Apprenons à ponctuer des dialogues (2) : le formatage classique

lolcat-i-question-the-general-assumption-that-feli1 Pourquoi ponctuer correctement des dialogues ? Une autre raison : un éditeur m’a confié lundi après le premier article

Pense à glisser quelque part qu’un dialogue mal formaté est presque un critère de refus tant on en voit défiler et à quel point ceux qui les étudient sur tablette ou écran se RUINENT les yeux sur des listes à puce et des put*** de tirets et de mises en forme fantasques.

C’est clair, non ?

Bien. Tout est en ordre et assimilé après l’article de lundi ? Votre traitement de texte est configuré et la différence réplique / didascalie claire ? Alors, allons-y.

Comme énoncé lundi, le formatage classique fait appel aux guillemets et tirets de réplique. Tout le monde, en général, connaît la règle de base :

  • Ouvrir les guillemets au début du dialogue,
  • Tiret en tête de chaque réplique,
  • Fermer les guillemets à la fin du dialogue.

Mais c’est facile à dire. Que fait-on quand surgit une longue didascalie ? C’est la fin du dialogue, ou pas ? Et quand une précision narrative s’insère dans une réplique ? Je fais quoi ?

L’exemple suivant présente à peu près tous les cas de figure possibles :

« Ceci est un exemple de formatage de dialogue », annonça Jean.

Pierre fit la moue. « Vraiment ? Et nos répliques sont donc artificielles… ? s’étonna-t-il.

— Parfaitement. » Jean avait l’air content de lui. « Dis donc n’importe quoi, pour voir.

— Je ne suis pas d’accord avec cette manipulation (il frappa du poing sur la table) et je tiens à le proclamer !

— Proclame ce que tu veux, ricana Jean avec un sourire mauvais dont une longue description ne servirait qu’à montrer la possibilité de rallonger autant qu’on veut l’incise à partir du moment où cela reste clair pour le lecteur. L’exemple est déjà terminé. »

Rappelle-toi, auguste lectorat, la règle de lundi : la clarté. Les répliques étant incluses dans des guillemets (ou démarrant par un tiret), il s’agit de les fermer si une confusion est possible avec la narration. Dans les faits, on ferme les guillemets (et on les rouvre) si et seulement si la didascalie qui suit est une phrase autonome.

Ce qui nous donne, dans le premier cas :

— Proclame ce que tu veux, ricana Jean avec un sourire mauvais dont une longue description ne servirait qu’à montrer la possibilité de rallonger autant qu’on veut l’incise à partir du moment où cela reste clair pour le lecteur. L’exemple est déjà terminé. »

Et dans le deuxième :

— Parfaitement. » Jean avait l’air content de lui. « Dis donc n’importe quoi, pour voir.

À la lecture, c’est parfaitement transparent. Simple, non ?

Les parenthèses sont possibles, mais rares : elles servent en général à insérer une didascalie en rupture avec le flot naturel de la phrase, ce qui n’est pas très courant :

— Je ne suis pas d’accord avec cette manipulation (il frappa du poing sur la table) et je tiens à le proclamer !

Notez que la virgule se situe à l’extérieur des guillemets :

« Ceci est un exemple de formatage de dialogue », annonça Jean.

Car, grammaticalement, la réplique comprise dans les guillemets est un « paquet » indépendant ; la phrase se lit réellement comme suit :

Jean annonça : « Ceci est un exemple de formatage de dialogue. »

En revanche, si un point d’exclamation ou d’interrogation termine la réplique, la virgule saute. Elle ferait double emploi avec l’indicateur d’humeur du locuteur, qui figure alors dans la réplique.

En résumé

  • Guillemets ouvrants et fermants au début et à la fin du dialogue ou en cas d’incise narrative, mais seulement si une confusion est possible avec la didascalie (typiquement, une phrase autonome)
  • Tirets cadratins en début de réplique si les guillemets ont été ouverts
  • Virgules à l’extérieur des guillemets (« Salut », dit-il) mais les autres signes sont internes et  (« Non ! » cria-t-il)
  • Rarement : si brève irruption d’une didascalie en milieu d’action, parenthèses.
2014-08-05T15:13:13+02:00mercredi 26 mars 2014|Best Of, Technique d'écriture|26 Commentaires

Apprenons à ponctuer des dialogues (1) : mise en place

dialog_wheelConfucius l’a dit, le dialogue, c’est la moitié de l’être (ou bien il a dit un truc approchant, j’ai la flemme de chercher une citation qui fasse genre, convenons ensemble que nous sommes épatés) et, dans la narration de fiction, c’est probablement une des formes les plus directes d’action, de dramatisation (au sens de mise en scène, selon la racine grecque drama – et oui, là je suis sérieux), puisqu’en temps réel, et démonstrateur d’échange entre personnages, entre voix. Or, dans les textes qu’il m’arrive de relire, de la part d’étudiants de traduction ou de jeunes auteurs, je remarque fréquemment que la typographie et la ponctuation sont dispersées un peu au hasard, avec la gêne visible de manier tout cet attirail de signes complexes, guillemets et tirets. Histoire de mettre les choses à plat, trois petits articles cette semaine pour que vous soyez totalement au taquet sur la question et que vos dialogues transcendent la clarté pure du cristal, comme disait Lao-Tseu. (Non, c’est pas vrai non plus, mais vous aviez deviné.)

Pourquoi typographier correctement un dialogue ?

Pourlamêmeraisonqu’unephrasesansespacesestillisible. Les signes de ponctuation, la disposition des répliques, participent de deux choses :

  • De la clarté. Qui parle à quel moment ? Qu’est-ce qui fait partie de la réplique et de l’action ? Il s’agit pour le lecteur de lire avec fluidité, sans s’arrêter en se disant : « Quoi ? J’ai rien compris. »
  • Du rythme. La disposition des paragraphes, des répliques, la longueur de l’action au sein du dialogue contribuent à l’ambiance et donc, relèvent d’un choix esthétique – le vôtre.

Schématiquement, dans un dialogue, l’auteur transmet les informations nécessaires à la compréhension de l’action par deux canaux différents. Il y a :

  • Les répliques. Tout ce que les personnages disent : Ça va / beau temps n’est-ce pas / où sont les microfilms espèce d’enfoiré / etc. ; et
  • Les didascalies. (C’est davantage un terme de théâtre, mais puisque le dialogue est avant tout une technique théâtrale, acceptons-le.) Il s’agit de tout ce qui relève des précisions scénaristiques et de mise en scène : qui parle, comment, que se passe-t-il entre deux échanges, ce peut être aussi bref que « dit-il » et aussi développé que « dit-il d’une voix suave comme un été du Pacifique avec un regard lourd de toutes significations brûlantes auxquelles Barbara n’osait penser par crainte d’attenter à sa bonne éducation de jeune fille du Michigan ».

La mission de l’auteur est cardinale : tout doit être fluide et clair. Si l’on confond les répliques avec les didascalies, il y a un problème. C’est à cela que sert, de la façon la plus transparente possible, la ponctuation des dialogues. Savoir la manier vous évitera des situations gênantes, par exemple le type dit « qu’il tire sur son voisin » alors qu’il devait vraiment le faire, ou bien la fille s’emmène toute seule au bout de la Terre alors qu’elle voulait le demander à ce beau jeune homme là-bas.

