Qu\'est-ce que la chaîne du livre ? 1 – les acteurs

« Tu vois, Canard PC, il se vendent 4,30 € et c’est en couleurs, alors qu’un livre c’est 20 € et y a même pas d’images dedans. C’est bien la preuve que les éditeurs se foutent de nous. »

Ne hurlez pas, ce sont des paroles vraiment entendues à la queue du supermarché. (Et si vous trouvez cette phrase frappée au coin du bon sens, vous avez besoin de lire ce qui suit.)

mysterybooksAlors qu’on réfléchit beaucoup à l’avenir, à la stabilité du marché du livre, que les questions du coût public et de la rémunération des auteurs se posent de plus en plus, et qu’on constate, globalement, une méconnaissance des mécanismes économiques du marché, je pensais qu’il pourrait être utile d’exposer très rapidement comment, au juste, fonctionne l’économie du livre, de l’auteur au point de vente (et donc au lecteur). Dans l’espoir de répondre à la question : pourquoi un grand format coûte-t-il 20 € (en moyenne) ?

La réponse est assez simple : la présence d’un livre sur le marché (donc accessible à toi, auguste lectorat) n’est pas le fruit du travail d’une seule personne, l’auteur. Note bien la formulation : « la présence d’un livre sur le marché » et « le fruit du travail ». Le livre, en soi, résulte principalement du travail d’une seule personne, son auteur (avec le concours de l’éditeur et de ses correcteurs, qui, par leur regard extérieur, amènent l’auteur à retravailler son manuscrit afin qu’il soit le meilleur possible, et dont le regard, à mon sens, est indispensable.)

Mais un livre achevé existe-t-il pour autant sur le marché ? Non, absolument pas.

Il manque plusieurs choses à cela :

  • Il faut, évidemment, fabriquer le livre (le mettre en page, puis l’imprimer) ;
  • Il faut transporter le livre jusqu’au point de vente, et pour cela, il faut convaincre le point de vente de le prendre ; ce rôle, souvent mal connu, revient à la diffusion / distribution, au cours d’une opération dite de mise en place1. Si personne ne propose le livre, qui le verra, et si personne ne le voit, qui l’achètera ? Car la place sur les étals est limitée ; et la vie d’un livre sur une étagère est de plus en plus courte.
  • Il faut vendre le livre au lecteur susceptible de l’acheter ; c’est évidemment le rôle du libraire, qu’il soit indépendant ou appartienne à une chaîne ;
  • Il faut promouvoir le livre ; en parler, en faire parler, c’est le rôle de l’attaché de presse, qui travaille en interne chez l’éditeur ou bien en consultant. Si personne ne donne envie de l’acheter, personne (ou presque) ne l’achètera.

Tous ces maillons de la chaîne (d’où le fait qu’on parle de chaîne du livre) ont évidemment besoin d’être rémunérés ; il y a des salaires, des charges, des loyers, etc.

Alors, qui gagne quoi ? La réponse en images, sur le prix de vente public du livre :

Source; SNE

Source; SNE

On constate aussitôt que l’auteur gagne le moins, alors que sans lui, le livre n’existe pas. C’est un état des choses regrettable, mais c’est le reflet de la complexité de la vente du livre aujourd’hui : notamment le porter à la connaissance du public, en une ère de production et d’information pléthoriques. (Sur ce danger potentiel pour la survie de la création de qualité que fait peser la généralisation de la distribution, en distordant le marché du côté de la commercialisation pure, je te renvoie à cet article de 2010, auguste lectorat : « Comment la libération de la diffusion fait le lit des publicitaires » ) Un suivi commercial de qualité se paie – et l’on espère tous se rattraper sur les chiffres de vente. Pour ma part, je n’émets aucune opinion sur l’état des choses. Bien sûr, j’aimerais gagner davantage, mais si j’ai le choix, je préfère gagner davantage parce que mon livre se sera mieux vendu, et pour cela, je suis prêt à gagner moins, en proportion, tant que je gagne ma vie au bout du compte.

En particulier, on entend souvent s’interroger, notamment, sur la part prise par le détaillant. Mais il faut savoir que le détaillant, le libraire, est celui qui paie le plus de charges fixes, en proportion (locaux, salaires), plus une gestion très lourde d’un inventaire, en particulier pour un petite structure.

Voilà pourquoi un livre en grand format coûte une vingtaine d’euros. Il faut rémunérer tous ces acteurs (plus le traducteur, le cas échéant, et un bon traducteur coûte cher) ; or, l’on connaît à peu près les chiffres de vente sur lesquels on peut tabler en moyenne, ou que l’on espère. Les grands groupes d’édition disposent de logiciels de planification très savants intégrant toutes ces charges (les plus petits le font à la main) de manière à cerner le point d’équilibre ou point mort, là où le livre se soldera par une opération blanche (tout le monde est payé, mais le livre ne réalise pas de bénéfices). Il réalise ainsi son budget, sur le livre, en prenant en compte aussi l’intégralité de ses activités (il peut accepter de perdre de l’argent sur un livre qu’il estime important s’il a de bons vendeurs par ailleurs ; ne cognez donc pas l’éditeur qui sort du gros succès qui fait grimacer l’esthète que vous êtes, regardez l’intégralité de son catalogue ; s’il publie par ailleurs des livres exigeants, ce n’est pas un putassier, c’est, tout au contraire, un bon gestionnaire).

Voilà qui est déjà bel et bien pour aujourd’hui ; mercredi, suite et fin du sujet, où nous parlerons plus spécifiquement du poche et du numérique.

  1. Camarades du milieu, je simplifie un peu, je sais, mais c’est un article à vocation didactique.
2014-10-14T16:54:55+02:00lundi 22 septembre 2014|Best Of, Le monde du livre|7 Commentaires

Quelques idées pour accélérer la traduction vers l’anglais

(This is the French version of yesterday’s article, here.)

lolcat_translationPour un auteur franchophone, la traduction vers l’anglais représente une sorte de Graal : cela assure l’ouverture non seulement vers un marché national plus vaste que le nôtre, mais potentiellement mondial, puisque tous les éditeurs du monde lisent l’anglais, pas forcément le français ; et que le monde éditorial a évidemment le doigt sur le pouls du marché anglophone, qui représente, qu’on le veuille ou non, une référence. Il ne s’agit pas là de gagner une fortune en châteaux et en argenterie (quoique l’on ne soit jamais contre un bon couteau Guy Degrenne, hein) mais surtout d’ouvrir son travail au plus grand nombre de lecteurs – ce qui est le souhait de la majorité d’auteurs.

