Déconnexion annuelle pendant les fêtes

Et nous revoici à la fin de l’année, avec la déconnexion traditionnelle entre Noël et Jour de l’an. De toute façon, vous serez en train de vous maudire parce que vous faites une indigestion de Ferrero Rocher, ou de blagues douteuses d’un quelconque parent éloigné, ou de mauvais mousseux rapporté par votre fils étudiant qui a cru bien faire, mais il est plus probable que c’est la combinaison des trois, pour lire les élucubrations scandaleuses de ce lieu de perdition.

Allez, si vous cherchez encore une idée de cadeau, je vous laisse avec cette pièce vue à la Comic Con de Noël à Melbourne au début du mois. C’est en dollars australiens. MAIS FUCKING QUAND MÊME :

Joyeuses fêtes, prenez soin de vous, ne buvez pas trop de blagues et ne mangez pas des étudiants.

2024-01-09T08:30:48+01:00vendredi 22 décembre 2023|À ne pas manquer|Commentaires fermés sur Déconnexion annuelle pendant les fêtes

Les Questions dangereuses à nouveau disponible normalement

Couv. Ammo

Hop ! Juste à temps pour les fêtes de Noël et offrir ce petit cadeau supplémentaire pour épaissir la pile – on appelle ça en anglais des « stocking stuffers », des bourreurs de chaussettes, j’adore – Les Questions dangereuses est à nouveau disponible en librairie (et numérique) comme avant, en raison de la reprise d’activité des (Nouvelles) éditions ActuSF.

1637 : Qui a assassiné le docteur Lacanne, en plein château de Déversailles ? Pour connaître la réponse à cette question, le mancequetaire Thésard de la Meulière, son libram à la main, est prêt à résoudre les énigmes les plus perfides… jusqu’aux confins de l’indicible.

➡️ Plus d’infos sur Les Questions dangereuses

2024-01-09T08:32:32+01:00mercredi 20 décembre 2023|À ne pas manquer|Commentaires fermés sur Les Questions dangereuses à nouveau disponible normalement

Star Trek Lower Decks, c’est chouette (dans le calendrier de l’Avent du podcast Spoilers)

Et j’ai eu le plaisir d’en parler dans le calendrier de l’Avent du podcast Spoilers, qui propose ce mois-ci des tas de recommandations d’œuvres d’imaginaire par auteur·rices et journalistes du domaine comme Marcus Dupont-Besnard de Numerama, ma camarade Estelle Faye et beaucoup d’autres.

➡️ Spoilers est disponible sur toutes les plate-formes, voir ici.

(J’en profite pour remercier Sneed de m’y avoir mis, en insistant : tu avais raison !)

2024-01-09T08:32:07+01:00mardi 19 décembre 2023|Entretiens, Fiction|Commentaires fermés sur Star Trek Lower Decks, c’est chouette (dans le calendrier de l’Avent du podcast Spoilers)

Du 27 au 31 mai 2024 : Retraite créative sur le conflit narratif

Je suis enchanté de retourner en mai prochain chez Parenthèse Tiny House, pour proposer à nouveau une retraite créative d’une semaine sur le conflit narratif !

Bibi ne démontre pas une prise de sumo, mais le conflit frontal

Parenthèse, c’est un site sublime, une forêt de 5 hectares à un jet de pierre de Paris avec des habitations miniatures dans le silence et la nature pour se ressourcer, un contexte en plus forcément propice à la création. Et justement, j’ai le plaisir de proposer un stage intensif autour de ma notion favorite, le conflit narratif, soit la chair même des histoires.

Chaque journée s’organise autour de temps réguliers :

  • De la théorie ;
  • De l’écriture, avec notamment un long exercice quotidien à réaliser dans son habitation pour avoir le temps de se concentrer (ce qu’il est quasiment impossible de faire dans les ateliers d’écriture classiques) ;
  • Des temps de conversation et de débriefing en groupe ;
  • Et des temps de respiration si l’on désire, notamment d’activités autour de la nature à Parenthèse.

