À lire chez Jeanne-A Debats

À propos de l’augmentation de la TVA sur le livre à 7 %, ce billet, auquel il n’y a pas grand-chose à rajouter.

À part peut-être le fait que la culture n’est pas un réel luxe, mais au contraire le signe d’une société en bonne santé. Et que cela ne surpendra hélas guère que ce gouvernement démagogue poursuive son entreprise méthodique de destruction de l’esprit critique en s’attaquant à son plus haut symbole, le livre.

2011-12-14T10:24:10+01:00mercredi 9 novembre 2011|Le monde du livre|20 Commentaires

L’invisible est invendable, dans le livre aussi

Le lapin de CanardPC, par Didier Couly

Article fort intéressant de Canard PC ce mois-ci sur la distribution dématérialisée des jeux vidéos indépendants ; comme souvent, le bihebdomadaire cache sous une grosse couche de déconne une vision pointue des marchés. Dans un article intitulé « L’invisible est invendable », portant sur la difficulté pour un petit développeur non affilié à un gros studio d’émerger de la masse écrasante des applications disponibles sur les boutiques en ligne, Ivan Le Fou déclare notamment :

Ainsi s’est mis en place un système qui, finalement, tendra à reproduire les inconvénients de la distribution physique : ceux qui ont le plus de moyens, ou les licences les plus connues, occuperont toutes les places visibles et seront quasiment en position de fermer la porte au nez des autres.

Le monde du livre et notamment les enthousiastes du numérique feraient bien, à mon sens, de lorgner un peu ce qui se passe dans les autres médias et en particulier dans le jeu vidéo, car il a ceci de commun qu’avec la littérature que, contrairement à la musique qui se découvre en une poignée de minutes, c’est un produit culturel qui nécessite un investissement temporel généralement supérieur pour être apprécié ou « saisi ». Or, le milieu du jeu vidéo est en train de découvrir qu’il ne suffit pas, pour construire un succès, de faire un bon jeu (même si c’est la base), ni de le vendre à prix cassé sur une plate-forme indépendante comme Steam, l’AppStore ou l’Android Market dans l’espoir que cette poignée d’euros dérisoire saura satisfaire l’acheteur potentiel.

Il faut, tout simplement, qu’il soit vu.

C’est-à-dire que le client en connaisse au moins l’existence, ce qui se fait classiquement par la communication et la distribution (dans le cas de l’inédit – je ne parle pas ici des rééditions, des introuvables ou même de livres ayant vécu leur vie en librairie). Mais ce n’est pas gratuit. Conséquence logique : c’est réservé à ceux qui auront les moyens… et dont, en un sens, c’est le métier.

On clame beaucoup, aujourd’hui, que le livre est trop cher. Qu’il devrait coûter au plus quelques euros. Mais quelle marge dégage-t-on exactement sur un livre électronique à trois euros ? Théoriquement, si l’auteur touche la moitié, voire la totalité de cette somme, il gagne à peu près aussi bien sa vie par exemplaire que sur un grand format en librairie. Tout devrait être bien. Sauf que, sur un grand format en librairie, il y a une quantité d’autres acteurs de la chaîne à être rémunérés, et dont le métier consiste à vendre le livre : éditeur, distributeur, libraire. Je ne dis pas que l’état actuel du métier est idéal, bien au contraire, les abus liés à la contraction du marché sont légion. Mais si l’on retire l’intégralité (ou peu s’en faut) de ces acteurs, qui va vendre le livre ?

C’est-à-dire, qui va le porter à la connaissance d’un public susceptible d’être intéressé ?

L’auteur, dont ce n’est pas le métier ? L’éditeur électronique ? Pourquoi pas.

Mais avec quels moyens ?

Il y a à peu près un an, je clamais bien fort que la libération de la distribution faisait le lit des publicitaires (ce qui m’a valu quelques pelletées d’insultes sur les réseaux). Le marché commence malheureusement à me donner raison. Ce qui m’inquiète en littérature, et ce qui inquiète les fabricants de jeu vidéo, c’est la politique tarifaire que nous sommes en train de mettre en place. Nintendo blâme les smartphones qui éduquent les joueurs à acheter leurs jeux quelques euros, lesquels rechignent donc à payer un jeu triple A1 40, 50, 60 euros.

Vendre un livre électronique au-dessus du prix du poche, bardé de DRM qui plus est, me semble une hérésie. Je pense que, psychologiquement, le livre électronique occupe la même niche économique que le poche : une lecture peu coûteuse, et l’on attribue peu de valeur affective à l’objet. C’est un modèle économique bien connu.