Il existe principalement deux systèmes de ponctuation de dialogues (les noms n’engagent ni le Littré ni le Bescherelle, c’est ma classification purement personnelle) :

  • Le formatage que j’appelle « classique », qui emploie guillemets (« ») et tirets (—).
  • Le formatage que j’appelle « moderne », qui n’emploie que les tirets (—) et appelle les parenthèses en renfort.

Nous verrons chacun d’entre eux dans les articles suivants. Il existe d’autres systèmes, plus ou moins composites entre les deux précédents, mais, de mes modestes expériences éditoriales, rien ne me prête à penser qu’ils soient en aucune manière standards et acceptés par l’usage. En gros, c’est moderne ou classique ; en-dehors, on n’est pas dans les règles.

Pour l’heure :

Quelques règles de base avant de commencer

Les guillemets en français sont les doubles chevrons. Point barre. Les guillemets « apostrophes » (soit ‘ ‘ ceci ‘ ‘ ) ne sont pas les guillemets français, mais anglais. On n’en s’en sert pas. (Ou alors, à l’intérieur d’autres guillemets déjà ouverts, mais restons simples sur cette série d’articles.) Les guillemets sont isolés du reste de la phrase par une espace1 insécable. Soit « chose » s’écrit en réalité «[]chose[]».

Si votre traitement de texte ne remplace pas automatiquement les guillemets anglais par les français, rien ne vaut de connaître le code caractère correspondant : sous Windows, maintenez la touche Alt, puis tapez le code sur votre pavé numérique. « : Alt + 0171. » : Alt + 0187.

Le tiret de dialogue est un tiret cadratin. C’est-à-dire que c’est un tiret long, le plus long de la police de caractères. Ce n’est pas un trait d’union (-) ni un tiret d’incise (semi-cadratin, plus long : –). Il s’obtient dans certains traitements de texte en tapant simplement deux tirets : — mais le plus efficace reste là aussi de connaître, sous Windows, son code caractère : Alt + 0151.

Les listes automatiques sont votre ennemi. Le dialogue s’aligne avec le reste du texte : même marge, même alinéa. Mais si vous commencez à taper des phrases qui commencent par des tirets cadratin, votre traitement de texte peut considérer qu’il s’agit d’une liste à puces et vous le formater comme tel – ce qui est exclu ici. Comparez :

dialogues-raccord

L’alinéa est matérialisé par la ligne rouge : dans l’exemple du haut, les tirets (qui ont été changés en semi-cadratins automatiquement par le traitement de texte) sont décalés par rapport au reste du texte. Ce n’est pas le cas en-dessous.

Rendez-vous donc dans les options de votre traitement de texte. Sous Word 2010 :

Cliquez pour un agrandissement

Cliquez pour un agrandissement

Désactivez l’option correspondante, et profitez-en, le cas échéant, pour activer les guillemets français et les tirets cadratins automatiques.

Nous voilà prêts à étudier les deux grands types de formatages de dialogue en français.

  1. Car oui, les espaces sont féminines en typographie. C’est joli, non ?
2014-08-05T15:13:13+02:00lundi 24 mars 2014|Best Of, Technique d'écriture|35 Commentaires

Des plumes et des partitions

semaine_musicale_quimperAvant-hier et quelques semaines plus tôt, je me suis retrouvé sur les routes (pour Rennes, ça va – et Quimper, ça va encore). Le but : aller parler d’écriture à des lycéen-ne-s – ou plutôt, de la façon dont je le vois, les faire parler de leur écriture, et m’efforcer de leur proposer des armes pour la porter encore plus haut. Le contexte : le concours Plumes et Partitions, organisé par les semaines musicales de Quimper. Chaque année depuis 2011, plus de 400 élèves de secondaire, en collaboration avec leurs professeurs de français, envoient des nouvelles de quelques pages sur des thèmes fixés (en 2014 : « La nuit » ou « Rêves »). Un jury d’une quinzaine de personnes – écrivains, professeurs, journalistes – sélectionnent ensuite les finalistes, et le-a gagnant-e voit son oeuvre mise en musique par un compositeur lors d’un concert. Une jolie consécration. 

Les vingt finalistes se voient aussi publiés dans une petite anthologie… et, heu, me gagnent avec (ruban cadeau autour du crâne, après tout, il faut bien que je tire parti de ma récente ressemblance avec un œuf de Pâques1). Nous avons parlé de technique d’écriture, je me suis efforcé de démystifier certaines idées reçues sur le travail de l’auteur (oui, il est normal de rencontrer des passages où l’on rame / non, l’inspiration n’est pas automatique / oui, l’écriture peut avoir une méthode / non, le temps ou le travail passés sur une oeuvre ne sont pas en corrélation directe avec sa qualité finale, malheureusement) et de passer mon mantra : apprendre à écrire, c’est apprendre à se connaître.

Bien, si j’en parle, c’est parce que, bon sang, j’ai été très, très agréablement surpris par la qualité des textes que j’ai lus, et, bon sang, c’est chouette. Dans ce que j’ai lu, il y avait une vraie énergie, des histoires, des personnages, un sens de la narration déjà très affûté, et beaucoup de sincérité. (Enfin, ça, on n’en sait rien. Il est impossible de savoir si un auteur est sincère, à moins de le connaître très bien. Mais tant que ça en donne l’illusion, le lecteur est content, et c’est important quand on écrit avec une visée publique.) Et surtout, une attitude vraiment très active, et critique vis-à-vis de la pratique de l’écriture. À ma question d’introduction volontairement provocatrice : « Quelles sont les règles de l’écriture ? » (réponse : aucune, en vérité, à part celle d’être compris-e), c’est limite si je n’ai pas eu une mini-rébellion : « aucune, sinon ce n’est pas drôle ! » « sinon tout serait pareil ! » Et ça, eh bien, ça me fait drôlement plaisir.

Cela me pose quelques questions sur ce qui se passe, cette période floue et mal définie, entre le moment où l’on a seize ans, les crocs dans l’existence, des idées à la fois peu formées et très déterminées, et le moment où l’on en a vingt, trente, où, pour beaucoup, on s’ossifie, on se dessèche, on n’ose plus. Je parle strictement (ah oui ?) d’écriture : dans mon passé de rédac’chef, il m’est arrivé de recevoir des textes bien moins aboutis, bien moins ficelés, que ces courtes nouvelle de lycéens, comme si, à un moment dans le passage à l’âge dit « adulte » (impôts – boulot – sexe hebdomadaire lumière éteinte – prêt immobilier – club Med annuel), l’esprit se disait : oh, non, je ne peux pas faire ça, on ne fait pas comme ça, je dois faire de cette façon parce que c’est comme ça – on se rogne les ailes. What ? On s’en fiche. Si l’écriture est un reflet de l’existence et que son travail se trouve, par quelque processus alchimique opaque, le reflet de l’attitude de l’auteur dans l’existence (je le crois un peu – ce qui ne vous dit pas grand-chose, au final), alors, eh bien, l’on fait ce que l’on désire, avec son cœur et sa sincérité, tant qu’on en assume les conséquences : narratives, dans l’histoire du papier, ou l’histoire de soi.

