L’écume d’un four

L_Écume_des_jours_-_affiche_du_filmC’est la saison des livres inadaptables : après un très remarqué et apprécié Cloud Atlas, retour chez nous avec le monument de sensibilité et de surréalisme, L’Écume des Jours, du maître Boris Vian.

Je n’écrirais probablement pas ça ailleurs que sur un blog (parce qu’on s’en fout un peu, dans l’absolu), mais si j’ai un maître en littérature, c’est Vian. L’Écume des Jours est LE livre qui m’a réconcilié avec la littérature quand, adolescent, je m’enfonçais toujours plus profondément dans le marasme de classiques qui ne me parlaient en rien, enseignés et décortiqués de façon clinique et assommante. L’Écume des Jours m’a remis sur ma route et ramené à mes envies d’écriture de longue date : Vian envoyait valser les conventions et dégageait une émotion brute avec une créativité d’univers et de langage sans bornes. J’ai lu ce livre et je me suis dit : « Bordel, la littérature, ça peut aussi être ça, et moi, c’est cette optique-là qui me parle. » J’ai donc ma vision du livre et de l’homme, bien plus frondeuse (et confirmée par l’excellente biographie pour la jeunesse écrite par Muriel Carminati, Des Fourmis dans le coeur) que l’intello poète piédestalisé qu’on essaie d’en faire au XXIe siècle. Je me considère aussi, pour ces raisons, comme un enfant du surréalisme, et j’ai quelques idées sur la question, puisque j’en emploie, humblement, régulièrement, les ressorts dans mon propre travail.

Je crois aussi, humblement mais fermement, que j’ai raison, et j’assume.

Bref, cette critique est vraie, parce que je l’ai inventée d’un bout à l’autre.

Pour ceux qui sont sur la bonne voie pour rater leur vie en n’ayant pas lu L’Écume des Jours (rattrapez-vous), nous sommes dans un Paris surréaliste et poétique, où les robes de soirée ont des grilles en fer forgé dans le dos, où l’on fait pousser des armes dans la terre en les chauffant avec des corps humains, où l’on peut se mitonner un cocktail avec un morceau de jazz. Colin est un type sympa qui rêve de tomber amoureux ; son meilleur ami Chick est passionné du philosophe Jean-Sol Partre, et achète compulsivement toutes ses oeuvres. Colin rencontre bientôt Chloé, avec qui une histoire merveilleuse se construit – jusqu’au jour, au lendemain du mariage, où elle développe une maladie rare mais terrible, un nénuphar qui lui pousse dans le poumon.

L’Écume des Jours, c’est l’histoire d’une descente aux enfers, un passage de l’insouciance à la tragédie, sur fond de nostalgie, de musique, d’amitié, et, surtout, il faut le répéter, de surréalisme, puisqu’un humour, allant de tendre à féroce, émaille chaque page de traits d’esprit, de créations baroques, de constructions syntaxiques et imaginaires dont je place sans hésiter l’héritage actuel dans les atmosphères les plus poétiques de la fantasy urbaine et de la littérature interstitielle. Cette histoire est la collision de la candeur et de la catastrophe, un trajet poignant et bouleversant comparable à celui de Charlie dans Des Fleurs pour Algernon, à ceci près qu’ici, le monde, par sa plasticité, sa recréation personnelle, suit la descente globale du noyau d’amis. S’il y avait bien, pour moi, un réalisateur capable de rendre à l’image l’incroyable complexité et la puissance évocatrice de l’imagerie du roman, c’était Michel Gondry, dont l’époustouflant Eternal Sunshine of the Spotless Mind montrait la maîtrise d’un univers en déliquescence, dépeint tout en suggestions, en zones d’ombre, avec une grande économie de moyens.

Sauf que ça ne marche pas (en même temps, le titre de cet article vend un peu la mèche). Gondry prend-il des risques ? Assurément. Applique-t-il sa patte, nous donne-t-il à voir des créations intrigantes, est-il audacieux visuellement ? Oui. Pourtant, la sauce ne prend pas.

Hélas (et je n’aurais jamais cru, à voir Eternal Sunshine, qu’il tombe dans ce travers-là), Gondry bute sur l’écueil numéro 1, le piège classique, de toute oeuvre surréaliste1. Il est simple : le surréalisme est un procédé, et non une fin. Vian est un des rares romanciers à avoir tâté du surréalisme et à avoir traversé les décennies sans prendre une ride ; l’immense majorité du mouvement est tombée aux oubliettes. Parce que Vian avait un propos, une émotion – une histoire avant de jouer du surréalisme. Et que le surréalisme lui sert d’écrin et de décor, d’étai qui propulse, sur le plan symbolique, le propos, les personnages. Il est trop facile – et trop fréquent – d’écrire de la bouillie pour chats au titre que « c’est surréaliste ».

Non, c’est de la bouille pour chats.

Lécume-des-jours-3

Alors, le film de Gondry n’est pas de la bouillie pour chats. Il parvient à susciter une émotion sincère en de rares moments, notamment pendant la descente aux enfers. Jean-Sol Partre est la réussite sans partage du film, entre délires de l’ego et passion insensée de ses adorateurs, il est génialement rendu. Il y a de belles trouvailles, comme un pseudo-Google géré par des opérateurs humains, mais Gondry multiplie les artifices graphiques, les créations, en oubliant de leur attribuer un sens plus profond qu’un simple effet à l’écran, ce qui rend l’image confuse, difficile à suivre, alors que le roman brille justement par sa concision. Mais surtout, quantité de trucages sont particulièrement visibles. Animations en stop-motion tout juste dignes d’un cinéaste indépendant ; projections en arrière-plan qui ne se cachent pas ; faux raccords ; erreurs de perspective. Des séquences sont accélérées façon dessin animé ; la souris n’est pas une souris, mais un type en costume de souris. On ne peut pas répondre « oui, mais c’est du surréalisme, de toute façon ». Non. Le surréalisme, comme la poésie, comme la fantasy, n’est pas un prétexte pour faire n’importe quoi. L’univers concerné conserve des règles internes – dont on ne détient pas forcément la clé – mais elles sont présentes.

