Out avant de burn (une forme de bilan)
Auguste lectorat,
Je fais un truc fou que je n’ai pas réellement fait depuis si longtemps que je n’ose pas y penser : je pars en vacances. Pour de vrai. Je coupe tout. Ne cherche pas : je n’y suis pas.
En principe, à l’époque des fêtes, je me livre à tout un tas de bilans plus ou moins intéressants, c’est l’occasion de jouer avec les statistiques du site, de repêcher des articles au passage. Je me creuse la tête pour trouver quelque chose à dire pour Noël (étant plutôt solstice d’hiver que Noël, si tu vois ce que je veux dire). Je tiens mon bar en sachant que la plupart des clients ne sont pas là, mais la maison reste ouverte.
Cela fait deux ans que je tiens mon engagement de bloguer tous les jours ouvrables (ne serait-ce qu’un renvoi vers une chronique), un défi de discipline personnelle qui m’a beaucoup plu et apporté (et bientôt huit ans que ce blog existe sous ses différentes incarnations, fichtre). Même lors de mes voyages ou volontariats, j’ai toujours réussi à fournir.
Mais le fait est que je fatigue, et surtout, que je crois aujourd’hui que ce défi a fait son temps.
Cette année, s’il faut faire un bilan, a été une drôle de combinaison. Parfaite sur le plan personnel (à part quelques soucis d’épaule en voie de rétablissement près), réjouissante sur le plan professionnel (avec notamment la sortie de Bardes et Sirènes et de La Route de la Conquête, dont les chroniques ne cessent de m’enchanter – merci à tou-te-s !), mais carrément ardue sur le plan de la profession dans son ensemble, ce qui s’est senti dans le « milieu » en cette fin d’année, je crois. La validation de ReLIRE nous a à tous laissés un goût amer, les soucis économiques du métier dans lesquels nous baignons et, plus récemment, la controverse autour de Rêver 2074 qui m’a, personnellement, laissé pantois, surtout dans sa violence et son absurdité. Je pourrais te faire la litanie des insultes que tu n’as pas forcément vu passer, mais le but de cet article n’est pas de me faire plaindre, parce que, globalement, ça va, il ne faut pas s’inquiéter.
Je ne rechigne jamais à descendre dans l’arène (notamment pour défendre le droit d’auteur et parler de féminisme, deux sujets qui me tiennent à coeur et qui sont souvent mal compris), mais je ne suis pas entièrement sûr, cette année, d’être toujours descendu dans l’arène de la meilleure manière qui soit. Quand bien même déclarer que quelqu’un est un abruti finit par tenir davantage de la démonstration scientifique que du jugement de valeur (notamment quand, en guise d’argument, votre interlocuteur aborde le sujet de votre sexualité et du genre de légumes que vous pourriez mettre à des endroits qui n’ont qu’un rapport lointain avec l’agronomie, hormis peut-être pour la fertilisation), qu’identifier des gros cons s’avère parfois sans appel, c’est aussi la déclaration finale de l’inaptitude de l’interlocuteur à comprendre et, dans ce cas, il vaut mieux gracieusement s’incliner et prendre congé, reconnaissant, peut-être, les limites de sa propre aptitude dialectique. Jean-Daniel Brèque disait un jour sur Facebook : « dorénavant, je considérerai que j’ai le dernier mot quand je serai l’avant-dernier à parler » – ce qui est frappé au coin du bon sens.
Surtout, au-delà de toute controverse, cela peut aussi contribuer à rappeler l’effet déformant des réseaux sociaux, et qu’un régime quotidien, voire à plusieurs fois par jour de cette culture, entraîne dans une spirale où l’on devient soi-même prompt à la réaction, prompt au bon mot, prompt à l’instinct. Si je regarde l’année qui vient de s’écouler, il y a probablement quelques moments que j’aurais préféré réfléchir davantage ; pas sur le fond, mais dans la forme, dans un détail d’approche, quelques détails d’échanges et de conversations, parce que je suis au four et au moulin, que j’ai trop d’engagements, dont certains auquel il va falloir que je mette un terme. Nul n’est impeccable, mais cela n’empêche que j’ai toujours exercé une certaine distance qui me semble de bon aloi sur les événements, et que la fatigue semble m’avoir incité à me rapprocher un peu trop. Hey, cela fait seulement un an que j’ai séjourné dans un temple bouddhiste, il me faut du temps pour assimiler tout ça.