Donc, non, je ne parle pas strictement d’écriture.

Donc, chapeau, les gens, et merci. Vous avez une clarté certaine de vision et de travail, et c’était simplement réjouissant à découvrir. Vous m’avez bluffé (et c’est pas facile), dans vos textes comme dans nos échanges. Je voudrais simplement vous dire, si vous me lisez : ne perdez pas ça. Que les années qui s’ajoutent vous donnent simplement davantage de matière à réflexion et élargissent votre champ des possibles, et surtout pas l’inverse.

Quoi, je suis sentencieux ? Souhaiter bon vent à quelqu’un ne peut pas lui nuire ; il est toujours libre de s’en fiche. Ce qui, dans le présent contexte, est peut-être aussi bien – si ce n’est meilleur.

Smile. 

  1. Je déconne, hein. HEIN.
2014-08-05T15:16:09+02:00vendredi 21 mars 2014|Technique d'écriture|2 Commentaires

Question : possédé par l’écriture

basement_cat_toasterPour commencer la semaine, une nouvelle question sur l’écriture… qui devrait être moins controversée que la précédente !

Je voulais savoir… tu n’as pas l’impression d’être immergé dans le monde que tu écris ? Que tu te retrouves à vivre avec les personnages les passages que tu écris ? Je te demande ça pour savoir si je déraille pas un peu. Ma question concerne ton degré d’immersion dans les scènes et dans les intrigues quand tu écris.

Je crois que tu ne dérailles pas, bien au contraire ! C’est un excellent signe, que la scène et les personnages prennent vie dans ta tête, devant tes yeux, et que tu te trouves transportée ailleurs. C’est un des grands plaisirs de l’écriture, et je crois même que c’est pour vivre précisément cela que beaucoup d’auteurs écrivent. Cela ne se produit pas forcément en permanence, certains passages sont plus difficiles que d’autres, viennent plus ou moins laborieusement, mais il arrive – le plus souvent possible, on l’espère – que l’on soit ainsi touché par la grâce.

Donc oui, tout à fait, je suis parfaitement cinglé et très souvent totalement investi dans le monde fictionnel. Quand ça se passe bien, les personnages prennent le contrôle de l’histoire, de l’action, et je n’ai qu’à les guider légèrement et à retranscrire ce qu’ils me racontent, ce que je vois. Cela ne fonctionne pas toujours, et quand cela n’arrive pas, ce n’est pas une raison pour s’arrêter (c’est juste, pour moi, le signe qu’il faut s’investir davantage), mais donc, au contraire, si ça t’arrive, je pense que c’est un de tr-s bon augure pour ton écriture. Peut-être dérailles-tu effectivement mais c’est un déraillement sain, et puis écrirait-on si l’on n’était pas un peu déraillé quelque part ?

Pas d’inquiétude, cultive cette impresion (tant que ça ne te rend pas inadaptée socialement)… !

2014-08-05T15:13:13+02:00lundi 27 janvier 2014|Best Of, Technique d'écriture|3 Commentaires

Question : relancer l’inspiration

writers_block_lolcatAprès un long hiatus, on reprend sur les questions concernant l’écriture (pour mémoire, n’hésitez pas à m’envoyer vos questions, j’y répondrai, si je me sens qualifié, par un article de blog). Parlons d’inspiration – cette inspiration si évanescente et volage, qui nous empêche de dormir la nuit et de bosser le jour :

Existe-t-il des trucs pour provoquer ou débloquer l’inspiration au lieu d’attendre qu’elle vienne toute seule ? Le blocage est difficile à expliquer, mais en gros, passé une phase où les images/idées/situations affluent toutes seules sans que j’aie à les chercher, il arrive souvent une phase où « ça ne veut pas », et j’ai beau à réfléchir à des moyens de relancer l’idée, rien de transcendant ne vient (sachant qu’en général, chercher la suite « logique » d’une situation aboutit à quelque chose de plat et d’inintéressant, c’est seulement quand je trouve une association d’idées inhabituelle que je sais être sur le bon chemin). Le plus souvent, ça finit par se débloquer de manière inattendue, mais des semaines ou des mois après. Je vois souvent dire que « l’inspiration n’est pas juste un truc qui tombe tout seul du ciel », mais je n’ai jamais lu de texte qui explique comment on peut la provoquer, ou au minimum la structurer. C’est un des rares aspects que je ne voie jamais abordé dans les conseils d’écriture, alors que de mon point de vue c’est une question fondamentale.

Tout à fait… Et je crains que chaque auteur fasse sa propre « paix » avec l’aspect un peu aléatoire de la chose.

Néanmoins (ce qui entraîne toujours de joyeuses conversations, et je me doute que cet article va susciter la controverse – c’est très bien, je ne prétends pas détenir des réponses universelles) je fais partie de ceux qui ne croient pas à l’inspiration, mais au travail. Travail étant pris au sens large : observer le monde est du travail ; se documenter est du travail ; réfléchir est du travail. Tout ce qui requiert un acte de volonté qui hisse la personne au-dessus de l’état basal consistant à manger des chips sur le canapé devant Call of Duty est un travail – un travail volontaire et plaisant, on l’espère, mais qui provient du désir de surmonter quelque chose en vue d’un accomplissement.

Quid, donc, de l’inspiration ? Comment débloquer le récit qui fait sens, qui va être intéressant – pour soi avant toute chose, qui va résonner avec le désir que l’on a de raconter ? Eh bien, pour moi, la réponse est contenue dans la reformulation de la question : dans « pour soi ». L’écriture, comme tout art, est un exercice d’équilibre dynamique entre contrôle conscient (je dois penser à la cohérence des détails, raccourcir cette scène qui n’apporte rien, etc.) et relâchement inconscient (tiens, j’ai envie de mettre une attaque de ninjas MAINTENANT, et tant pis si ça fout tout en l’air). Chacun place le curseur plus d’un côté ou de l’autre (les structurels côté contrôle, les scripturaux côté relâchement).

C’est également un exercice d’équilibre entre les exigences des autres (quels sont les codes narratifs où j’évolue, et est-ce que je les respecte, ou pas ? est-ce que mon récit est intelligible, clair, accessible pour le public que j’aimerais atteindre ?) et les siennes : qu’est-ce que j’ai envie de faire ? En cherchant l’histoire, le déroulé, qui fait sens pour soi, on vient forcément à la question de l’envie. Et, au coeur, il me semble que c’est cela qu’il faut traquer. Si cela semble plat, convenu, alors il ne faut pas aller dans cette direction, effectivement, à moins de balancer un gros chamboulement (comme une attaque de ninjas). Je ne crois pas à l’inspiration (qui tombe du ciel) mais, en bon petit nietzschéen, à la volonté créatrice, l’envie. Et l’envie se rattache à la vérité du soi. Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi je raconte ça ? Qu’est-ce que je voudrais que cela m’apprenne ? Qu’est-ce que j’explore ? En quoi est-ce important pour moi ? De quoi ai-je besoin, maintenant, pour me débloquer ? Pourquoi ça ne marche pas ? Qu’est-ce qui me faisait envie dans ce projet, à la base ? Comment y revenir ? Comment le faire évoluer ? Et surtout, sur quoi ai-je besoin de lâcher prise pour laisser mon inconscient tracer sa route ? 

