Out avant de burn (une forme de bilan)

Lol-cats-successAuguste lectorat,

Je fais un truc fou que je n’ai pas réellement fait depuis si longtemps que je n’ose pas y penser : je pars en vacances. Pour de vrai. Je coupe tout. Ne cherche pas : je n’y suis pas.

En principe, à l’époque des fêtes, je me livre à tout un tas de bilans plus ou moins intéressants, c’est l’occasion de jouer avec les statistiques du site, de repêcher des articles au passage. Je me creuse la tête pour trouver quelque chose à dire pour Noël (étant plutôt solstice d’hiver que Noël, si tu vois ce que je veux dire). Je tiens mon bar en sachant que la plupart des clients ne sont pas là, mais la maison reste ouverte.

Cela fait deux ans que je tiens mon engagement de bloguer tous les jours ouvrables (ne serait-ce qu’un renvoi vers une chronique), un défi de discipline personnelle qui m’a beaucoup plu et apporté (et bientôt huit ans que ce blog existe sous ses différentes incarnations, fichtre). Même lors de mes voyages ou volontariats, j’ai toujours réussi à fournir.

Mais le fait est que je fatigue, et surtout, que je crois aujourd’hui que ce défi a fait son temps.

Cette année, s’il faut faire un bilan, a été une drôle de combinaison. Parfaite sur le plan personnel (à part quelques soucis d’épaule en voie de rétablissement près), réjouissante sur le plan professionnel (avec notamment la sortie de Bardes et Sirènes et de La Route de la Conquête, dont les chroniques ne cessent de m’enchanter – merci à tou-te-s !), mais carrément ardue sur le plan de la profession dans son ensemble, ce qui s’est senti dans le « milieu » en cette fin d’année, je crois. La validation de ReLIRE nous a à tous laissés un goût amer, les soucis économiques du métier dans lesquels nous baignons et, plus récemment, la controverse autour de Rêver 2074 qui m’a, personnellement, laissé pantois, surtout dans sa violence et son absurdité. Je pourrais te faire la litanie des insultes que tu n’as pas forcément vu passer, mais le but de cet article n’est pas de me faire plaindre, parce que, globalement, ça va, il ne faut pas s’inquiéter.

Je ne rechigne jamais à descendre dans l’arène (notamment pour défendre le droit d’auteur et parler de féminisme, deux sujets qui me tiennent à coeur et qui sont souvent mal compris), mais je ne suis pas entièrement sûr, cette année, d’être toujours descendu dans l’arène de la meilleure manière qui soit. Quand bien même déclarer que quelqu’un est un abruti finit par tenir davantage de la démonstration scientifique que du jugement de valeur (notamment quand, en guise d’argument, votre interlocuteur aborde le sujet de votre sexualité et du genre de légumes que vous pourriez mettre à des endroits qui n’ont qu’un rapport lointain avec l’agronomie, hormis peut-être pour la fertilisation), qu’identifier des gros cons s’avère parfois sans appel, c’est aussi la déclaration finale de l’inaptitude de l’interlocuteur à comprendre et, dans ce cas, il vaut mieux gracieusement s’incliner et prendre congé, reconnaissant, peut-être, les limites de sa propre aptitude dialectique. Jean-Daniel Brèque disait un jour sur Facebook : « dorénavant, je considérerai que j’ai le dernier mot quand je serai l’avant-dernier à parler » – ce qui est frappé au coin du bon sens.

Surtout, au-delà de toute controverse, cela peut aussi contribuer à rappeler l’effet déformant des réseaux sociaux, et qu’un régime quotidien, voire à plusieurs fois par jour de cette culture, entraîne dans une spirale où l’on devient soi-même prompt à la réaction, prompt au bon mot, prompt à l’instinct. Si je regarde l’année qui vient de s’écouler, il y a probablement quelques moments que j’aurais préféré réfléchir davantage ; pas sur le fond, mais dans la forme, dans un détail d’approche, quelques détails d’échanges et de conversations, parce que je suis au four et au moulin, que j’ai trop d’engagements, dont certains auquel il va falloir que je mette un terme. Nul n’est impeccable, mais cela n’empêche que j’ai toujours exercé une certaine distance qui me semble de bon aloi sur les événements, et que la fatigue semble m’avoir incité à me rapprocher un peu trop. Hey, cela fait seulement un an que j’ai séjourné dans un temple bouddhiste, il me faut du temps pour assimiler tout ça.