Or, la règle cardinale de toute oeuvre de fiction est de maintenir le lecteur / spectateur dans le récit ; le film de Gondry fait tout ce qu’il peut pour rappeler qu’il est un film, un conte, une fable, bref, un objet fictionnel à contempler, et non où il convient de s’impliquer. Ce qui, qu’on me pardonne, est non seulement une erreur de narration, mais va directement à l’encontre, me semble-t-il, des intentions de Vian, qui racontait une histoire, il ne faisait pas un fucking exposé sur le surréalisme ni ne montrait pas combien il était trop inventif hou là là et vous avez vu cette vanne, wink wink nudge nudge ? Les rappels au livre en tant qu’entité extérieure au film sont constants, dès la première scène, où des armées de secrétaires le tapent à la chaîne – image graphiquement forte, mais d’une parfaite inutilité, qui sort encore davantage le spectateur d’une histoire qui, par sa simplicité et sa force, n’est nullement mise en avant, mais justement présentée comme fictive et donc pas sérieuse. Ce n’est pas une mise en abyme, c’est juste un rappel grossier que, puisque cette histoire est inventée, elle est tout sauf vraie. (Pour mémoire, Vian écrit, en exergue de L’Écume : « Cette histoire est vraie, puisque je l’ai inventée d’un bout à l’autre. ») Gondry se regarde filmer, et laisse à peine la place à ses acteurs, qui, d’ailleurs, peinent à porter les dialogues vianesques. Romain Duris joue globalement très mal (alors qu’il est très bon chez Klapisch – qu’est-il arrivé ?), Omar Sy est mauvais dans les premières minutes mais s’améliore notablement dès que l’ambiance vire au tragique. Ils sont heureusement sauvés par les autres, Elmaleh campe un excellent Chick, Audrey Tautou est mignonne en Chloé, et Aïssa Maïga (Alise) et Charlotte Le Bon (Isis) sonnent juste.

Au-delà de ces manquements structurels, il faut critiquer la violence parfaitement bénigne du film, alors que le livre est souvent  brutal, mais à dessein. Gondry rate le contraste entre la candeur désarmante de Colin et la terrible dureté, absurde, du monde qui l’entoure et finit par le rattraper, tout comme il ne descend pas assez profondément, à mon avis, dans l’horreur sur la fin du film (et je ne lui pardonne pas d’avoir sucré le tout dernier chapitre, entre la souris et le chat). Cette histoire descend aussi bas qu’elle monte haut, mais, dans les moments les plus tragiques, il continue à nous servir du jazz guilleret, comme si, au fond, tout cela n’était pas si grave. Mais si, mec, putain, c’est grave ! Rien n’est plus grave ! Tu ne vois pas que ce monde s’écroule ? Que tes personnages sont brisés ? Ce n’est pas un enterrement façon Nouvelle-Orléans. C’est la fin de tout, bon sang ! Tue-nous avec, merde !

On ne peut que regretter que la retenue poétique, l’économie de moyens, dont Gondry sait faire preuve par ailleurs n’ait pas été importée sur ce plateau, ainsi que quelques leçons d’écriture du cinéma fantastique, lequel, par sa maîtrise du hors-champ, aurait peut-être su imposer l’oppression progressive de l’univers, sa déliquescence, son désespoir, sans montrer son jeu, sans montrer ses trucages, ses coulisses, ses échafaudages. Je rêve de ce qu’aurait donné cette oeuvre entre les mains d’Amenabar (Les Autres) ou de del Toro (Le Labyrinthe de Pan) – mais je rêvais de ce qu’elle donnerait entre les mains de Gondry.

Boris Vian. (c) AFP

Boris Vian. (c) AFP

Après toute cette diatribe, tant de mal étalé en électrons, la question reste : cette adaptation est-elle un mauvais film ? Non. C’est juste une énorme déception par rapport au potentiel de l’oeuvre comme du cinéaste. C’est un divertissement amusant, surprenant, foisonnant visuellement, évocateur par moments. Mais ce n’est pas le grand film que cela devait être, et ce n’est même pas forcément un bon film. C’est un vidéo-clip, un film intéressant comme objet de réflexion. C’est précisément, aussi, ce qu’il ne devait pas être.

L’Écume des Jours est donc un film qui ne croit pas un seul instant à lui-même. Par ce péché cardinal, il échoue à emporter l’adhésion, sauf de bobos parisiano-centrés qui y verront un objet arty sur lequel s’extasier, alors qu’ils n’ont strictement rien pigé, et ce qui me navre, c’est que ce sont les mêmes que Vian envoyait paître de son vivant. On essaie d’en faire un intellectuel raffiné, un modèle d’avant-garde, un héros créatif pour une certaine bourgeoisie littéraire arthritique pour qui trouver un lieu dans une ville inconnue à l’aide d’un plan constitue le summum de l’aventure et de l’exotisme. Mais Vian promouvait le jazz. Vian traduisait du polar et de la science-fiction. Vian aimait les jolies filles. Vian avait le travail en horreur. Vian brûlait la chandelle par les deux bouts, jouait de la trompette quand sa santé le lui déconseillait fortement.

À vous qui tentez de le canoniser, Vian vous emmerde, et il ira cracher sur vos tombes.