Je pense que travailler l’envie / l’inspiration au corps relève là aussi d’un équilibre entre deux aspects. L’inspiration est (en tout cas de mon expérience personnelle) une grosse feignasse, donc il faut aller lui planter des banderilles dans les côtes pour qu’elle daigne remuer son imposant postérieur ; mais elle est aussi vivante, ce qui signifie qu’on ne peut pas la traire sans arrêt sans qu’elle s’assèche, qu’elle mérite respect et soins. Et qu’il faut parfois la laisser reposer, la relâcher pour qu’elle mûrisse. L’inspiration est un potager. 

Ouais.

Comment on travaille un potager ? En le soignant, en récoltant, mais aussi en le laissant croître. Il me semble que j’ai obtenu le plus de résultats de mon potager en mêlant les séquences de harcèlement actif (en grattant frénétiquement les questions précédentes, en traquant mon envie sans pitié dans un coin, sans cesser tant que je n’avais pas cette petite étincelle qui fait dire: « aha ! » et en me poussant à l’épuisement mental) et de repos. Le harcèlement consiste à se poser des questions, à se documenter pour élargir ses horizons, à creuser en soi jusqu’à trouver la sensation de l’envie, ce qu’Elisabeth Vonarburg décrit dans Comment écrire des histoires par « le corps sait » – quand on trépigne d’un coup sur la chaise en se disant « oui ! oui ! putain, c’est ça ! »

Mais cela n’arrive pas forcément en une session de travail. Ni même deux. Ni une semaine. C’est là que le relâchement intervient. En un sens… je crois qu’il faut avoir confiance en son inconscient, en son potager, pour mûrir et apporter les fruits, tant qu’on l’a suffisamment arrosé d’engrais (et de pesticides et d’anitbiotiques, bien sûr). Présenter à son esprit, à son inconscient, les bonnes questions, sans tolérer la moindre paresse : celles qui correspondent à l’envie, puis le laisser vagabonder, infuser, sans cesser de revenir l’aiguillonner de temps à autre pour qu’il ne s’endorme pas. Si la réponse n’apparaît pas immédiatement, ce n’est pas grave. Mais il ne faut pas cesser de traquer le désir, la volonté profonde, qui est plus une sensation qu’un eurêka en mots. Cela ne fournit pas de réponse articulée, juste la sensation que, par là, il y a quelque chose à faire ; cela montre une direction. C’est, je crois, ce qu’il ne faut pas perdre. Quant au chemin qui sera parcouru par cette direction, il se dévoilera au fur et à mesure. Il faut, je crois, houspiller activement son envie, sa volonté pour qu’elle donne la direction à suivre… puis laisser relâcher, lui faire confiance, pour qu’elle prenne les rênes sur ce chemin. 

2014-08-05T15:13:13+02:00vendredi 10 janvier 2014|Best Of, Technique d'écriture|27 Commentaires

Papier contre clavier

Quelques idées éparses jetées à la suite d’une discussion récente qui a réactivé des idées sur le sujet : papier ou clavier ? Crayon ou virtuel ? Nous avons à notre disposition des smartphones, des tablettes, des ordinateurs – des claviers et autant de place que nous le voulons dans le cloud pour stocker du texte, des dessins, des listes de choses à faire. Et pourtant, quantité d’auteurs revendiquent leur usage de l’écriture manuscrite. Et pourtant, dans mes cours d’informatique, le brouillon au papier était obligatoire. Et pourtant, le hipster PDA fait partie des assistants personnels les plus appréciés dans la communauté des lifehackers.

Je sais que je fonctionne toujours mieux sur du papier quand il s’agit de faire le point, l’inventaire, d’acquérir un peu de hauteur de vision sur une situation, et pour planifier une histoire. Quand j’étais étudiant, j’apprenais mes cours en réécrivant les notions principales. L’écrit aide à me pénétrer des faits ; au-delà de convaincre mon cerveau, il convainc mon corps.

La science le confirme. L’écriture manuscrite active la zone du cerveau chargée de filtrer les stimuli – et donc contribue à concentrer l’attention : on retient mieux ce que l’on note, pas seulement parce qu’on peut s’y référer ultérieurement.

Plus largement, et de façon certainement plus poétique et donc moins rigoureuse, peut-être cela se rapporte-t-il tout simplement à la kinesthésie. Le cerveau informe le corps, bien sûr, mais le corps informe également en permanence le cerveau ; la répétition des gestes, comme dans la pratique sportive ou artistique, les perfectionne au point de les séparer du contrôle conscient. Quantité de musiciens, ayant oublié un vieux morceau, le retrouvent d’instinct en posant les mains sur l’instrument, et prétendent qu’ils « ne s’en souviennent pas, mais leurs mains si ».

C’est l’action qui transforme la volonté en réalité. Dans le monde de l’intellect, écrire à la main représente peut-être ce que nous avons de plus proche de l’action.

Évidemment, les deux médias ont leurs forces et chacun nourrit une sensibilité plus marquée pour l’un ou pour l’autre. Le message, c’est le médium, disait Marshall McLuhan, et il oriente aussi l’approche, et donc la réflexion. C’est bien banal et pourtant vital de simplement plaider pour la complémentarité et un choix réfléchi du média qu’on emploie en fonction de la situation et de l’objectif.

De belles et nobles idées, mais elles me gênent néanmoins sur un point : toutes ces études sont réalisées sur des adultes, ou des jeunes de notre époque (forcément). Or, tous, même encore aujourd’hui, nous apprenons la chose écrite à travers le papier et l’acte manuscrit. De la même façon que le cerveau se câble pour comprendre et prononcer les phonèmes de sa langue natale (ce qui, par exemple, cause beaucoup de problèmes aux Asiatiques pour saisir la différence entre les « r » et « l » latins), on peut imaginer que l’écrit focalise l’attention de la sorte parce qu’on l’y a entraîné depuis toujours. Est-ce qu’une génération hypothétique strictement entraînée sur des écrans et des claviers développerait un autre mode de pensée, nourrirait pour le papier la même impression de gaucherie qu’on peut éprouver dès qu’il s’agit de faire le point devant une page virtuelle ?

Ou bien allons-nous inexorablement créer des générations de gens privés d’un outil inestimable pour simplement réfléchir, étaler sa pensée ? (*musique funeste*)

2014-08-05T15:13:14+02:00mardi 17 décembre 2013|Best Of, Technique d'écriture|17 Commentaires

Motivation pour écrire : au travail ! (pep talk NaNoWriMo 2013)

nano_2013

EDIT : le site a disparu depuis, le pep talk a été republié ici.

Le NaNoWriMo touche à sa fin (dernière semaine, dernière ligne droite !) et j’ai le plaisir de vous proposer un article de motivation, un pep talk dans le jargon, sur le métier et l’écriture :

Vous l’avez peut-être déjà entendu : il n’y a pas de vérité absolue en art, il n’y a donc pas de méthode en création. Pas d’autre méthode que la vôtre, qui sera le fruit de vos expérimentations, de vos aventures et surtout de ce que vous goûterez, et de la façon dont cela vous fera mûrir. La seule façon d’apprendre à écrire consiste à vous connaître ; la seule façon d’apprendre à vous connaître consiste à écrire.
Il existe en revanche une vérité cardinale.

