mais sans enfermer l’utilisateur dans une structure qui tue la spontanéité.

Cela signifie notamment que tous les logiciels basés sur des « formules » ou des banques de données de scénarios, situations, personnages sont disqualifiés d’entrée car la créativité ne repose pas sur un inventaire de questions (« Comment s’appelle ton personnage principal ? » « Quel est son problème ? » « Qui est sa famille ? » « Maintenant, passons au méchant » etc.) mais au contraire, pour l’immense majorité des gens, sur un fonctionnement analogique (le nom de mon personnage principal me fait penser à son origine sociale qui me fait penser à sa famille qui me fait penser au contexte de l’époque qui me fait penser aux pouvoirs en présence qui…)

L’idéal est de pouvoir construire autant, ou aussi peu que l’on veut selon qu’on est structurel ou scriptural, en disposant dans un même outil de toutes ses références (personnages, descriptions, lieux etc.). Que le logiciel s’efface en abaissant au maximum la barrière pour l’auteur entre sa pensée et la réalisation de celle-ci. 

Que ne sont-ils pas devenus ?

La plupart des grands acteurs de 2011 sont moribonds aujourd’hui, et je ne saurais les recommander davantage. À l’heure où j’écris ces électrons, au milieu de l’année 2018 :

  • Une nouvelle version de Writing Outliner doit arriver depuis des années, mais toujours rien ; le blog est mis à jour une à deux fois par an, et l’ancien n’est pas compatible au-delà de Word 2013 – il est donc inutilisable.
  • Liquid Story Binder XE est toujours disponible, mais les dernières nouvelles datent de… 2011, justement. Je pense qu’on peut dire que l’application est abandonnée.
  • Writer’s Café a été bizarrement mis à jour en 2017, alors que la dernière version datait de… 2009. C’est donc peut-être le moins mort des trois, mais ça ne vaut quand même probablement pas la peine d’y aller, à moins de débuter totalement (l’application est particulièrement bien pensée pour un auteur débutant).

Cependant, il y a de nouveaux acteurs, et surtout de nouvelles approches sur le domaine. Les deux ténors de l’écriture sont aujourd’hui Scrivener – et Ulysses.

Scrivener et Ulysses, deux approches pour les pros du texte

Scrivener et Ulysses sont les rois du traitement de texte hiérarchique, le paradigme dont je parlais plus haut. Ce sont à mon sens les deux leaders du marché, qui offrent chacun leur version très mûre et réfléchie d’un outil d’écriture non-intrusif, flexible et puissant.

Scrivener…

Scrivener est indubitablement le plus puissant des deux, mais cette puissance intimide parfois les nouveaux utilisateurs. Qu’on se rassure : les fonctionnalités sont commodément cachées si l’on ne souhaite pas s’en servir, mais en contrepartie, comme je l’ai martelé partout, le didacticiel est INDISPENSABLE pour comprendre ce que Scrivener peut apporter. Soit : la capacité de gérer des projets d’écriture d’un immense complexité, avec des méga-octets de références, de pages web archivées, de photos, de fichiers PDF et que sais-je encore, avec la capacité de construire une véritable bible pour une série ou un univers. J’écris « Les Dieux sauvages » sous Scrivener, avec les archives des deux volumes précédents, toutes les notes de la suite, le manuscrit du volume en cours d’écriture, le tout dans un même projet qui pèse actuellement 550 Mo, et le logiciel est juste d’une robustesse à toute épreuve. Il est disponible sous Mac, Windows et iOS, ce qui me permet d’écrire partout, avec mon iPhone ou mon iPad, avec mes livres parfaitement synchronisés. Je n’hésite pas à dire que Scrivener a représenté un tournant majeur dans ma carrière d’auteur : c’était comme si j’étais un charpentier qui s’était enfin acheté des outils convenables. J’écris avec plaisir et sans (trop) de difficultés des livres actuellement très complexes (six à huit points de vue en fonction des volumes) en conservant une vue d’ensemble qui me paraît tout bonnement impossible dans un traitement de texte classique.

… et Ulysses.

En revanche, Ulysses est une sorte de version dépouillée, zen de Scrivener. Seulement disponible sous l’écosystème Apple (Mac et iOS), Ulysses cache encore davantage ses fonctionnalités, ce qui implique une puissance en retrait, mais bien davantage de simplicité. Ce qu’offre principalement Ulysses, c’est une expérience d’écriture à la fois ultra-dépouillée et immédiatement accessible ; on sent que chaque outil a été longuement soupesé avant d’être ajouté à l’ensemble, de manière à ne fournir que le nécessaire, et rien de plus. Là où Scrivener propose l’expérience la plus complète, Ulysses fournit l’expérience la plus minimale.

À vous de tester les deux et de vous faire votre avis (ou de lire le comparatif détaillé ici), mais pour ma part, ma préférence – pour le roman et la nouvelle – va à Scrivener, de très loin. Il m’offre simplement toute la puissance que je souhaite si j’en ai besoin, et a un avantage net : le prix. Scrivener est un achat une fois pour toutes (enfin, une fois sur Mac, une fois sous iOS), quand Ulysses et passé à l’abonnement tant honni, ce qui le rend drôlement plus cher (Mac, iOS).

On m’a également beaucoup parlé au fil des ans de yWriter, qui est une alternative à Scrivener, en plus léger (à mon sens) et avec une approche légèrement différente. Une version 7 est en développement actuellement (et il est gratuit). À mon humble avis, vu que Scrivener n’est pas hors de prix (toujours autour d’une cinquantaine d’euros), on aurait plutôt intérêt à aller s’y former, mais yWriter a des passionnés, et je m’en voudrais de ne pas le citer.

Des applications d’écriture qui ne disent pas leur nom

Depuis plusieurs années, un type d’application a fait florès, et ce sont les PIM (persona information managers), ou, plus prosaïquement, les applications de prise de notes. Des outils qui se proposent de conserver l’intégralité de vos données pour, à l’aide du cloud, vous les fournir où que vous soyez. Evernote a été le pionnier du genre (TreePad son ancêtre), mais depuis, il y a OneNote, Bear, DEVONthink continue son petit bonhomme de chemin… L’intérêt de ces applications est double : leur ubiquité (une application de notes n’a de sens que si vous pouvez y accéder partout) et le fait qu’elles émulent presque toutes le paradigme du traitement de texte hiérarchique (à la Scrivener / Ulysses). On peut parfaitement écrire un livre sur ces applications : beaucoup, d’ailleurs, l’ont été sous Evernote (plutôt pour de la non-fiction, cela dit). Si vous utilisez déjà ce genre d’outil au quotidien, n’hésitez pas à le regarder sous un autre angle : « puis-je écrire un roman avec ce truc » ?

Evernote (et ses vertes notes).

À titre personnel, je recommanderais de chercher toutefois deux critères : la possibilité de hiérarchiser les notes / documents (un livre n’a de sens que si les scènes sont le bon ordre) et la possibilité d’y accéder même hors ligne (à mon humble avis : outil cloud exclus) car l’inspiration ne frappe pas seulement quand on a de la 4G pleine balle. Ce qui, à mon avis, exclut d’entrée Evernote (car l’application est connue pour refuser de laisser l’utilisateur ordonner ses notes comme il le veut) et OneNote (car le moteur de synchronisation et d’accès aux données sur terminaux mobiles est juste catastrophique). Cependant, comme je viens de le dire, des livres ont été écrits avec Evernote. C’est bien que c’est possible.

And the winner of 2018 is…

Le gagnant sera toujours l’outil qui stimulera votre créativité et vous permettra de produire le livre que vous souhaitez avec autant d’aisance que possible. Cependant, s’il me faut désigner un choix, c’est (et cela ne surprendra pas les lecteurs de longue date de ce blog) donc Scrivener. Je ne vois pas de raison (à part si l’on a un terminal Android, et encore, on peut synchroniser Scrivener avec Android) de ne pas s’y investir : il est abordable, puissant, présent sur presque toutes les plate-formes majeures.