 

  1. Je suis docte. Mais j’ai prévenu que j’avais raison.
2018-07-17T14:19:48+02:00jeudi 2 mai 2013|Fiction|9 Commentaires

Cloud Atlas : voyage à travers l’âme humaine

Cloud_Atlas_PosterImpossible de résumer Cloud Atlas en deux phrases – impossible même de résumer Cloud Atlas en un paragraphe. Aucun des pitches présents sur les sites de cinéma, aucune bande-annonce ne décrit clairement ce qu’est cet étrange OVNI, fresque gigantesque de près de trois heures, affichant quantité de stars d’Hollywood (Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving et j’en passe), et… co-produite par les Wachowski (ceux-là même, qui, après un premier Matrix très réussi, ont déçu la planète entière avec des suites fadasses).

Ouille. Alors, pétard mouillé ou oeuvre majeure ?

Cloud Atlas (tiré du roman Cartographie des nuages de David Mitchell) est impossible à résumer car le film rassemble quasiment tous les genres à travers pas moins de six histoires, couvrant de 1849 à 2321. Il serait fastidieux de les décrire ; disons qu’on y croise du récit de voyage, de l’enquête contemporaine, de la SF dystopique, du voyage initiatique. Le tout est relié de manière ténue par des échos, des réminiscences ; tel personnage lit les mémoires d’un autre ; telle histoire, devenue romancée et portée au cinéma, est visionnée dans le futur. En trait d’union, une mystérieuse marque de naissance en forme d’étoile filante, et des acteurs revenant d’une époque à l’autre sous d’autres identités (mention spéciale à Hugo Weaving en infirmière sadique qu’on croirait échappée de quelque donjon underground).

Dès le début, les récits s’entrecroisent sans autre indice visuel que la photographie. Très vite, ces six récits vont se superposer sans jamais s’attarder plus de quelques minutes à la même époque. Un parti-pris narratif audacieux, qu’on croirait pensé pour satisfaire la frénésie de zapping et autres déficits d’attention décriés aujourd’hui. Mais, loin de devenir un stroboscope incohérent et confus, la construction fonctionne admirablement bien, focalise étonnamment l’attention pendant ces trois heures et conserve une grande clarté à toutes ces lignes narratives. Un tour de force. (Signalons quand même quelques longueurs au milieu, où les scènes de fusillade SF, bien que très jolies, suscitent au bout d’un moment l’ennui ; après les fusillades d’autoroute de Matrix : Reloaded, on sent ici un certain laisser-aller Wachowskien.)

Avec une telle forme, on s’imaginerait se trouver devant une vasque tapisserie à la Collisions, Timecode ou même Contagion, où les histoires forment un tout plus vaste que l’on décode au fur et à mesure. Disons-le tout de suite : il n’en est rien. Le réemploi des acteurs – excellemment grimés – ne se décèle que tardivement ; les thèmes et les situations sont parallèles mais, paradoxalement, c’est suffisamment subtil pour passer inaperçu ; quant à la marque de naissance, aucune explication ne sera fournie. Non, de l’aveu même des producteurs, Cloud Atlas est davantage une expérience à vivre, dont chacun retirera le sens qu’il souhaite. Cela peut sembler une échappatoire, une solution de facilité, mais, pourvu qu’on y soit sensible, un vertige cognitif saisit effectivement le spectateur devant la seule envergure de temps couverte, la myopie obligatoire des personnages, inconscients du grand courant de l’histoire où ils s’inscrivent, des répercussions de leurs actes, grands et petits. Le film évite autant que possible les discours pompeux, ne donnant pas ses clés, se contentant de se livrer tout entier, et de laisser son public le trier, le lire comme il le souhaite.

Alors, faut-il recommander Cloud Atlas, ou non ? Argh. La réponse découlera directement de ce qui précède, et de la sensibilité du spectateur. Celui qui désirera une forme de résolution, des explications, sera certainement déçu, car cette mécanique narrative impeccablement huilée lui semblera vaine et creuse. Pour apprécier Cloud Atlas, il faut y rentrer comme dans un poème, un haiku (ce qui est paradoxal, vue la longueur du film) : une collection d’instantanés, de tranches de vie, dont l’ensemble s’insère dans un tout qui n’est jamais clairement décrit – mais qui n’est rien moins que l’heureuse tragédie du voyage humain – ; il tient de l’expérience contemplative, peut-être même (je prends le risque de lâcher le mot) métaphysique, pour peu que l’on accepte de s’en laisser pénétrer.

Quoi qu’il en soit, il est merveilleux de constater que le cinéma à grand spectacle réserve encore une place à des oeuvres comme celle-ci, audacieuses et, disons-le, parfaitement invendables au « grand public » tel que les financiers voudraient le voir décrit. Ajoutons, diable, une pointe de fierté chauvine au fait que ce soit le langage de l’imaginaire qui permette l’existence d’un tel film. Pour cette seule raison, j’aurais tendance à t’encourager, auguste lectorat, à aller voir Cloud Atlas ne serait-ce que pour le soutenir, pour montrer aux producteurs que oui, un projet dingue comme celui-là peut exister, et à te faire ta propre opinion – parce que c’est ambitieux, c’est unique, c’est grand public et bon dieu, c’est de la SF.

2019-03-17T22:27:27+01:00mercredi 27 mars 2013|Fiction|16 Commentaires

Space Battleship : l’Ultime espoir

Ou comment faire le titre de SF le plus générique et cliché de l’histoire.

Sorti l’été dernier directement en DVD, ce Space Battleship est l’adaptation en film live de Space Battleship Yamato, manga du célébrissime Leiji Mastumoto, créateur d’Albator et Galaxy Express 999. Il y a donc de quoi s’attendre à quelque chose d’assez graphique et nerveux, et le film ne déçoit pas.

Résumé : c’est bien simple, la Terre est fichue, voilà. Space Battleship dépeint une humanité désespérée, en train de perdre une guerre contre les vicieux Gamilas, et notre planète n’est plus qu’un désert radioactif à la surface inhabitable. Même Battlestar Galactica est plus riant.