J’ai toujours dit que je tenais cet endroit par plaisir et amusement et que, le jour où ça ne m’amuserait plus, j’arrêterais. Alors pas de crainte, je ne ferme pas – je voudrais remercier tous ceux qui m’ont dit, en ligne ou de visu, qu’ils suivaient et appréciaient beaucoup cet endroit ; cela me motive beaucoup de savoir qu’il peut être utile et remplit son rôle ; il ne va nulle part – mais je change les horaires d’ouverture. Le fait de chercher tous les jours un article, un contenu à partager, est un bon exercice d’agilité mentale, mais je sens qu’il a fait son temps, parce que mon temps, justement, tend de plus en plus à s’organiser autour des réseaux, de leur maintien, de la crainte de la prochaine controverse, de la surveillance que la maison ne brûle pas en mon absence. Cela va précisément à l’encontre du Slow Web, mouvement où je me reconnais de plus en plus.

J’ai parfaitement conscience qu’il s’agit d’une discipline personnelle ET d’une pression que je me colle tout seul : loin de moi l’idée de blâmer qui que ce soit (et d’ailleurs cet article me semble un peu misérabiliste, mais gageons que ce sera le dernier du genre), à part faire un constat, m’en expliquer et, peut-être et comme toujours, qu’il puisse résonner avec celui ou celle qui le lira. « Bisous à celui qui le lit. » L’exercice amusant et la fascination technologique de pouvoir communiquer du bout du monde est un vrai plaisir, qui s’apparente à celui de produire une revue régulière, et j’ai adoré relever ce défi ; toutefois, je sens aujourd’hui que mes priorités s’inversent entre mon vrai métier – produire des livres, de la musique – et les à-côtés rigolos : jouer aux billes dans la cour de récré avec mes copains.

Et ça, il faut que ça cesse ; non pas les réseaux ni le blog, mais cette attitude qui commence à s’enraciner chez moi et qui me fait m’organiser autour de la gestion du site. Or, j’y tiens, et je n’ai pas envie de m’arrêter : il convient donc, non pas de s’arrêter, mais de changer d’attitude. Donc, pour commencer : sevrage brutal pendant la période des fêtes. Pas de réseaux, pas de mises à jour, pas de blog, pas de Twitter ni de Facebook, pas de courriel, silence radio. J’en ressens fortement le besoin. Je suis navré si vous attendez quelque chose de moi, vraiment, mais j’en arrive à l’urgence, et je vous promets que vous n’êtes pas oublié-e-s, mais, comme les bureaux des entreprises, je suis fermé jusqu’au lundi 5 janvier, où vous aurez rapidement des réponses. De toute façon, c’est les fêtes. Si vous bossez pendant les fêtes, je voudrais vous inciter à vous poser les mêmes questions que moi en ce moment : investis-je bien mon énergie là où elle est le mieux employée ?

À mon retour, j’entame un nouveau régime, qui est : pas d’obligation de publier tous les jours à heure fixe. Le but est aussi de retrouver une attitude naturelle, de jeu vis-à-vis de l’outil et donc, je l’espère, d’améliorer un peu la qualité qui, je trouve et l’avoue, s’est un peu dégradée ces derniers mois, en raison de la fatigue et de l’impératif de trouver tous les jours quelque chose à dire. Je préfère vous proposer un seul bon article, substantiel, par semaine que cinq petits lol « LES QUINZE RÈGLES QUI FERONT DE VOUS UN AUTEUR PRO – LA 5e VA VRAIMENT VOUS ÉTONNER » (abattez-moi si j’en arrive là au premier degré, par pitié). Je ne m’interdis pas de publier tous les jours, bien entendu, si j’ai des choses pertinentes à dire, à partager, mais il convient que je me recentre.

D’ici là, auguste lectorat, j’ai simplement envie de te dire merci pour ton suivi, ta fidélité et, comme toujours, ta grande modération et ta constructivité même dans les sujets chatouilleux. Je n’ai pas besoin de craindre que la maison brûle en mon absence : tu es grand et même si tu sais où sont les allumettes, tu m’as plus d’une fois prouvé que tu t’en servais juste pour préparer du thé aux copains. Ici, ce n’est pas comme ailleurs sur Internet, et c’est grâce à toi ; si je peux être fier d’avoir bâti le bar, ce sont les clients qui font l’ambiance, alors merci.