C’est évidemment ardu, en raison même de la barrière de la langue, et résulte de la conséquence directe du statut de l’anglais comme lingua franca. On peut apprécier de constater que, dans le monde anglophone, il y a une prise de conscience progressive du déséquilibre de la traduction, et du manque de diversité et d’ouverture que cela entraîne pour ce marché. Quant à savoir si cela va se convertir en actions, impossible de le dire ; autant donc réfléchir, nous-mêmes, à ce que nous pouvons faire, voire nous organiser. 

À la Convention Mondiale de SF de Londres de cette année, Loncon3 (comptes-rendus ici et ), nous avons discuté sur une table ronde intitulée « Translation-wish, Translation-obstacles » (voeux de traduction, obstacles de traduction), sous les auspices de l’Interstitial Arts Foundation, afin de réfléchir aux manières de franchir l’obstacle de la langue et d’apporter la littérature étrangère au marché anglophone.

Cet article ne cherche absolument à récapituler ce qui s’y s’est dit mais vise à compiler des pistes possibles sur le sujet. Je vais me limiter aux nouvelles ; leur longueur rend l’investissement en temps et en énergie plus raisonnable afin de franchir la barrière, et parce que cela paraît un bon moyen de se faire lentement remarquer afin de démarrer une carrière à l’étranger. Attention, cet article n’est que la partie émergée du débat : auguste lectorat, n’hésite pas (encore moins que d’habitude) à me contredire, à compléter, etc., afin que nous essayions d’explorer l’éventail des idées et de les rendre disponibles pour la communauté. Il faut aussi savoir que ce qui vend dans un pays ne vendra pas forcément dans un autre ; les cultures, les attentes, les marchés sont différents quant à la forme et aux thèmes. Cela étant dit, considérons que toutes choses sont égales par ailleurs.

Bon, voici donc les stratégies et les idées que j’ai vues, dont j’ai entendu parler ou pu imaginer jusqu’ici.

Stratégies de l’auteur solitaire

(Ce qui est un excellent titre, je pose une option dessus.)

Du moins cher au plus cher :

  • Écrire un bestseller. Obtenir l’achat des droits à l’étranger. Devenir riche et célèbre. Bon, ce n’est pas courant, alors nous allons nous concentrer sur la vaste majorité de cas où cela ne se produit pas…
  • Écrire en anglais. Avantages évidents : le récit est directement disponible dans la langue visée, mais il faut évidemment de sacrées compétences, et l’on peut éprouver une réticence à laisser sa langue maternelle derrière soi. D’autre part, si l’on a déjà une carrière établie, cela peut impliquer de réapprendre tout ou partie des réflexes, ce qui peut décourager.
  • S’autotraduire en anglais. Plus facile à dire qu’à faire. Même si l’on est un traducteur professionnel, on conserve un lien très personnel avec son récit, et il faut s’en affranchir pour réaliser une traduction efficace ; plonger intimement dans son travail, mais comme si c’était celui d’un autre.
  • Écrire ou se traduire grossièrement en anglais, puis embaucher un relecteur. On ne bénéfice pas d’un véritable travail éditorial, aussi cela ne concerne-t-il pas les débutants (et, honnêtement, je doute que ces stratégies leur soient vraiment destinées) mais un relecteur aidera à affiner le style, dans l’espoir d’une publication.
  • Embaucher un traducteur. Ce qui coûte de l’argent ; les bons traducteurs sont des pros et les pros ne bossent pas gratuitement. Il faut savoir qu’embaucher un traducteur peu compétent risque de faire plus de mal à son travail et à son nom qu’autre chose, alors prudence. D’autre part, pour un roman, ce sera probablement hors de portée de toutes les bourses.

Bien sûr, dans tous les cas, détenir une version anglaise de son travail n’en garantit pas la publication. Il faut toujours franchir les étapes habituelles de l’édition – voir la mise en garde ci-dessus : marchés différents, attentes différentes, circuits différents. Ce n’est pas parce qu’on est accueilli à bras ouverts sur son propre marché que cette habitude se « traduira » (huhu) sur un autre. Il convient d’être patient et humble ; en résumé, à redémarrer sa carrière de zéro, et à se rappeler les luttes de ses débuts, parce que c’est probablement ce à quoi il faut s’attendre.

Et si l’on amendait la clause de droits étrangers ?

Je songeais qu’il était peut-être possible de trouver un accord avec son éditeur régulier pour amender légèrement la clause des droits étrangers dans les contrats habituels. D’ordinaire, l’éditeur récupère les droits étrangers d’exploitation, car il représente les intérêts de l’auteur et son livre et s’efforce d’en obtenir une édition étrangère. Toutefois, la réalité est la suivante : à part la réalisation du bestseller ou avec un éditeur particulièrement motivé, cela se produit rarement, encore une fois à cause de la barrière de la langue. En conséquence, les droits étrangers restent acquis à l’éditeur d’origine, qui a beaucoup à faire, de livres à promouvoir, et une fois que le livre commence à avoir quelques années, qu’il a vécu sa vie en librairie, les chances de voir une traduction étrangère se réduisent quasiment à zéro, avec des droits qui restent verrouillés.

Il me semble que l’on peut trouver un accord très profitable en ajoutant un peu de flexibilité à cette clause, en permettant à l’auteur de lancer des initiatives de son côté si la situation s’enlise : 

  • Si l’éditeur vend la traduction, c’est la situation habituelle ; rien ne change. C’est aussi la situation idéale, parce que se lancer dans un tel projet seul prend du temps, et franchement, il vaut mieux que l’éditeur s’en charge : c’est son travail, il a les contacts, les habitudes, et il est le mieux armé pour cela. Toutefois, d’autres cas peuvent se présenter :
  • … si l’auteur peut se débrouiller pour obtenir une traduction, qu’il la remet à l’éditeur, qui trouve ensuite un éditeur étranger par son propre réseau, alors sa part est réduite, parce que l’auteur a fait (ou payé pour) une part du travail.
  • … si l’auteur obtient la traduction ET se débrouille pour la vendre lui-même à l’étranger (via un agent ou un éditeur), se représentant lui-même, alors la part éditeur est réduite encore.

C’est une situation « gagnant-gagnant » : tout le monde est content si l’oeuvre est traduite et publiée, l’éditeur comme l’auteur ; l’éditeur ne perd rien des droits étrangers selon le processus habituel ; mais si la situation s’enlise, l’auteur peut tenter de son côté. Il peut s’enliser lui aussi, bien sûr, mais il peut apporter des initiatives et des compétences différentes. L’idée étant de ne pas laisser les droits étrangers prendre la poussière si les choses ne progressent pas dans le circuit « classique ». (Je remercie les éditeurs avec qui nous avons échangé sur cette idée, lui permettant de prendre cette forme.)