Si l’on a déjà des habitudes bien ancrées avec des logiciels de prise de notes et qu’ils sont adaptables sans mal à l’organisation des idées et de fragments en cours de rédaction, on gagnera dans un premier temps à creuser dans cette direction pour plier l’outil à sa convenance (il est généralement préférable d’éviter la multiplication des outils, car cela entraîne la fragmentation des idées), jusqu’au moment où l’on attaquera la mise en ordre. En revanche, le logiciel qui me semble surévalué, du moins tant qu’on n’est pas professionnel et qu’on peut justifier la dépense supplémentaire pour des usages bien précis, est Ulysses. L’application est agréable et bien conçue, mais l’abonnement est exorbitant pour un jeu de fonctions que l’on trouve, encore une fois, dans Scrivener.

De manière générale, si l’envie d’acheter ces outils (ou l’un des autres présentés sur ce site) vous vient, n’oubliez pas de passer par les liens proposés ici – vous contribuez à financer le temps passé à rédiger ces articles gratuitement. Merci ! 

2019-06-01T14:39:51+02:00mardi 31 juillet 2018|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

Comment j’ai écrit ma meilleure scène de torture

Tiens, comme on fait dans la saison 3 de Procrastination un épisode sur le sous-texte, une petite anecdote d’écriture qui me revient de loin en loin, sur l’importance de la place laissée au lecteur : c’est un conseil central fréquemment donné, de suggérer plutôt que de montrer explicitement, de laisser le lecteur habiter le récit, en gros de lui donner la place de projeter ses propres images, ce qui est beaucoup plus efficace que de tout dire : le rôle de la littérature n’est pas tant de cadrer et de raconter que d’évoquer et d’emmener le lecteur en promenade.

L’anecdote, donc. À l’issue de Léviathan : le Pouvoir, on m’a fréquemment reparlé (et cela arrive encore aujourd’hui) d’une certaine scène de torture d’un personnage aimé des lecteurs (attention, quelques léger spoilers à suivre). De son horreur viscérale, de la terreur qu’elle représente. Cela fait évidemment très plaisir quand un lecteur vous dit qu’il a fait des cauchemars par votre faute (ouais, on fait un métier bizarre) : ça veut dire que vous avez réussi votre coup.

J’ai failli intituler cet article « comment j’ai écrit la scène de torture parfaite », sauf que ça aurait vraiment trop fait putàclic, alors je me suis abstenu, mais cela aurait été pourtant la vérité : car cette scène, en réalité, n’existe pas. Si vous avez lu la série, vous pouvez la chercher. Ce qui se passe, c’est que je la suggère entièrement. J’utilise un antagoniste dont j’ai amplement montré la puissance de nocivité, je tabasse un peu mon personnage chéri, d’accord… mais presque tout le reste (hormis la torture psychologique, mais c’est une autre histoire) se déroule hors caméra, appuyé par des hurlements provenant de la cave.

Quand on le retrouve, il est totalement brisé (… en ayant subi des tourments supplémentaires dont on ne sait que les marques). La scène est horrible et parfaite non pas parce que je l’ai écrite, mais parce que j’ai triché éhontément – j’ai pris soin de laisser le lecteur plaquer dessus ses propres terreurs et épouvantes. Elle est donc forcément parfaite, puisqu’en réalité, elle n’existe pas – elle invite chacun à investir les événements de ses cauchemars personnels.

Ce n’est pas un truc qu’on peut faire quinze fois par livre, mais se reposer sur le hors-champ, en cinéma comme en littérature, est une des techniques les plus éprouvées. L’exemple fréquemment cité dans le cinéma, Alien, fonctionne parce qu’on ne voit jamais la créature ; sa révélation, c’est comme sortir le lapin du chapeau à la fin du tour de magie – c’est le dénouement, mais en même temps, c’est la fin du jeu. C’est ouvrir la boîte de Schrödinger et résoudre l’indétermination. La boîte est intéressante parce qu’elle est fermée, qu’on s’interroge ; et si l’on ne s’interroge pas sur la fin d’un livre, pourquoi lire ?

Sans aller jusqu’à un cas extrême comme suggérer un pan d’action, cet espace est indispensable à ménager à tous les niveaux de l’écriture, il me semble. Le travail de l’écrivain me semble reposer presque entièrement sur le sous-texte, comme on en avait déjà parlé dans le cas de la traduction.

2019-06-01T14:40:25+02:00lundi 23 juillet 2018|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Comment j’ai écrit ma meilleure scène de torture

L’étonnante étymologie d’enfoiré

Attention, article à très explicit lyrics. (Soit : si les gros mots vous choquent, regardez plutôt cette vidéo.)

J’ai un dictionnaire des synonymes accessible en permanence quand j’écris ; j’essaie au maximum de trouver le mot juste pour le fixer dans le texte, car cela m’aide à m’ancrer dans l’ambiance d’une scène, à construire correctement pour avancer dans un livre avec la satisfaction de bien sentir le récit et son atmosphère. (Après, à la correction, je casse généralement tout pour tout reconstruire autrement, mais cela fait partie du processus ; ces premières étapes me montrent les directions que j’ai envie, ou besoin, d’explorer.) Sachant que je consulte Antidote ou ses homologues parfois plusieurs fois par minute (merci Alfred et AppleScript), et que, dans « Les Dieux sauvages », je m’amuse à recréer une sorte de parler pseudo-médiéval, j’aime bien chercher les synonymes inusités ou pittoresques.

Or doncques, l’autre jour, j’avais besoin de synonymes fleuris du mot « cul ». Très bien, Rabelais, tu n’as qu’à bien te tenir, me voici parti en quête. Et quelle n’est pas ma curiosité de découvrir dans la liste celui-ci :

Et là, d’un seul coup, tout un pan de la langue française prend sens dans ma tête : foirer quelque chose, bien sûr, c’est comme le « chier », faire de la merde, tout ça (c’est d’ailleurs le sens vieilli et très familier du terme, ce que j’ignorais) ; et là, je comprends aussi que « enfoiré » n’est en fait qu’une variante sur un thème vieux comme le monde – « enculé », même combat. Comme empaler. Et bougre d’âne : saviez-vous qu’un bougre, à la base, c’est un sodomite ?

Ah, c’est sûr que ça donne moins envie de taquiner ses enfants en les traitant affectueusement de bougres d’âne, tout de suite.

Est-ce que j’ai un point ? (Anglicisme.) En fait, oui, au-delà du fait d’avoir appris un nouveau truc linguistique, ce qui est toujours intéressant quel que soit le registre : si l’on veut s’efforcer de faire évoluer son vocabulaire d’insultes1 pour en évacuer les connotations homophobes et machistes, eh bah « enfoiré » est à mettre tout autant à l’index.

Oui, j’ai totalement fait exprès avec cette dernière phrase.

  1. Rappelons que Freud, qui a certes dit un paquet de conneries, mais pas que, affirmait que le premier à jeter une insulte plutôt qu’une pierre était le fondateur de la civilisation ; ce qui paraît assez vrai, comme le prouve le système routier de toute métropole développée, un endroit assurément très civilisé vu comme on s’y insulte.
2018-08-09T10:56:18+02:00mardi 10 juillet 2018|Best Of, Expériences en temps réel|8 Commentaires

Be Focused Pro, un outil de choix pour la méthode Pomodoro [la boîte à outils de l’écrivain]

Je vois ça des dizaines de fois par jour en ce moment.