Mais trop baisser les prix (à deux, trois euros) et, surtout, l’institutionaliser, n’est pas la solution à mon avis. Le temps des gens n’est pas extensible. Le public est déjà soumis à des rafales de sollicitations permanentes et le livre rivalise avec une foule d’autres activités culturelles, jeu vidéo, télévision, etc. Même si nous rendons la lecture plus sexy pour un nouveau public, je ne crois pas que la littérature reprendra miraculeusement l’ascendant sur ces autres activités – si elle pouvait maintenir sa place, ce serait déjà bien.

Une offre pléthorique dématérialisée recrée finalement la même situation que sur l’étal des libraires : rien n’est visible, rien ne surnage, et donc les ventes sont atomisées. Dans ces conditions, la seule solution pour s’en sortir consiste à réussir un best-seller, pour l’éditeur comme pour l’auteur, car c’est seulement là qu’il pourra récupérer sa mise. Cela ne fera qu’intensifier une dérive des industries culturelles déjà bien ancrée depuis deux ou trois décennies : la réduction des prises de risques, de la découverte de nouveaux auteurs et leur promotion. Parce qu’à moins d’un coup de chance très rare – qui ne peut donc constituer un modèle économique – il faut investir pour qu’un livre puisse simplement atteindre le public qu’il est susceptible d’intéresser. Donc, il faut un retour encore plus colossal que la marge est faible. Soyons sérieux, il ne suffit pas de construire une page Facebook et d’inviter les gens à la Liker. Beaucoup ont fait la découverte amère qu’à part quelques dizaines, voire centaines de fans authentiques, tout le monde s’en fout. C’est beaucoup, beaucoup plus complexe et surtout demandeur en temps et en argent que cela.

Pour toutes ces raisons, je ne suis même pas loin de penser que vouloir à tout prix vendre le livre quelques euros, clamer que le modèle économique est viable, nuit au livre lui-même, à la santé de l’industrie culturelle. (Je vais tellement en prendre plein les gencives avec cette phrase, mais tant pis. Je reprécise que je ne parle que de l’inédit.) Entre le prix trop élevé du livre électronique pratiqué par nombre de grands éditeurs parisiens et la quasi-gratuité protestataire, il y a un juste milieu sur lequel il faudrait travailler (et que Bragelonne n’atteint pas trop mal, j’ai l’impression).

Sinon, personne ne surnagera. Et moins de moyens, cela signfie tout simplement, à terme, des livres de moins bonne qualité (ou alors, seuls les rentiers auront le loisir de travailler correctement leurs manuscrits. Est-ce vraiment cela qu’on veut ?)

Enfin, personne ne surnagera… Si. Dans ces conditions, les seuls à s’en sortir, encore une fois, sont Apple, l’Android Market, Amazon. Ces gens-là ne sont pas nos amis, contrairement à tous leurs discours humanistes de mise à disposition de la culture, si beaux qu’on leur remettrait le prix Nobel de la paix sans confession. Eux s’en foutent que vous vendiez 10 ou 100 000 exemplaires : ce qui les intéresse, c’est la masse totale des ventes. Car ils touchent toujours le même pourcentage dessus. Ils vous donnent les outils pour vous publier, d’accord, mais après… welcome to the jungle.

  1. Les grosses productions commerciales type Mario ou Call of Duty.
2014-08-30T18:32:55+02:00mercredi 2 novembre 2011|Best Of, Le monde du livre|20 Commentaires

Question : rôles dans l’édition en anglais et français

C’est quoi ce blog ? Que des articles d’actu, des news d’entretiens, de dédiaces, pas de contenu un peu consistant ? C’est un scandale, virez-moi le responsable éditorial.

Monsieur ?

Oui ?

Je peux pas, le responsable éditorial, c’est vous. Enfin, moi, quoi.

Ah, zut.

Donc, effectivement, il se passe beaucoup de choses autour de Léviathan : La Chute et c’est un vrai plaisir ; je le répercute ici car, eh bien, c’est aussi le but de cet endroit, de partager ce qui se passe autour des livres. Mais non, rassure-toi, auguste lectorat, je continuerai à poster des lolcats et à t’appeler auguste lectorat.