Partenariats

L’idée évidente consiste à mutualiser les talents et à travailler ensemble. Là, on peut imaginer toutes sortes d’associations, et il serait inutile d’en faire une liste, mais citons par exemple:

  • Plusieurs auteurs anglophones, parlant plusieurs langues, proposent de traduire les oeuvres étrangères qui leur plaisent afin de rééquilibrer la balance. Cherchez-les, lisez-les.
  • Il existe des bourses de traduction et d’échanges culturels. En général difficiles à obtenir quand on travaille dans l’imaginaire puisque, comme nous le savons bien, ce n’est pas une littérature « sérieuse ». Mais cela se tente toujours.
  • On peut s’associer à un traducteur étranger et penser à une façon de diviser les bénéfices…
  • … ou s’échanger directement des traductions.

L’accord juste sera évidemment celui que les parties trouveront juste…

Mentionnons aussi quelques initiatives comme l’Interstitial Arts Foundation qui désire voir davantage de traductions vers l’anglais, les Science-Fiction & Fantasy Translation Awards et bien d’autres structures qui essaient d’appuyer l’idée de traductions depuis les langues étrangères. Je ne veux pas transformer cet article en inventaire fastidieux mais si vous avez une grande idée à partager, n’hésitez pas à le faire en commentaires !

Stratégies d’édition

(Ce qui n’est pas, en revanche, un bon titre.)

Il faut vraiment que cet article de K. Tempest Bradford (en anglais) circule au maximum. Elle propose une stratégie qui me semble très viable pour obtenir davantage de traductions en anglais. En gros, il s’agirait d’impliquer les étudiants en traduction qui terminent leur cursus et ont besoin d’une expérience professionnelle (stage, mémoire) pour valider leur diplôme. Ils liraient les anthologies et revues étrangères pour produire un résumé à l’attention des éditeurs et rédacteurs en chef qui établiraient un partenariat avec leur université. Ces éditeurs choisiraient les textes qu’ils souhaitent afin de publier une traduction complète du récit, réalisée bien entendu par l’étudiant. L’article de Bradford n’explique pas comment assurer la qualité du travail en question si l’éditeur ne parle pas la langue source, mais, pour avoir été tuteur de travaux similaires à la fac d’Angers, je peux mentionner que ces projets se réalisent toujours sous la supervision des professeurs d’université et de traducteurs professionnels. Ils vérifient le travail, exigent des corrections, et c’est la qualité finale de la traduction qui dicte en grande partie si l’étudiant valide son année ou pas. Donc, c’est implicite, mais pris en compte.

Ainsi, l’éditeur obtient une nouvelle étrangère intéressante avec une traduction de qualité ; l’étudiant a une expérience professionnelle ; l’auteur se fait traduire. Tout le monde y gagne. 

Pour conclure

Cela fait beaucoup d’idées et de stratégies, dont la plupart semblent solides, mais cet article ne vise absolument pas à l’exhaustivité ; au contraire, il ne deviendra meilleur qu’avec vos contributions en commentaires, si vous souhaitez corriger, rectifier, ou ajouter vos idées. N’hésitez pas à partager ! 

2023-03-04T01:19:25+01:00jeudi 28 août 2014|Best Of, Le monde du livre|18 Commentaires

Some thoughts on how to increase translation in English

(Note to my usual French readers : Auguste lectorat, ceci est la version anglaise d’un article dont la version française paraîtra demain. Merci de ne débattre qu’en anglais en commentaires, le débat français aura lieu dans l’article de demain ; je supprimerai tout commentaire francophone par souci de clarté. Merci de ta compréhension, tu es formidable.)

lolcat_translationThere is an increasing awareness in the English-speaking world that the translation scales are heavily tipped on one side: the English-speaking world is being hugely translated around the world while it translates very little. That is the consequence of English being a lingua franca, of course. One could say it is very advantageous for those speakers, but what happens is that the English-speaking market is increasingly deprived of great works, of different, original visions coming from different parts of the world. Conversely, foreign speakers – and writers, because that is what I will be talking about – encounter tremendous difficulties in getting their work known beyond their own borders. The key for that is often English, as it is widely read in just about every country, and especially by just about every publisher, who might not otherwise know your mother tongue. At Loncon3, this year’s Worldcon in London, we had a panel called « Translation-wish, Translation-obstacles », under the tutelage of the Interstitial Arts Foundation, about how to best overcome that obstacle and bring foreign creative literature to the English-speaking market.

A few words about me, so that you may know who’s talking: my name is Lionel Davoust, I have worked in the French SF&F field for close to fifteen years. I am a fantasy and thriller writer (six books out, 30-something short stories) and translator from English to French (for instance, you might have heard of the Science of Discworld series based on the genius work of Terry Pratchett – I translate the scientific parts, teaming up with Pratchett’s regular Discworld translator). I also teach a few classes in the literary translation curriculum of the Angers university, give creative writing workshops and masterclasses, and I sometimes edit fantasy magazines and anthologies. Also, I am an avid geek, used to be a marine biologist, remain a marine biology research volunteer, and could live on salami and chocolate alone. You can read me in English in the Interfictions 2 anthology, where I have an award-winning story translated called « L’île close ».

So, this article does not by all means intend to recap what was said at the Loncon panel, but to try and compile possible leads concerning the issue at hand: getting foreign stuff translated into English. I will focus on short stories, because the length makes it easier to invest time and effort in order to cross the great language divide, and because it seems to be a better way to get slowly noticed and start a foreign (or English-speaking) career. By all means, this post is just the beginning of the discussion. People, do not hesitate to contradict me, make additions, whatever, so as to try and compile all great ideas for the whole fandom to have available. Also, please be aware that what sells in a country does not necessarily sell in another one. Different markets, different cultures, different readerships have different expectations concerning form and themes. That said, let us consider, for the sake of the argument, that all things are otherwise equal.

So. Here are the strategies and ideas I have heard about, seen or come up with so far.

Lone writer’s strategies

… from the cheapest to the most expensive.