Susumu Kodai est une tête brûlée, un ancien pilote qui a quitté l’armée, et se trouve réduit à récupérer divers déchets dans le désert en scaphandre anti-radiations pour gagner sa croûte. Quand une ogive extraterrestre percute la surface juste à côté de lui, endommageant son scaphandre, il croit sa dernière heure arrivée… sauf qu’un miracle se produit. La radioactivité redescend à des niveaux normaux autour de lui. Qui plus est, l’ogive transporte les plans d’un moteur supraluminique et d’une arme nouvelle. Ainsi qu’un message : quelque part dans les étoiles, il y a du secours. Les habitants de la planète Iskandar invitent l’humanité : ils disposent de la technologie nécessaire pour soigner la planète.

La Terre lance alors un ultime effort de guerre pour construire le Yamato, le croiseur de la dernière chance, embarquant cette technologie extraterrestre mal connue afin de rallier Iskandar. Kodai reprend du service, mais il a plus d’un compte à régler, non seulement avec le capitaine du Yamato, mais aussi avec ses anciens équipiers. Talentueux mais indiscipliné, Kodai va devoir assumer son rôle de meneur pour conduire la mission du dernier espoir à bien.

La parenté entre Yamato et Battlestar Galactica est évidente, sans qu’il soit possible de dire qui a influencé qui (le manga et la série originale datant tous deux de 1978). En tout cas, le fan de BSG retrouvera sans mal un ton qu’il affectionne : Kodai ressemble à une Starbuck en plus positive et moins suicidaire, mais avec tout autant de problèmes envers la hiérarchie. Ici aussi, il est question d’avenir de l’espèce humaine, de sacrifices pour le bien commun, de reconstruction. Mais, et c’est très certainement ce qui a rebuté le public français, il y a une épaisse couche d’imagerie manga et de mélodrame à la japonaise par-dessus. Il n’y a pas de place pour la modération dans Yamato : tout le monde est toujours très énervé, très triste, très rancunier ou très discipliné – mais surtout , surtout très énervé, notamment Kodai qui a de gros problèmes de nerfs et va nous claquer un AVC à 50 piges s’il ne lève pas le pied sur la caféine (ou la coke).

Et là, forcément, comme dans nombre d’adaptations de manga (pensons à Crying Freeman), c’est simple : soit on adhère, on rentre dans le trip grandiloquent à la japonais, soit on décroche en refusant de bouger de l’esthétique occidentale. La plupart des spectateurs décrochent (Space Battleship reçoit une note moyenne de 2,1/5 chez Allociné, totalement imméritée à mon avis, même si elle s’explique). Personnellement, j’adhère à fond – VO sous-titrée obligatoire, bien sûr.

Alors oui, l’arme ultime gros canon de la mort du Yamato est manipulée sur la passerelle avec… un flingue et il convient de viser. Oui, les uniformes de vol ont l’air d’une démonstration en vinyle pour une palette Pantone. Oui, ça crie beaucoup, ça en a gros sur la patate, ça brandit le devoir et la patrie (ici, la Terre) dans tous les sens. Mais bon, je ne sais pas vous, mais si j’étais à bord du seul vaisseau à pouvoir sauver la planète traversant la galaxie vers l’inconnu, moi aussi j’aurais besoin d’un câlin.

Bret, tout ça, ça fait partie du truc, c’est le jeu : c’est une adaptation de manga. Et surtout, c’est un blockbuster qui s’assume, une sorte de transposition des grosses productions hollywoodiennes remixées par un oeil japonais.

Et c’est probablement là que réside la meilleure surprise de ce Yamato : c’est du grand spectacle, alors on s’attend à connaître le déroulé de l’intrigue, la fin, les rapports entre personnages. Sauf que non. Ce n’est pas un film américain, ça n’en a que l’emballage. Sans vendre la mèche, les relations, les coups de théâtre appartiennent à une logique narrative légèrement différente de ce dont on a l’habitude, qui s’adapte très bien à cet univers, et c’est grâce à cela que ce film parvient à créer quelques surprises et une impression durable.

En résumé, il faut voir ce Yamato en s’attendant à un film à grand spectacle et en garant à l’esprit qu’il s’agit d’une adaptation moderne d’un manga de la fin des années 70. Dans ce cas, excellent moment garanti, encore plus pour les fans de space op’. Par contre, si vous n’adhérez pas au trip et gloussez bêtement chaque fois que vous entendez une phrase en japonais, faites une faveur à tout le monde, à vous comme aux autres : passez votre chemin. Sérieusement. Et laissez les gens que ça émeut sincèrement en profiter tranquilles.

Non mais.

2012-09-13T11:35:21+02:00jeudi 13 septembre 2012|Fiction|8 Commentaires

Retour au Source (Code)

Il y a à peu près onze ans et demi, je mentionnais Source Code aux côtés de L’Agence comme les deux films dickiens sortis en 2011 à peu près à la même période, et après avoir débiné le second, je promettais de parler du premier. Auguste lectorat, ce blog a une loi : dès que je dis publiquement que je vais faire un article sur quelque chose, il se passe onze ans et demi avant que je le fasse. À peu près. Il faut donc, suivant le conseil donné par Arthur à Perceval, que j’arrête de dire des trucs.

Source Code est sorti il y a une dizaine de mois, mais vaut la peine d’être sauvé de la masse des productions à moyen budget vite oubliées. Colter Stevens est un pilote d’hélicoptère revenu d’Afghanistan qui se réveille dans un train de banlieue à Chicago avec le visage d’un autre homme, en compagnie d’une femme qu’il ne connaît pas, jusqu’à ce que bam, le train explose.

Sacré lundi matin.