Mise à jour décembre 2018 – j’utilise dorénavant Focus pour mes pomodoros, mais BeFocused Pro reste un excellent outil pour la plupart des gens. Savoir pourquoi ici

J’ai donc reparlé tout récemment de mon usage intensif (et heureux) de la méthode Pomodoro, avec toutefois quelques adaptations pour la rendre compatible avec le travail de création, notamment d’écriture : ne pas interrompre le flow une fois qu’on est lancé, à tout le moins. Et que serait une méthode de productivité sans l’application qui va avec ? On trouve des minuteurs Pomodoro par dizaines dans tous les app stores du monde, j’ai jadis utilisé un temps un chronomètre réel, mais je me suis finalement arrêté sur Be Focused Pro, que j’utilise depuis plus d’un an, et je n’ai pas ressenti le besoin d’aller voir plus loin (ce qui est rare dans mon cas, souffrant d’un cas chronique d’insatisfaction logicielle).

L’application (Mac, iOS, Apple Watch) offre à mon goût le juste équilibre en puissance et utilisation : je veux un truc qui fasse le boulot de manière immédiatement accessible, présent sur toutes mes plate-formes (et le fait de pouvoir démarrer un Pomodoro depuis mon iPad ou mon Apple Watch – dont j’ai parlé ici – est indubitablement un plus quand je veux écrire dans un train ou un avion), mais que je puisse adapter à mon goût. Les données et projets sont évidemment synchronisées entre appareils via le nuage (inscription nécessaire).

Sur le Mac, Be Focused Pro réside dans la barre de menus comme beaucoup d’applications similaires, mais se trouve aisément accessible tout en rendant l’édition des données enregistrées difficile mais pas impossible, ce qui réduit la tentation de tricher si tel est votre problème. Les durées de travail et de pause sont entièrement personnalisables, comme les sons de début et d’arrêt, et propose pour moi une fonctionnalité indispensable : si je me laisse entraîner par l’écriture, un simple réglage me permet de lui ordonner d’attendre la pause pour que je la lance de moi-même au moment où je le désire – c’est une option à décocher ci-dessous :

Et l’application permet évidemment de compiler rapports et de suivre son activité (même si, pour des raisons expliquées précédemment, les Pomodoros ne devraient pas représenter une mesure réelle de la productivité, mais si vous aimez les zolis graphiques, Be Focused Pro peut fournir) :

J’ai un tout petit peu cravaché sur Le Verrou du Fleuve en fin d’année dernière.

Bref, c’est un chronomètre, hein, mais un chronomètre bien foutu, non-intrusif et personnalisable. Et il est rouge. Et ça, si ça vous convainc pas, hein. Plus sérieusement, aussi idiot et simple que ça puisse paraître, trouver un bon outil de ce genre qui ne soit pas pourri de pubs, qui fasse exactement ce qu’on lui demande et qui sache se faire oublier n’est pas si simple que ça. Bref, je recommande.

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Me faites pas de mal, s’il vous plaît. (Photo Evaldas Daugintis)

2018-12-03T22:34:14+01:00jeudi 5 juillet 2018|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Be Focused Pro, un outil de choix pour la méthode Pomodoro [la boîte à outils de l’écrivain]

Retour sur la méthode pomodoro pour écrire

La méthode pomodoro est un des hacks les plus connus pour se botter le cul se motiver pour une tâche complexe, barbante ou intimidante – un de ces adjectifs représente un intrus pour décrire l’écriture, auguste lectorat, sauras-tu le retrouver ? Je travaille actuellement à quasi-plein temps sur La Fureur de la Terre, le tome 3 de « Les Dieux sauvages ». Je monte lentement en puissance ; je commence à avoir l’habitude de ce processus, le temps de me réapproprier lieux et personnages, de sentir le récit acquérir son élan et sa dynamique, de sentir l’espace mental où je peux gouverner d’une main légère sur la barre en laissant le navire suivre ses propres courants.

La méthode pomodoro, donc : 25 minutes de travail pour 5 de pause, dont j’ai dit le plus grand bien dans le cadre de l’écriture. J’ai écrit la quasi-totalité des deux premiers tomes de la série (La Messagère du CielLe Verrou du Fleuve) de cette manière, mais au fond de moi, j’ai toujours un peu considéré cette béquille comme inélégante. Je suis auteur, je suis censé ne pas avoir besoin de ce genre de piratage mental, non ? Alors que je travaille sur mon troisième bouquin, je devrais pouvoir m’en passer, me perdre avec délectation dans mon récit, être beau comme un Stephen King.

Donc, pour la énième fois, j’ai tenté de me réserver des créneaux d’écriture et de me laisser aller sans ce rythme bizarre de 25/5. Résultat : pas la catastrophe, mais presque. J’ai peut-être pourri mon cerveau après deux ans de cette méthode, je ne sais pas, mais j’ai vu resurgir aussitôt les ennemis classiques : du mal à m’y mettre (procrastination), du mal à me concentrer, à me donner une direction précise. Et si je recherchais tel sujet pendant… quoi, deux heures ? Est-ce bien utile ? Comment ne pas se perdre ?

La finalité d’une session d’écriture consiste à mettre des mots sur la page. (Les bons, si possible, mais si ce sont les mauvais, ce sera toujours ça d’écarté.) Les recherches, la création de monde, c’est super rigolo, mais si cela ne sert pas l’histoire qu’on est en train d’écrire, au bout d’un moment, c’est un loisir, pas du boulot. (Avant que les mal comprenants ne me tombent sur la tronche : oui, les loisirs, c’est bien, mais si on veut écrire, on cherche à faire avancer le curseur, pas à bouiner ; on peut bouiner plus tard.) À titre d’expérience, j’ai alors repris les pomodoros, et là, ô miracle : j’ai réalisé davantage en une demie-journée qu’en une journée précédemment. OK, c’est une béquille, mais j’arrive plus à marcher sans, et je marche vachement mieux avec, donc, bon, va pour l’inélégance.

Pour ceux qui ont du mal à se concentrer (et/ou qui abordent des projets d’une complexité ou d’une longueur intimidante – l’écriture en faisant assurément partie), les pomodoros donnent une soupape fondamentale à l’esprit : ils lui indiquent quand il a le droit de faire une pause. Dans la réalisation d’une tâche créative (où il faut, par définition, inventer ce qui n’existe pas, ce qui est angoissant et/ou éprouvant), des tas de résistances plus ou moins conscientes peuvent surgir. Et surtout des distractions, surtout en notre époque. L’astuce la plus simple que j’aie trouvé pour combattre ces distractions consiste à les noter sur une feuille : tous les trucs idiots que j’ai envie de regarder plutôt que de me mettre à bosser et dont mon cerveau reptilien cherche à me convaincre de l’urgence (« dis ! Si on allait regarder des nouvelles du nouveau Metroid Prime sur Switch, genre tout de suite ? »). Quand je suis en état de flow, ça va, bien sûr ; je ne veux plus m’arrêter. C’est d’y entrer qui peut être compliqué. Et si je peux réduire le temps pour y arriver, c’est toujours ça de gagné de jour en jour. Sans parler de la sérénité.

Le cerveau est une drôle de machine, quand même : quand je dois me mettre à la tâche, le petit singe dans ma tête me chuchote plein de trucs censément urgents ; mais quand le moment de s’arrêter se présente, non seulement il ne veut plus lâcher l’affaire et terminer absolument ce passage, cette scène, ce chapitre, mais en plus, tous les trucs qu’il m’a soufflé ne suscitent absolument plus son intérêt.

