Roland C. Wagner

Photo Le Monde

Je plaisantais juste avant de partir en mer en disant que c’était le moment que le monde s’effondre, parce que je n’en saurais rien. La plaisanterie devient très, très amère quand, à votre retour, vous découvrez qu’une tragédie s’est produite : la disparition d’une des pierres angulaires de la science-fiction française, Roland C. Wagner.

Beaucoup de choses ont déjà été dites sur sa vie et son oeuvre, laquelle a été continuellement étudiée par les spécialistes qui ont des choses bien plus inteligentes à en dire que je ne pourrais le faire. Je mentionnerai cependant qu’ouvrir un livre de Roland, pour moi, était toujours l’assurance d’un mélange unique, celui d’une grave légereté. La légereté par l’humour, le sens du romanesque, mais nourri et étayé par une profonde réflexion, une véritable préoccupation pour l’avenir de l’humanité et ses défis – une vision aux antipodes de la naïveté, parfois terrible ; mais qui parvenait toujours à conserver une étincelle de lumière, semblable à la claque dans le dos et la bière que vous offre un pote compatissant après que votre vie vient de s’écrouler.

Les forums ont beaucoup parlé de la verve de Roland, de ses engagements, de son combat pour la reconnaissance de la science-fiction, de ses coups de gueule mémorables. Quand le jeune fanzineux que j’étais a débarqué dans le milieu de l’imaginaire, effacé et soucieux de ne pas mettre les pieds là où il ne fallait pas, je dois avouer monsieur Wagner m’impressionnait énormément. Mais lui ne s’est pas laissé faire. Contrairement à une certaine part du sérail, qui vous bizute, vous prend de haut, ne vous calcule pas tant que vous n’êtes pas bankable, monsieur Wagner, qui m’impressionnait tant, m’a parlé comme à un égal dès qu’il m’a identifié, alors que je n’avais qu’une ou deux nouvelles derrière moi, peut-être encore moins. M’a simplement dit, un jour aux Utopiales : “c’est bon, tu fais partie de la maison, on va pas épiloguer. » Presque un chaleureux “oh, ta gueule. » J’ai mis un temps à m’en apercevoir, mais cette gentillesse, cette simplicité dans les rapports humains et surtout cette confiance et ce respect qu’il m’accordait alors que j’avais tout à prouver a grandement contribué à nourrir mon affirmation d’auteur.

Roland s’en foutait que j’aie quelque chose à prouver ; il comprenait que c’était à moi que je devais le faire, et pas au milieu, pas aux éditeurs, pas aux collègues, et surtout pas à mon image de monsieur Wagner, avec mes 20 et quelques années encore un peu sous cellophane. On dit souvent des auteurs qu’ils sont humanistes. Mais beaucoup ne font seulement que parler d’humanité dans leurs livres (et de quoi parler d’autre ?). Roland, lui, était un vrai humaniste. Je le sais parce que je l’ai vu, et il me l’a donné, comme ça, sans même y penser, parce que c’était vrai, c’était lui.

Je n’oserais néanmoins prétendre que je l’ai vraiment connu, au sens qu’on connaît personnellement, au bout du compte, peu de camarades et de collègues dans le milieu littéraire – on se croise lors des festivals, on boit un verre, on rigole. (Le fait que je vive de plus en plus à la marge n’aide pas non plus.) Mais je chérirai les quelques discussions musicales que nous avons eues, et surtout la complicité d’une lueur maligne dans le regard alors qu’il venait de sortir une énorme connerie, l’air de rien, pouffant dans sa bière, en se demandant combien de personnes allaient gober son bobard.

Merci, Roland.

Pour (re)découvrir son oeuvre, voir son site.

Voir l’hommage du Monde par Serge Lehman.

2012-08-17T12:29:16+02:00vendredi 17 août 2012|Le monde du livre|1 Commentaire

5 règles pour (ne pas) démarcher quelqu’un

“Les temps comme les oeufs sont durs », professait ce philosophe de l’exrême qu’est Ken le Survivant (dans son immortelle version française). Cependant, pour faire ses premières armes dans le domaine de la création, il est de plus en plus courant de prendre contact avec d’éventuels professionels via Internet et les blogs.

