Que faire si on est manque de Jean-Michel Jarre ?
Ceci est, sans aucun doute, le titre le plus important que j’aie jamais écrit de ma carrière.
Non mais vraiment. Oui, ça fait des décennies que c’est dans l’air du temps de se moquer de JMJ et de sa harpe laser (qu’il n’a pas inventée, on sait) et de ses keytars (je persiste à dire que si la guitare est acceptable, le keytar aussi), mais il reste un monument de l’électronique à qui tous les artistes actuels doivent énormément, même si les vrais savent qu’après Chronologie, ça n’a plus été comme avant, et ça n’a rien à voir avec le fait que j’avais pile quinze ans quand l’album est sorti et que moi, j’écoutais de la musique d’esthète en laissant les grossièretés du rock (rendez-vous compte ! de la musique avec des gens qui chantent !) à mes camarades de classe.
Bref. On est tous un peu orphelins depuis Métamorphoses, et Oxygène 3, et Equinox Infinity, c’est cool, mais ça ne suffit pas à étancher notre soif de progressif planant / d’albums concept sur l’espace et la nature au son fleurant bon le magnétophone 4 pistes. Heureusement, il y a des gens qui ont tout compris, qui font résolument vivre ce son merveilleux, et comme ça fait en plus une super musique pour écrire, papy a deux références pour toi :
MoonSatellite. MoonSatellite ne fait pas que recréer le son des années 80, il l’exécute réellement, en utilisant les mêmes machines, séquencées en sessions live comme à l’ancienne (allez voir les vidéos, à l’ère de l’informatique, maximum respect de s’enquiquiner comme ça), et propose des paysages sonores évolutifs et planants dont le son descend en droite ligne d’Oxygène et Équinoxe, mais avec une personnalité bien à part. Vous savez les pistes un peu nostalgiques à la fin de chacun des premiers albums de JMJ ? Le travail de MoonSatellite m’évoque un peu cela, mais à l’échelle d’albums entiers, sur des explorations de vingt minutes, et c’est juste du bonheur absolu. Ne vous laissez pas tromper par la maigreur de la discographie sur les services de streaming, il y a un vrai coffre au trésor à découvrir sur la page Bandcamp. C’est magnifique, ça nous rappelle tous que les années 80 sont finies, mais on en a rien à foutre, parce que grâce à MoonSatellite, non seulement elles sont toujours vivantes, elles restent d’actualité. Merci monsieur.
LooneyJetman. Je ne peux pas imaginer que LooneyJetman ne partage pas le constat fait en début d’article : on est en manque de JMJ, on sait tous ce qu’on lui doit, et on en voudrait davantage, sauf que forcément, lui, il est parti vers d’autres cieux musicaux. LooneyJetman a commencé par faire de la trance, mais il a aussi publié deux albums de pure électro progressive / synthwave qui ne peuvent être que des hommages à des classiques de JMJ, c’est pas possible autrement. Deep Blue avec ses textures évolutives, ses synthés rétro et ses « singles » plus pêchus semble être la complétion officieuse dédiée à l’eau d’une trilogie fictive initiée par Oxygène et Équinoxe ; The Lonely Sky, avec un son très mi années 1980 et son radiotélescope en couverture, paraît le frère caché du Rendez-vous de JMJ. Site officiel.
Vivre de la traduction littéraire en attendant de vivre de l’écriture ?
Cela faisait longtemps (si je ne mettais pas 107 ans1 à répondre, aussi) que je n’avais pas reçu de questions en privé sur le boulot, et en voilà une fort importante, qu’il me faut archiver ici en public.
Je me doute que même si je suis publiée, il me faudra du temps avant de pouvoir en vivre. Je cherche donc des plans B pour assurer le côté financier, et j’ai pensé à la traduction. […] Aurais-tu des conseils à me donner si je veux me diriger dans cette branche ? Un niveau d’anglais minimum à présenter, des contacts, des expériences diverses à mener afin d’améliorer mes compétences ? Voir carrément d’autres plans B ?
Alors, c’est une question importante, parce que nous sommes nombreux à le faire ou à l’avoir fait dans la profession, effectivement. Le problème, c’est ce que ça n’est pas aussi simple que ça, et qu’il convient d’en dire un mot, pour bien placer la faisabilité exacte de la chose.