Il se réveille dans un cockpit qui est peut-être le sien, peut-être pas. Il apprend qu’il participe à un programme secret de l’armée appelé le « code source » qui lui permet, par inférence informatique, de revivre les huit dernières minutes précédant la mort d’un homme. Sean Fentress, l’homme dont il avait pris la place à bord du train, est mort dans l’attentat d’un forcené qui promet de récidiver. À l’aide du code source (nom qui fait genre, mais qui n’a rien à voir avec ce qu’est un vrai code source, nous sommes bien d’accord) Colter doit trouver le mode opératoire et le coupable du premier attentat dans l’espoir de sauver les passagers d’un deuxième train.

Il replonge ainsi d’innombrables fois dans cette réalité virtuelle, qui présente certains parallèles avec Un Jour sans fin, progressant à chaque fois d’un pas de fourmi vers l’auteur des crimes, recoupant les indices, mais apprenant aussi peu à peu ce qui lui est vraiment arrivé avant le code source. Pour tout arranger, Colter acquiert au fur et à mesure de l’empathie pour les passagers – qui, lui explique-t-on, ne sont que des simulations de personnes déjà mortes – et chacun de ses décès constitue une expérience traumatique qui vient ébranler un esprit déjà très inquiet de sa situation. Dans la plus pure tradition dickienne, les frontières entre réalité et simulation se brouillent à mesure que l’on s’interroge sur la vraie nature du code source.

Impossible d’aller plus loin sans vendre la mèche, bien sûr, mais Source Code remplit toutes ses promesses et répond à toutes ses questions d’une façon qui n’est pas toujours d’une grande originalité, mais efficace et bien présentée. Il se paie même le luxe de proposer quelques coups de théâtre concernant les règles de l’univers, posant des interrogations plus vastes sur la perception de la réalité – on n’est pas à la hauteur, intellectuelle ou visuelle, d’un Inception ni d’un Dark City, mais l’ouverture est plutôt intelligente et bienvenue. Même la petite dose obligatoire de patriotisme et de bons sentiments passe sans douleur, pour un final qui ne sombre pas entièrement dans la facilité à laquelle on s’attendait.

Bref, Source Code n’est pas un chef-d’oeuvre, mais c’est un bon film parfaitement conscient de ses ambitions et qui les remplit avec brio, pour un divertissement bien ficelé, très satisfaisant, avec le soupçon de bouleversement des repères qui convient au genre – sa seule faute de goût étant peut-être son titre. Contrairement à L’Agence, ce thriller dickien vaut amplement le visionnage.

2012-02-17T20:19:33+01:00vendredi 17 février 2012|Fiction|6 Commentaires

La contagion ne prend pas

Contagion. Un casting de malade : Marion Cotillard, Matt Damon, Laurence Fishburne, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Kate Winslet. Steven Soderbergh aux commandes. La menace d’un virus qui décime la planète, la promesse d’une tourmente humaine, de sentiments forts, de désespoir, de fraternité, peut-être d’une rédemption. Panique, angoisse. La perspective de se faire peur, d’être ému, choqué, bref de vibrer au premier degré de façon très assumée, et peut-être au second si le film le permet.

Sauf que non.

Contagion, c’est simple. C’est l’histoire de types, y a un virus, et puis ils meurent.

Et on s’en fout.

Le scénario tente le pari des récits croisés, chacun explorant un fil de la confrontation face à un fléau médical d’une rare violence, qu’il s’agisse du médecin confronté à sa propre déchéance, de l’OMS s’efforçant de réagir au plus vite, du père de famille mystérieusement épargné par la maladie qui décime les siens, du blogueur activiste un peu ripou sur les bords qui oppose à la voix des spécialistes celle de la multitude désinformée d’Internet. Chacun réagit à sa manière face à la menace, à la peur, à la désagrégation de la société confrontée à sa possible extinction. Le lecteur de bon goût est ramené par exemple à Spin de Robert Charles Wilson dans le traitement de cette thématique. Et Contagion propose des points de vue intéressants et d’une modernité plutôt bien trouvée, sans compter que – pour une fois – l’aspect scientifique est traité plutôt correctement.

Sauf que jamais, la mayonnaise ne prend, ne restant qu’un empilement de fils narratifs à peine ébauchés, où l’investissement ne naît jamais, où les problématiques pourtant prometteuses demeurent égratignées, et où les tentatives de tirer sur les cordes émotionnelles du spectateur résonnent à vide. Kate Winslet est evoyée évaluer la maladie sur le terrain, on la suit dans ses déplacements, et puis à un moment, elle tombe malade. Elle a très très peur, et on la comprend. Mais on s’en balance total. Marion Cotillard, autre experte, est prise en otage pour que l’acheminement d’un possible remède devienne prioritaire vers un village de la campagne chinoise. Elle s’attache aux villageois. D’otage, elle devient pilier de la communauté. Mais on n’en voit rien, on n’en sait rien, et le verdict devient en conséquence le même : on s’en balance. Comme de ses villageois, probablement très sympathiques, mais inconnus au bataillon scénaristique. Pourquoi, demande-t-on à la narration, dois-je me soucier de tout cela ? Parce qu’ils sont en danger ? Ça ne suffit pas. Les personnages sont en carton-pâte, sans attaches – ou éventuellement stéréotypées – ce qui suscite rarement plus qu’un « ah ben c’est quand même moche » quand les victimes commencent à s’entasser.

En fait, à son corps défendant, Contagion est une parfaite démonstration d’un travers honteux mais réel de la nature humaine, exprimé avec une clairvoyance d’une cruauté glaciale par Staline : un mort, c’est une tragédie, un million, c’est une statistique. C’est scandaleux, c’est détestable, mais c’est vrai. Et la fiction porte des drames, pas des statistiques. Sans personnages, sans discours, sans fils narratifs forts, Contagion échoue là où un film comme Collision réussit magnifiquement avec une envergure bien moindre dans les enjeux. Le récit de Soderbergh aurait mérité une ou deux trames narratives de moins, un parti pris clair sur les thèmes à traiter, un choix, pour sensibiliser le lecteur au propos qu’il voudrait tenir. Si seulement il en avait un.