Je suis honoré et surpris de recevoir de plus en plus de démarches en ce sens, mais j’en reçois aussi un nombre certain qui sont tournées n’importe comment.

Or, les gens publiés sont méchants, c’est connu, ils font partie d’un complot visant à étouffer la véritable création indépendante, puisqu’ils n’aident personne.

Sauf que.

Si je peux aider quelqu’un, je suis ravi de le faire, car “you can never pay back, only pay forward” dans ce métier. Mais faut quand même y mettre un minimum d’efforts. Cela ne vaut pas que pour moi – je suis plutôt cool, en fait, à part mes 10 ans de retard sur mon mail, ce qui constitue une raison parfaitement suffisante pour me vouer à une éternité en enfer -, mais pour toute démarche visant à demander un truc à un type. Et comme le bon sens n’est pas – contrairement à ce qu’affirme ce gros prétentieux de Descartes – la chose la mieux partagée au monde, enfonçons les points sur les i avec des portes ouvertes.

1. Renseignez-vous sur la personne à qui vous parlez

Je suis toujours interloqué quand je reçois des mails m’assurant d’un profond désir de travailler avec ma maison d’édition et, si je ne suis pas la bonne personne, pourrait-on parler au responsable marketing s’il vous plaît ?

Allô ?

J’ai vraiment l’air d’une multinationale ? Est-ce que j’ai seulement l’air de bosser à deux ? Il m’arrive d’avoir des stagiaires une fois par syzygie, certes, mais je n’ai guère les moyens que de les payer en nature, telle est la dure loi du monde de la création. (Je parle de livres, allons. Qu’est-ce que vous imaginez ?)

La moindre des politesses consiste à savoir à qui l’on parle. Solliciter un écrivain pour travailler pour son département artistique est un moyen assez sûr de passer pour un abruti. Pour qu’on vous réponde, assurez-vous de ne pas donner l’impression d’avoir fait un faux numéro.

2. Si vous n’êtes pas personnel, faites au moins correctement semblant

Les temps comme les oeufs sont durs, oui, alors envoyer une brouette de mails tous azimuts permet d’augmenter ses chances, non ?

Ben non. Enfin, pas forcément.

Le milieu de la création est grandement fondé sur des relations de personne à personne, non pas parce qu’on se paie en nature (quoi que fantasment les étudiants en lettres) (c’est pendant les études en lettres qu’il faut en profiter les gens, pas après) (enfin, c’est ce que j’ai entendu dire, j’ai pas fait lettres) (hein) mais parce qu’il s’agit constamment de rencontres d’univers personnels : créateurs, éditeurs avec un discours et une vision, distributeurs amoureux de la culture. Recevoir un mail standard envoyé à 10, 100, 1000 destinataires n’a guère de chances de provoquer l’intérêt.. “Salut, je veux bosser pour / avec vous.” Pourquoi ? “Parce que je suis désespéré.”

Pourquoi vous ? Pourquoi moi ? Démarcher quelqu’un, c’est certes lui demander un service, mais c’est aussi potentiellement lui apporter quelque chose. Bossons ensemble ? Yeah. Mais t’es qui, toi ?

Il ne s’agit pas de réécrire 15 pages à chaque envoi. Mais au moins, s’assurer que ce soit bien ciblé sur la personne, avec un paragraphe changeant en fonction du destinataire, histoire de montrer que vous n’êtes pas aux abois, prêt(e) à tout pour percer), peu importe avec qui. Même s’il faut se faire payer en nature.

Sachez à qui vous parlez. Ça retient l’attention. Ça peut donner envie de lancer la discussion et de s’intéresser, en retour, à vous.

3. Valorisez-vous

Vous êtes chaud(e) patate, motivé(e) à balle, remonté(e) comme un coucou suisse, prêt(e) à conquérir le monde. Vous savez ce que vous voulez. Oui ? Alors dites-le. Il y a, d’après le dernier recensement INSEE, 14,7 pétamilliards de personnes désireuses de bosser dans la création. Avec vous au milieu. Qu’est-ce que vous avez de plus ? Vous êtes vous-même. Vous avez vos idées, votre perspective, votre approche, votre personnalité. Au bout du compte, dans ce domaine, c’est ce qui compte le plus : votre vérité. Alors dites-la, for fuck’s sake. Les diplômes n’ont qu’un poids très relatif dans ce milieu, navré. Des vrais futés, débrouillards, inventifs, en revanche, je peux vous le dire : on en cherche.