Tout le programme est disponible sur le site de Parenthèse, ou bien ci-dessous :

➡️ Découvrir le programme de la retraite et réserver (10 places disponibles)

2024-03-27T01:16:13+01:00lundi 18 décembre 2023|À ne pas manquer|Commentaires fermés sur Du 27 au 31 mai 2024 : Retraite créative sur le conflit narratif

Procrastination podcast s08e07 – Écrire la fin

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « s08e07 – Écrire la fin« .

Un commencement est un moment d’une délicatesse extrême, disait l’autre, mais la fin aussi : cette quinzaine, astuces et techniques pour la trouver et la réussir. Pour Mélanie, chaque type de texte impose ses nécessités en la matière, mais elle explique en quoi la fin dirige son écriture, tout en visant à un effet de résonance avec le lecteur, ce qu’elle décrit comme un fin en « points de suspension ». Pour Lionel, la connaître est impératif pour ne serait-ce qu’écrire, car elle justifie le projet et le voyage même ; c’est cette vision claire qui va dicter et orienter tout le récit. Estelle s’interroge beaucoup sur le sens que l’on donne en arrêtant l’histoire à un moment donné ; elle apprécie une certaine justesse de dosage dans une conclusion, à la fois dans l’ouverture, la nuance, la résonance symbolique et surtout la place qu’elle laisse au lecteur pour l’habiter.

Références citées

  • « La Tour sombre », série de Stephen King
  • Jean Giono, Un roi sans divertissement
  • George Orwell, 1984
  • « Game of Thrones », série dérivée de l’œuvre de G. R. R. Martin
  • « Les Chroniques des Crépusculaires », série de Mathieu Gaborit
  • Guest star : Lucie

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2024-01-09T08:31:14+01:00vendredi 15 décembre 2023|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s08e07 – Écrire la fin

Building a Second Brain / The PARA Method : j’ai une tour Eiffel à vous vendre, et ça transformera votre vie

Parlons de Tiago Forte.

Tiago Forte écrit des livres, donne des conférences, et possède depuis des années un cabinet de consulting florissant sur la productivité et le knowledge management, cette discipline en pleine explosion avec laquelle je vous ai forcément bassiné de loin en loin (et même ailleurs) où il s’agit, non plus d’organiser ses tâches et ses actions (la révolution GTD a bientôt 25 ans) mais de gérer l’autre versant, la connaissance. Si vous vous intéressez un peu au domaine, c’est impossible de ne pas avoir entendu parler de Tiago Forte, conférencier, YouTuber, vendu comme expert mondial et très suivi par (en général) des cadres moyens à supérieurs désespérés de donner un peu d’ordre à leur vie dingue.

Hélas, pour ma part, j’ai des choses méchantes à dire sur Tiago Forte, et notamment ses deux livres, Building a Second Brain et The PARA Method. D’habitude, j’évite de dire des choses méchantes. Mais Forte est tellement connu et, surtout, je vois tellement de gens essayer de suivre ses principes pour ordonnancer leur vie qu’il faut donc parler de lui, et autrement que dans la chambre d’écho considérable qui s’est construite autour de ses enseignements.

Parce que, si votre travail est un tant soit peu créatif (et c’est de ça dont on parle ici), vous ne devez pas lire ni écouter Tiago Forte.

Building a Second Brain

Building a Second Brain se propose d’être le GTD de la connaissance, un livre avec autant d’écho que cet auguste précurseur (d’après son interview avec Nick Milo dans How I Think) ; il promet une méthode « prouvée » pour parvenir à organiser ses notes et débloquer sa créativité.

Sur ce point, le livre remplit sa promesse : il y a bien une méthode. Sauf que c’est, à mon humble avis, la pire des choses à faire pour stimuler sa créativité, laquelle passe avant tout, attention roulement de tambour, par la pensée.

Forte organise principalement sa méthode autour de deux axes :

  1. Surlignez tout ce qui vous intéresse, puis passez vos notes en revue si elles sont pertinentes, jusqu’à les distiller en vos propres mots. Sinon, ça n’est pas grave, les outils numériques vous permettront de retrouver l’info, même si elle a été oubliée / perdue.
  2. Pensez en termes de livrables (c’est-à-dire, en termes de produits à fournir).