  • Write a bestseller. Have a translation published. Profit. Obviously, this is rarely happening, so we will focus on the vast majority of cases where this does not actually happen…
  • Write in English. Of course, this means instant availability in the foreign language of choice, but obviously you need some serious skills, and you might feel some qualms at leaving your mother tongue behind. If you have an already established career, you might have to re-learn lots of your craft and that can seem daunting.
  • Translate yourself in English. That is much easier said than done. Even for a professional translator, you have a some personal bond with your story you might not easily leave behind, but you need to if you want to craft an efficient translation, delving deep in the meaning as if it was someone else’s work.
  • Roughly write or translate in English, then hire a copyeditor. You will not really have any creative input on your work, so this is not for a beginner writer (and frankly, probably none of those strategies are) but the copyeditor will help you streamline the style, making it hopefully suitable for publication.
  • Hire a translator. That costs money: good translators are pros and pros do not work for free. Be aware that hiring a subpar translator will probably hurt your work more than anything, so proceed with utmost caution. Also, for a novel-length work, this will probably cost way too much.

Of course, in any case, having your English version or work in your hands does not guarantee publication at all. You still have to go through all the hoops of regular publishing – see the caveat above : different markets, different expectations, and different professional habits. Being welcomed with open arms in your native market does not at all mean this will « translate » (heh) elsewhere. Be patient, humble – to sum it up, be ready to start your career anew, and remember the struggles of your own beginnings because that is, most likely, where you are headed.

Amending the foreign rights clause?

One strategy I have been thinking of is to come to an agreement with your regular publisher in order to amend your foreign rights clause in your contracts. It goes like this : usually, a writer signs off his foreign rights to the publisher, who will represent his interests and try to publish his work in translation. However, barring the bestseller situation or a very motivated publisher, this is rarely happening, because of the very barrier of language. What happens thus is that the rights remain with the publisher, who has many books to manage, while not a lot happens on the foreign rights front, and the writer cannot do anything about it, because the rights are locked and the book’s shelf life has passed and so have the main chances at a big hit.

A very workable agreement seems to add some provisional clauses allowing for some leeway and initiative on the writer’s part to work on a self-translation projects if the need arises :

  • If the publisher sells the translation, that is business as usual ; nothing changes. That is the ideal situation – because undertaking self-translation is time-consuming, and really, the writer wants to let the publisher handle it – that is his job and he is better armed to deal with it. But then, other cases can arise:
  • … if you can work on obtaining a translation, and then hand it over to the publisher, who then finds a foreign publisher through their own agents, then their share can be reduced, because you have done (or paid for) part of the work.
  • … if you can work on obtaining a translation AND you sell it to a foreign market (agents or publishers directly) yourself, representing yourself, then their share is even more reduced.

This is a « win-win » situation : everybody wins if the work gets translated and published, publisher and writer ; the publisher still keeps all foreign rights to sell the classical way ; but if this fails, you can try as well. You can fail too, of course, but you bring a different set of skills that can be put to use. The idea being to not let foreign rights sit unused if things are not moving on that front. (I thank publishers with whom I have bounced this idea back and forth for it to take shape thus.)

Partnerships

No fish is an island, right? What seems obvious is to join forces to try and work together. Any number of partnerships can be imagined, but for instance :

  • Several English-speaking writers with wide language skills are offering to translate foreign works they like in order to correct the translation imbalance. (Read their work, look them up on the web.)
  • There are grants for translations and cultural exchanges, but they are generally hard to get when you work in the SF&F field because, as we well know, it is not deemed « serious » literature. Still, can be worth a shot.
  • One can partner with a foreign translator and think of dividing sales…
  • … or exchange translations altogether.

This basically concerns the parties involved and what they will deem fair.

Let’s also mention some initiatives such as the Interstitial Arts Foundation’s wish to give more exposure to translation towards English, the Science-Fiction & Fantasy Translation Awards and many more structures that try to signal-boost the idea of translation of foreign material. I do not want to turn that article into an inventory but if you have a great idea to share, by all means, please mention it in the comments!

Publishing strategies

This article by K. Tempest Bradford really needs to get as much exposure as it can. It outlines a very viable strategy (to my eyes) so as to get more translations in English language. It basically involves students in translation who need work experience to get their degrees. They would read foreign market anthologies and magazines and produce a digest for editors who would partner with their university. Those editors could then choose what they like and then think of publishing a full-blown translation of the story, made by the student. What Bradford’s article does not mention is how to vouch for the quality of the translation if the editor does not speak the source language ; but I can say, having tutored comparable works in the Angers university, that such endeavors are always done under the supervision of university professors and professional translators. They are checking the translation, asking for rewrites on part of the student; and the final quality of the work dictates if they get their degree or not. So this aspect is covered as well.

So the publisher gets a foreign, interesting story with a quality translation; the student gets professional experience; the writer gets translated. Everyone wins.

In conclusion

That is a lot of ideas and strategies, most of which seem sound, but this article is certainly not intended as a comprehensive summary, on the contrary. It will only become better with your contributions in the comments, if you want to correct, rectify, or add to the pool. Feel free to share your input, and thanks for reading !

2023-03-04T01:20:27+01:00mercredi 27 août 2014|Best Of, Le monde du livre|8 Commentaires

Le conseil liseuse de l’été

badamazonC’est une question qui revient fréquemment : « je voudrais m’acheter une liseuse, tu n’as pas un conseil à me donner ? » En conséquence, j’avais rédigé pour Noël 2012 un gros guide sur les questions principales à se poser : quel constructeur, quelle attitude vis-à-vis des verrous numériques, etc. Je terminais par donner – pour ce que ça valait – mon choix de l’époque : le Kindle d’Amazon en raison de mon profil d’utilisateur (beaucoup de lecture en anglais).

On m’a déjà fait remarquer à l’époque que c’était un peu malaisé, parce que cela donnait l’impression que je recommandais le Kindle et la plate-forme d’Amazon. Non. J’ai un profil et des besoins particuliers. Par contre, je suis forcé d’avouer que cela donne, malgré moi, une sorte de blanc-seing à l’entreprise. Or, je n’ai pas d’amour particulier pour celle-ci, plutôt l’inverse ; et, au fil des ans, il apparaît que cet acteur majeur du secteur culturel se comporte non seulement d’une façon hautement déloyale, prêt à toutes les bassesses pour arracher sa clientèle, mais qu’en plus, ses agissements sont délétères au milieu qu’il prétend servir, contribuant toujours davantage au morcellement des revenus, à la fragilisation de l’économie, à la rupture de la confiance entre acteurs.