La clé de la productivité consiste simplement à trouver comment respecter ses fonctionnements internes pour agir au maximum avec eux et réaliser ce que l’on souhaite avec le plus de plaisir et le moins de difficultés possibles. Je sais que mon petit singe veut se reposer, alors je lui donne des espaces, toutes les 25 minutes. Il n’a qu’une seule obligation dans ces moments-là : interdiction formelle de regarder ce qui peut générer du stress ou des questions – c’est-à-dire, interdiction d’inviter l’inconnu, donc pas de réseaux sociaux, de courriel, etc. Faire du thé, regarder un site d’actualité, nettoyer un dossier de téléchargements, installer une application que j’ai envie de tester, tout cela est autorisé dans le respect des cinq minutes de pause maximum. De même, et c’est très important, il n’est nullement obligé de s’arrêter dès que le réveil sonne – s’il tient à finir un truc, qu’il le fasse, bien sûr. Il m’arrive fréquemment d’avoir du mal à me lancer, puis de ne plus pouvoir m’arrêter, au point de ne pas me rappeler si le pomodoro a sonné ou non – et je constate que oui, il y a une heure. (Alors que sans cette béquille, rester concentré 1h30 présente un défi…)

Pour résumer et développer les règles sur les « pomodoros créatifs » que j’avais déjà introduites il y a un an, ma discipline consiste donc à :

  • Travailler à l’écriture par tranches de 25 minutes minimum. 
  • Toute distraction qui se profile (interne ou externe), aussi anodine ou brève soit-elle, est soigneusement notée à part, mais écartée pour l’instant. Le contrat implicite avec l’esprit est : « pas maintenant, mais je respecte ton envie, je la capture, et nous y reviendrons dans 25 minutes maximum ». (L’expérience prouve qu’on n’y revient quasiment jamais, mais ne pas la noter rompt cette histoire de respect, et peut générer du stress relatif à l’impression d’avoir oublié quelque chose.)
  • Le réveil qui sonne ouvre le droit à une pause de 5 minutes, dès que l’envie s’en fera sentir (ça peut être tout de suite ou dans une heure en fonction de l’état de concentration et de flow).
  • La pause est une vraie pause : quelque chose dont l’esprit a envie et/ou qui le détende. Toute activité qui peut découler sur de nouvelles actions à capturer, donc rompre l’immersion dans l’état d’esprit créatif, est fondamentalement interdite (c’est capital). C’est « ne pas inviter l’inconnu », pour reprendre les mots de Kourosh Dini.
  • Ces temps-ci, je me fixe de plus en plus un quota de temps davantage que de signes à écrire dans une journée. Ces créneaux sont totalement dissociés du compte de pomodoros (puisque les créneaux d’écriture peuvent durer davantage que 25 minutes : en d’autres termes, 5 heures d’écriture ne signifient pas 10 pomodoros, mais 10 pomodoros maximum). Les pomodoros sont une aide, un starter pour le cerveau, et non un objectif. 

Je joue actuellement avec une autre technique de gestion du temps et les premiers résultats sont très prometteurs, mais j’attends plus de résultats pour en parler.

2019-06-01T14:40:54+02:00jeudi 28 juin 2018|Best Of, Technique d'écriture|8 Commentaires

« Touche ton manuscrit tous les jours » : vous savez, c’est si vous voulez, hein

Cette femme peut écrire malgré l’hypoxie de 4000 m d’altitude. Et toi, qu’as-tu fait aujourd’hui, HEIN ? (Photo Tyler Nix)

Comme je vois ce truc refaire régulièrement surface dans mes mentions alors qu’il a plus d’un an, je me disais que je pourrais revenir dessus. Le truc en question est l’article « La seule habitude indispensable de toute pratique créative » – avec un enthousiasme probablement empreint de candeur (mais si l’on ne peut pas être un peu candide et joyeux dans les pratiques artistiques, je doute qu’on puisse l’être en remplissant un formulaire estampillé Cerfa), je développais et adaptais à mon sens le conseil fréquemment répandu « écris tous les jours » en « touche ton projet en cours tous les jours » (parce que ça te permet de prendre une bonne habitude, de conserver le lien avec ton projet et de combattre la procrastination – pas le podcast, hein). C’est à mon avis – je n’ai jamais prétendu dire vrai, mais uniquement donner un point de vue – c’est la nature d’un, vous savez, blog.

Or cet article a suscité quantité de réactions positives, mais aussi une frustration, voire une violence qui me laissent songeur (et je constate que ça gratte du monde encore aujourd’hui). Des tas de réactions ultra enthousiastes ravies de lire ça ; ce qui est merveilleux (et merci). Mais aussi quelques hostilités franches et nettes (jusqu’à un tombereau d’insultes venu de nulle part reçu en privé et qui m’a laissé groggy). Beaucoup se sentent obligé.es d’argumenter en détail que non, ça n’est pas vrai, ça n’est pas nécessaire, on travaille différemment, etc.

Vous savez quoi, les amis ? Je ne suis le père de personne (j’ai travaillé jusqu’ici très dur pour éviter que ça arrive). By all means, si vous travaillez différemment et que vous terminez les projets qui vous tiennent à cœur dans de bonnes conditions, c’est parfait. J’ai toujours répété en atelier qu’avant toute chose, apprendre à écrire, c’est apprendre à se connaître. Nul n’a de compte à rendre à personne. Vous n’avez pas besoin de revenir vers moi pour m’expliquer à quel point j’ai tort, y compris un an plus tard. Et si j’étais un enfoiré (et je vais donc l’être un peu), je pourrais dire : d’où vous vient ce besoin ? Qui cherchez-vous à convaincre, au juste ?

Si je dis « touche ton projet tous les jours », c’est que d’une : cela a aujourd’hui un impact positif sur mon propre travail (voir caveat plus haut) et de deux : les jeunes auteurs ont fréquemment besoin d’un déblocage. Combien de fois entends-je « je veux écrire, mais j’ai pas le temps » ? Si, mon pote, tu l’as : écris une phrase par jour, tu peux bien le faire, non ? L’implicite étant : non, tu n’as pas besoin d’avoir quatre heures devant toi car d’une, tu ne les auras que rarement voire jamais, de deux, tu peux progresser sur ta décalogie un mot à la fois. En résumé : tu as le droit de te détendre. Et c’est le truc le plus important qui soit pour créer, je pense.

On me répond parfois « si ces gens veulent écrire, ils trouveront le temps, la motivation, sinon tant pis ». Selon l’humeur, on peut considérer que c’est soit a) une vision très bukowskienne de l’écriture (voir la vidéo plus bas), b) une vision très égoïste en mode « en vrai, qu’ils se démerdent ». Soyons clairs : en ce qui me concerne, je ne règle les problèmes de personne ; ce n’est pas moi qui vais écrire les bouquins des gens à leur place et ce temps, il faut quand même qu’ils l’investissent. Juste : je m’efforce de transmettre ce que j’aurais aimé entendre étant plus jeune (je constate avec les années que j’ai apparemment cette étrange faculté de me rappeler nettement comment j’étais plus jeune – mais c’est peut-être parce que j’étais déjà vieux). Cela a toujours été ma ligne directrice ici. Je voyage dans le temps, mais à l’endroit. (C’est hyper novateur.)

Toucher son projet tous les jours, pour moi, c’est comme la méditation ou la musculation : de petites habitudes de ce genre s’additionnent les unes aux autres et la régularité entraîne des bénéfices exponentiels. Je le dis parce que je pense que ça fait du bien, comme avoir l’esprit libre et un corps capable de faire à peu près ce qu’on lui demande dans la limite du raisonnable. Après, personne n’est obligé de faire l’un ou l’autre. Chacun ses responsabilités. Et plein de gens mènent des vies parfaitement saines sans faire l’un ou l’autre. Parfait ! Mais j’imagine que la réaction est la même : je tiens le rôle de l’emmerdeur qui rappelle qu’on devrait manger plus de salade verte ou arrêter d’insulter le conducteur qui vient de nous faire une queue de poisson. Eh bien, auguste lectorat, par la présente, sache que j’ai toujours pensé que tu faisais ce que tu voulais, que tu n’as pas de comptes à me rendre, et que tant que tu es content de ta façon de faire et qu’elle fonctionne, c’est parfait ; et si ce n’est pas le cas, tu peux y travailler si tu le souhaites et aussi déboucher sur une autre solution que la mienne. Tant que tu es content ! Churchill a tenu un pays sous les bombes en fumant comme un cendrier. Il aurait pu arrêter de fumer, mais bon, il a eu des résultats, quoi.

Il s’agit juste de trouver comment écrire du mieux possible ce que l’on porte en soi – et ce, seulement si on veut le faire.