Le premier axe part d’une bonne intention (on pourrait croire, superficiellement, à une application du Zettelkasten), mais prône en réalité des habitudes qui sont mortelles pour l’intelligence et la compréhension. Forte ne met pas l’emphase sur la distillation active de ses propres notes, mais sur la capture et la récupération du contenu. J’explique : tout processus d’idéation s’enracine dans une réflexion active potentiellement appuyée par du matériel extérieur. Mettons qu’on souhaite écrire une histoire : que le processus soit conscientisé (architectes) ou non (jardiniers), l’on va prendre une succession de décisions narratives personnelles formant autant de reflets du monde, mêlant le vécu personnel à une possible recherche documentaire.

Forte semble prêcher la même chose avec son acronyme « CODE » (Capture, Organize, Distill, Express) mais place une emphase absolue sur la capture de matériel extérieur à l’exclusion de l’esprit critique. Pour le dire plus clairement, la méthode Forte est la suivante : capturez toutes les infos qui vous intéressent ou peuvent se relier à vos projets, une fois dans vos notes, vous les aurez sous la main pour les ressortir au moment opportun. Forte ne le dit pas en ces termes, mais cela à revient à, en gros : vous aurez du matos, lequel, on s’en fout. Garbage in, garbage out.

Cette approche favorise tout ce qui va mal avec l’inconscient collectif de nos jours tel qu’incarné par les réseaux. Elle met l’emphase :

  • Sur l’anecdotique, le « factoïde » marquant, la citation qui rend bien ;
  • La capture sans évaluation et l’absence de recul.

Ça donne des démos très impressionnantes sur YouTube où quelqu’un peut produire un rapport qui semble en surface extrêmement documenté en s’appuyant sur ses « notes », mais pioche des informations sans discrimination un peu partout pour donner une apparence d’argumentaire. En gros, Building a Second Brain vous apprend à faire un travail de super-perroquet pour un public ignare.

Il est cependant capital de noter une chose : dans une atmosphère de grande entreprise saturée de rapports à rendre, d’indices à suivre, de paperasse et de réunions à la con, il est effectivement souvent demandé par des ignares un travail de perroquet. Si vous êtes un super-perroquet, vous vous facilitez grandement la vie, plus encore si tout ce que vous demande est « un rapport », pas « un bon rapport » pour cocher quelque case mystérieuse dans quelque logiciel lovecraftien de gestion de projet. Automatiser dans ce cas les tâches idiotes n’est pas une mauvaise idée pour se libérer du temps pour des vraies tâches intelligentes. Mais on est d’accord que ça n’est pas une fin en soi.

Et surtout, on est d’accord que tout véritable travail artistique insuffle l’unicité du regard individuel au monde, comme proposé plus haut, et que cela passe par la case méditation / rumination / distillation sur laquelle Forte passe un temps criminellement bref (alors que ce devrait être l’essence du travail – le reste, franchement, représente une structure secondaire). Un temps, pour tout dire, qui semble ajouté à la hâte dans l’ouvrage pour répondre précisément aux critiques telles que celle-ci, et pour coller un vague vernis de Zettelkasten en mode « vous avez vu, j’en ai parlé », mais clairement, ça ne l’intéresse pas.

Le second axe, penser en termes de livrables, trouve davantage de bien-fondé (en particulier dans le domaine de l’entreprise), mais représente une pente glissante dans le domaine artistique. Même si je suis fan du « Real artists ship » de Steve Jobs, il existe une différence fondamentale (et vitale) entre intention et finalité dans un projet artistique. L’artisan·e se soucie de processus et de cheminement avant de résultat. Je le rabâche dans Procrastination, comme le dit la Bhagavad-Gita en substance, « on peut prétendre au labeur, pas aux fruits du labeur ». Bien sûr que l’on crée en vue d’obtenir quelque chose, mais la finalité est le produit du cheminement, lequel émerge au cours de sa propre découverte et dicte ses propre règles. Dans le domaine artistique, le cheminement est la fin, et par cette approche, on engendre un livrable – mais pas l’inverse.