Le pep talk entier se trouve sur le site officiel français du NaNo, à cette adresse

Bonne fin d’écriture, ne lâchez pas !

2020-11-02T12:41:10+01:00mardi 26 novembre 2013|Technique d'écriture|1 Commentaire

Neuf raisons de faire le NaNoWriMo en novembre

nano_2013Hey ! Ce week-end, c’est les Utopiales, mais c’est aussi le début du NaNoWriMo, le mois de l’écriture. L’objectif : écrire un livre en… un mois (50 000 mots, soit 300 000 signes). C’est pendant le mois de novembre.

Ça semble un défi fou, et ça l’est. Pourtant, si vous souhaitez écrire un tant soit peu sérieusement, ça représente aussi un défi auquel vous feriez fort bien de vous confronter. Ce n’est évidemment pas une étape obligatoire, mais elle est grandement instructive et productive. Le concept est bien mûr, et la communauté française présente et active.

Mais pourquoi faire le NaNo ?

1. Au début du NaNo, vous n’avez pas de livre écrit. À la fin du NaNo, vous avez un nouveau livre écrit. Bilan positif net.

2. Le NaNo vous force à écrire. Bien des jeunes auteurs disent vouloir écrire, ont quantité d’histoires qui leur tournent dans la tête, mais ils manquent du temps ou de l’organisation nécessaire pour y parvenir. Quand vous vous lancez dans le NaNo, vous vous fixez un objectif tangible. Vous avez passé un contrat avec vous-même.

3. Le NaNo vous oblige donc à trouver comment écrire dans les interstices de votre emploi du temps. Il vous force à prendre votre écriture au sérieux parce qu’à présent, vous avez un livre à écrire pour la fin du mois. Il faut vous organiser et trouver comment faire autour, par exemple, d’une vie de famille et d’un autre travail. Il vous faut réserver de l’énergie et du temps pour écrire, ce que vous n’avez peut-être jamais fait auparavant.

4. Corollaire : il est impossible d’atteindre ce genre d’organisation sans en parler autour de vous, à vos proches, qui se demanderont pourquoi, brutalement, vous ne venez plus à la beuverie du jeudi soir. À présent, non seulement vous avez établi vis-à-vis de vous-même que vous souhaitiez écrire un livre, mais vos proches le savent. Vous êtes lié(e) par votre parole vis-à-vis d’eux… Ce qui renforce votre promesse à vous-même. Leur réaction est également instructive. Si ce sont de bons amis, de bons conjoints, ils devraient respecter ce désir de votre part et même vous soutenir. Si ce n’est pas le cas, c’est aussi une leçon… Celle de suivre votre rêve, pour vous-même, qu’importe l’opinion d’autrui.

5. Le NaNo contribue à vous apprendre à écrire. Règle 1 de Robert Heinlein : « tu dois écrire ». On n’apprend à écrire qu’en écrivant ; en se confrontant aux difficultés, en regardant l’histoire se dévoiler, en constatant si elle suit le chemin prévu ou si elle en dévie, si c’est mieux ou non. C’est chouette de vouloir écrire, mais si on n’écrit jamais, on reste un simple velléitaire. L’auteur, c’est celui qui se confronte à l’épreuve, qui ose se casser la figure, qui se relève et qui apprend. « C’est en écrivant qu’on devient écriveron. »

6. Le NaNo vous confronte à votre façon de travailler. Êtes-vous structurel(e) ? Scriptural(e) ? Efficace la nuit ? Le matin ? Dans les cafés ? Pourquoi coincez-vous ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, tout va bien ? Je répète à l’envi qu’apprendre à écrire, c’est apprendre à se connaître ; apprenez à vous connaître à travers cette épreuve et vous écrirez mieux, avec davantage de plaisir.

7. Le NaNo vous ouvre toute une communauté d’auteurs, plus ou moins expérimentés, qui traversent la même épreuve que vous. Cela peut déboucher sur des rencontres et des échanges fructueux sur l’écriture, sur l’engagement qu’elle représente. Vous n’êtes plus seul(e). Discutez !

8. Le NaNo vous apprend l’enfer que ce métier peut être. Par enfer, j’entends : trouver le moyen d’avancer alors que vous butez sur la même scène depuis trois jours. Ne pas lâcher votre projet, votre rêve, alors que tout en vous voudrait abandonner, parce que c’est trop dur, les personnages sont tartes, l’action est molle, les dialogues sont creux. Vous insistez. Le NaNo vous enseigne la discipline. Vous n’avez pas fini votre quota du jour ? Vous restez à écrire. Vous avez envie de sortir faire un tour ? Vous restez à écrire. Vous trouvez ça trop dur ? Vous restez à écrire. Vous vous faites fait une promesse, vous avez pris un engagement : vous allez faire tout votre possible pour le mener à bien. Parce que, bon dieu, vous voulez écrire.

9. Le NaNo vous confronte au retravail. Peut-être n’avez-vous jamais terminé de premier jet… Mais une fois cela achevé, le « vrai » travail, peut-être, celui qu’on sous-estime le plus, commence. Il faut rendre le livre accessible, intense, lisible, bon. Mais cela… c’est une autre histoire.

2014-08-31T14:01:26+02:00mercredi 30 octobre 2013|Best Of, Technique d'écriture|21 Commentaires

Productivété (9) : une étude de cas

bermudatriangleEt voici le dernier épisode de cette série d’été sur organisation et productivité (retrouvez tous les épisodes dans l’ordre ici). Tout cela n’était qu’un tour d’horizon très sommaire ; s’il vous a sensibilisé(e) à cette problématique d’organisation et de lifehacking, il vous revient d’explorer plus avant et de tester les techniques jusqu’à trouver votre propre système.

Après avoir passé en revue outils et logiciels, je propose pour terminer une mise en situation avec une étude de cas : le, heu, mien. Désolé si cette entrée semble un peu égocentrée ; il s’agit seulement de montrer une façon parmi tant d’autres de faire fonctionner tout ça. Évidemment parce que je la connais bien, cela m’a aussi été demandé, mais surtout parce que je sais d’où viennent les procrastinateurs : j’en ai fait partie autrefois, et j’ai dû me tenir la dragée haute dans mes premières années de travailleur indépendant pour arriver à atteindre mes buts, auxquels je tenais fermement, dans un délai raisonnable.

Je raffine constamment ma méthode de travail et d’approche, ce qui la fait changer d’un semestre à l’autre, à mesure que les outils eux aussi se raffinent, que je comprends d’autres choses sur moi-même, que mes besoins évoluent. Par ailleurs, cette entrée n’est pas contractuelle. L’auteur se réserve le droit d’être occasionellement vidé, malade, crevé, déprimé et de dire « aaaah, fuck it » et d’aller boire une bière au bar du coin en attendent qu’une journée pourrie se termine pour redémarrer du bon pied le lendemain (ou surlendemain).