Je dis juste qu’il faut pas venir chouiner sur le manque de résultat si on n’écrit jamais. Non seulement j’approuve à 100% la vidéo qui suit (encore merci pour la recommandation, @elatheod) mais elle m’a fait un bien fou. Si ça vous fait du bien aussi, c’est cool. Et si non, cherchez juste votre manière, à vous, de vous faire du bien1.

https://www.youtube.com/watch?v=1lTcgSzf0AQ
  1. Et soyez pas dégueulasses.
2019-06-01T14:41:33+02:00jeudi 21 juin 2018|Best Of, Technique d'écriture|34 Commentaires

L’auteur, chaman moderne ? (à l’heure où l’on veut détruire son statut)

Wesh. 

Le statut des auteurs et artistes est en danger de disparition pure et simple : à l’heure où j’écris ces octets, dans deux jours, le 21 juin, aura lieu une réunion pour définir ce qui succédera aux piliers de leur régime social. Pour l’instant, rien ne se profile ; or nos activités sont déjà puissamment précaires : rentrées d’argent très aléatoires et espacées, obligeant la quasi-totalité de la profession à exercer une autre activité pour survivre… Durcir la situation (ne serait-ce que par un vide) ne peut que nuire encore davantage aux créateurs, donc à la création, donc à notre culture, notre langue, notre rayonnement – sans faire du chauvinisme primaire, je n’ai pas tellement envie d’un monde uniformisé par Netflix (même si Jessica Jones, c’est vachement bien).

Je pourrais faire un long post avec des chiffres pour vous expliquer en quoi et dégainer de la fiscalité, mais des tas de gens font déjà vachement ça mieux que moi sur la toile, alors j’ai plutôt envie de faire ce que je sais faire : vous raconter une histoire pour vous montrer en quoi la création remplit un rôle fondamental dans la société.

À vrai dire, ce sont des réflexions qui me trottent dans la tête depuis un moment, et donc le contexte semble synchrone pour en parler. Tout est parti de quelques échanges avec des camarades développant et nourrissant des univers imaginaires (comme je le fais moi-même avec Évanégyre). En ce qui me concerne, j’ai toujours eu la sensation d’avoir un processus bizarre : je n’ai pas tant l’impression d’inventer ce qui m’amuse que de creuser mon esprit à la recherche de ce qui « fait sens », de ce qui sonne juste, de ce qui doit ou devait être. En un mot, et c’est là que c’est curieux, de fouiller ma mémoire plus que de créer. (C’était aussi l’argument principal de « Une Forme de démence ».)

Voilà l’histoire : à chaque fois que j’ai eu cette conversation avec un ou une collègue1, non seulement on ne m’a pas pris pour un gros dingue, mais le regard s’est allumé avec des étoiles dans les yeux : « Oui ! Mais oui, complètement ! Moi aussi ! » En fait, je n’ai pas encore trouvé quelqu’un qui ne partage PAS cette impression, et ce à tous les niveaux, jusqu’au sommet américain des ventes internationales.

Une autrice2 me disait, au cours de tels échanges, que les mondes que nous construisons ne sont peut-être pas tant nos inventions que les souvenirs de vies précédentes (si l’on accorde du crédit au concept, évidemment), d’endroits autres dont nous pourrions venir, où nous aurions pu vivre. (Je me demande un peu ce qu’Évanégyre dit de moi, du coup.) La recherche Google la plus basique montre encore des dizaines d’écrivains de tous horizons partageant cette impression, jusqu’à rien moins que Victor Hugo : « créer, c’est se souvenir »3.

Est-il vrai que les histoires viennent d’ailleurs, que nos cerveaux se branchent d’une manière ou d’une autre sur des réalités parallèles pour traquer les créations que nous rapportons dans ce monde ?  Insérez ici votre version new age de l’interprétation des mondes multiples de la mécanique quantique ou du temps du rêve aborigène. Plus prosaïquement, on peut affirmer que l’inconscient est une puissante machine à chercher et créer des significations ; ce travail apparent de mémoire consisterait alors seulement à entrer en contact avec ce qui rôde dans les profondeurs de la psyché pour le rendre apparent. C’est une hypothèse avec laquelle il est assurément plus facile de travailler au quotidien. Cependant, il y a quand même cette histoire extrêmement troublante que j’ai déjà relatée ici, sur l’apparition des années à l’avance d’un personnage que je n’avais jamais envisagé dans un récit qui ne devait pas connaître de suite. Bah. Dans un monde post-moderne, on peut tout à fait conceptualiser le mysticisme, mais agir avec de la psychologie.

Surtout, au fond, quelle importance ? 

En partageant ces expériences au fil du temps, en y réfléchissant et surtout en les vivant depuis maintenant des années, difficile de ne pas penser à un moment aux chamans des peuples premiers. Le chaman part (métaphoriquement, spirituellement ou physiquement, voire les trois) dans « le monde des esprits » (sens large). Il est peut-être un peu allumé, peut-être défoncé au peyotl, peut-être n’est-il qu’un grand orateur ; peu importe – son rôle consiste à créer du sens pour la tribu avec les histoires, contes, présages qu’il rapporte. Là où il va tirer ses mensonges distrayants, peu importe en définitive ; ce qui compte, c’est ce qu’il transmet, communique, offre, c’est l’impact qu’il procure et le lien qu’il crée.

Peu importe où les auteurs vont chercher leurs histoires, leurs mondes imaginaires, leurs personnages, qu’il s’agisse d’individus rencontrés dans un autre temps / autre lieu indéfinissable et de toute manière inaccessible, ou seulement de processus psychologiques profonds, d’une grande moulinette d’assimilation culturelle reliée au Zeitgeist, l’esprit du temps. Là aussi, ce qui compte, c’est l’impact, le sens, le lien. C’est ce qu’il rapporte et propose à sa tribu (qu’elle soit réduite ou vaste – qu’importe), comment il la fait rêver, réfléchir, voire protester à son tour ; le bien qu’il lui fait, en lui montrant le monde, dans ce qu’il a de beau ou d’injuste, et ce qu’il évoque de poétique ou de changement. C’est un grand rapporteur de Lego ; il va « ailleurs », dans le monde, en lui-même, les deux ensemble, il ramasse les pièces qu’il trouve et dit au monde : « hé, les gens, j’ai trouvé ça ; voyons ensemble le sens qu’on peut faire avec ». Je crois que c’est un travail qui s’envisage avec une immense humilité ; les peuples premiers font de lui un homme ou femme sainte, mais en réalité il espère juste – surtout en notre époque – qu’on lui file vaguement un verre de lait pour qu’il puisse continuer à partager ses visions qu’il doit absolument transmettre. Je suis aujourd’hui convaincu que c’est mon inconscient qui travaille et pas moi ; tout mon apprentissage de l’écriture consiste à lui donner les meilleures outils pour s’exprimer, puis à faire mon possible pour le cajoler pour qu’il accepte de bosser, puis m’effacer et le laisser faire.

Personnellement, c’est aujourd’hui dans ce rôle de rapporteur d’histoires venues d’ailleurs – quel que soit cet ailleurs –, de vision pour ma tribu – « ma » tribu étant tous ceux et celles qui auront envie de les partager avec moi – que j’ai trouvé ma mission et ma raison d’écrire, une question épineuse déjà abordée ici. Quel que soit le média, le mode de création, l’écrit ou le son, je sais que je le ferai toujours, parce que je ne peux pas ne pas le faire (et c’est pour ça que ramer me frustre tellement). Il y a des choses qui me supplient d’être recherchées, et même si je me retrouve avec les doigts en sang dans le désert et une insolation, il faut que j’aille déterrer Babylone tout seul (et c’est du taf, bordel).

Je ne compte pas à travers cette expérience éminemment personnelle plaider ma petite cause ; un créateur est un arbre ; la création est une forêt. Elle existera sans moi personnellement, mais elle a quand même besoin d’arbres pour exister. La question du statut des auteurs se résume simplement à une interrogation simple : veut-on d’une société sans rêveurs pour rapporter des rêves à partager, pour inspirer ? Veut-on d’une société sans chamans ? 