Très joyeuses fêtes, tout le monde, et rendez-vous en 2015 pour toujours plus de fond sous couvert de bêtise, à moins que ce ne soit l’inverse ! 

Source

Je sais, c’est insupportable de kawaitude, mais j’ai une réputation de choupi de la SF à tenir, moi. Source

 

2015-01-12T23:11:21+01:00mardi 23 décembre 2014|Journal|23 Commentaires

La photo de la semaine : le pont d’Asie

The Asian bridge

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Un pont tout droit sorti de l’imaginaire collectif occidental, tels qu’on les imagine dans les montagnes d’Asie. Celui-ci se prête bien au jeu, puisqu’il se trouve dans les montagnes boisées entourant le monastère bouddhiste de Jeolwongsa, où j’avais fait un séjour de vingt-quatre heures en 2013.

2014-12-18T21:55:30+01:00vendredi 19 décembre 2014|Photo|Commentaires fermés sur La photo de la semaine : le pont d’Asie

Continuités des hypothèses imaginaires (une idée en l’air)

Alors que je propose à l’université d’Angers, entre autres, quelques cours sur la traduction de l’imaginaire, et que je me trouve donc à définir rapidement les trois grands genres (SF, fantasy, fantastique) de la façon classique, une vague idée me vient (précisément sous la douche) (le lendemain matin, hein, pas pendant le cours) sur la façon dont nous les définissons et sur les insuffisances soulevées moult fois par ces définitions (car très hybrides et en évolution constante). En tant qu’ancien scientifique, j’aime bien épingler des papillons, et donc des catégories si possibles moins mouvantes, si l’on tient vraiment à catégoriser (ce qui est d’une utilité peut-être discutable, mais jouons le jeu). Peut-être que quelqu’un a déjà eu cette idée, auquel cas je suis trop génial : j’ai réinventé l’eau chaude, et tout seul, s’il vous plaît. Circulez.

Or doncques. D’abord, on convient que les trois grands courants ont une histoire assez différente et suscitent des impressions distinctes, ce qui entraîne leur séparation. Habituellement (et rapidement), on les distingue ainsi :

  • La SF se fonde sur une extrapolation rationnelle à présupposé scientifique ;
  • La fantasy propose une hypothèse imaginaire rationnelle, mais à présupposé magique ;
  • Le fantastique met en scène le glissement de la réalité consensuelle vers l’irrationnel.

Voir la classique parabole du chat de Denis Guiot.

Ce qui m’ennuie à mesure que j’expose ces définitions, c’est :

  • Leur hybridation en tous sens (le cas le plus prégnant étant la fantasy urbaine, qui propose un glissement – fantastique – vers un univers merveilleux – fantasy, mais aussi la science-fantasy, etc.) ;
  • La cousinade manifeste entre SF et fantasy (présupposés rationnels, même si dans des règles différentes), qui fait dire à Terry Pratchett « La SF, c’est de la fantasy avec des boulons », alors que le fantastique procède d’une toute autre démarche. Pour trois genres censément apparentés – au sein de l’imaginaire -, c’est un peu bancal.

Du coup, je te livre en pâture, auguste lectorat, cette autre proposition de grille, fondée sur la constatation générale et partagée que l’imaginaire emploie un biais métaphorique (le « pas de côté ») pour parler de notre réalité présente (voir aussi la bulle de présent exposée par Sylvie Denis dans sa préface à l’anthologie Escales 2001).

Il me semble que la SF tire sa pertinence d’une extrapolation en rapport avec la recherche scientifique et les tendances du monde actuel, quand la fantasy la tire d’une extrapolation des symboles de nos cultures. De façon grossière, la SF relève plutôt de l’expérience de pensée (prospective) quand la fantasy relève plutôt de l’expérience initiatique (mythologie). Par conséquent, peut-être pourrait-on simplement définir les genres par la projection, ou non, d’un potentiel cheminement raisonnable entre notre réalité consensuelle et celle du monde imaginaire dépeint. En termes biologiques, la question est : puis-je tracer un cheminement évolutif vraisemblable entre la réalité telle qu’on la connaît aujourd’hui et le monde fictif qui m’est dépeint ?

Si l’on peut projeter un tel cheminement (via extrapolation technique, politique, sociale, scientifique…), c’est de la science-fiction.