Quelques principes de base

bird_manager_cracking_whipUne date-butoir, c’est sacré. Il y a des gens qui m’attendent, qui comptent sur moi, qui ont des délais de fabrication et des intermédiaires qu’ils font travailler. Je suis en retard, je mets tout le monde dans la panade. Pas cool.

Writing > work. Mon travail consiste à écrire, ou à traduire, ou à anthologiser – en fonction du contrat signé en ce moment. Le reste doit s’accommoder des intervalles libres ménagés autour de ces blocs-là. Ils sont prévus, mais ne sont pas extensibles.

Life > writing. Écrire est ma vie, mais ma vie n’est pas écrire. Si cette vocation réclame un dévouement certain, elle ne doit pas prendre l’habitude d’envahir tous les aspects de mon existence au point de la réduire à une unique et interminable discussion avec Word à longueur d’année. De toute façon, tout art se nourrit de vie. Un créateur qui ne vit pas s’assèche jusqu’à devenir un petit vieux racorni qui n’a plus rien à donner que de l’aigreur, des regrets et des récriminations sur ses à-valoir trop bas. Cela n’exclut pas les coups de feu occasionnels, mais ils ne doivent pas devenir la règle.

Le travail, c’est 8h par jour. Je crois qu’un piège majeur qui guette le travailleur indépendant, qui passe ses journées chez soi consiste à brouiller la différence entre travail et repos. Certes, l’écrivain travaille en un sens en permanence (ses histoires mijotent dans le fond de ses pensées, des scènes se construisent sous ses yeux aux moments les plus incongrus), mais il y a un moment pour bosser et un autre pour débrancher le cerveau, passer du temps avec ses proches, partir dans la nature ou jouer à Dishonored. Si mon activité éconpmique est saine, je ne devrais pas avoir à bosser plus de 40h par semaine en moyenne dans une année. (Je souligne : je ne devrais pas. Les réalités du monde artistique sont très souvent différentes, mais cela n’empêche pas l’objectif à long terme d’être sensé.)

On n’arrive à rien sans se botter les fesses. Corollaire de la règle précédente. Il me semble que brouiller les limites entre travail et repos entraîne un étirement élastique du temps qui nuit à la productivité : d’une part le cerveau ne sait plus s’il doit cravacher ou glander, d’autre part, ainsi qu’on en a parlé avec la méthode Pomodoro, si l’existence devient un long tunnel de boulot flou, toute perspective de repos devient floue aussi et une résistance psychologique à la production s’installe. Me fixer un quota (tenable) de production par jour en sachant quelle est la durée de ce « jour » m’oblige à trouver les moyens d’être productif et intensément actif au lieu de me laisser aller sans me concentrer vraiment. Au final, je fais davantage, et mieux, dans un temps plus court.

Évidemment, viennent se greffer les principes de GTD et de PK, mais qui sont là plus opérationnels que des règles de vie personnelles. Par exemple, je ne travaille que sur une histoire à la fois (nouvelle ou roman). Ça me permet de rester immergé dedans et de le voir avancer.

Ce qu’on n’ose appeler un système

Vu qu’il évolue tous les six mois, je ne prétendrais pas que j’ai un vrai système, mais disons qu’à force de lectures et d’humilité, j’ai fini par faire entrer quelques bases de méthodologie dans mon mode de pensée chaotique. (Attention, je ne blâme en rien la pensée chaotique. Je la considère au contraire comme une richesse : elle permet de réaliser des associations entre éléments qu’on croirait sans rapport, nourrit la mémoire symbolique, attaque un problème simultanément par une quantité d’aspects. Je crois que si je ne pensais pas chaotiquement, je ne pourrais pas écrire, mais si je n’avais que ce mode de fonctionnement, je serais probablement juste cinglé et inapte – et je n’écrirais pas davantage ; le chaos fournit l’énergie vitale, la méthode la façonne et la canalise.)

lolcat-coffeeMes journées sont divisées simplement. Le matin, pour reprendre les paroles de Fiona McIntosh aux Imaginales (il me semble que c’était elle) je « fais l’écrivain » – je réponds aux mails, je fais coucou sur les réseaux sociaux, je poste un lolcat sur le blog, je corrige des épreuves si elles sont courtes, je passe des coups de fil s’il y a lieu, bref, je m’occupe de toutes les affaires courantes qui gravitent autour du métier mais qui ne sont pas le coeur du métier lui-même, c’est-à-dire écrire. L’après-midi est exclusivement dévouée au gros projet du moment. L’écriture, mais aussi, quand c’est le cas, traduction, anthologies, etc. Je m’organise ainsi parce que d’une part, je suis intensément monotâche, d’autre part, le matin est pour moi un lieu hostile et violent d’où je n’émerge qu’à tâtons et sans trop savoir comment. Discuter donc avec des gens, raconter des bêtises ou des préoccupations ou faire avancer tout un tas de petits trucs nécessaires est donc un excellent moyen de passer une bonne matinée (ce qui, dans ma conception de la langue française, est un parfait oxymore) en n’ayant pas besoin d’avoir la conscience aiguisée comme un Laguiole. L’après-midi, je sais que j’ai déjà fait plein de choses le matin, je suis pleinement réveillé, j’ai donc l’esprit libre pour m’isoler mentalement et faire avancer le gros projet du moment en donnant un gros coup de collier.

Mon système est un hybride entre GTD et PK. Je ne prétendrai pas être impeccablement ordonné, néanmoins je m’efforce d’appliquer les préceptes de GTD : quand quelque chose entre dans mon univers, je détermine ce que c’est – faut-il agir dessus, classer, ou bien incuber pour y revenir plus tard ? (Cette dernière catégorie occupant près de 75% de mon espace sur mon bureau, le sol de mon bureau, le haut des étagères de mon bureau. Je suis un accumulateur compulsif de « hé, ça a l’air vachement intéressant »). Je limite le nombre de projets concomitants : j’ai plein de petits slots pour des choses ponctuelles le matin, mais un seul gros slot pour un gros projet d’après-midi. Un livre, une nouvelle, une relecture à la fois. Le reste est affecté à des catégories « Upcoming » (pour les projets à venir, ou temporairement arrêtés parce qu’il ne me revient pas de les faire avancer) et « Someday / Maybe » (pour ce que j’aimerais bien faire un jour). Et tous les vendredis, ma revue hebdomadaire (qui dure parfois quelques minutes seulement) me permet de recentrer les tâches en cours pour la semaine à venir et voir si je n’ai rien raté.

Le set-up de base, ne JAMAIS sortir sans.

Les outils

Mobiles

La base : smartphone avec forfait 3G velu et carnet Moleskine. Complétée éventuellement par une liseuse, mais surtout par une tablette également en 3G avec un clavier Bluetooth associé pour lire et travailler dans un train ou une chambre d’hôtel. Et, en cas de long déplacement (pour un volontariat à l’étranger, par exemple), un petit ordinateur portable, bien sûr, mais assez puissant pour répondre à tous les besoins d’un tel déplacement (notamment la photo).