Penser en termes de finalité est un sûr moyen de penser en termes de réception, de succès, de renommée, des concepts sur lesquels 1) Aucun de nous n’a de prise et 2) Ne devraient en aucun cas influencer le processus créatif. Par essence, un·e créatif·ve se nourrit de l’inattendu, de la promenade dans des espaces imprévus, qui font naître l’envie ; fondamentalement, donc, en-dehors du livrable. Forte en parle, mais ça n’est clairement pas son focus. Sauf que pour quelqu’un qui crée, c’est une part cruciale de la respiration.

En définitive, Building a Second Brain ne devrait intéresser que les personnes dont les entreprises n’ont pas encore découvert ChatGPT et qui n’ont pas découvert ChatGPT elles-mêmes non plus. Ce livre n’est ni GTD, ni Deep Work, n’en déplaise aux grandes aspirations de son auteur. C’est un ensemble de principes déjà daté qui pouvait faire sensation en 2010 et qui peuvent seulement encore fonctionner des rouages corporate encrassés de longue date.

Ça ne vous apprendra pas à organiser vos notes pour écrire. Ça vous donnera au contraire de mauvais réflexes.

The PARA Method

Building a Second Brain peut avoir ses usages, et si j’en dis beaucoup de mal, le livre est honnête : il promet une méthode spécifique, certes à mon avis délétère, mais l’ouvrage couvre son sujet généreusement et avec exhaustivité.

Par comparaison, The PARA Method est une putain de honte. Voici tout le contenu du livre : faites quatre dossiers (Projects, Areas of Responsibility, Resources, Archives) pour vos données numériques et placez les contenus dans ces sous-dossiers en fonction ; conservez la même organisation partout.

Voilàààààà.

C’est un post de blog (en libre accès) étiré jusqu’à la déraison, bourré d’autopersuasion (imaginez que vous être sur un nuage de sucre candi où la méthode elle est trop bien. Alors, vous avez vu comme la méthode elle est trop bien ?) et qui se débine en une absurdité qui vous donne envie de bouffer votre liseuse (alors en fait, P.A.R.A. c’est bien, mais vous pouvez prendre n’importe quelle autre organisation au final avec les lettres que vous voulez, c’est à vous de voir et c’est ça qui est fantastique. OK, mais est-ce que tu te foutrais pas un peu de ma gueule ?)

Et bien sûr, par son orientation systémique vers le livrable, The PARA Method pose le même problème que présenté plus haut pour une vie créative.

Que lire à la place ?

Forte est un exemple emblématique de son propre travail : à coups de citations bien calibrées, de références prestigieuses, de marketing auto-entretenu et sur la base d’une bonne observation du problème auquel il s’efforce de répondre, il a élaboré un produit dont un examen superficiel conclut à la pertinence, mais qui n’a strictement rien de l’universalité prétendue et nuit à l’esprit critique comme à la créativité. Je suis très virulent envers lui parce que je vois constamment, sur les forums en lien avec le PKM, ceux d’Obsidian, etc. de pauvres hères qui appellent à l’aide pour implémenter les « outils » de Forte genre PARA comme si passer du temps à implémenter ces couillonnades allait magiquement se traduire en clarté.

Non. Tu vas juste bouger des trucs dans des dossiers, et ça ne marchera éventuellement que si tu es toi-même consultant, comme Forte.

Ma voix dissidente ne fera guère de mal à son business model, mais si vous, ici, vous pouvez éviter d’en passer par là, vous gagnerez du temps si vous cherchez un cadre pour écrire. Hélas, seul un travail diligent, un effort appliqué, vous permettra d’acquérir la clarté dont vous avez besoin. Il n’y a pas de raccourci pour ça, et de toute façon, si vous en voulez un et que vous imaginez que ChatGPT pourra écrire vos romans à votre place, vous manquez tout l’intérêt et, justement, la vraie finalité de l’écriture. Je répète : c’est le processus qui est engendre la finalité.

Du coup, que lire et que suivre ? Déjà, j’insiste, se rappeler qu’il n’y a pas de raccourci pour la pensée et que même, c’est tout le but du truc. La compréhension et l’originalité se construisent sur la durée et par la diligence ; surligner trois phrases vous donnera peut-être l’illusion d’être intelligent et si vous le faites plus vite que le voisin, il vous croira plus intelligent que lui, mais un super-perroquet reste un perroquet (voir à ce sujet The Collector’s Fallacy).