La liste est trop longue, mais l’on pourrait citer

Je travaille dans le milieu littéraire, la chaîne du livre est mon alliée, de l’éditeur au libraire. Amazon dépasse le stade de la concurrence acharnée (qui est le jeu du capitalisme) pour entrer dans le foutage de gueule généralisé, de l’employé, de l’auteur, de l’éditeur, et de vous, clients, lecteurs. On le sait, s’il y a un truc qui m’agace, c’est qu’on me prenne pour un imbécile ; je ne suis pas bégueule sur les facilités de la vie moderne, mais à prouver, à répétition, qu’Amazon n’a aucune morale autre que de trouver une nouvelle façon de baiser la gueule du système (je pèse mes mots), cette entreprise nuit à mes intérêts d’écrivain et à ceux de mes alliés économiques.

Je respecte le choix de chacun d’aller chez eux, en toute connaissance de cause – c’est pourquoi je ne vais pas non plus m’opposer bec et ongles à ce que mes ouvrages soient disponibles en commande dans leurs rayons. (Je ne choisis pas, de toute manière.) J’ai toutefois toujours incité à préférer les commerces de proximité, les librairies où l’on vous offre un vrai conseil, où l’on trouve des passionnés qui connaissent vos goûts et savent vous recommander le roman qu’il vous faut, et que vous ne trouverez jamais ailleurs.

Je ne suis pas du genre à appeler publiquement au boycott ni à dire quoi faire à qui, mais j’aimerais quand même aller plus loin et te décourager très ouvertement, auguste lectorat, d’aller chez Amazon, pour toutes les raisons précitées. Fais vivre tes commerçants de proximité ! Et si tu ne les connais pas, va à leur rencontre ! Dans un système capitaliste, choisir chez qui l’on achète un acte politique. Si tu es un accro du commerce électronique, ton libraire a probablement un site (comme Critic) ! Et si tu tiens absolument aux grandes enseignes, il y en a quand même d’autres qui sont – au minimum – domiciliées en France comme la Fnac et représentent un moindre mal. Enfin, si tu es comme moi un fondu de musique numérique, je porte à ton attention les alternatives que sont Qobuz, CDBaby, Beatport, etc.

Pour en revenir au sujet des liseuses : alors, quid du Kindle ?

Le Kindle, c’est comme Apple (iOS) : ça marche tout seul, ma grand-mère pourrait s’en servir, et en plus c’est pas cher (pas comme Apple). Mais toutes les données sont verrouillées, bien sûr (voir cet article). Dans le cas d’Apple, il est concevable de céder un peu d’ouverture du système en échange d’une facilité d’emploi. Amazon fournit la même facilité, certes. Mais il n’est pas le seul sur le marché, très loin de là. Si vous n’avez pas envie de vous lancer dans l’aventure d’une liseuse multi plate-formes (comme les Sony), les Kobo sont d’excellente facture, par exemple, et proposent un service tout aussi simple d’emploi (avec DRM également), joint à la Fnac.

Bon, j’ai un Kindle. Je m’en sers, je ne vais pas le balancer aux orties. Mais une chose est sûre, quand celui-là tombera en rade, je n’en rachèterai pas.

2018-07-17T14:15:35+02:00lundi 14 juillet 2014|Le monde du livre|43 Commentaires

Pourquoi sommes-nous contre ReLIRE ?

On sait super bien compter, à la BNF.
Y a comme un souci

En voyant diverses réactions pas forcément bien informées ici et là, il me paraît important de rappeler, de façon très résumée, pourquoi les auteurs du SELF et du Droit du Serf (entre autres) s’opposent au registre ReLIRE.

Tout d’abord, qu’est-ce que ReLIRE ? Ce registre vise à numériser des œuvres littéraires publiées au XXe siècle et devenues indisponibles faute d’édition, puis à les diffuser de manière marchande.

Pourquoi y sommes-nous opposés ? 

Plusieurs raisons, mais la première et la plus simple : parce qu’on ne nous demande pas notre avis. L’État décide des œuvres qu’il veut ainsi diffuser, et c’est à l’auteur de signaler son refus, moyennant

  • La surveillance d’une base de données sur son propre temps (il n’est pas prévenu des intentions publiques) ;
  • Une procédure longue et infamante (il lui faut prouver qu’il est l’auteur de ses propres livres !)

C’est une expropriation pure et simple. Nous disposons des droits sur le fruit de notre travail, c’est à nous qu’on doit demander l’autorisation, pas l’inverse ; or l’État entend en disposer comme il le souhaite, dans le plus pur mépris de la personne. Dans le même genre, le registre Google Books, vivement combattu par l’édition française il y a quelques années, semblait plus civilisé… Mais à l’époque, ces lobbies qui aujourd’hui imposent ReLIRE brandissaient le droit d’auteur comme rempart, pour inverser totalement le discours à présent qu’ils ont la certitude que l’argent tombera dans leur poche et pas celle de Google.

Deuxième raison : l’éditeur d’origine est rémunéré par les ventes à parts égales avec l’auteur, ce qui est un comble, puisque si l’oeuvre est indisponible, c’est justement que l’éditeur d’origine a laissé l’oeuvre s’épuiser – donc qu’il a abandonné toute exploitation commerciale. Ce qui est parfaitement compréhensible – mais dans ce cas, pourquoi est-il à nouveau rémunéré ? Il a choisi d’abdiquer son travail d’exploitation. D’autre part, l’auteur n’a pas son mot à dire sur le prix d’exploitation de sa propre oeuvre par l’État !

Troisième raison : la loi méconnaît (et piétine) la nature de la culture et de l’art, contrevenant de manière flagrante à la convention internationale de Berne, dont la France est pourtant signataire. Une oeuvre de l’esprit est par nature immatérielle ; elle ne peut pas être inféodée à une fixation sur un support matériel (cela signifie, en substance, qu’on ne fait pas de différence entre le fait que j’imprime un livre sur du papier, produis un fichier, ou fais une lecture publique : c’est la même oeuvre, ce qui relève du bon sens). Or, ReLIRE se focalise sur la première édition papier (et se trompe tout le temps sur le périmètre, voir l’image en illustration), ce qui est totalement opposé à un principe que la France a signé depuis… 1886 (date de la convention de Berne). Cela a pour conséquence fâcheuse de nuire très sévèrement à une reprise commerciale par un éditeur équitable, ou même à la diffusion libre par l’auteur lui-même. C’est un véritable hold-up public, qui ne va pas dans votre intérêt, les lecteurs.

Quatrième raison, qui vous concerne encore plus directement, amis lecteurs : les exigences de correction des fichiers numérisés sont ridicules (on va se retrouver avec des bouquins truffés de coquilles) et il est plus que probable qu’ils seront verrouillés par DRM (pour une initiative publique, c’est gonflé).