C’est-à-dire que, malheureusement et en toute honnêteté, je ne pense pas que ce soit un plan B fonctionnel à court terme (avec une grosse emphase sur le « court terme », more on that later), pour deux raisons :
- d’abord, les plannings de l’édition sont très longs (donc il peut se passer un ou deux ans avant d’avoir une ouverture dans un planning),
- mais surtout, obtenir une place en traduction… suit un peu les mêmes mécanismes que pour se faire éditer.
Ce qui defeate un peu le purpose.
C’est-à-dire que là aussi, il faut construire son expérience, commencer par des publications peut-être plus modestes, construire un réseau de partenaires de confiance, etc. pour gravir des échelons. Donc : c’est long, et ce sont la compétence et l’expérience qui priment avant un quelconque diplôme (avec la difficulté qu’on voit évidemment venir, soit arriver à se construire une expérience quand on débute et qu’on galère justement à se construire le CV qui ouvrirait les portes dont on a besoin. Serpent qui se mord la queue). J’en veux pour preuve que j’ai enseigné longtemps comme intervenant professionnel en Master dans le cadre d’un diplôme de traduction littéraire… que je ne possède pas.
La traduction permet certes d’avoir un revenu un peu plus stable tandis qu’on écrit à côté (en plus d’être une super école d’écriture, même si je déconseille de le faire juste pour ça – si c’est le but, il y a des écoles plus rapides, comme, par exemple, écrire directement), mais c’est long aussi d’arriver à en vivre. Donc, s’il s’agit de chercher plan B « alimentaire » pour vivre en parallèle de l’écriture, cela me semble clairement insuffisant à court terme.
Pour ma part, j’ai mis des années avant d’obtenir un afflux stable de contrats à la fois intéressants et bien payés (soit, à peu près, quand je suis entré dans l’écurie des traducteurs réguliers de L’Atalante ; avant, j’avais toujours eu des contrats intéressants, mais soit ils arrivaient de façon sporadique, soit la rémunération était moins bonne), à partir de quoi j’ai pu souffler un peu (et donc explorer mon écriture avec moins d’angoisse). Cela ne veut pas dire que cela ne doit, ni ne peut faire partie d’une stratégie d’auteur ou d’autrice, juste qu’il faut du coup un troisième truc à plus court terme pour manger. (Personnellement, entre autres choses, je donnais des cours d’informatique au troisième âge quand j’avais 20-24 ans.)
Après, distinction importante, je parle de traduction littéraire. Il y a deux (en gros) grands types de traduction : la littéraire (= d’ouvrages littéraires, comme des romans) et la technique (= de documents techniques, manuels, articles scientifiques etc). Je connais trop mal cette dernière, ne l’ayant pas pratiquée professionnellement, cependant j’entends parfois dire qu’il est plus facile d’y construire quelque chose. Caveat, donc et toutefois.
En résumé, même si je n’aime pas me faire le porteur de mauvaises nouvelles, je préfère clarifier la situation : oui, c’est possible de vivre de la traduction, mais ça n’est pas un domaine où on trouve des offres d’emploi, au même titre qu’on n’en trouve pas dans l’écriture romanesque. C’est à force d’être repéré·e pour son travail qu’on peut obtenir des contrats, ce qui inscrit nécessairement une telle démarche dans la durée, et plutôt avec la véritable envie d’y construire une carrière. Il y faut aussi une certaine dose de passion de persistance. Donc, à mon sens, ça n’est pas une super idée de boulot purement « alimentaire » en parallèle de l’écriture, mais plutôt une compétence supplémentaire dans l’arsenal d’un auteur ou autrice construisant une vie autour de sa plume.
- Estimation non contractuelle. ↩
La photo de la semaine : Kirkjufell solitaire
La montagne la plus photographiée d’Islande, également la « montagne en forme de flèche » de Game of Thrones.
Procrastination podcast s06e19 – L’oralité dans l’écrit
Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « s06e19 – L’oralité dans l’écrit« .
La littérature est appelée d’abord à être lue, ce qui implique un usage du langage différent de sa finalité première : la communication orale. Comment, par conséquent, donner convenablement une illusion d’oralité dans le langage écrit ?
