Oui ou non, mais surtout comment

Et sinon, ça se passe comment avec le Prince Charmant ?

Si le  blog de Randy Ingermanson revient fréquemment sur les fondamentaux de l’écriture de fiction, on n’est jamais trop expérimenté pour se passer d’y réfléchir. (Le site a des tendances publicitaires un peu trop marquées – « achetez mes cours ! » – mais c’est ainsi qu’on promeut la technique outre-Atlantique ; si le terme est presque un gros mot en France, aux USA, tout le monde est très décomplexé sur la question, au point de tomber peut-être dans l’excès inverse et d’en oublier un peu les notions ineffables d’intuition et d’envie.)

Son récent article sur la motivation et les objectifs des personnages forme un écho amusant à la question à laquelle j’avais répondu le mois dernier : « peut-on avoir des personnages sans but ? » Sa réponse, à laquelle je souscris : une histoire pose une ou des questions au lecteur, et celui-ci avance dans le récit pour connaître la ou les réponses. Si le lecteur ne se soucie pas de ce qui se passe, de ce qui arrive à des personnages à qui il tient, pourquoi continuer ? Le mécanisme le plus fondamental pour y parvenir consiste à soulever des questions : Romeo va-t-il lever Juliette ? Frodon va-t-il réussir à balancer son alliance dans la lave ? Luke Skywalker vise-t-il vraiment très bien ?

Là où je m’éloigne de l’avis d’Ingermanson, c’est dans la forme des questions que pose l’histoire, lesquelles sont toutes fermées dans son article – à l’image ces trois précédentes, posées volontairement de manière provocatrices, elles n’admettent qu’une réponse en oui ou non. Or, je pense que les questions fermées dans une histoire sont relativement peu intéressantes. Nous n’avons jamais autant baigné qu’à l’heure actuelle dans un bouillon de narration, principalement par notre exposition à la culture populaire, et notre cerveau en acquiert les motifs extrêmement rapidement. Ce qui fonctionnait il y a deux siècles sent le réchauffé aujourd’hui, non pas parce que le motif est éculé (sinon, qui écrirait encore sur l’amour et la mort ?), mais parce que nous l’avons vu plus souvent. Il est évidemment plus difficile de surprendre un gros lecteur, un gros cinéphile, qu’un candide.

Or, la fiction est généralement optimiste. Les gentils ont souvent tendance à gagner à la fin. Par conséquent, la question « le héros va-t-il s’en tirer ? » n’est pas vraiment intéressante à mon humble avis. On se doute que, la plupart du temps, c’est « oui » – surtout si le film est américain et que le budget des effets spéciaux dépasse le PIB du Bhoutan.

Non, je pense que les questions les plus intéressantes dans la fiction sont les questions ouvertes. Non pas « Votre couleur préférée est-elle le noir parce que vous aimez la nuit ? » mais « Quelle est votre couleur préférée et pourquoi ? » Les questions ouvertes, comme leur nom l’indique, ouvrent les horizons, suscitent le débat, la démonstration ; elles font du chemin un moment aussi intéressant que la destination, ce qui me semble fondamental en fiction. Elles débouchent ailleurs. Pourquoi m’intéressé-je à savoir si Romeo va serrer Juliette ? Parce qu’ils sont dans une situation compliquée ; parce qu’ils sont amoureux à la déraison ; parce que tout les oppose. La question n’est donc pas vraiment de savoir si Romeo va y arriver, mais comment (attention spoiler : mal).

Les auteurs de La Science du Disque-Monde II l’expriment parfaitement bien : c’est le mécanisme même de la tragédie antique, ou de James Bond, ou de MacGyver. Tout le monde sait que ça va mal tourner (ou que Bond va s’en tirer, ou que MacGyver a un trombone et un bout de ficelle dans sa poche), mais on veut savoir comment, et si ça va se passer de manière intéressante – et donc surprenante.

Les littératures de l’imaginaire se prêtent particulièrement bien au jeu du comment. Qu’y a-t-il vraiment dans le Soleil Vert ? Que sont exactement les monolithes noirs qui ont gouverné l’évolution humaine ? Comment Duncan MacLeod vit-il son immortalité ? Ce sont là, à mon sens, les vraies questions du récit. Elles appellent des réponses complexes, à l’image de la vie elle-même, des réponses qui ne peuvent être, justement, que l’histoire qu’on raconte.