Applications

gqueues-davoust-listeJe m’organise principalement autour de GQueues. Je peux prendre des notes en vocal à partir du téléphone, et surtout, l’application réalise pour moi un compromis entre PK et GTD. Chaque projet est une « file » et celles-ci sont organisées en fonction de projets inactifs ou non (revenant aux catégories Ready et Doing de PK), mais aussi selon les contextes et outils particuliers recommandés par Allen (Tickler, Waiting for, etc.)

Ma file « Next Actions » va piocher uniquement dans les projets actifs (« En cours ») même si j’en ai peu l’usage étant donné que ma journée est découpée de façon assez claire. Les mots-clés me servent de contextes (ce qui est toujours en cours de construction, mais je n’en ai finalement pas trop l’usage en ce moment). J’ai introduit un mot-clé spécifique, « Starred » qui est un pis-aller : cela désigne les tâches vraiment urgentes, une sorte de drapeau rouge concernant ce qui doit être fait toutes affaires cessantes. Je n’en ai pas l’usage d’habitude (et ne devrais pas) mais, quand tout prend feu d’un coup, « Starred » me permet d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui doit être fait là, dans les deux jours à venir, sans quoi le ciel me tombera sur la tête.

Un mot sur « Checklists et process » : une recommandation faite en passant dans GTD, mais au demeurant fort utile. Des situations semblables se reproduisent fréquemment (pour ma part, par exemple, aller en salon littéraire, en volontariat, en mer, etc.). J’ai donc des « checklists » génériques correspondant à ces situations, ce qui m’évite de repenser à chaque fois à tout ce que je dois prévoir et d’en oublier régulièrement la moitié.

Bien sûr, les tâches associées à une date-butoir m’envoient un rappel dans mon courriel, dont l’infrastructure est gérée par GMail, avec un ActiveInbox configuré d’une façon similaire à mon GQueues. (Je ne peux plus imaginer le courriel sans AIB.) Ces deux outils suffisent à conserver la trace « maîtresse » de tous mes projets en cours. Par contre, toutes les réflexions, mises à plat, décisions se font à l’écrit, avec un bon vieux papier et un crayon. Enfin, le stockage des idées ou des documents de référence sur les univers, livres etc. se fait sous OneNote, dont j’ai déjà dit tout le bien que je pense.

Évidemment, encore une fois, tout cela évolue régulièrement. Je suis dans une phase de redécouverte d’Evernote dont la capacité à tout capturer me séduit beaucoup, notamment pour les idées d’écriture. Mon problème consiste à retrouver dedans ce que j’y ai mis, ce qui revient à trouver un mode de classement intelligent, et c’est un chantier à part entière.

C’est la rentrée

Ainsi s’achève cette série estivale d’articles sur les systèmes modernes de productivité personnelle. Peut-être, honnêtement, un sujet un peu trop vaste pour neuf pauvres articles, même longs. Je veux dire, des gens gagnent leur vie en écrivant des livres et en donnant des séminaires sur le sujet : résumer la question en une vingtaine de pages tenait probablement de la gageure. Néanmoins, cette découverte (qui se poursuit toujours) m’a tant apporté au fil des ans au niveau de l’efficacité, de la réalisation et du choix des projets que je tenais à partager ces quelques pistes à ceux et celles que la démarche pourrait intéresser. Les deux regrets que j’entends le plus de la part des jeunes auteurs sont le manque de temps et d’organisation. Ce genre de système et d’inventaire aide à effectuer le tri de ce qui est vraiment important et, à partir de là, donne les armes pour atteindre les buts qu’on se fixe. Il est nécessaire d’avoir l’énergie et la volonté, mais ce sont des denrées précieuses et parfois rares ; du coup, disposer d’une organisation simple et efficace permet justement de les économiser… et de les consacrer à des fins réellement utiles : créer, et agir.

Et toi, auguste lectorat, comment travailles-tu, et avec quoi ?

2018-07-17T14:17:56+02:00mercredi 28 août 2013|Technique d'écriture|3 Commentaires

Productivété (8) : Gestionnaires de tâches et outils de productivité, l’inventaire à la Prévert

todopanther(Retrouvez tous les articles de l’été sur organisation et productivité ici.) 

(Annonce de service : En raison de l’incompétence de Nerim, je vais migrer le serveur sous peu. Évitez de m’envoyer des courriels ce week-end, car leur réception ne sera pas garantie.)

Bien ! Nous sommes bardés de nouveaux principes de productivité, nous avons les outils qui vont bien, il est temps de faire converger tout ça avec les applications qui soutiendront le système, afin de hurler :

Les principes de base

Il y a une foule d »applications de productivité, de prise de notes, de gestion de listes et, si j’en ai testé une bonne quantité, il est impossible de les essayer convenablement toutes. D’autre part, certaines nécessitent d’être écartées de prime abord parce qu’elles ne remplissent pas un certain cahier des charges minimal, que l’on définira comme suit :

  • Flexibilité (pour s’adapter à divers usages et répondre à des scénarios inhabituels)
  • Réactivité (on refusera d’attendre une seconde entière que chaque action soit prise en compte)
  • Compatibilité avec les grands principes de GTD (utilisation de contextes, rassemblement en projets…)
  • Présence d’une appli mobile digne de ce nom
  • … qu’on peut utiliser hors connexion

Quand il s’agit d’organiser ses projets, on rencontre principalement deux écoles :

  • Les tenants des grosses applications à tout faire. En général, ces utilisateurs s’organisent déjà bien naturellement et n’ont pas besoin d’une structure très rigide pour mettre leurs idées en ordre, il leur faut juste un outil polyvalent qui serve de point d’eau.
  • Les tenants des applications spécialisées. Soit par goût technologique ou parce que, laissés à eux-mêmes, ces utilisateurs détiennent un don entropique qui transforme rapidement toute organisation en bazar aussi créatif que dantesque, il s’agit là d’utiliser des outils conçus spécifiquement pour gérer les choses à faire, les listes de courses, les idées de projets. (Je crains d’appartenir à cette population – surtout pour le don entropique.)

Les outils spécialisés

Il y a autant d’applications étiquetées « GTD » que de grains de sable sur la plage de Solenzara, et la concurrence est donc rude. Finalement, il n’est pas tant question d’avoir une application qui se réclame de GTD qu’un programme qui soit assez puissant et flexible pour pouvoir, moyennant un peu d’organisation, recréer le type d’organisation que son utilisateur souhaite.

Mon palmarès personnel est donc :

3. Nozbe

Nozbe est la rolls du gestionnaire de projet à la GTD : suivant scrupuleusement ses principes, sans les imposer et sachant rester flexible, avec un blog véritablement pédagogique montrant pas à pas comment appliquer la méthode d’Allen à l’application. Nozbe s’interface aussi avec Dropbox et Evernote, permet de sauvegarder des notes, communique avec les grandes applications du marché. En fait, son seul défaut est son prix : le plan gratuit ne permet de suivre que 5 projets, ce qui est largement trop peu, et le premier plan payant est à 10 € par mois, ce qui représente une sacrée somme. Néanmoins, pour les indépendants, la dépense peut se justifier.

 nozbe

 2. Remember the Milk

RTM, pour les intimes, est une des meilleures applications visant à garder la trace de listes de choses à faire. Elle n’a pas de lien avec GTD, mais dispose d’options (contextes et mots-clés) qui permettront à l’utilisateur d’émuler le système. Son interface est intuitive est réactive, et cache quantité de fonctionnalités pour les utilisteurs pointus : on appréciera en particulier la recherche dans les tâches à l’aide d’une syntaxe puissante, qui permet de constituer des listes « custom » (Que puis-je faire en moins de 15 minutes à la maison ?) et leur saisie rapide sur smartphone ou le web à l’aide de raccourcis permettant d’affecter à une tâche sa durée, son contexte, etc. en une seule saisie.