Mais à vouloir être partout, Contagion n’est nulle part. On n’en ressort pas scandalisé, mais pas ravi non plus. On se dit qu’on a vu un récit sans âme, pas tellement creux, mais pas tellement consistant quand même. Contagion, finalement, c’est ça : pas tellement grand-chose.

2011-11-23T12:13:35+01:00mercredi 23 novembre 2011|Fiction|Commentaires fermés sur La contagion ne prend pas

L’Agence ment

J’ai récemment eu la chance de faire deux vols longs courrier, et c’est l’occasion idéale pour rattraper les films qui vous faisaient de l’œil à la bande-annonce, mais sur lesquels vous n’avez pas reçu suffisamment de retours – ou éprouvé assez de motivation – pour faire l’effort d’aller les voir. Parmi ceux-là, et sortis à un mois d’intervalle en début d’année, L’Agence et Code Source, deux longs-métrages à l’argument dickien (le premier est adapté de la nouvelle « Rajustement » du maître, le réalisateur du second déclare clairement ses influences), mais avec un habillage relativement grand public. Alors c’est du réchauffé, je sais, mais c’est aussi l’occasion de revenir sur des récits qui ont pu passer inaperçus, à tort.

Ou, dans le cas de L’Agence, à raison.

David Norris a tout pour être heureux. Le plus jeune sénateur de l’état de New York brigue un poste de sénateur ; enfant des quartiers pauvres, impulsif et bagarreur mais aussi droit et franc, c’est le chéri de l’opinion publique. Rien ne semble arrêter son ascension.

Un soir, par un concours de circonstances, il rencontre Elise, une jeune femme dont l’humour à froid le séduit aussitôt. Le coup de foudre est immédiat et mutuel. Mais une mystérieuse faction, constituée d’hommes en costumes neutres, aux chapeaux un peu surannés, se ligue pour empêcher leur histoire. Car celle-ci dévie du « plan » établi pour l’humanité par un certain « Grand Patron » dans le plus grand secret.

L’esthétique un peu décalée des drôles de représentants de cette « agence » et l’usage du célèbre effet papillon appliqué aux actes du quotidien – par une succession de coïncidences, David et Elise pourraient devenir des acteurs majeurs de l’histoire de leur pays – laissaient promettre une atmosphère oppressante, un combat désespéré pour le libre arbitre avec, au passage, quelques ouvertures semi-philosophiques ou quelques jeux amusants sur l’identité de ce fameux « Grand Patron ». Après tout, Matt Damon avait déjà joué un Jason Bourne sévèrement bourné (pardon) avec une thématique semblable : l’homme seul contre un pouvoir qui le dépasse dans la conquête de sa liberté. C’était du thriller pur, ça tirait davantage que ça ne discourait mais c’était bien fichu, et Bourne, cible des agences du monde entier, parvenait à générer la sympathie.

Mais L’Agence ne décolle jamais. Au contraire, le scénario semble scrupuleusement éviter toute réflexion – et même tout jeu – dépassant le manichéisme gentillet du « j’aime la fille, mais les méchants, y veulent pas ». Cette belle idée de ces agents influant discrètement sur l’histoire humaine ne sert que de toile de fond à une histoire d’amour finalement dénuée d’enjeu, parce que se déroulant entre deux personnages bidimensionnels. Il y avait pourtant une ouverture sur le confort qu’apporte un couple contre la réalisation personnelle qu’on lutte pour atteindre dans la solitude, mais c’est abordé comme une simple péripétie.

L’univers proposé – l’hypothèse imaginaire – ne rattrape pas cette absence de profondeur : les agents présentent des pouvoirs tour à tour surpuissants (laver le cerveau des humains, ajuster leurs émotions, une télékinésie à rendre jaloux David Copperfield et j’en passe) et se montrent d’une ineptie surprenante dans certaines prises de décision, ou bien incapables de rattraper un type à pied alors qu’ils peuvent cavaler derrière un bus sur plusieurs pâtés de maisons. Le Grand Patron ne sera jamais explicité, pas plus que cette société d’agents séculaires fatigués dont certains doutent de leur mission.

J’avoue n’avoir pas lu « Rajustement » et j’ignore si ces défauts sont présents dans la nouvelle d’origine – malgré tout le respect et l’admiration que j’éprouve pour Dick, il faut convenir que certains de ses textes courts ne vont pas au-delà de l’idée géniale et manquent d’une vraie histoire pour la porter. Quoi qu’il en soit, L’Agence aurait pu élargir son propos sans aucune difficulté, le placer dans un contexte plus vaste et, par retour, donner du poids à la romance contrariée au centre de l’histoire ; mais le film s’y refuse très scrupuleusement. En conséquence, le sort de cette relation reste parfaitement anecdotique et ne suscite pas d’intérêt.

L’ennui s’installe donc et ce n’est pas le twist final – visible à trois kilomètres – ni le discours convenu qui l’accompagne qui rattraperont la sauce. On ne passe pas forcément un mauvais moment, mais on ne vibre pas, ne s’inquiète pas, ne réfléchit pas. C’est un film inodore et sans saveur, facilement digeste, loin des atmosphères anxiogènes teintées d’absurdité qui font la patte de Dick ; il roule sur des rails convenus, ce qui ne manque pas d’ironie. Sur une thématique proche, il y aura potentiellement mieux à faire de deux heures de son temps, par exemple tenter Code Source (chronique à venir).