2014-08-30T16:41:39+02:00jeudi 12 août 2010|Best Of, Technique d'écriture|7 Commentaires

La litanie contre la peur

Écrire. […] J’ai peur. […] J’ai tellement de travail. Je suis angoissée. J’ai l’impression de ne pas maîtriser correctement l’histoire. […] C’est la vérité : je ne la maîtrise pas. Mais voici ce que je vais faire : je vais avancer le roman de cinq pages par jour. Je vais croire que je fais ce que je suis censée faire […] : écrire. Je vais croire que les mots sont là, en moi, que les idées sont là, en moi. Je vais croire que je suis pleinement capable de conduire ce projet à son terme. Je vais me rappeler que j’ai toujours eu peur, et que je me suis toujours frayé un chemin à travers la peur, dépassant la peur, pour la transformer en foi.

Elizabeth George, Journal of a Novel, 4 nov. 2001

Cette citation, tirée de Write Away (Mes Secrets d’écrivain en français), figure dans mon bureau depuis des années, quasiment sous mes yeux (photo ci-contre). Et si c’est bon pour Elizabeth George, ma foi, ça l’est pour moi aussi, ça l’est pour nous tous – en tout cas nous qui sommes frappés par cette angoisse et par son symptôme le plus courant, la procrastination. Camarades, nous sommes en bonne compagnie : George, William Gibson (« Je préfère largement le fait d’avoir écrit à celui d’écrire », confiait-il), Fredric Brown aussi, me semble-t-il, et j’en passe.

J’ignore si cette peur disparaît jamais vraiment avec le temps ; à en croire George, il n’en est rien et, selon ma modeste expérience, elle aurait plutôt tendance à empirer. La question n’est donc pas tant de chercher à l’annihiler, ce qui semblerait un combat perdu d’avance, et encore moins d’en concevoir de la culpabilité. Il s’agit de faire la même chose que George : la reconnaître, puis travailler autour, avec, au travers. Et, pour cela, il n’y a qu’une seule chose à faire : sauter dans l’arène, et agir maintenant. C’est une tautologie, mais, pour avoir conscience qu’on a déjà su transcender la peur pour la « transformer en foi », pour se fonder sur cette expérience afin d’alimenter les suivantes au moment où les craintes montrent les crocs, il faut l’avoir déjà fait. Et cela n’arrivera pas demain, mais aujourd’hui, maintenant, à votre prochaine plage de temps libre, qu’elle dure deux heures ou bien cinq minutes. Si vous n’en profitez pas, demain, vous serez toujours au même point – et peut-être en pire condition, car vous éprouverez la culpabilité de ne pas avoir agi hier au moment où vous l’auriez pu. Robin Hobb affirme, et elle a raison, que « vous n’aurez jamais plus de temps libre qu’aujourd’hui ».

C’est tout simplement la première règle de Robert Heinlein, et le conseil en apparence tout simple que bien des écrivains chevronnés donnent aux plus jeunes (j’ai par exemple entendu Terry Brooks le répéter des dizaines de fois aux Imaginales l’année de sa venue) :

Règle n°1 : Tu dois écrire.

2014-08-05T15:24:32+02:00vendredi 6 août 2010|Best Of, Technique d'écriture|14 Commentaires

Question : personnages et leurs besoins

Comme la semaine dernière, voici une petite question d’écriture. L’auteur peine un peu sur une situation statique et cherche comment faire progresser son histoire :

Q : J’ai essayé de faire des fiches personnages pour ma pièce… on verra ce que ça donnera. J’ai un peu l’impression de remettre à plus tard le moment ou je vais devoir m’accrocher pour de vrai à l’histoire. […] Pour le moment j’en sais rien de ce qu’ils veulent… Rester vivants ? Que leur famille reste vivante ?

(suite…)

2014-08-05T15:24:32+02:00lundi 12 juillet 2010|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Question : personnages et leurs besoins

St-Malo : bonus frégate

À Étonnants Voyageurs, Sylvie Miller et moi-même avions repéré une superbe frégate de l’âge d’or de la marine en bois à quai juste devant le festival ; passionnés par la question tous les deux et découvrant qu’on pouvait visiter le bâtiment, nous avons décidé de nous octroyer une grosse heure pour monter à bord – et prendre toute une bordée de photos. Se documenter, c’est bien, mais sentir les espaces, les odeurs, se tenir dans l’entrepont et s’imaginer à la place d’un marin ou d’un capitaine au long cours en pleine tempête ou sous le feu de la bataille, voilà qui est bien plus drôle – et écrire, c’est surtout ce plaisir-là, en tout cas pour moi.