  1. Je ne cite pas de noms dans cet article, car j’ignore si les intéressé.es ont envie d’être cités, mais si vous vous reconnaissez et que vous voulez être crédité.e, n’hésitez pas à me balancer une bafouille, hein.
  2. Voir note précédente, hein.
  3. OK, lui je le cite, mais il m’a pas offert de bière, c’est pour me venger.
2019-06-01T14:55:41+02:00mardi 19 juin 2018|Best Of, Le monde du livre, Technique d'écriture|1 Commentaire

Ulysses contre Scrivener : le grand comparatif

EDIT du 8 décembre 2020 : ce qui suit reste valide, mais à force d’expérimentations, il apparaît qu’Ulysses ne soutient pas la création de projets complexes. Le vainqueur est donc, sans appel, Scrivener.

Auguste lectorat, si tu traînes suffisamment dans ces lieux de perdition, tu sais l’amour éternel que je voue à Scrivener. C’est pour moi l’application ultime d’écriture professionnelle, le couteau suisse qui atteint le juste équilibre entre liberté et structure, et je pense résolument qu’il sait s’adapter à tous les modes de travail. Cependant, il existe (systèmes Apple uniquement) un concurrent de taille, avec un parti-pris résolument différent, qui fonctionne également sur Mac et iOS : Ulysses. De la même façon qu’une guerre sainte Mac Vs. PC, OmniFocus Vs. Things, Amiga Vs. Atari, la discussion Ulysses contre Scrivener défraie de loin en loin le microcosme des auteurs geeks, certains annonçant leur soutien à l’un ou à l’autre à l’exclusion du concurrent.

Du calme.

Auguste lectorat, encore une fois, je descends des glaces polaires, environné d’orques jouant au ping-pong avec des otaries, pour donner mon avis que personne n’a demandé. Sachant que j’utilise les deux applications régulièrement… mais pour des choses différentes.

Les différences fondamentales entre Ulysses et Scrivener

Les deux applications s’articulent autour du même paradigme : un traitement de texte hiérarchique, permettant d’organiser fragments, scènes, chapitres à son gré dans l’équivalent de dossiers (un dossier par chapitre, par exemple). Il s’agit ensuite d’exporter le contenu désiré pour former un livre, une nouvelle, un article, dans un traitement de texte que l’on peut partager avec d’autres (typiquement un fichier Word envoyé à un éditeur). Les deux applications permettent de réordonner les fragments à son gré, de les identifier par mots-clés, surveillent toutes deux la taille d’un fichier (pour se fixer des objectifs de longueur).

Scrivener…
… et Ulysses.

Cependant, la comparaison s’arrête là, car les deux applications ont une philosophie de développement très différente.

Ulysses mise en effet sur le minimalisme, alors que Scrivener mise sur l’exhaustivité. Ulysses propose une interface extrêmement dépouillée (mais quand même puissante ; ce qu’on peut, soit dit en passant, obtenir avec le mode composition de Scrivener) pour réduire les distractions ; Scrivener cache des dizaines, des centaines de fonctionnalités poussées qu’il faut des années pour épuiser. Ulysses s’appréhende immédiatement ; Scrivener se gagne (je recommande toujours de faire le didacticiel inclus et d’y consacrer au moins deux heures pour comprendre ce qu’il apporte). Si vous êtes du genre à être distrait par des boutons ou des interfaces, Ulysses vous ravira ; si vous aimez pouvoir tout faire avec votre application et ne pas chercher ailleurs, c’est Scrivener qui reste l’application la plus puissante.

Deux applications, deux ambiances, deux use cases

Si les deux applications existent, fonctionnent et ont chacune leur aficionados, c’est bien qu’elles remplissent des rôles différents. Je vais essayer de les délimiter et expliquer mon propre choix (qui pourra être l’inverse du vôtre ; ce qui compte, c’est de produire un bouquin dont vous soyez content.e, sans trop de douleur). Je crois que toute la différence repose sur ce point : Ulysses centralise tous vos écrits au même endroit, Scrivener fonctionne par projets. 

Ulysses articule l’intégralité de ses fichiers autour d’une bibliothèque unique, qui conserve absolument tout, tout ce que vous faites. C’est évidemment structurable en dossiers à l’infini, avec de jolies icônes personnalisables. Scrivener le fait aussi, mais fonctionne en projets étanches et séparés. Si vous travaillez sur deux livres distincts, Ulysses vous proposera les deux au sein de la même bibliothèque, sous Scrivener, il faudra ouvrir (et synchroniser) deux projets distincts.

Le paradigme d’Ulysses me semble une force pour un auteur de textes courts (articles, nouvelles, etc.), qui retrouvera non seulement tous ses projets en cours, mais les archives de ce qu’il a fait ; en revanche, je n’imagine absolument pas conserver toutes mes notes pour, mettons, « Les Dieux sauvages » (4 livres prévus d’un million de signes pièce avec huit points de vue changeant d’un livre à l’autre, et des méga-octets de notes, d’inspirations, de planification à côté) au même endroit que des idées d’articles de blog, une nouvelle sur laquelle je travaillerais en parallèle, les archives d’un livre passé… Je crois que, dans Scrivener, l’étanchéité entre projets est salutaire quand ceux-ci deviennent des environnements de travail à part entière, surtout quand lesdits projets ont des horizons qui dépassent une année.

De plus, sachant que, dans Ulysses, on peut exporter ce qu’on veut dans un fichier final, je trouve difficile de séparer les notes de la rédaction proprement dite. Scrivener offre en revanche une case à cocher très simple : oui, ce document fait partie du manuscrit, ou non, il n’en fait pas partie. Or, le dépouillement voulu par Ulysses, à mon sens, se prend ici les pieds dans le tapis ; une bibliothèque immense contenant des centaines, voire des milliers de documents va devenir un véritable enfer à maintenir et ordonner (au lieu de se concentrer sur l’écriture, ce qui est la promesse du logiciel) alors que Scrivener gère et contient très bien le « bordel organisé » que devient rapidement un livre en cours d’élaboration. Ce bordel reste confiné à son propre livre… ce qui est une garantie de santé mentale.

Le classeur, centre de Scrivener

Enfin, Ulysses s’avère assez limité pour joindre des fichiers à un texte, insérer des images d’inspiration ou des photos prises sur le terrain ; alors que Scrivener insère et redimensionne des images sans broncher au milieu de son texte comme un petit Word, mais peut aussi recomposer un système de fichiers si on le souhaite (pour intégrer des inspirations sonores, par exemple, au milieu de ses documents) et importe des pages web si on le souhaite (bienvenu pour les références). D’ailleurs, Ulysses construit son texte en Markdown, un langage à balises (il faut encadrer du texte avec des astérisques pour le mettre en italiques, par exemple) ; il faudra apprendre cette syntaxe, ce qui n’est pas terriblement compliqué, mais peut se révéler contre-intuitif pour un écrivain de fiction peu féru de technologie.

La légèreté d’Ulysses présente néanmoins des avantages nets pour l’instant inaccessibles à Scrivener. Déjà, Ulysses est très facilement automatisable : créer un nouveau document et le remplir de contenu prédéfini (pour faire une fiche de personnage, par exemple) est très aisé (mais, pour de la fiction, on peut se demander si c’est vraiment capital). Scrivener ne présente que des intégrations avec des logiciels tiers (mais davantage pensées pour la fiction, comme avec Aeon Timeline et Scapple).

De plus, l’export de documents est bien plus facile avec Ulysses ; on peut même le lier à son blog WordPress pour écrire hors ligne, puis publier une fois que l’on dispose d’une connexion stable. La compilation demeure le point noir de Scrivener pour bien des utilisateurs (bien qu’amélioré avec la version 3).