Si c’est impossible (en raison d’un présupposé possédant sa propre cohérence, mais qui viole ouvertement la réalité telle qu’on la considère globalement – il s’agit de magie, donc, ce qui postule une rupture de continuité évolutive), c’est de la fantasy.

Le fantastique recouvre toujours la même idée de glissement. 

Les trois catégories appartiennent maintenant à leur propre dynamique, qui se définissent toutes, cependant, à partir de l’idée d’évolution. Le monde décrit dans la fiction résulte d’un cheminement visible à partir du présent, tracé dans la continuité (SF) ; ou bien il y a rupture (fantasy) ; ou bien le propos même est ce cheminement de l’actuel vers un ailleurs (fantastique). Plus (tellement) d’innombrables justifications malaisées pour classer les hybridations : la fantasy urbaine appartient bien à la fantasy dans cette optique (ce que nous pressentons tous), puisque son propos consiste à dépeindre ce monde imaginaire merveilleux, même si les protagonistes le découvrent au fil du récit ; elle se place en rupture par rapport au contemporain conventionnel (les elfes, dans la réalité consensuelle, n’existent pas). Elle se fixe souvent elle-même comme mission, d’ailleurs, de réenchanter le monde, et elle emploie le merveilleux pour ce faire.

C’est peut-être une idée stupide et facilement démontable, mais un blog (je le rappelle quand même au vu de récentes échauffourées) représente un carnet de notes et non un essai documenté, et c’est aussi à cela qu’il sert dans le cas présent – jeter des embryons d’idées dans la grande marmite de l’inconscient collectif au cas où elles seraient pertinentes pour celui-ci.

Sortez les torches.

2015-02-03T11:54:46+01:00mercredi 17 décembre 2014|Le monde du livre|116 Commentaires

Psycho Starship Rampage : la première interview

Pour votre premier jeu vous avez choisi un shooter horizontal, quelles ont été vos motivations et vos inspirations ?

Nous aimons les schmup (shoot them’ up). Nous y avons joué petits, nous continuons encore aujourd’hui à découvrir de très bon shooters. Nous aimons aussi un autre genre classique : le Rogue (inspiré du RPG). Nous n’avons pas trouvé de jeu mélangeant ces deux genres, alors nous avons décidé de faire ce jeu que nous aurions aimé.

Le premier entretien autour du jeu Psycho Starship Rampage (dont je m’occupe de la musique), réalisé avec ses concepteurs, est en ligne ! Pour en savoir davantage sur ce rogue-like employant les mécanismes du shooter spatial, rendez-vous sur cette page du webzine rennais Les Mandragores.

mandragores

2014-12-14T11:17:47+01:00lundi 15 décembre 2014|Alias Wildphinn|Commentaires fermés sur Psycho Starship Rampage : la première interview

De la double acception du mot luxe

Image trouvée ici.  Je ne pouvais pas passer à côté.

Image trouvée ici. Je ne pouvais pas passer à côté.

La controverse autour de Rêver 2074 a de quoi laisser baba : un projet qui semblait tout de même globalement inoffensif a polarisé le microcosme de l’imaginaire avec une puissance si radicale qu’on est forcé de suspecter que le vrai discours, le vrai « problème », si problème il y a, se trouve ailleurs. À présent que les réseaux sociaux sont carbonisés, que les insultes ont volé, que des amitiés ont été brisées  – le tout dans un cercle d’une cinquantaine de personnes au maximum, car il faut bien concevoir que le vaste monde, lui, le lecteur, n’a guère cure de qui se passe – et c’est très bien ; à moins que ce cercle de cinquante personnes représente le cercle réel du lectorat fidèle, auquel cas nous avons de bien plus graves problèmes littéraires que le financement de cette anthologie de science-fiction -, si je puis, timidement, m’essayer à un post mortem qui essaie de comprendre cette polarisation, dans l’espoir de tirer des leçons sur la chose, il me semble que le différend – une anthologie financée par un comité promouvant le luxe – vient de la double acception du mot luxe.

S’il y a bien une chose que cette tempête dans, moins qu’un verre d’eau, un dé à coudre, prouve, c’est que le luxe entraîne les fantasmes. Mais la science-fiction également, vue avant tout comme une littérature sérieuse, d’idées, et d’idées plutôt sociales. On a prêté toutes sortes d’intentions à ce projet, aux limites du conspirationnisme, et on peut s’amuser, comme le faisait remarquer Charlotte Bousquet sur Facebook, que la question ne se serait probablement même pas posée en fantasy, laquelle ne véhicule pas cette image de littérature sérieuse. J’ai envie de dire : grand merci pour la liberté de création que cela nous donne – y compris d’être sérieux, mais clandestinement.