On m’a parfois dit que le vocabulaire de marine présent dans La Volonté du Dragon était complexe ; aussi, au-delà des définitions parfois laconiques d’un dictionnaire, je vous invite à une petite visite guidée en situation. Le navire amiral de La Volonté est certes un cuirassé à vapeur dranique sans équivalent dans notre monde, mais les termes restent globalement les mêmes entre une barque à rames et un porte-avions.  (suite…)

2014-08-30T16:36:51+02:00mercredi 16 juin 2010|Best Of, Juste parce que c'est cool|5 Commentaires

I phone dead people (phone freaks vol.4)

Cela fait déjà un certain temps qu’un démarcheur inconscient du danger a osé composer mon fatidique numéro de téléphone, entrant sans se douter dans l’antichambre capitonné des sédatifs. À présent que mon combat désespéré contre l’implacable mécanique de la concurrence libre et parfaite s’est plus ou moins soldé par une demi-victoire, dans le coût des réactivations et les services tombés au combat, je crois, ô auguste lectorat, le moment bien choisi pour relater cet entretien. (suite…)

2014-08-30T18:43:29+02:00mardi 27 octobre 2009|Best Of, Expériences en temps réel|2 Commentaires

Pirouette, cacahuète (phone freaks vol.3)

La semaine passée fut fort productive : on ne m’a pas appelé une fois pour me vendre des trucs improbables, mais deux. Enfin, productive du point de vue absurdités et perte de temps, moins de celui des feuillets engrangés. Mais je ne suis pas homme à me soustraire à mon devoir: que tous les démarcheurs téléphoniques voyant un jour mon numéro apparaître sur leur fichier maudit cochent un jour la petite case excentrée, celle qu’ils réservent aux cas les plus difficiles et insolubles, celle qui porte la mention « cinglé ».

Car, oui, j’ai bien essayé de m’inscrire en liste rouge, de demander à ce qu’on me retire des fichiers, de menacer de plaintes à la CNIL, en vain. J’ai découvert qu’il n’existe qu’une seule façon d’être tranquille (à bien des titres) : la folie. Dans laquelle je me trouve pleinement justifié pour deux raisons : d’une, on est censé me foutre la paix téléphonique ; de deux, offrir un moment d’éventuelle détente à mon correspondant est meilleur pour son humeur et mon karma qu’une réponse aussi brève qu’inefficace à base de grognements inarticulés.

Ceci étant dit, intéressons-nous à l’entreprise du jour, l’Office des Propriétaires de je ne sais plus quoi. On m’appelle régulièrement pour me demander si je suis propriétaire, locataire, contribuable, non-imposable et je réponds souvent « non » aux quatre questions à la suite, méfiant de nature, non-euclidien par constitution, me faufilant dans l’azur vierge régnant entre les cases des formulaires URSSAF.

Cette fois, j’ai répondu différemment, mais j’ai raté mon coup.

(suite…)

2014-08-30T18:43:41+02:00lundi 1 décembre 2008|Best Of, Expériences en temps réel|1 Commentaire

Ouvert d’esprit, mais dans le cadre (phone freaks vol.2)

Je ne sais pas ce qui se passe mais depuis que j’ai exposé sur la place publique mes aventures avec le démarchage téléphonique, les appels ont recommencé de plus belle. Encore un coup de la synchronicité. Enfin, ça met à l’épreuve mes capacités d’improvisation, disons.

J’ai d’abord essayé la contre-réponse téléchargeable ici, mais le résultat ne fut pas assez marrant pour valoir la peine d’être raconté.

Je viens en revanche de recevoir un coup de fil qui n’est pas drôle en soi – pas de Station Spatiale Internationale – mais qui est assez surréaliste sur le rôle des genres dans la société.

 

(suite…)

2011-05-01T18:28:22+02:00lundi 25 août 2008|Best Of, Expériences en temps réel|3 Commentaires

Vous avez demandé l’espace, ne quittez pas (phone freaks vol.1)

Où l’on respecte les règles du théâtre classique

Unité de lieu: Chez moi, où je travaille la plupart du temps.

Unité de temps: Une heure, plus ou moins.

Unité d’action: Ce qui suit. J’étais un temps inscrit en liste orange, ce qui interdit théoriquement tout démarchage téléphonique. Mais la plupart des entreprises ne respectent pas cette règle, ce qui est idiot car cela décuple l’irritation du correspondant, coupant à jamais la compagnie d’un client potentiel – qui ne supporte pas qu’on vienne le déranger chez lui quand il a expressément exigé la tranquillité.

La plupart des gens déchaînent alors leur agressivité, raccrochent au nez, passent leurs nerfs sur le pauvre anonyme qui a la malchance d’avoir pour ainsi dire tiré le mauvais numéro. Pour ma part, plutôt que de traumatiser mon démarcheur (qui ne fait que son boulot et qui n’est pas responsable de l’indélicatesse de son entreprise) je préfère… une autre tactique.