Je passe sur les détails, comme les limites chronologiques non respectées, le financement ubuesque, la concurrence déloyale, le caviardage des pages Wikipédia dédiées au projet… Il s’agit seulement d’un rapide résumé pour ceux qui découvrent le dossier. Pour en savoir plus : voir les sites du SELF et du Droit du Serf.

(J’aurais bien fait une BD, mais c’est à peine si je sais dessiner un bonhomme bâton.)

2020-01-20T01:15:50+01:00jeudi 6 mars 2014|Le monde du livre|7 Commentaires

Offre légale et téléchargement : question statistique

smokers_dieSoit l’affirmation suivante, largement relayée et établie par des études a priori solides :

Ceux qui téléchargent le plus sont aussi les plus gros consommateurs de l’offre légale.

Considérons, en premier approche, cette affirmation comme vraie.

Il en vient très fréquemment la conclusion : « Le téléchargement est bon pour l’offre légale. »

Mais j’ai quelques questions :

  • Quelle est la proportion absolue d’offre légale dans ces habitudes de consommation ? Si un gros téléchargeur achète 1% de sa consommation quand un petit n’en achète que 0.90%, 1) nul ne saurait gagner sa vie ainsi 2) la différence est négligeable en volume, donc cela invalide la conclusion précédente.
  • Combien sont les plus gros téléchargeurs ? S’ils achètent au contraire 90% de leur consommation mais ne représentent que 2% de la population, cela invalide la conclusion précédente.
  • A-t-on étudié l’aisance vis–à-vis de la technologie ? Si un gros téléchargeur, de par son aisance vis-à-vis de l’informatique, achète quatre fois sur cinq le contenu qui l’intéresse, mais qu’un petit n’achète qu’une fois sur vingt, cela peut invalider la conclusion précédente.
  • Quid du manque à gagner ? Un créateur (ou une industrie culturelle) peut-il s’installer, apprendre de son public, s’il lui faut produire d’abord à perte avant de dégager le seuil de rentabilité qui lui permettra de vivre ? Cela peut là aussi invalider la conclusion précédente.

Ces questions n’étant pas (forcément) posées dans le but d’obtenir des réponses mais pour marteler la vérité suivante :

Une statistique n’est pas une conclusion : c’est une observation quantifiée.

Toujours penser aux effets voisins, à la sous-représentation, aux conjonctions, d’effets, etc. C’est seulement quand on les a évacués, scientifiquement, que l’on peut alors formuler une conclusion, laquelle n’est pas quantifiée, mais devient toujours qualitative (« en approche raisonnable, je peux probablement – à 95% de confiance, par exemple – considérer que… »).

J’ai une petite histoire édifiante à ce sujet : soit l’article suivant, « Le piratage nuit à l’économie : la preuve en chiffres » publié ici-même en 2010. J’y avançais la conclusion suivante (édifiante, bien sûr) :

L’augmentation phénoménale et terrifiante du stock d’armes nucléaires cumulé sur les États-Unis et l’URSS coïncide avec le développement d’Internet – et donc, des capacités de stockage et du piratage. Comme par hasard, le pic d’armement correspond au moment où l’espace de stockage moyen avoisinait les 650 Mo – soit la taille d’un CD audio ou d’un film en DivX. J’ignore quelle preuve supplémentaire il faut au monde : Internet a non seulement creusé la dette nationale des États-Unis, mais les disques durs sont directement responsables de l’instabilité politique de notre époque.

Une conclusion tout à fait convenable pour un 1er avril. (Pour ceux que ça intéresse, l’article est tout entier basé sur une erreur logique classique, le biais de corrélation : deux phénomènes en évolution conjointe ne sont pas nécessairement reliés de façon causale.)

Quelle n’a pas été ma surprise (et mon effroi) en constatant que cet article a été cité très sérieusement, deux ans plus tard, dans des travaux d’étudiant post-bac en ligne.

Auguste lectorat, tu es fort et vaillant, alors : NE SOIS PAS CES MECS.

2017-01-24T10:53:55+01:00mardi 4 mars 2014|Best Of, Le monde du livre|24 Commentaires

Après les prothèses, demain la narration

De retour du colloque de Lyon « Prothèse, modularité, hybridité : entre réalité et fiction ». Un atelier dont le plus grande force a probablement résidé dans sa pluridisciplinarité, puisque des médecins, des sociologues prenaient la parole autour de l’image des personnes accidentées, de leur aide et de leur accompagnement, aux côtés des philosophes parlant de transhumanisme… et de Sylvie Lainé et moi-même, qui intervenions pour l’aspect prospectif et science-fiction du thème de la prothèse.

Deux présentations furent tout particulièrement marquantes pour moi : d’une part celle de Stéphane Mor, qui anime un FabLab – un atelier associatif de fabrication d’objets grâce aux nouvelles technologies, comme les imprimantes 3D. Il nous a ainsi été montré des prothèses rudimentaires, des objets d’assistance aux personnes comme un respirateur pour nouveau-né, chacun d’entre eux coûtant à fabriquer… une poignée d’euros. Après le film, la musique, la littérature, les objets physiques vont eux aussi se numériser, paradoxalement se dématérialiser ; cette révolution attendue depuis longtemps ne se trouve qu’à quelques années dans l’avenir à présent, et je suis profondément curieux de voir la société que cela donnera.

En espérant que l’espèce soit assez intelligente pour en tirer profit.

L’autre présentation, c’était celle de Selim Eskiizmirliler, sur les interfaces cerveau – machine. Le travail sur ce plan avance à pas de géant. On a notamment pu voir un singe contrôler un bras mécanique dans l’espace pour ramener une friandise à sa bouche avec une précision et une vivacité étonnantes. Bien sûr, on n’en est qu’aux balbutiements de cette technologie, mais l’on peut imaginer sans mal ce qu’elle donnera dans seulement vingt ans, et les transformations qu’elle entraînera dans l’aide aux personnes… et leur amélioration.

À ce titre, je voudrais répéter ce que j’ai essayé de dire pendant ces journées : l’arrivée, bien réelle, du transhumanisme pose quantité de questions philosophiques, sociales, technologiques. L’humanité semble dépassée, désarmée face à ces problématiques. Mais la science-fiction les étudie, les traite depuis 30, 40, 50 ans. Quelques dates ? Allez, quelques dates. Neuromancien – sur les interfaces homme-machine, par exemple – a été publié il y a tout juste 30 ans : en 1984. Le meilleur des mondes, sur l’eugénisme et l’amélioration génétique ? À votre avis ? Paru en 1950, 1960 ?

