Oui, la critique peut être objective (1)
Alors, tiens, on parlait de Pacific Rim sur Facebook, et, comme c’est souvent le cas quand les avis divergent sur un film / livre / concert / gâteau à la framboise, à un point de la discussion, est venue sur le tapis la question du goût.
La critique (de fiction) est-elle objective ? N’est-elle condamnée qu’à dire « j’aime » ou « je n’aime pas » et sommes-nous voués à n’exprimer que nos goûts, privés de grille de lecture, naviguant à vue dans un univers d’oeuvres indécodables ?
Hein ? Hein ?
Ce suspense est insoutenable.
Bien, tout d’abord, je ne fustige en rien ceux qui exposent goûts et appréciations personnelles, aussi arbitraires soient-ils (ce qui est, ahem, contenu dans la défintion). Nous faisons tous cela au quotidien. « J’kiffe Naruto parce qu’il est, tu vois, intestable. » 1 Bien des blogueurs de renom et de talent fondent leurs billets sur ce ressenti, et l’assument parfaitement. Aucun problème : c’est la première grille de lecture et la plus valide de toutes, car éminemment personnelle. Et, au final, pour savoir si une oeuvre nous parle, il faut la voir / lire / entendre, n’est-ce pas ?
La clé est là : l’assumer. Là où cela ne fonctionne pas, c’est qu’il existe aussi des critiques qui opèrent selon ce mode, mais prétendent juger depuis les hauteurs suprêmes du Bon Goût (TM). Sauf que le Bon Goût est éminemment, lui aussi, personnel.
En revanche, il apparaît qu’il existe quelques critères selon lesquels il est possible de jauger une oeuvre. Quand je faisais de la critique – et que j’en fais encore -, je m’efforce d’opérer selon ceux-là. (Évidemment, vous aurez repéré que je suis en train de vous dire que mes critères, à moi, sont objectifs. Je le pense, mais je reconnais tout l’égocentrisme de la situation, et je vous signale aussi que vous pouvez ne pas être d’accord. À tout le moins, je référencerai cet article pour expliquer sur quelle base théorique se fondent mes critiques sur ce blog.) Pour rendre à César la petite monnaie sur le pain, je les pique à / remixe de l’école de critique littéraire.
J’en discerne (à l’heure actuelle) trois : l’impératif de moyens, l’impératif de cohérence et l’impératif d’intention. Ils ne suffisent pas à jauger du plaisir suscité par une oeuvre puisque, par définition, celui-ci est subjectif, mais au moins – et c’est, je crois, l’obligation de toute critique qui aspire à l’objectivité – ils fournissent une grille d’analyse qui permet d’élargir la lecture et la perception dès lors que l’on cherche à prendre de la hauteur. En tout cas, c’est ma façon de faire ; mutatis mutandis, etc.
Je précise que je me place dans le cadre de la fiction, et que pour moi, la fiction aspire à narrer une réalité imaginée destinée à impliquer son spectateur (ou lecteur, ou auditeur, etc.) dans le déroulé de ses événements, dans un état s’apparentant au rêve, à la transe, voire à une fugue dissociative bénigne2. Vonarburg et Gardner l’ont dit avant moi, et c’est une définition qui me plaît en plus de me paraître fonctionnelle (ou fictionnelle ? Ha ha.).
L’impératif de moyens
Le plus facile. Si les trucages d’un film sont visibles, si les acteurs jouent comme des patates, si le style est indigent, alors il y a faute (au sens du manque) de moyens. Ce manque de moyens agit comme autant de dissonances qui sortent le spectateur (au sens large) du rêve fictionnel.
Évidemment, il y a une part esthétique là-dedans. Les trucages de Méliès n’ont rien à voir avec le blue screen et l’animation de synthèse moderne, mais cela ne les empêche pas d’être empreints de poésie et de servir leur fin.
Laquelle dépend de l’impératif d’intention (voire plus bas).
L’impératif de cohérence
Facile aussi.
L’univers dépeint dans le rêve fictionnel obéit à un certain nombre de règles, tacites (la gravité, les gens doivent manger et boire, si on leur tape dessus on peut les tuer) ou établies (nous sommes en 2040 et une civilisation de presse-purée galactiques a envahi la Terre, les dinosaures n’ont jamais disparu mais ont fondé une société secrète dans la terre creuse et pilotent l’histoire en sous-main, nous vivons dans une civilisation parfaitement éclairée).
Quand l’oeuvre enfreint ces règles, elle crée une incohérence, un trou de scénario plus ou moins gros (et visible), susceptible encore une fois de rompre le rêve fictionnel. Là aussi, il y a une considération esthétique : Bruce Willis peut dégringoler du 15e étage et survivre dans un film d’action sans problème, dans un compte-rendu réaliste de la vie des financiers pendant la crise de 1929, ça passera beaucoup moins bien.
Ce qui nous amène au principal, et aussi au plus polémique : l’impératif d’intention, qui nécessite son propre article, demain.
- Je suis navré mais cette phrase est authentique, entendue un jour dans le métro. ↩
- Ça ne mange pas de pain de préciser aussi que tout cela est une réflexion en cours, et que je n’ai la prétention d’être professeur mais de faire un usage opérant des signes qui font des mots – ah ouais, les lettres. ↩