2011-12-17T10:32:13+01:00lundi 24 octobre 2011|Fiction|6 Commentaires

Dix choses indispensables que m’a appris Mega Shark Vs. Giant Octopus

Auguste lectorat, tu connais mon amour immodéré pour la faune marine (et, je l’espère, ma modeste compétence en la matière). Mais j’ai vu Mega Shark Vs. Giant Octopus et j’ai compris la vérité. L’océanobiologie n’a rien à voir avec ce que je croyais avoir appris, avec ce que j’avais expérimenté. Surtout quand un mégalodon et un kraken géant emprisonnés depuis des milliers d’années se trouvent libérés brutalement et foutent le dawa à travers le monde, traumatisant la navigation et les habitations côtières. Heureusement, un biologiste marin, ça sauve le monde. Et ça se tape son homologue dans le placard à balais.

Voici dix leçons qui, un jour, te sauveront la vie.

10. Les supérieurs de l’armée te gueulent tous dessus et font la tronche (mes condoléances pour la perf’, Lorenzo Lamas).

9. Dès que la glace qui emprisonne un organisme se brise, il reprend direct son activité comme s’il ne lui était rien arrivé. (Au secours, j’ai peur de mes surgelés.)

8. À en juger par le morceaux de chicot laissé dans le cadavre de baleine au début, les requins géants n’ont pas des dents, mais des vilebrequins.

7. Tous les profs de biologie marine à la retraite disposent à la maison d’un iMac 28 pouces, d’une banque de données crocs & dentition complète de la faune mondiale et d’un spectrographe de masse que leur labo n’aurait jamais eu les fonds de se payer en vingt ans d’allocations de fonds.

Ah, tu tombes bien, j'étais en train de craquer le serveur du Pentagone.

6. Je l’avais pressenti en regardant Les Experts, j’en ai la confirmation : la science se résume exclusivement à mélanger des liquides dans des béchers sur fond de musique lounge dans une atmosphère tamisée en attendant qu’un truc vire au fluo. (Et si c’est vert, c’est très puissant.)

Soit c'est un très grand bureau, soit on a filé à ces pauvres gens de toutes petites chaises.

5. D’ailleurs, si tu ne trouves pas la solution à ton problème, envoie-toi en l’air dans le placard à balais et ça te viendra par magie. Je savais bien que j’aurais dû faire une thèse.

4. Un requin capable de nager à 800 km/h pour traverser l’Atlantique à toute berzingue n’est malgré tout pas foutu de rattraper un sous-marin de poche. Il était nucléaire, faut dire, et le nucléaire, c’est cool.

Le Crétacé était une époque tellement peu évoluée que les animaux avaient tous moins de polygones qu'aujourdhui.

3. D’ailleurs, les biologistes marins sont des têtes brûlées qui chouravent des sous-marins nucléaires de poche à l’armée pour aller passer du Beethoven aux baleines en migration. (Je jure que je n’invente rien.)

2. Pour atteindre une cible sous-marine, tire au canon anti-aérien. (Puis étonne-toi que ça foire.)

1. Tous les cuirassés américains et japonais ont le même plan intérieur, seul l’éclairage change.

"Mais qu'est-ce qu'on fout dans un data center ?" "C'est la passerelle d'un cuirassé, alors ta gueule."

"Mais qu'est-ce qu'on fout dans une laverie ?" "ON A DIT QUE C'ÉTAIT LA PASSERELLE D'UN CUIRASSÉ FFS§§§"

Allez, une petite bande-annonce ?

2011-07-07T16:23:01+02:00jeudi 7 juillet 2011|Fiction|18 Commentaires

Transposition réussie pour Le Trône de fer

Quatre épisodes venant d’être diffusés aux États-Unis, il devient possible d’avoir un peu de recul sur l’adaptation en série du Trône de fer (Game of Thrones), une des meilleures séries de fantasy moderne, écrite par G.R.R. Martin. Enfin, autant de recul qu’il est possible quand on a lu les livres et connaît donc l’histoire – le Trône de fer reste bien en mémoire en raison de l’attention qu’il exige, née des dizaines de personnages qui y figurent.

Pour ceux qui ignorent ce dont il est question : Le Trône de fer raconte l’histoire de plusieurs maisons nobles luttant pour le trône fédérant le royaume ; un monde aussi menacé de l’intérieur, par ses innombrables manœuvres politiques où nul ne jouit de l’immunité scénaristique, que de l’extérieur, entre le retour annoncé d’anciennes terreurs rôdant par-delà le grand Mur qui isole le nord, et la dynastie renversée à la génération précédente qui menace de revenir s’emparer du pouvoir. C’est une saga complexe aux multiples personnages, forts et passionnants ; Martin a un talent unique pour façonner les grands événements historiques à partir de la petite histoire du quotidien. Entre le nombre de fils d’intrigue, la multiplicité des décors, la finesse du scénario et son ton adulte, résolument sombre, adapter cette œuvre pour la télévision semblait une gageure.

Mais le défi est relevé avec panache ; le fait que Martin soit producteur exécutif n’y est probablement pas étranger. La première chose qui frappe dans cette adaptation est la qualité graphique : décors et costumes présentent un soin peut-être sans précédent pour une série télévisée, et fait sans difficulté jeu égal avec la version cinéma du Seigneur des Anneaux. Le générique (dont on ne se lasse pas et dont la musique vous rentre dans la tête plus vite en mémoire qu’À la volette) annonce la couleur : il s’agit d’une grosse production comme d’une création originale, avec une patte et une atmosphère uniques :

Les acteurs présentent tous un jeu impeccable (en VO du moins), et sont d’une incroyable justesse par rapport aux personnages du livre, y compris physiquement (il s’agit du sentiment personnel de votre serviteur, mais il semble partagé par la plupart de critiques). Daenerys Targaryen fait poupée de porcelaine à souhait, Jaime Lannister est aussi séduisant que vicieux, Jon Snow impulsif comme sympathique. On peut à la rigueur s’étonner du choix de Sean Bean (Boromir dans le SdA) pour Eddard Stark, qu’on imaginait plus sec et austère, mais il s’acquitte sans peine du rôle et l’investit de mieux en mieux au fil des épisodes.