La synchronisation entre plate-formes et documents est aussi indéniablement plus simple avec Ulysses. Celui-ci utilise iCloud, qui fonctionne en arrière-plan sans problème, alors que la synchronisation de Scrivener est manuelle (sous iOS) et, si elle ne conduit pas à des problèmes, peut nécessiter plus d’attention. C’est dû à la complexité des formats ; Ulysses synchronise seulement du texte, alors que Scrivener présente tout un tas de marqueurs de position dans un projet, de métadonnées, etc. On a la lourdeur inhérente à la puissance.

Reste un argument de poids : le prix. Ulysses est passé à l’abonnement, une décision très impopulaire (mais un abonnement débloque toutes les versions sur toutes les plateformes), alors que Scrivener, y compris avec sa version 3, reste un achat « une fois pour toutes » en fonction de la plateforme. En gros, pour un an et demi d’Ulysses, on a Scrivener sur Mac et iOS jusqu’à la prochaine mise à jour majeure (ce qui a largement dépassé dix-huit mois la dernière fois).

Quelles applications pour quoi ?

Pour un auteur professionnel, je pense que les deux ont leur place, mais qu’Ulysses est certainement la moins justifiable des deux. En ce qui me concerne, tous les travaux d’écriture de fiction, nouvelles, romans et séries, se trouvent dans Scrivener car j’ai besoin de sa puissance et de sa capacité à isoler un projet donné en un seul environnement robuste et flexible. Ulysses me donne un environnement flexible et agile pour la forme courte : idées au hasard, articles ponctuels, interviews, blog (lequel représente une part non négligeable de mon travail d’écriture, quand même) etc. Je pourrais probablement le remplacer par une application plus légère qui ne fonctionnerait pas sur abonnement (notamment IA Writer) mais il y a encore dans Ulysses des tas de raffinements qui lui font conserver une (courte) tête.

Pour un auteur en formation, je pense que Scrivener représente le seul investissement nécessaire à présent qu’il existe sous iOS. L’adage est très simple : qui peut le plus peut le moins, et Scrivener reste indubitablement le plus puissant des deux. L’investissement est modeste, et l’application saura accompagner l’auteur dans son évolution tout en lui donnant, dès le début, des outils qui l’aideront. Ulysses me semble risqué car son côté « fourre-tout » peut engendrer un chaos sans nom dont on peinera à revenir.

Pour en savoir plus sur Scrivener, plein d’articles ici ; pour découvrir Ulysses, on peut passer par là : Mac App Store, iOS App Store.

De manière générale, si l’envie d’acheter cet outil (ou l’un des autres présentés sur ce site) vous vient, n’oubliez pas de passer par les liens proposés ci-dessus – vous contribuez à financer le temps passé à rédiger ces articles gratuitement. Merci ! 

2020-12-08T11:52:31+01:00mercredi 6 juin 2018|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Apprenons les bases de la typographie pour rendre un manuscrit soigné – 2. Ponctuer et espacer

Après un premier article général sur les règles et les outils qui nous permettront de rendre de jolis manuscrits respectant les règles typographiques, entrons dans le vif du sujet. Et le vif, comme dans la méditation, c’est la respiration. Le blanc. Le vide. Le silence qui donne son sens au contenu.

Les espaces, quoi. 

Ouvrons un livre. (Vous avez bien un livre ? Ou mille.) On sait bien (ou constate) que des espaces se baladent un peu partout dans le texte. Ça aère, ça fait respirer, ça rend la lecture jolie et reposante. Il se trouve que les règles d’utilisation des espaces découlent de siècles de pratique et d’habitude des compositeurs ; elles évolueront probablement encore, mais ce qui nous intéresse, ce sont les règles aujourd’hui.

Elles sont finalement assez simples.

(Rappelons-nous cependant que celui qui a raison, c’est celui qui paye : si un éditeur veut bafouer tout ou partie de ce qui suit, c’est sa responsabilité, et c’est lui qui a raison – tant qu’il vous paye et vous traite bien, on peut bien lui passer une ou douze outrecuidances spatiales. D’espaces, quoi. Bref, n’allez pas me brandir virtuellement en disant que Davoust il l’a dit. Je donne l’usage général, après, à vous de voir.)

Une espace vous manque et tout est trop peuplé

Il existe deux espaces différentes1 2. L’espace normale sert à séparer les mots, et l’espace insécable aussi, mais avec un truc en plus : le logiciel n’a pas le droit de couper la ligne à cet endroit. (Insécable : qu’on ne peut couper.) Quel intérêt ? Eh bien, d’éviter de séparer deux choses qui doivent rester ensemble, par exemple un mot et son signe de ponctuation (« Fichtre ! » rend un peu tarte si le point d’exclamation se balade tout seul au début de la ligne suivante, « 100 km/h » rend bizarre si on coupe entre le nombre et l’unité).

Sous Mac, encore une fois, tout est plus simple : une espace insécable s’insère avec option – espace. Sur Windows… ça dépend du logiciel. Souvent, c’est contrôle – espace. Mais pas forcément. Jetez un œil à votre traitement de texte.

Notons que sur le web, insérer une espace insécable est toujours hasardeux – cela ne fait pas réellement partie du standard (ou bien c’est tellement galère à insérer que le moindre article un peu long comme celui-ci prend trois jours à rédiger). Dans ce qui suit, pour éviter de péter la démonstration, convenons tout de suite que le caractère de soulignement, l’underscore, _ quoi, représente une espace insécable.

Règles générales d’utilisation des espaces

Celles-ci s’appliquent en général – et c’est assez logique – à la ponctuation. Comment cela fonctionne-t-il ? Voyons cela, et parcourons de la sagesse que tout le monde (sauf ta grand-mère) connaît, jusqu’à la finesse subtile qui montrera ton raffinement certain et te permettra enfin de discerner cette nuance de framboise dans le Bordeaux – car tel est le pouvoir d’élégance de la typographie.

Tout signe de ponctuation est suivi d’une espace normale. Soit rouge, bleu et non rouge,bleu.

Un signe de ponctuation double est précédé d’une espace insécable. C’est-à-dire : deux points, point-virgule, etc. Soit rouge_; bleu et non rouge; bleu. (Attention, ce n’est pas le cas en anglais.)  La plupart des traitements de textes récents (Word et OpenOffice) les insèrent d’eux-mêmes en détectant le caractère en question.

Le cas des guillemets. Les guillemets français sont les guillemets à chevrons, eux, là : « ». (Pour les entrer, voir l’article précédent.) Les ouvrants sont suivis, et les fermants précédés, d’une espace insécable pour éviter la chasse du contenu qu’ils encadrent, ex. : «_Coucou_!_» et non «Coucou!». Sauf que : on peut avoir besoin d’imbriquer des guillemets dans des guillemets, pour une citation contenue dans un dialogue, par exemple. On fait alors appel aux guillemets anglais, qui sont de doubles apostrophes à l’exposant, et qui ne sont pas suivis ou précédés d’espaces, car on suit alors la règle anglaise (ça va ? Ne meurs pas.). On les imbrique selon la règle suivante – et je dois mettre une image car le web est notoirement brouillon en termes d’espacement et de caractères spéciaux (qui a dit « spécieux » ?) :

Guillemets français, puis anglais, puis apostrophes.

Notons aussi que la ponctuation des dialogues vaudrait à elle seule trois articles dédiés. Et devinez quoi ? Ils existent, rhooo c’est quand même bien fait :  1) les bases, 2) le formatage classique, 3) le formatage moderne.

Les incises. Des espaces normales (comme ceci) encadrent une proposition entre parenthèses. Des espaces normales – comme ceci – encadrent les tirets semi-cadratins des deux côtés.

Et c’est à peu près tout. C’est quand même pas dur, non ?