N’allez pas jusqu’à exposer clairement que vous allez conquérir le monde, hein, ça fait un peu prétentieux en général et l’histoire a prouvé que ça se termine plutôt mal en général. Mais si vous avez des compétences à apporter, si vous voulez monter un projet avec quelqu’un, mettez-le – mettez-vous – en avant. Vous rêvez de bosser avec Edgar Allan Poe et vous faites du webdesign ? Écrivez-lui en lui proposant un coup de main sur ce front. Parce que, franchement, Edgar, même pas un blog et un Twitter, je te le dis, t’abuses.

4. Sachez ce que vous voulez

Vous ne savez pas ?

Arrêtez tout.

Commencez par là. Qu’est-ce qui vous différencie ? Qu’est-ce que vous apportez ? Il y a forcément quelque chose.

Il y a une constante dans le milieu artistique, du créateur au distributeur : tout le monde ici sait ce qu’il veut et pourquoi il est là. On n’arrive pas là par hasard, et surtout, on n’y survit pas par hasard : c’est une route qui nécessite de la ténacité, de la persévérance au quotidien, au nez et à la barbe de tous ceux qui vous assurent que “personne ne réussit là-dedans, voyons ». Il y a une tolérance assez mince dans ce milieu pour les personnalités poussives ou molles. Soyez proactif, démerdard. Sachez ce que vous voulez – en restant humble. Mais choisissez un cap, un rêve, un objectif. Ayez la niaque. La volonté. Agir. Si vous ne savez pas ce que vous voulez, personne ne le saura à votre place.

Permettez-vous de changer, bien sûr. C’est indispensable.

5. Répondez, même si c’est non

Corollaire de la relation de personne à personne. Les gens ne sont pas des outils, encore moins quand vous leur demandez un coup de patte. La réponse est négative ? Vous avez eu une réponse, déjà, parmi les 14,6999 pétamilliards de mails reçus par la personne. (Cela vaut aussi pour les lettres de refus personnalisées quand vous soumettez un manuscrit.) Plus encore : on vous a posé quelques questions, donné des conseils ?

Répondez, sacré bon dieu.

Le temps d’un créateur, c’est son argent. Si le type vous répond, même pour dire non, il est sympa. Rien ne l’y oblige. Remerciez-le – en deux lignes, juste pour marquer le coup. Ça montre que vous savez vivre, tout simplement. Ce n’est pas de l’obséquiosité. C’est juste se rappeler que c’est comme ça que les relations humaines fonctionnent : en se parlant.

Par contre, une chose est sûre, si vous ne savez pas vivre, ça dispose mal. Et les milieux artistiques sont très, très petits. Une incorrection ou du j’m’en-foutisme peut vous retomber sur le dos sans que vous ne compreniez d’où ça vient. À l’inverse, aux gens sympathiques et motivés, les portes, curieusement, s’ouvrent.

Comportez-vous donc comme si vous aviez votre mère perchée sur l’épaule. Ne jouez pas un rôle. Mais c’est quand même le moment de vous rappeler les leçons de savoir-vivre de votre vieille grand-tante quand elle vous rabâchait de dire “bonjour madame, bonjour monsieur ». On n’est pas des bêtes, bordel, même si on dit bordel.

Pour finir

Tout ça ne fera évidemment pas votre carrière. Mais, par tous les diables, ça peut sacrément aider à vous rendre sympathique. Et ça ne fait pas de mal, à vous, à votre entourage, à votre karma, d’être cool.

En d’autres termes plus agressfis, il faut être sacrément talentueux pour s’octroyer le droit de se comporter comme un connard. Or, comme il est toujours prudent pour un créateur d’éviter de se considérer génial, ça l’oblige à être fréquentable, et ce n’est pas plus mal. La planète ne s’en porte que mieux. Les gens sourient. Tout le monde travaille en bonne entente. Les chats se prélassent au soleil. Signature de la paix dans le monde. Clôture du trou de la couche d’ozone. First contact avec les Vulcains.