Cela va sans dire, mais ce qui suit, ainsi que les autres expériences à venir du même genre, bien que restituées de mémoire, sont totalement authentiques.

iphone_bakelite

Le téléphone sonne. La présentation du numéro affiche: « Indisponible ».
LD: Allô?
Démarcheur: Oui, bonjour monsieur, je suis bien chez monsieur Davoust?
LD, sentant venir le coup: Oui, tout à fait.
Démarcheur: Bonjour monsieur, je suis [Oublié le nom], je représente Bouygues Télécom et j’ai une excellente nouvelle à vous annoncer, les tarifs des forfaits internationaux ont baissé et nous
proposons actuellement une offre limitée dans le temps réservée à un nombre réduit de personnes.
LD, d’un ton enjoué et captivé: Ah bon?!? Comment ça?!!
Démarcheur, prenant confiance: Eh bien, en ce moment, nous vous proposons [Oublié les détails de l’offre, j’écoutais à moitié, mais il s’agissait d’un forfait international à prix
prétendument plancher].
LD: Cela semble extrêmement intéressant, pourriez-vous m’en dire un peu plus?
Démarcheur: [Continue son laïus commercial, Bouygues c’est trop de la balle, confiance, fidélité, qualité de service, cent balles, un Mars.]
LD, toujours très intéressé: Effectivement, c’est vraiment une offre étonnante. Mais… je me demandais…
Démarcheur: Oui, monsieur? Auriez-vous des questions?
LD, gêné: Oui, à propos de la couverture.
Démarcheur: Eh bien, [liste interminable de pays du monde]…
LD: Non, attendez, ce n’est pas ça. J’aurais voulu savoir, jusqu’à quelle altitude tient la couverture?
Démarcheur, surpris: Cela fonctionne en région montagneuse, mais…
LD: En fait, ce que j’aimerais vous demander, c’est si la couverture s’étend jusqu’à l’espace.

(Silence stupéfait au bout du fil.)

LD: Parce qu’en fait, je vous explique, mon frère est cosmonaute et travaille sur la Station Spatiale Internationale. Or, vous voyez, pour nous parler, ce n’est vraiment pas évident, alors votre
offre m’intéresse beaucoup. Je pense qu’on pourrait prendre un forfait chacun, avec le portable qui avec, cela va sans dire, mais votre offre couvre-t-elle la Station Spatiale Internationale?
Démarcheur, après un nouveau blanc: Heu, écoutez, je crois que je vais vous passer mon supérieur, si vous ça ne vous ennuie pas.
LD, toujours enjoué: Mais je vous en prie.

(Petite musique d’attente. Je commence à sourire tout seul.)

Supérieur: Allô? Vous êtes monsieur Davoust?
LD, amusé en plus d’être enjoué: Mais tout à fait.
Supérieur: Oui, je suis navré de cette attente, je vous remercie de votre patience! On m’a signalé que vous étiez intéressé par nos forfaits internationaux mais que vous aviez des questions?
LD: Ah mais oui, je trouve l’offre excellente, je pense très sérieusement à en prendre un et je suis sûr que mon frère en prendra un aussi. Seulement,mon frère est cosmonaute, il travaille sur la
Station Spatiale Internationale, et, pour communiquer tous les deux, c’est vraiment très compliqué. Alors votre offre serait vraiment idéale pour nous deux, vous comprenez, il voyage beaucoup.
J’avais donc une question sur la couverture: est-ce que cela porte jusqu’à la Station Spatiale Internationale?

(Blanc gêné au bout du fil.)

Supérieur: La… Station Spatiale Internationale? Dans l’espace, vous dites?
LD: Oui, tout à fait. Parce que mon frère y travaille toute l’année et c’est vraiment pas commode.
Supérieur: Ecoutez, monsieur Davoust… (Rire gêné.) Je dois vous avouer que cela fait six ans que je travaille dans les télécoms et j’avoue que c’est la première fois qu’on me pose la
question.
LD: Oh mais je comprends, il y a vraiment peu de cosmonautes sur la station, j’imagine bien que ce n’est pas un problème courant.
Supérieur: Je suis vraiment très gêné, je n’ai jamais été confronté à cela et j’avoue que je ne sais pas très quoi vous répondre. Est-ce que vous verriez un inconvénient à ce que j’aille voir mes
techniciens pour leur poser la question, et je vous rappelle ensuite d’ici une quinzaine de minutes?
LD, manquant de pouffer: Aucun problème, bien sûr, n’hésitez pas.
Supérieur: Alors c’est parfait, je vous rappelle.