Respecter la typographie française dans les studios d’écriture

Je recommande, je prosélytise, je scande le nom de Scrivener la bave aux lèvres et les yeux fous dès qu’il s’agit d’écrire, et j’ai bien raison (forcément), mais y a un truc : Scrivener ne sait pas gérer la typographie française, de base. Heureusement, il existe des contournements et des solutions très simples pour mimer le fonctionnement de Word dans ce domaine pour éviter d’interrompre son flow.

Et voilà. Avec tout ça, on a couvert probablement 90% du sujet, et un éditeur normalement constitué ne vous en demandera en principe pas plus.

Sauf si vous faites vos alinéas avec des tabulations.

Vous faites pas ça, hein ?

  1. En théorie davantage, mais un traitement de texte ne sait pas les créer, donc limitons-nous à deux.
  2.  Oui, en typographie, l’espace est féminine.
2019-06-01T14:56:08+02:00mardi 29 mai 2018|Best Of, Technique d'écriture|10 Commentaires

Apprenons les bases de la typographie pour rendre un manuscrit soigné – 1. Règles générales et outils

Merci, Inspirobot.

Divers évolution concomitantes m’ont conduit à lâcher la quasi-totalité de mes cours à la fac d’Angers, parmi lesquels figuraient certains « Outils informatiques du traducteur ». Fermement décidé à ce que ma plus grande œuvre ne sombre pas dans l’oubli, je vais archiver en ces lieux étranges une certaine part de ma sagesse suprême, la connaissance la plus lumineuse qu’il m’ait été donné de partager, et vous emmener avec moi dans les hauteurs sublimes du savoir.

C’est-à-dire que je vais vous saouler avec de la typographie.

Pourquoi et qu’est-ce que c’est, la typographie

La typographie, c’est, en gros, l’art de composer une jolie page. À l’origine, c’était le métier des compositeurs qui manipulaient les blocs de fonte (petits, je vous rassure) (mais les gens étaient peut-être musclés quand même) qui formaient la page imprimée. De nos jours, c’est principalement virtuel, et cela désigne les règles, construites par l’usage et l’expérience au fil des siècles d’imprimerie, qui forment une page reposante et harmonieuse à lire.

C’est donc important parce que cela concerne le confort de lecture. C’est aussi important parce que le compositeur (qui travaille aujourd’hui sur InDesign ou XPress) doit respecter ces règles pour fabriquer un livre que le lecteur découvrira avec plaisir. C’est donc important pour l’auteur, parce que respecter ces règles autant que faire se peut dénote sa connaissance du métier au sens large, le soin qu’il prend des yeux de son éditeur, son souci de faire gagner du temps à son metteur en page (et donc de l’argent à tout le monde), bref, c’est une preuve agréable de professionnalisme.

Disons tout de suite qu’un traitement de texte (quel que soit le vôtre, Word, Ulysses, Scrivener, Open Office…) n’est pas un logiciel de mise en page et qu’il existe certaines choses quand même impossibles à faire, mais s’approcher au maximum de l’idéal est appréciable (et on ne saurait demander d’aller plus loin). Respecter ces règles ne fera évidemment pas de vous un grand écrivain (et ne pas les respecter, à moins de vraiment faire exprès, ne vaudra pas un refus sommaire de votre manuscrit), mais au moins un bon partenaire, et comme le découvrent tous les jeunes qui ont conservé leur virginité pour leur nuit de noces, on sous-estime parfois l’importance d’être un bon partenaire dans la construction d’une relation plaisante.

Règles générales et caractères spéciaux

Installons d’ores et déjà une notion qui nous servira plus tard : le cadratin. C’est la largeur maximale que peut occuper un caractère (bon, je résume, hein). Pour une police de caractères à espacement variable, par exemple, un « i » prend moins de place qu’un « m » (c’est le cas sur cette page si vous l’affichez avec les paramètres par défaut) – le cadratin est donc la largeur théorique maximale d’un caractère avec la police donnée.

Un certain nombre de conventions typographiques s’appuient sur des caractères spéciaux (il existe par exemple trois types de tirets différents, qui n’ont pas la même sémantique). Il importe de savoir les entrer sur son ordinateur, et j’aurais tendance à recommander d’acquérir ces réflexes au plus vite pour les intégrer inconsciemment au moment de la rédaction d’un livre (car faire une passe purement typographique sur son manuscrit est une manière assez sûre de réduire son espérance de vie de trois mois et deux semaines par ennui profond).

Dégageons déjà (oh la belle allitération en J) quelques points auxquels prendre garde (et quelques idées reçues auxquelles tordre le cou) :

Oui, EN FRANÇAIS, LES MAJUSCULES SONT ACCENTUÉES. La légende du contraire circule depuis la machine à écrire (parce qu’on ne pouvait pas facilement les intégrer) mais la règle typographique française a toujours été qu’on accentue les majuscules. Les accents ont du sens.

Usage des italiques. Elles sont principalement réservées aux intériorisations (Fromage ou dessert ? se demanda en son for intérieur l’incroyable Hulk au cocktail des Avengers) et aux locutions étrangères (What the phoque ?), ce qui, caveatinclut le latin. Donc : in pettoin extremisvia le RER B, a priori (sans accent sur le « a », c’est du latin, Priori n’est pas un lieu, sauf si vous parlez du palazzo de Pérouse).

Les points de suspension sont un seul caractère (et pas, comme on dit au primaire, « trois petits points »). Essayez de sélectionner avec votre pointeur ceci : … et cela … ; know the difference, it can save your life. (Ou peut-être pas, mais on n’est jamais trop prudent.)

Les apostrophes sont dites typographiques – ce n’est pas un trait (comme ceci : ‘) mais une sorte de virgule à l’exposant (comme cela : ’).

Il existe (donc) trois types de tirets. Le trait d’union (-), qui sert à relier les mots composés, de-la-sorte. Le tiret cadratin, à l’inverse, est le plus long qui soit (par définition du cadratin, voir plus haut) et ne sert qu’aux dialogues (—). On a longuement débattu de la ponctuation des dialogues spécifiquement dans trois articles, 1) les bases, 2) le formatage classique, 3) le formatage moderne. Enfin, le tiret semi-cadratin est plus long que le trait d’union, plus court que le tiret cadratin (–) et – wait for it – sert aux incises – comme ce qui précède.

Entrer des caractères spéciaux

Il faut être juste et rendre à Word ce qui lui appartient : malgré ses innombrables idiotes-syncrasies, il reste le champion du respect de la typographie française, et fait à peu près tout correctement. Mais il peut rester des occasions où l’on veut entrer manuellement un caractère spécial. Et là, comme qu’on peut faire ?

Sous Mac et iOS. C’est très simple. Tout est accessible facilement et logique par combinaison de touches (Verr. Maj pour les majuscules accentuées ; option-quelque chose pour le reste – voir le Visualiseur de clavier sur Mac, activable dans les préférences). Circulez, y a rien à voir, c’est logiquement fait et c’est chouette, et ça marche pareil entre un Mac et un iPad, en plus.

Sous Windows. C’est beaucoup plus compliqué. Les traitements de texte prévoient souvent des raccourcis clavier, mais ça n’est jamais les mêmes en fonction du logiciel. Les deux solutions un tant soit peu universelles et pratiques consistent, soit à installer un pilote de clavier étendu donnant davantage de caractères accessibles (par exemple celui de Denis Liégeois, kbdfrac)1, soit à utiliser les codes de caractère du système (solution que j’ai utilisée pendant 25 ans depuis Windows 3.1 avec un post-it sur mon moniteur jusqu’à ce que ça rentre dans ma mémoire musculaire…). En gros, taper Alt et une combinaison de chiffres au clavier. Lesquelles sont, pour les plus utilisées :

… et avec ça, nous avons tous les outils en main.

La prochaine fois, nous parlerons d’espaces et de leur juste usage. Comment que c’est trop grave excitant du fun ! Non ?

  1. Ou carrément passer en disposition Bépo, mais ça nous entraînerait trop loin
2019-06-01T14:56:34+02:00mercredi 23 mai 2018|Best Of, Technique d'écriture|4 Commentaires
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