Si l’on veut construire et étayer sa compréhension sur la durée, et générer par l’absorption et la rumination du monde une pensée réellement personnelle et créative, on aura tout intérêt à plutôt lire / suivre / regarder :

  • Nick Milo, dont la formation Linking your Thinking (payante) et les vidéos (gratuites) sont excellentes et grand public. Point de départ recommandé.
  • How to Take Smart Notes, de Sönke Ahrens. Le bouquin est un peu fouillis, un peu délayé, et les conseils techniques sont maigres, mais l’état d’esprit qu’il prône est cent fois meilleur que celui de Forte.
  • Le fantastique site Zettelkasten.de, qui représente probablement la vision la plus « orthodoxe » (et universitaire) de l’approche par notes reliées.
  • Curtis McHale, notamment ses vidéos et sa newsletter (dont un numéro récent a d’ailleurs inspiré cet article, en voyant que je n’étais finalement pas le seul à ne pas adhérer au travail de Forte. McHale est en revanche beaucoup plus diplomate que moi, mais il a des enfants, lui, donc il ne peut pas dire putain dans un article).
  • Les vidéos et articles de Bryan Jenks, qui sont toutefois très techniques.
  • Et mon humble série Geekriture sur ActuSF, si je puis.
2023-12-11T05:18:13+01:00lundi 11 décembre 2023|Best Of, Lifehacking|Commentaires fermés sur Building a Second Brain / The PARA Method : j’ai une tour Eiffel à vous vendre, et ça transformera votre vie

Le conflit narratif n’est finalement pas un triste commentaire sur notre espèce (peut-être)

Et ces traces, un jour, un autre être affligé,
Voguant sur l’Océan solennel de la vie,
Pauvre frère en misère, et seul et naufragé,
En les voyant, Peut-être aura plus d’énergie.

« Le Psaume de la Vie », Henri Wadsworth Longfellow, trad. Sir Tollemache Sinclair

Je crois fondamentalement que toute histoire est conflit narratif, et que tout conflit narratif est histoire ; je donne des ribambelles d’ateliers sur le sujet et appréhender cette notion m’a ouvert des horizons de subtilité comme d’efficacité narrative. En résumant très vite, un récit narratif dramatise le traitement d’une volonté se frottant à des résistances ; ce qui est le conflit. Il n’est pas nécessairement frontal (Iron Man contre Thanos), au contraire, c’est quand il est ambigu qu’il ouvre toute la richesse de la psychologie humaine (Emma Bovary frottant son idéalisme aux basses réalités du monde matériel). Le conflit alimente la tension et les enjeux ; il nourrit l’intérêt ; il donne aux personnages l’occasion d’exprimer leur vérité ; il accroît la longévité, amplifie le champ de conscience, est vital au voyage spatial.

Un aspect m’a longtemps gêné cependant, et ce fut l’occasion d’en discuter sur le forum Elbakin.net : le conflit m’a paru comme une triste observation sur l’espèce humaine – on aspire plutôt à une existence sans conflit, quand on en est plutôt friand dans nos histoires. Serait-ce à dire que notre espèce reste fondamentalement animée par un goût voyeuriste de l’adversité, sorte de Schadenfreude jouissif tandis qu’on voit Frodon saigner des oreilles sur la route du Mordor, puisque, comme le dit l’adage, « les gens heureux n’ont pas d’histoire » (sous-entendu : qui vaille la peine d’être racontée) ? Sommes-nous fondamentalement vilains, des animaux excités par la vue du sang et réjouis que ça ne soit pas le nôtre ?

Je l’ai un peu cru, jusqu’à recoller cette observation sur la narration avec cette vérité fondamentale de l’existence : « La vie n’est que peine, ceux qui vous disent le contraire essaient de vous vendre quelque chose. » Ou, de façon un brin plus élégante dans les mots de G. K. Chesterton : le rôle des contes de fées consiste à expliquer aux enfants que les monstres peuvent être vaincus.