Qu’on ouvre un dictionnaire, et la double acception du mot saute aux yeux, l’ambiguïté est présente : il s’agit de dépenses « somptuaires » associant « raffinement » et « ostentation ». Le luxe, au-delà des fantasmes qu’il suscite, se trouve ainsi ramené dans les débats à une seule de ses dimensions.

1. Le raffinement évoque immédiatement l’art et la culture ; il porte l’idée générale de progrès – c’est ce qu’aborde Charlotte Bousquet sur son blog, par exemple, mais également plusieurs commentateurs dans la discussion poussée qui s’est déroulée ici, évoquant la valeur de rêve, la motivation au progrès. Il faut également considérer que bien des progrès, intégrés depuis dans notre quotidien, ont commencé sous la forme d’un luxe, en des temps où la société fonctionnait différemment. Jadis, posséder un ordinateur familial était un luxe, aujourd’hui ne pas en avoir un constitue un handicap ; avoir du temps libre était un luxe, c’est aujourd’hui un élément inhérent à la qualité de vie, et ce temps dégagé, cette aisance, nourrit toute l’industrie culturelle, laquelle est empreinte d’une certaine « superficialité » au sens qu’elle est, sensu stricto, dispensable. Je fais pleinement partie de cette catégorie ; dans l’absolu, nul n’a besoin de lire mes livres ; même si je m’efforce d’y élargir les thèmes avec quelques questions historiques et philosophiques, ça ne sera jamais aussi dense – et donc nécessaire, dans une conception utilitariste du monde – qu’un essai sur la question (mais peut-être un peu plus rigolo, du moins je l’espère). Le luxe, dans cette acception, représente la marge de manoeuvre de l’humanité, le défrichage de terrains adjacents, l’exploration de possibilités nouvelles qui donneront, ou pas, d’authentiques progrès. C’est un jeu élaboré, pour adultes.

2. Et puis le luxe évoque le superflu, quand d’autres n’ont même pas le nécessaire ; il cristallise tous les péchés du monde capitaliste, le symbole d’inégalités scandaleuses où certains dépensent des fortunes pour des sacs de marque quand d’autres crèvent de faim. C’est l’aspect « ostentatoire » intolérable pour beaucoup, qui représente à son plus haut point les excès d’une société marchande, c’est le symbole de l’impuissance du simple citoyen face à un système qui l’oublie et lui donne l’impression de se construire sans sa voix, malgré l’étiquette « démocratie » censément portée par les civilisations modernes. Colère, impuissance.

Le truc, c’est qu’aucune des deux définitions n’est fausse, et qu’en plus, les deux peuvent se rencontrer dans le même phénomène. Prenons pour exemple les Médicis : sans leurs dépenses « somptuaires » en art et en architecture, la Renaissance n’aurait pas eu le même visage, voire n’aurait pas eu lieu. Elle engendra tout un bouillonnement et un progrès culturels ; ils financèrent et entretinrent des intellectuels de haut vol, qui travaillèrent à faire progresser l’époque où ils vivaient. Laurent le Magnifique protégeait par exemple Léonard de Vinci ou Marsile Ficin, traducteur de Platon.

À côté de ça, Laurent de Médicis faisait preuve d’une brutalité méticuleuse envers ses opposants.

Qui est le véritable homme ? Le protecteur des arts, ou bien l’homme politique sans merci ? Les cathédrales florentines se sont-elles bâties sur la spoliation de la famille Pazzi ?

N’est-ce pas un peu simpliste ? Cette question a-t-elle seulement un sens ?