J’ai toujours dit que je tenais cet endroit par plaisir et amusement et que, le jour où ça ne m’amuserait plus, j’arrêterais. Alors pas de crainte, je ne ferme pas – je voudrais remercier tous ceux qui m’ont dit, en ligne ou de visu, qu’ils suivaient et appréciaient beaucoup cet endroit ; cela me motive beaucoup de savoir qu’il peut être utile et remplit son rôle ; il ne va nulle part – mais je change les horaires d’ouverture. Le fait de chercher tous les jours un article, un contenu à partager, est un bon exercice d’agilité mentale, mais je sens qu’il a fait son temps, parce que mon temps, justement, tend de plus en plus à s’organiser autour des réseaux, de leur maintien, de la crainte de la prochaine controverse, de la surveillance que la maison ne brûle pas en mon absence. Cela va précisément à l’encontre du Slow Web, mouvement où je me reconnais de plus en plus.
J’ai parfaitement conscience qu’il s’agit d’une discipline personnelle ET d’une pression que je me colle tout seul : loin de moi l’idée de blâmer qui que ce soit (et d’ailleurs cet article me semble un peu misérabiliste, mais gageons que ce sera le dernier du genre), à part faire un constat, m’en expliquer et, peut-être et comme toujours, qu’il puisse résonner avec celui ou celle qui le lira. « Bisous à celui qui le lit. » L’exercice amusant et la fascination technologique de pouvoir communiquer du bout du monde est un vrai plaisir, qui s’apparente à celui de produire une revue régulière, et j’ai adoré relever ce défi ; toutefois, je sens aujourd’hui que mes priorités s’inversent entre mon vrai métier – produire des livres, de la musique – et les à-côtés rigolos : jouer aux billes dans la cour de récré avec mes copains.
Et ça, il faut que ça cesse ; non pas les réseaux ni le blog, mais cette attitude qui commence à s’enraciner chez moi et qui me fait m’organiser autour de la gestion du site. Or, j’y tiens, et je n’ai pas envie de m’arrêter : il convient donc, non pas de s’arrêter, mais de changer d’attitude. Donc, pour commencer : sevrage brutal pendant la période des fêtes. Pas de réseaux, pas de mises à jour, pas de blog, pas de Twitter ni de Facebook, pas de courriel, silence radio. J’en ressens fortement le besoin. Je suis navré si vous attendez quelque chose de moi, vraiment, mais j’en arrive à l’urgence, et je vous promets que vous n’êtes pas oublié-e-s, mais, comme les bureaux des entreprises, je suis fermé jusqu’au lundi 5 janvier, où vous aurez rapidement des réponses. De toute façon, c’est les fêtes. Si vous bossez pendant les fêtes, je voudrais vous inciter à vous poser les mêmes questions que moi en ce moment : investis-je bien mon énergie là où elle est le mieux employée ?
À mon retour, j’entame un nouveau régime, qui est : pas d’obligation de publier tous les jours à heure fixe. Le but est aussi de retrouver une attitude naturelle, de jeu vis-à-vis de l’outil et donc, je l’espère, d’améliorer un peu la qualité qui, je trouve et l’avoue, s’est un peu dégradée ces derniers mois, en raison de la fatigue et de l’impératif de trouver tous les jours quelque chose à dire. Je préfère vous proposer un seul bon article, substantiel, par semaine que cinq petits lol « LES QUINZE RÈGLES QUI FERONT DE VOUS UN AUTEUR PRO – LA 5e VA VRAIMENT VOUS ÉTONNER » (abattez-moi si j’en arrive là au premier degré, par pitié). Je ne m’interdis pas de publier tous les jours, bien entendu, si j’ai des choses pertinentes à dire, à partager, mais il convient que je me recentre.
D’ici là, auguste lectorat, j’ai simplement envie de te dire merci pour ton suivi, ta fidélité et, comme toujours, ta grande modération et ta constructivité même dans les sujets chatouilleux. Je n’ai pas besoin de craindre que la maison brûle en mon absence : tu es grand et même si tu sais où sont les allumettes, tu m’as plus d’une fois prouvé que tu t’en servais juste pour préparer du thé aux copains. Ici, ce n’est pas comme ailleurs sur Internet, et c’est grâce à toi ; si je peux être fier d’avoir bâti le bar, ce sont les clients qui font l’ambiance, alors merci.
Très joyeuses fêtes, tout le monde, et rendez-vous en 2015 pour toujours plus de fond sous couvert de bêtise, à moins que ce ne soit l’inverse !