Mélanie, dans son expérience d’intervieweuse, fait part de la difficulté à retranscrire un entretien pour qu’il sonne juste ; cela implique une réécriture partielle pour que la lecture soit agréable. Cet effet d’illusion s’applique bien entendu au dialogue.
Estelle renchérit avec son expérience de scénariste, et propose une astuce pour parvenir à cette justesse : envisager, peut-être, de la retenue par exemple à l’oralité stricte.
Lionel étend le principe à la narration fortement centrée sur les points de vue, avec l’importance de la voix du personnage, mais aussi de sa narration.Références citées
– Gudule (Anne Duguël)
– Frédéric Dard
– Léo Malet
– Jean Genêt, Notre-Dame des fleurs
– William Faulkner, Le Bruit et la fureur, Tandis que j’agonise
– Albertine Sarrazin
– J. D. Salinger, L’attrape-cœurs
Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :
Bonne écoute !
Écrire en musique : First Impressions
On est mardi, et mardi c’est le jour des conseils en musique (non). Toujours un peu à la recherche de musique douce pour s’occuper l’esprit en écrivant ? First Impressions fait de la synthwave toute douce qui fleure merveilleusement bon les cassettes de l’autoradio pendant qu’on sommeille sur la banquette arrière en se faisant conduire la nuit par les parents. (Oui, j’ai connu le son à l’origine de la synthwave quand c’était simplement l’air du temps. Now get off my lawn.) Un album et un EP sont disponibles sur les services de streaming et sur YouTube, mais comme d’habitude, on trouve un peu plus de choses sur la page Bandcamp (en plus de pouvoir soutenir directement les artistes).
Membre de la SFWA
Juste une brève pour marquer le coup : je suis très honoré et heureux d’être à présent membre de la SFWA, les Science Fiction and Fantasy Writers of America (« Association »). La SFWA a été initialement fondée en 1965 par Damon Knight, ce qui en fait l’une des associations professionnelles d’imaginaire les plus anciennes (peut-être la plus ancienne) au monde.
J’espère que ce regard un peu plus proche du monde anglophone de l’imaginaire m’apprendra plein de choses, à peut-être pouvoir rapporter chez nous.
C’est joli, épreindre
Ce que j’aime le plus dans Antidote, ce n’est pas ses modules de correction, mais la facilité avec laquelle on découvre des régionalismes oubliés ou des mots à l’étymologie surprenante (rappelez-vous « enfoiré ») (soit dit en passant, une nouvelle fois, on constate l’importance de la ponctuation à l’absence de virgule dans la parenthèse précédente, hein)
Aujourd’hui, je vous présente le mot « épreindre », qui à première vue semble une version accentuée d’étreindre, et qui, en un sens, n’en est pas si loin, quoique moins joli, et en fait, il vaut mieux ne pas épreindre les gens, sauf si vous un psychopathe, ou à la rigueur, si vous les connaissez super bien, ahem, bon, on laisse votre imagination faire le reste, CHUT IL Y A DES ENFANTS PAR ICI, et puis de toute façon on sait bien que qui trop embrasse mal épreint
Plus sérieusement. On note l’étymologie commune avec « exprimer », et combien, effectivement, il peut être nécessaire de s’essorer soi-même pour faire sortir des paroles difficiles. Amusant également, l’espagnol a parfaitement conservé « exprimir » pour presser un fruit, par exemple, verbe qui possède par ailleurs le sens figuré d' »exploiter » (tiens donc). On reste dans les mêmes voisinages, mais c’est rigolo de constater où les mots ont atterri, dans des connotations et des territoires différents en fonction des langues.
Quoi qu’il en soit, la prochaine fois dans un bar, plutôt qu’une orange pressée, demandez une orange épreinte : pour l’assurance totale de passer pour un péteux.
Mythes historiques, poésie de la fantasy et empathie de la fiction au micro de Mediaparks
Mediaparks est un média international rédigé par collégiens et lycéens, originaire du collège Rosa Parks à Rennes ; les étudiant·es étaient au volet scolaire de l’Ouest Hurlant fin avril, et m’ont offert l’occasion de montrer ma vieillitude avec des références culturelles de daron parler de la fantasy, de ses liens avec l’histoire et les mythes, et de son pouvoir évocateur. Courte interview ci-dessous, où l’on notera par ailleurs que j’ai un excellent T-shirt.