2014-08-05T15:21:31+02:00jeudi 16 août 2012|Best Of, Technique d'écriture|10 Commentaires

Reines et Dragons sur La Biblio de Koko

Couv. Kerem Beyit

J’aime beaucoup ces recueils car cela nous permet de découvrir l’écriture de beaucoup d’auteurs français. C’est un peu mon petit catalogue Fantasy français.

Un avis à lire sur le blog La Biblio de Koko.

2012-07-30T17:59:41+02:00mercredi 15 août 2012|Revue de presse|Commentaires fermés sur Reines et Dragons sur La Biblio de Koko

Entretien autour de Léviathan : La Nuit, sur Unwalkers

Couv. service artistique Seuil Image © Bertrand Desprez / Agence VU

Le prochain on est d’accord c’est le dernier ? Et après ?

On est d’accord, Léviathan : Le Pouvoir conclut la trilogie et l’histoire de Michael Petersen. Toutes les questions quant au plan du Comité, l’Ombre, Léviathan, le passé de Michael et la tragédie du Queen of Alberta trouveront leur réponse. Son histoire, ainsi que celles de Masha et d’Andrew seront définitivement achevées.

Après ? Je ne sais pas encore. J’ai beaucoup d’envies et de projets.

Le site Unwalkers propose un entretien autour de Léviathan : La Nuit, sur le recul acquis au fil des deux premiers volumes, les perspectives pour le troisième, et au-delà.

2012-08-01T20:11:10+02:00mardi 14 août 2012|Entretiens|Commentaires fermés sur Entretien autour de Léviathan : La Nuit, sur Unwalkers

Lundi, c’est déclencheurs (7) : une décision à prendre

Rappel des règles du jeu : il s’agit d’écrire pendant vingt minutes sur un, ou plusieurs éléments, remaniés ou non, de la liste ci-dessous. L’article initial de la série se trouve ici.

Qu’est cette décision ? Le point de départ de la scène ? Sa conclusion ? Son coup de théâtre ? N’hésitez pas à partir dans tous les sens ! Lâchez-vous, mettez des mots sur le papier (ou l’écran).

Déclencheurs : une décision à prendre

  1. Partir en Islande.
  2. Vendre toutes les actions de l’entreprise.
  3. Passer à l’ennemi.
  4. Déclarer sa flamme.
  5. Quitter le conjoint.
  6. Changer de métier.
  7. Commettre un meurtre.
  8. Demander pardon.
  9. Décider d’une alliance contre nature.
  10. Se faire soi-même justice.
2014-08-27T16:06:03+02:00lundi 13 août 2012|Technique d'écriture|1 Commentaire

Reines et Dragons sur Sci-Fi Universe

Couv. Kerem Beyit

7,5/10. Du bon et du très bon. Quelques surprises aussi. Cette antholgie 2012 des Imaginales est un bon cru, où l’on retrouve à la fois habitués et nouveaux.

Un article du Manu B. à lire sur Sci-Fi Universe.

2012-08-01T20:10:56+02:00jeudi 9 août 2012|Revue de presse|Commentaires fermés sur Reines et Dragons sur Sci-Fi Universe

Dans les coulisses de Léviathan : La Nuit, sur Livresque du Noir

John Irving avoue qu’il écrit sur ce dont il a peur, et je pense que la confidence vaut pour bien des écrivains. J’écris aussi en partie sur ce qui m’impressionne ou m’effraie, et dans mon cas, c’est le fait de ne pas savoir. Non pas le savoir académique, la connaissance purement livresque ; mais l’ignorance plus profonde, viscérale et incommensurable, de ce que je fais ici-bas, c’est-à-dire, ce que je veux faire ici-bas. Il ne s’agit pas de choix d’orientation, de carrière, de vie, même si cela y participe. La question est que je me refuse à voir dans le monde qui nous entoure un système purement mécaniste où l’intention, la volonté, l’humour n’ont pas leur place.

Le site Livresque du Noir propose aux auteurs de thriller et de polar de parler de leur livre de façon différente et personnelle, parfois drôle, parfois intimiste. Après Léviathan : La Chute, je me plie à l’exercice pour Léviathan : La Nuit sur cette page.

2012-08-01T22:10:07+02:00mardi 7 août 2012|Entretiens|2 Commentaires
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