Les phénomènes ne connaissent pas de cause unique, et la complexité est bien la seule règle qui régisse l’univers, en particulier social, et, dès lors qu’on se décide humaniste, nul homme n’est réductible à une seule dimension. Si j’ai bien fini par cerner un truc dans cette affaire (big up à Lam Rona sur Facebook pour la discussion qui m’a aidé à mettre le doigt dessus), c’est que, bien souvent, la mésentente vient du fait que les interlocuteurs n’emploient pas la même acception du thème, lesquelles charrient des sous-ensembles sémantiques différents, aux connotations différentes, allant de vaguement positives à une négativité confinant à la haine (du système). Je reste convaincu que se scandaliser de ce petit projet (petit par son impact sur le vaste monde en regard des inégalités qu’on entendrait combattre) revient à prendre le problème par un bout particulièrement microscopique de la lorgnette, et qu’il s’agit de s’outrer d’un arbrisseau qui cache une forêt mille fois plus dense et complexe ; qu’on n’abattra pas le système capitaliste en vociférant sur Rêver 2074 et que, au-delà de cela, ça n’a franchement pas grand-chose à voir avec la lutte dont il est question – pas plus que de militer pour le développement durable mondial en se focalisant sur le chlore employé pour blanchir les tickets de métro de Plan-de-Cuques, ou qu’on obtiendra une révolution économique et intellectuelle mondiale en commençant par dynamiter les droits des créateurs, qui sont les plus isolés et les plus fragilisés du secteur, par exemple. Rêver 2074 cristallise un épouvantail rhétorique et, si l’on veut lutter contre le système en commençant  par ce point-là, par cohérence et par traitement identique de toute interaction avec l’économie contemporaine, il faut cesser toute collusion de toute sorte et élever des poules sur un bateau en autarcie. Sinon, je crois qu’il faut composer avec le réel de manière à choisir ses combats et où investir le maximum d’énergie.

Si le débat autour du thème doit se poursuivre, de grâce, prenons au moins conscience d’une chose : avant de s’écharper, qu’on se mette d’accord sur le sens du thème qu’on emploie ; le raffinement ou bien l’ostentation, qu’on comprenne au moins de quelle position l’on parle, pour commencer.

Dans l’intervalle, par exemple, BP a été condamné à verser 4,5 milliards de dollars de plus pour la marée noire du golfe du Mexique, mais ça, ça fait bien moins buzzer les réseaux sociaux, parce que c’est loin, ça ne parle pas de SF, c’est vague, on n’y peut rien. On ne se sent paradoxalement pas concerné. Cela ne nous donne pas, en discutant avec véhémence, l’impression d’une action immédiate sur notre monde. Lentille déformante des réseaux sociaux et de leur immédiateté. 

XKCD avec annotation personnelle

XKCD avec annotation personnelle

Juste un dernier mot pour finir pour te remercier, auguste lectorat, de ta civilité générale dans la discussion idoine, malgré les polarisations, les frustrations perceptibles ; globalement, tout le monde est resté dans les clous d’argumentations construites. Je disais sur Facebook que je ne prétendais pas avoir la science infuse, c’est bien pour ça qu’il y a les commentaires ; si au moins, sur ce blog, tout le monde arrive à discuter en assez bonne intelligence, y compris les gens mieux documentés que moi et surtout ceux d’un avis différent, ma foi, on n’aura pas tout perdu, hey.

Maintenant, passons à autre chose. Parlant de financement, Mythologica et Fiction ont tous deux réussi leur financement participatif, et ça, c’est super chouette ! 

2014-12-10T10:14:35+01:00mercredi 10 décembre 2014|Humeurs aqueuses|82 Commentaires

Touché coulé

Auguste lectorat, ne fais pas comme ce marin.

brassiere_obligatoireEffectivement. Il aurait probablement fallu le même avertissement sur les baignoires du Titanic.

2014-12-09T10:06:42+01:00mardi 9 décembre 2014|Expériences en temps réel|Commentaires fermés sur Touché coulé

Les dieux cachés de la science-fiction

Couv. Lionel Cazaux

Couv. Lionel Cazaux

En passant, un mot rapide pour saluer la parution pour signaler et saluer la parution d’un essai universitaire dans la collection Eidôlon, dirigé par Natacha Vas-Deyres, Patrick Bergeron, Patrick Guay, Florence Plet-Nicolas et Danièle André ; sans l’avoir lu pour l’instant, vu qui est aux commandes, on peut être tranquille quant au niveau. Je le mentionne parce que c’est le premier ouvrage universitaire collectif consacré exclusivement à la SF francophone, et qu’il faut donner un maximum d’écho à l’initiative.

Pour en savoir plus, notamment télécharger la table des matières, rendez-vous sur cette page.

2014-12-09T09:17:21+01:00lundi 8 décembre 2014|Le monde du livre|8 Commentaires
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