Non.

1932.

La science-fiction ne propose généralement pas de réponses, pas de discours. Elle interroge, sans cesse, le monde et ses avenirs possibles. À travers le jeu de la fiction, de la narration, elle propose un chemin possible, celui de l’histoire qu’elle raconte ; il n’est pas forcément (il est d’ailleurs rarement) le bon, il n’a pas non plus vertu futurologique. Il est, au plus, une étude de cas. Mais la lecture d’études de cas, la confrontation à des points de vue divergents, à des approches multiples, forment l’esprit à la réflexion prospective, aux risques possibles, aux bénéfices potentiels. La science-fiction ne fournit pas de réponses, mais elle construit chez son lecteur une grille d’analyse, un esprit critique. Elle est, je n’hésite pas, plus efficace à ce titre que la lecture d’essais sur le présent, qui deviennent, forcément, datés dès leur parution.

Il faut lire de la SF. Les questions qu’on se pose y sont déjà. Et elle forme l’esprit à trouver les réponses que l’on souhaite.

(Et je remercie donc d’autant plus Jérôme Goffette, organisateur de ces journées, pour avoir résolument inclus l’aspect SF dans ces journées et proposé une bibliographie sur le thème de la prothèse ainsi que pour son invitation à venir parler de « Tuning Jack » et de modifications corporelles.)

2014-02-18T11:01:25+01:00lundi 17 février 2014|Le monde du livre|11 Commentaires

Pensées aléatoires : sur les épaules des géants

Quand on écrit, quand on est auteur, on construit sur les épaules des géants qui nous ont précédé, avec plus ou moins de bonheur ; on écrit avec leur regard perché, lui, sur notre épaule. Il découle que quand on écrit, quand on est auteur, il est indispensable d’être mégalomane – pour s’en foutre – ou inconscient – pour ne pas s’en rendre compte. Mais la littérature, l’art, n’est pas pour autant une hiérarchie. C’est une fraternité, une longue chaîne dont on a le droit de vénérer ou détester certains maillons à titre personnel, mais tous lui appartiennent, tous participent à ce grand dialogue, et il ne faut jamais l’oublier : on y a sa place, mais pas davantage, ni moins, non plus. Les jugements dits objectifs relèvent de l’histoire ou de l’université ; et même alors, ils relèvent de l’époque, de l’exposition, de l’étude qui fait mûrir la réflexion, d’étape en étape. À ce titre, la recherche aussi donne une main au passé et tend l’autre vers l’inconnu.

Quoi qu’il en soit, je ne suis ni l’histoire ni l’université. Je ne suis que moi, ce qui est à la fois immense et rien. Je vis avec mes opinions, et agis en conséquence aujourd’hui ; quand il sera temps de rendre un jugement, je ne serai déjà plus là, mais ailleurs à faire autre chose, avec erreur ou bonheur. C’est une des différences entre le critique public et l’artiste. Que tous s’informent mutuellement, mais que tous évitent, peut-être, de prendre la place les uns des autres – y compris quand – et ce n’est nullement impossible ni rédhibitoire en soi – ils résident au sein de la même personne.

2013-11-29T09:34:26+01:00vendredi 29 novembre 2013|Le monde du livre|4 Commentaires

Communiqué : naissance des éditions Multivers

multivers_EditionsDevant les multiples scandales comme ReLire, les conditions parfois abusives des avenants numériques autour du livre, un nouveau collectif d’édition s’est formé : les éditions Multivers, dont voici le communiqué de naissance. Le but est de proposer un modèle d’édition équitable où, notamment, l’auteur ne se verrait pas dépossédé abusivement de ses droits, comme dans le cas de ReLire.

L’idée de créer une association pour aider les auteurs face à l’arrivée du numérique date déjà de quelques années… La situation a évolué très vite dans ce domaine, ce qui était encore balbutiant il y a deux ans est désormais une partie du paysage littéraire, une partie en croissance forte qui provoque de nombreuses réactions. Y compris des initiatives que nous qualifieront pudiquement de dangereusement connes et irresponsables, comme ReLire.
Face à cela, l’auteur est désarmé, alors qu’il pourrait profiter des nouvelles opportunités offertes par le numérique. Il est désarmé car ses droits numériques, qu’il possède en principe pour les livres publiés avant 2000, sont revendiqués par les éditeurs, de façon plus ou moins agressive, voire même attaqués par ReLire. Il est également désarmé car fabriquer un livre numérique et le mettre soi-même en vente n’est pas tout à fait évident. Il est également désarmé car la visibilité numérique d’un livre est quelque chose qui ne s’improvise pas.
C’est pour ces raisons que nous avons créé en Octobre l’ASBL Multivers, qui a pour but la promotion de la lecture et de l’édition dans le cadre d’un écosystème du livre équitable. C’est une Association Sans But Lucratif, formée pour l’essentiel de bénévoles. Nous sommes presque tous ici, pour ce lancement officiel aux Utopiales : Sara Doke, Emmanuel Gob, Ayerdhal, Cécile et Pierre Ramaekers, David Queffelec, Alexandre Girardot, Diane Cairne et Jean-Claude Dunyach.
Nous avons donc contacté de nombreux auteurs, de l’imaginaire, du polar, de la jeunesse, etc., en leur proposant de rééditer en numérique les livres dont ils possédaient les droits, avec un contrat équilibré et des prix de vente abordables. Nous avons déjà plus de vingt auteurs qui ont accepté, des gens comme Andrevon, Grenier, Canal, Wintrebert, Gudule, Houssin, le Bussy. Ca représente déjà plus d’une centaine de livres en préparation. On prévoit une première série d’ouvrages pour Noël et un rythme de publication en 2014 de plus de 40 ouvrages. Sans DRM, cela va sans dire.
Précisons bien : nous publierons uniquement des rééditions, nous n’acceptons pas de manuscrits inédits. Nous voulons rendre disponible un fond important d’œuvres de toute sorte, à des prix bas, afin de leur permettre de retrouver un public qu’elles n’auraient jamais dû perdre. S’il y a des auteurs dans la salle intéressés par ce que nous préparons, venez nous parler !
Nous souhaitons aussi étudier un système équitable d’édition et de distribution de livres numériques, à notre petit niveau. Dans la jungle de l’écosystème actuel, rempli de systèmes agressifs et fermés, nous allons prendre un peu de temps pour essayer d’autres voies, créer notre propre site, avant de nous ouvrir à l’ensemble des plateformes de vente. Nous ferons un point sur nos expériences et nos idées l’année prochaine, aux Utopiales. Et d’ici là, nous espérons que vous aurez eu envie de venir jeter un coup d’œil aux ouvrages que nous aurons publiés dans les mois qui viennent.