La soif pour le conflit en narration ne relève pas du Schadenfreude, du voyeurisme, mais au contraire de l’humanité. La deuxième loi de Sanderson formule que les limitations sont plus intéressantes que les pouvoirs car ce sont les limitations qui fournissent les occasions narratives par le conflit ; elles les fournissent, dans un contexte magique, supernaturel, car elles nous ramènent à la réalité fondamentale de notre humanité, soit que la vie peut être difficile le lundi. Et, ce faisant, la narration nous offre un accompagnement, un soutien, une grille de lecture, une réassurance quant à ces difficultés de la vie. On s’intéresse à Superman parce que la kryptonite le rend vulnérable, soit : humain ; non pas parce qu’il en bave et que c’est bien fait pour sa tronche de Kryptonien surpuissant, mais parce que cette fragilité le rapproche de nous, et que sa manière d’affronter cette adversité peut, par voie de conséquence, nous inspirer à notre tour. C’est là que les histoires sont formidables.

En d’autres termes extrêmement simples, le conflit narratif se situe à l’opposé diamétral du Schadenfreude : c’est au contraire un vecteur fondamental de compréhension, d’éveil de fraternité entre les événements fictifs dépeints et ceux nécessairement contrastés de notre vie. Le traitement du conflit – quelle qu’en soit la résolution, heureuse ou non – est un appel à l’empathie et à la réflexion, puisque l’on recompose nécessairement les événements d’un récit à travers le prisme de notre propre sensibilité, de notre propre théâtre mental et donc, à terme : des résistances inévitables de notre propre vie esseulées.

C’est tellement simple, j’ai tellement l’impression d’enfoncer des portes ouvertes que j’ai presque honte d’écrire ça à 45 ans, mais hé, comme c’est une conversation que l’on a de loin en loin, je me dis, je pose ça là, et de toute façon, tout le monde aura oublié quand Elon Musk aura défoncé le siège de Disney avec un Cybertruck pour montrer qu’il est indestructible. Lui-même, pas le Cybertruck.

2023-12-04T07:22:55+01:00jeudi 7 décembre 2023|Best Of, Technique d'écriture|3 Commentaires

Cinq ans d’analyse de l’observatoire de l’imaginaire

Depuis cinq ans et les premiers États généraux de l’imaginaire, l’Observatoire fait un travail passionnant sur l’économie et la sociologie du domaine : les conclusions résumées sont à lire sur ActuSF, avec le rapport général à télécharger et dépiauter.

Quelques observations encore plus résumées en vrac en ce qui me concerne :

Le CA du secteur a augmenté récemment, mais je me demande à quel point c’est dû à la pandémie ; je ne gagerais malheureusement pas que cela se maintienne.

Les autrices sont à présent majoritaires ! Mais disons donc plutôt, et sous réserve que cela se maintienne : à parité dans le domaine des nouveautés, en ce qui concerne le secteur pris dans son ensemble. Ça n’est pas encore vrai pour les invitations en festival et il faudrait voir ce qu’il en est pour les budgets de communication, mais on va espérer que ce premier jalon d’équité amène mécaniquement le reste rapidement.

Les médias généralistes parlent toujours aussi peu d’imaginaire – ça ne surprendra pas grand-monde. Quand ils en parlent, ils favorisent la SF : ça ne surprendra pas grand-monde non plus. Hot take (j’ai plus Twitter, alors faut bien que je m’attire des foudres quelque part) : la culture française a toujours eu soif d’intellectualisme. On a honte, en France, de parler de divertissement ; il faut avant tout que la littérature ait l’air sérieuse et se vende comme telle. La SF se prête mieux à cela, quand la fantasy, de manière générale, tend à mettre en avant l’aventure et le rêve avant la gravité et le sérieux de ses thèmes (cela ne signifie nullement qu’elle en traite moins, ni que la SF est chiante : on parle ici de pure présentation médiatique). La SF est donc plus facile à vendre pour un support généraliste qui s’adresse à un grand public soucieux de sa validation.

➡️ Lire les conclusions en détail sur ActuSF

2023-12-04T07:21:56+01:00lundi 4 décembre 2023|Le monde du livre|2 Commentaires
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