Mais le principal, le scénario, ne se trouve également trahi en rien, que ce soit dans sa complexité comme dans sa maturité. Bien sûr, le nombre de personnages principaux se voit grandement réduit à un nombre convenable pour la télévision, mais ne perd rien des événements principaux ni des relations entre les uns et les autres. Ce ne sont que quelques fils d’intrigue secondaires qui sautent pour des raisons de clarté, ce qui sert ceux qui restent. La série peut toutefois donner l’impression d’avancer un peu trop vite et de peiner à offrir quelques moments de respiration dans le tourbillon d’événements qu’il lui faut présenter à chaque épisode et le nombre de fils à faire avancer, mais, au moins, rien ne piétine et on peut penser que la narration trouve peu à peu dans son rythme.

Game of Thrones est donc une grande série, un modèle d’adaptation intelligente et sans concession qui donne vie à un grand monde, et qui devrait servir de mètre-étalon pour celles qui suivront, loin de la pantalonnade que devrait être le Conan 3D de cet été. Les lecteurs des livres auront plaisir à voir s’animer sous leurs yeux les fourberies et la noblesse des personnages qu’ils ont apprécié, à arpenter le grand Mur en compagnie de Jon Snow, à ricaner des traits d’esprit de Tyrion Lannister ; et ceux qui ne savent pas encore que l’hiver arrive feront bien de se précipiter sur la diffusion française de la série quand elle passera en juin sur Orange Cinéma Séries. Un tome original devrait occuper une à deux saisons de Game of Thrones ; il nous reste à espérer que la série connaisse le succès qu’elle mérite pour rentabiliser le budget pharaonique qu’elle exige certainement.

2011-05-11T11:41:40+02:00mercredi 11 mai 2011|Fiction|15 Commentaires

Thor pillé

L'histoire d'un mec marteau.

Autrefois, les géants des glaces de Jotunheim et les immortels d’Asgard, aux pouvoirs divins, se livrèrent une grande guerre autour de la Scandinavie, donnant naissance aux croyances mythiques qui nous sont parvenues sur Odin, Sif, Loki, et surtout Thor.  Sauf qu’en réalité, Jotunheim est une planète gelée, Asgard une cité située à des années-lumière de la terre où la technologie et la magie se mêlent, le bifrost1 un trou de ver, et Thor un jeune abruti. Prenant l’infiltration de géants des glaces en Asgard comme prétexte pour rompre la trêve qui unit les deux peuples, Thor embarque ses copains dans une expédition punitive sur Jotunheim, laquelle tourne mal, ce qui lui vaut d’être banni sur Midgard – notre Terre, bien sûr – pour y vivre en humain. Là, il tombe sur Nathalie Portman et trouve aussitôt que Midgard est un endroit pas si naze – on le comprend – enfin, plus exactement, il tombe sur Jane, geek de l’astrophysique qui lui prête main-forte dans sa quête de ses pouvoirs perdus et le renversement de son traître de frère, Loki.

Ça semble classique ? Ça l’est. Rien de ce Thor n’est empreint de la moindre surprise. Le scénario a été vu mille fois – la cité mise en danger par le traître ; la jolie fille pas très douée socialement qui lorgne le bellâtre qui lui est tombé (littéralement) du ciel ; le super-héros super-déchu en quête de ses super-pouvoirs pour retourner super-marave la tronche au super-méchant. Les images sont jolies, mais toutes très lisses ; images de synthèse formule vernis brillant sans grande inspiration, des scènes d’action sans trouvailles notables. Seuls détails intéressants, on pourra éventuellement retenir le bifrost qui mérite véritablement son appellation de pont arc-en-ciel, quelques scènes un peu décalées qui tirent quelques sourires et la présence d’un Thor très impulsif à qui le séjour sur Terre mettra du plomb dans la tête, montrant un héros divin néanmoins capable d’apprendre.

Mais ça ne pèse pas bien lourd. Ce Thor est si calibré sur les canons hollywoodiens du blockbuster qu’il manque remarquablement d’âme. On espérait notamment bien mieux de J. Michael Straczynski, co-auteur du scénario, l’homme derrière la génialissime Babylon 5. Il reste donc un film d’action dépourvu de toute profondeur, qui peut vaguement amuser, mais qui ne vaudra pas davantage qu’un regard distrait lors d’un passage à la télévision.

  1. Dans la mythologie, le pont reliant les mondes.
2011-05-09T10:19:51+02:00lundi 9 mai 2011|Fiction|18 Commentaires

Conan of Persia 3D

Mouais.

Alors Yahoo! Movies a publié la bande-annonce du Conan 3D qui sort en août.

Je ne voudrais pas donner dans l’alarmisme primaire dès qu’il est question de gros budget et de 3D, je ne voudrais pas faire mon vieux cabrelliste « c’était mieux avant » en étant incapable de voir Conan sous des traits autres que le Governator, mais, sérieux, je crains le pire. OK, y a manifestement un peu de fesse histoire de bien montrer que c’est les âges barbares, tu vois, on galipette sans s’inviter à dîner, c’est une époque fruste, tout ça, mais je trouve ça terriblement lisse et sans âme, avec des décors grandiloquents en images de synthèse qu’on a vus douze fois.

Et puis, sérieux, c’est quoi ce Conan avec son petit sourire en coin de jeune premier et sa chevelure huilée ? Franchement, il aurait plus sa place à jouer chez les Dothrakis de Game of Thrones, genre Khal Drogo, par exemple, il le ferait très b…

… Zut, c’est effectivement lui.

Bon. Euh. Voilà.

On verra, hein ?

2011-05-05T16:57:13+02:00jeudi 5 mai 2011|Fiction|37 Commentaires
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