Des développements et informations complémentaires sur cet article d’ActuaLitté.

2013-11-05T17:54:19+01:00lundi 11 novembre 2013|Le monde du livre|Commentaires fermés sur Communiqué : naissance des éditions Multivers

Oui, la critique peut être objective (2)

philosophy_kitteh1Résumé des épisodes précédents : hier, je me suis lancé dans l’exercice casse-gueule de décortiquer l’exercice de critique narrative selon trois axes. Après m’être demandé ce que je venais faire dans cette galère, je conclus par le troisième axe, soit… 

L’impératif d’intention

Toute oeuvre narrative a une démarche, une intention. (Même de s’affranchir de toute oeuvre et de toute intention, comme certaines veines du surréalisme, voire du Nouveau Roman.) C’est-à-dire qu’en tant qu’objet fictionnel, elle présente une grammaire narrative (son image, son style, son discours, même) qui déclare ce qu’elle cherche à être. « Voici ce que je raconte, et comment. » Cette intention va ensuite la placer dans une mouvance ou un genre, qui sont des catégories arbitraires décidées par les analystes pour découper les continuums en tranches, parce qu’à un moment, pour analyser les trucs, il faut bien discrétiser les ensembles : c’est un processus naturel et classique de l’analyse – mais pas de la création, du moins, me semble-t-il. (Mais ça nous entraîne bien trop loin.)

Il s’agit, en un sens, d’une extrapolation de l’idée de promesse narrative (et là je me rends compte que j’aurais dû écrire un article sur cette notion d’abord, tant pis, on verra, circulez.) Rapidement, tout récit fait des promesses à son public : si je prends de longues minutes pour établir un personnage, je fais la promesse que cela servira (ou bien je le tuerai arbitrairement pour choquer, mais il aura, là aussi, rempli sa fonction). Trop chercher l’utilité des éléments ou le paiement des promesses conduit à une fiction mécaniste où rien n’existe seulement pour la beauté de la chose ; c’est encore une autre histoire, considérons simplement, pour l’instant, que si je vire ce personnage sans plus jamais rien en dire, j’aurai échoué dans ma promesse. Très basiquement, toute promesse appelle un paiement (de la promesse)1.

L’impératif d’intention n’est rien d’autre que la somme des promesses faites par l’oeuvre en tant qu’objet, et la concrétisation (ou non) de celles-ci. 

Attention, l’intention n’est en aucun cas un jugement de valeur. L’intention peut être aussi variée que

  • Je suis un gros blockbuster décérébré qui poutre
  • Je suis une réflexion profonde sur la condition humaine
  • Je suis léger, amusant, je veux faire rire
  • Je suis un divertissement sans prétention pour passer simplement quelques heures
  • J’envoie balader toutes les notions d’intention et je fais n’importe quoi pour montrer en quoi c’est stupide (… ce qui est une intention)
  • Je veux surprendre en mélangeant ce qui n’est pas mélangeable et produire quelque chose de différent, mais potentiellement appréciable et nouveau

Il n’est nullement question de juger du discours (c’est là que la notion de goût intervient : si l’on n’aime pas les blockbusters, on évite d’en voir, mais il y a des gens qui aiment, et ce genre de film marche plus ou moins) mais de savoir si, oui ou non, l’oeuvre accomplit son objectif, remplit sa promesse en tant qu’objet, qu’il s’agisse de proposer une réflexion profonde et philosophique ou un bon moment d’amusement. De plus, l’intention n’est pas forcément exprimée dans l’esprit du créateur, qui est peut-être le jouet de son oeuvre ; mais le critique, en la recevant, doit décoder. C’est son travail (de critique aspirant à l’objectivité).

Est-il savonneux d’essayer de décoder l’intention d’une oeuvre rien qu’en la voyant ? Fichtre, oui, c’est horriblement risqué, et quasiment grossier. A-t-on des chances de se planter ? Évidemment. Néanmoins, si l’on veut sortir du « j’aime / j’aime pas » (ce qui n’est encore une fois pas répréhensible, mais une différente sorte de lecture), si l’on cherche à savoir si une oeuvre peut être recommandée, je ne crois pas qu’il existe d’autre clé de lecture.

Pour résumer

La fiction est un rêve dont le maintien (ou le questionnement) constitue sa nature même. 

  • La fiction doit employer les moyens qui la servent ; 
  • La fiction doit être cohérente (ou maîtriser son incohérence) ; 
  • La fiction doit remplir les promesses qu’elle SEMBLE se fixer. 

Ceci étant le point de vue du consommateur / critique qui sommeille en moi (et ma grille de lecture quand je me corrige moi-même). Quand vous tomberez sur des critiques sur ce blog, c’est à la jonction de ces trois impératifs que je me place. Ce qui a ses forces, ses faiblesses, et sa part inhérente de subjectivité, mais qui me permet, je crois, de porter un avis potentiellement positif même sur ce qui ne me parle pas. Tout désaccord est évidemment recevable. Mais, au moins, vous saurez ce dont il retourne ; pourquoi j’affirme que L’Écume des jours est un mauvais film, mais Avatar un bon ; pourquoi Sucker Punch est un triste échec, mais Tron : Legacy une réussite.

Nota : Si l’on voulait être réellement exhaustif, il faudrait ajouter l’impératif de progrès (cette oeuvre apporte-t-elle quelque chose à son genre, à sa forme ?), qui fait avancer la culture dans son ensemble. Je ne pense pas que cela soit nécessaire – impératif au sens des trois axes proposés ici – mais que cela constitue une valeur ajoutée. Il faudrait encore une discussion de profondeur là-dessus, mais cela s’écarte du sujet souhaité, car faire de cette considération un impératif, ou non, me semble, finalement, esthétique, et sans réel lien avec le maintien du rêve fictionnel. Ce qui n’est pour dire que l’innovation est partie négligeable, au contaire, elle est vitale à la santé de la création, mais ne constitue pas, je pense, un critère de critique aspirant à l’objectivité. J’aurai peut-être changé d’avis dans un mois, notez. C’est ça qui est confortable quand on est écrivain et pas théoricien – je m’en rends bien compte. 

  1. Clin d’oeil aux copains des Films à Réaction pour les discussions sur le sujet.
2014-08-30T16:42:24+02:00jeudi 25 juillet 2013|Best Of, Le monde du livre|13 Commentaires
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