(Nous raccrochons et j’explose de rire tout seul, certain qu’on ne me rappellera pas et que Bouygues fera enfin disparaître mes coordonnées de ses fichiers. Pourtant, une vingtaine de minutes
plus tard, le téléphone sonne à nouveau, affichant la fatidique mention « Indisponible ».)

LD: Allô?
Supérieur: Oui, monsieur Davoust?
LD, souriant déjà: Tout à fait.
Supérieur: Oui, c’est monsieur [Oublié aussi], de Bouygues Télécom. Je me permets de vous rappeler comme vous m’y aviez autorisé concernant votre question de couverture sur les forfaits
internationaux. Navré de vous avoir fait attendre.
LD: Ah oui! Merci beaucoup! Pas de problème!
Supérieur: Eh bien je suis allé voir mes techniciens pour leur demander si nos offres couvraient la Station Spatiale Internationale. Alors, je suis navré, ils m’ont répondu que non. Mais ils m’ont
bien confirmé que c’était l’avenir.

(Je manque d’exploser de rire une nouvelle fois. J’imagine la tête des techniciens, leurs regards entendus face au jeune winner gominé venu leur poser cette question débile. J’imagine
l’anecdote qui commence déjà à faire le tour de Bouygues Télécom. Je décide de pousser le jeu le plus loin possible, de raconter de plus en plus d’énormités pour voir jusqu’où mon commercial est
prêt à courir. Apparemment, c’est un marathonien.)

LD, déçu: Ah, c’est vraiment dommage! C’est vrai que c’est l’avenir, vous savez, les Américains et les Chinois projettent d’établir des bases lunaires permanentes d’ici dix ans,
je suis supris que Bouygues, qui s’est toujours montré à la pointe de la technologie – c’est vrai, avec le son HF, par exemple – ne s’en préoccupe pas davantage. C’était une offre tellement
intéressante! Mon frère et moi, on aurait été ravis.
Supérieur: Je suis vraiment navré, monsieur Davoust. Mais… (Cherche à poursuivre la discussion, plein de sollicitude) Tout de même, ce n’est pas banal! Puis-je vous demander comment vous
faites pour communiquer avec votre frère, actuellement?
LD, ravi: Eh bien, je suis obligé de passer par le réseau de la NASA, via Internet. Déjà, cela m’oblige à payer chez moi l’équivalent de la ligne d’un petit centre de recherches, ce qui
est coûteux. En plus, il y a toute une procédure à respecter pour se connecter sur le réseau de la NASA, c’est vraiment fastidieux! Je dois régulièrement faire renouveller mon accréditation auprès
du Pentagone! Avec Bouygues, je n’aurais pas ce problème, hein?

(Quelle que soit l’absurdité du bobard, toujours ramener l’attention du correspondant sur ce qui l’intéresse: sa firme et la vente de forfaits téléphoniques.)

Supérieur, fasciné: Je pense bien.
LD, qui noie son démarcheur sous un flot de paroles: En plus, la qualité de la ligne est déplorable! Vous n’imaginez pas! On a régulièrement des parasites à cause des taches solaires, qui
sont très fréquentes à cette époque de l’année. Heureusement, elles sont prévisibles, mais il faut calculer l’heure pour viser entre deux éruptions. Et vous imaginez, calculer le décalage horaire
avec l’espace, c’est pas facile, hein?
Supérieur, qui perd pied: Ah, euh, non, je n’y avais jamais réfléchi.
LD: C’est pour ça que le son HF de Bouygues Télécom serait tombé à point nommé, vous comprenez. La ligne aurait été super.
Supérieur, qui essaie de retrouver ses esprits: Euh, oui, et donc, je ne pourrais quand même pas vous intéresser à un forfait terrestre?
LD: Bah non, je suis navré, comme vos techniciens l’ont dit, l’espace, c’est l’avenir; quand les Américains établiront leur base, je déménagerai aussitôt, alors je prendrai un forfait lunaire. Il y
a bien assez de détails à régler quand on déménage sur la Lune, n’est-ce pas?
Supérieur, dépassé: Ah ben oui, je comprends. En tout cas, merci beaucoup de votre accueil, monsieur…
LD: Mais je vous en prie! Merci à vous de vous être renseigné!
Supérieur: Avec plaisir, monsieur!

2011-05-03T16:53:16+02:00lundi 18 août 2008|Best Of, Expériences en temps réel|7 Commentaires
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