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1. GQueues

Peu connu du public mais mon préféré, GQueues organise les tâches en « files d’attente » qui mélange le meilleur de GTD et du Kanban. Les files (qui peuvent désigner des projets, par exemple) sont aisément regroupables en groupes, pour désigner les projets actifs ou non, ou bien les tâches « Ready » et « Doing » d’un Kanban. Un système de mots-clés permet d’attribuer des contextes à chaque tâche, et l’application fournit des « files intelligentes » extrayant par exemple la première action de chaque file pour se constituer une liste de prochaines actions. L’application mobile est minimale mais fonctionne sans accroc, et s’interface même avec la reconnaissance vocale de Google.

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Les outils génériques

Rien n’empêche de garder la trace de ses travaux avec une version mobile d’un traitement de texte ; là, c’est à chacun de trouver le système et l’outil avec lequel il se sent à l’aise. Toutefois, deux applications bien particulières, dédiées à la prise de notes, s’avèrent particulièrement intéressantes dans ce contexte.

OneNote

Mon chouchou pour écrire, organiser le plan d’un livre et conserver toutes les informations relatives à un univers grâce à son interface claire et son organisation de données qui s’apparente réellement à la construction d’un wiki personnel. Et s’il peut conserver ce genre de données, alors il peut aussi garder la trace d’un système de productivité personnel type GTD. Néanmoins, quelques obstacles rendent pour moi cette solution maladroite : l’application mobile est lente, l’interface lourde (on sent que OneNote a été conçu pour les ordinateurs et non les terminaux mobiles), et il est impossible d’attacher un rappel à une note. Pour mémoire, OneNote est intégré aux suites Microsoft Office depuis la version 2003.

pouvoir_onenote

Evernote

Evernote, on l’aime ou on le quitte. Fondé sur le concept très puissant de la prise de notes en toute circonstance, Evernote a pour but de construire une base de données personnelle de toutes les informations de l’existence, en provenance de quelque média que ce soit : une photo d’une carte de visite prise par le smartphone ; un courriel d’importance ; une page web ou une citation sauvée d’un clic de bouton : tout cela se retrouve au chaud dans Evernote, prêt à être ressorti à l’aide d’un module de recherche rapide et puissant. Evernote propose un véritable écosystème d’applications qui en font un des outils les plus puissants et les mieux conçus du marché.

Problème, son modèle d’organisation des données (fondé principalement sur des mots-clés et des recherches, et non en une présentation synthétique) rend l’apprivoisement de la bête difficile pour ceux qui ont tendance à penser encore comme avec du papier (chaque élément dans un dossier). Bien des utilisateurs (dont votre serviteur) avouent ne pas arriver à se faire à ce modèle d’organisation. Pourtant, l’idée est séduisante : tout capturer au vol et tout stocker au même endroit sans y accorder davantage d’attention que la rapide attribution d’un mot-clé. Evernote vaut vraiment le coup d’être essayé sérieusement, et j’y reviens moi-même une fois tous les ans en essayant de comprendre comment en tirer parti.

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Le fourre-tout des softs utiles

Chacun a quantité de petits outils ou d’astuces qu’il a découvert et dont il ne peut plus se passer ; sans rêver faire un tour d’horizon de ces petits hacks, il semble que cet inventaire peut être complété par quelques applications reposant sur de bonnes idées.

Pocket (autrefois Read Me Later)

Marre de ces 150 onglets de navigateur ouverts à la fois ? De tous ces articles qui vous semblent intéressants mais que vous n’avez jamais le temps de lire ? Pocket est la solution, fondée sur une idée aussi simple que puissante. On installe l’application sur le terminal mobile et dans le navigateur. Dès qu’un article semble intéressant dans le navigateur, un clic sur l’extension sauve la page dans une liste de lecture qu’on peut ensuite retrouver sur le terminal mobile, prêt à être lue lors des minutes perdues dans le métro, dans les files d’attente, etc. Particulièrement efficace pour réduire la procrastination, puisqu’on n’a plus de raison de lire tous ces articles intéressants sur l’ordinateur au lieu de bosser.

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Sauvegarde automatique des photos

C’est une astuce présente depuis longtemps sur les smartphones mais rarement connue : il est possible de configurer Dropbox, ou Google+, pour sauvegarder automatiquement toutes les photos prises par le téléphone. Envie de conserver une page entière d’un livre vu à la bibliothèque ? Dégainez le téléphone, prenez la page en photo, activez la 3G et la page vous attendra bien au chaud sur votre Dropbox chez vous à votre retour.

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Flux RSS

Google Reader est moooort. Google ne croit plus au RSS, ce protocole qui permet de recevoir automatiquement une notification à chaque fois qu’un nouveau contenu est publié sur un site donné, car, selon la firme de Mountain View (comme on dit quand on est journaliste et qu’on ne sait pas comment éviter une répétition), le public reçoit aujourd’hui ses informations principalement par les réseaux sociaux. Et c’est bien dommage, car le RSS est un protocole ouvert ; d’autre part, nous avons très longuement disserté du caractère fragmentaire de cette « information » dans le cas de Facebook. Toutefois, de nombreuses applications de lecture ont pris la suite, trop pour être citées. Je suis pour ma part passé chez Feedly, qui propose un service adéquat et une application mobile convenable.

Les logiciels d’écriture spécialisés

Ce n’est pas dans le coeur du sujet mais puisqu’on parle d’applications, c’est le bon moment pour rappeler ce petit inventaire des logiciels d’écriture réalisé il y a deux ans mais qui reste globalement d’actualité.

En conclusion

Inventaire à la Prévert, nous disions, hein ? Eh bah voilà. C’est toujours la même chose : ces éléments ne sont que de premières pistes, la construction d’un système efficace et taillé à vos besoins doit se faire par l’expérimentation, le test des applications, la réflexion sur votre façon de travailler, ce qui ne peut être qu’intéressant à long terme… tant que cela ne devient pas une forme raffinée de procrastination.

Cet article est probablement le plus incomplet de la série (un vrai tour d’horizon représenterait l’écriture de plusieurs manuels). Aussi, auguste lectorat, c’est le moment de t’aider toi-même : si tu as un programme chouchou à faire découvrir à la communauté, un hack trop puissant dont tu es suprêmement fier, fais-en part pour qu’on en profite tous. 

La semaine prochaine concluera cette série d’été par une étude de cas fonctionnelle : nous disséquerons ensemble le système d’un utilisateur lambda… à savoir, ô auguste lectorat, ton humble serviteur.

2018-07-17T14:18:21+02:00jeudi 22 août 2013|Technique d'écriture|8 Commentaires
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