Bref, pour changer un peu du sujet de ma trombine, je pensais qu’il serait intéressant de proposer une réponse à une question :

J’ai un gros doute sur ce que c’est qu’un publisher, editor, edition, imprimeur… J’ai les références en anglais, mais je sais pas ce qu’est quoi qui correspond à quoi !… D’après mes recherches sur internet, je crois comprendre que l’editeur est en fait le publisher et que l’imprimeur est l’editor… à n’y rien comprendre. Déjà que rien que dans une seule langue je ne saurais pas faire la différence ! Qui fait quoi ?

Effectivement, c’est un sujet un peu compliqué principalement parce que les mêmes termes dans une langue peuvent recouvrir des notions différentes dans une autre… Avant toute chose, les équivalences que tu as trouvées sont inexactes. Résumons :

En français, l’éditeur est celui ou celle qui va travailler sur le texte fourni pour un auteur afin qu’il soit le meilleur possible, dans le respect de ses intentions bien sûr : ici, raccourcis la poursuite en
voiture qui devient ennuyeuse à la longue ; là, développe la scène de sexe ; la psychologie de tel personnage est un peu floue, approfondis-la ; ce paragraphe est un peu abscons, etc. C’est ce qui
correspond à « editor ». En science, c’est aussi celui qui effectue, ou supervise ce travail – c’est-à-dire pointer les erreurs de raisonnement, les raccourcis, etc. Il est responsable des reviewers
dans une revue, c’est le rôle de « rédacteur en chef », dans une anthologie de nouvelles, c’est l’anthologiste. En résumé, un editor est un « directeur d’ouvrage ».

Le problème, c’est que « éditeur » en français recouvre aussi, au sens large, toutes les fonctions de « publishing », c’est-à-dire toutes les personnes chargées de publier l’objet livre : marketing, mais aussi dans une certaine mesure mise en page (= fabrication). L’editor correspondrait alors à l’éditeur sens strict, quand le publisher correspondrait à la maison d’édition au sens large – sachant que les
editors et les publishers travaillent en général dans, ou pour la même structure ! En français, éditer a un sens plus double (à la fois retravailler ET publier) qu’en anglais, d’où la confusion des notions dans notre langue et le même terme pour les deux. La taille du marché anglophone fait que des rôles confondus peuvent être séparés de façon bien plus fréquente qu’en France, où cela ne se rencontre que dans les très grands groupes.

L’imprimeur (printer), enfin, est un contractant qui est chargé de réaliser l’objet livre. De nos jours, son rôle, bien que capital, s’apparente plus à celui d’un sous-traitant car il n’intervient que
très rarement sur le livre lui-même – il réalise ce que la maison d’édition lui demande conformément aux fichiers envoyés et ne fait que très rarement part de son avis sur la chose.

Il y aurait bien d’autres rôles à aborder (correction, diffusion, etc.) mais j’espère ça t’aide à cerner un peu mieux – sachant que je parle surtout pour ce que je connais le mieux, la littérature, mais
que les rôles sont assez semblables dans l’édition d’essais ou scientifique.

2014-08-30T18:32:39+02:00jeudi 13 octobre 2011|Best Of, Le monde du livre|4 Commentaires

Lauréats du prix Elbakin.net 2011

Les lauréats du prix Elbakin.net 2011 (voir les finalistes) ont été annoncés :

  • Roman de fantasy français : Bankgreen, Thierry di Rollo (Le Bélial’)
  • Roman jeunesse de fantasy français : Les Hauts Conteurs tome 1 : La Voix des Rois, Olivier Peru, Patrick McSpare (Scrineo Jeunesse)
  • Roman de fantasy étranger : Les Cent Milles Royaumes, N.K. Jemisin (Orbit), trad. Alexandra Maillard
  • Roman jeunesse de fantasy étranger : Léviathan, Scott Westerfeld (Pocket Jeunesse), trad. Guillaume Fournier

Félicitations à tous, et non des moindres au site Elbakin.net alors que son prix, en seulement deux ans d’existence, s’impose déjà comme une distinction majeure de l’imaginaire !

(Source)

2011-09-09T11:25:37+02:00vendredi 9 septembre 2011|Le monde du livre|5 Commentaires

Combien dois-je demander pour une traduction ?

C’est une question qu’on m’a posé deux fois en deux semaines en privé, alors il semble qu’il puisse être utile de donner quelques pistes aux jeunes traducteurs et trices, surtout s’ils comptent faire de la traduction une activité semi-professionnelle, ou s’ils ont la chance de maîtriser une langue rare.

Comment souvent dans ces cas-là, l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF) vient à la rescousse avec un site proposant nombre d’informations sur le métier (http://www.atlf.org/).

Tout d’abord, et cela n’a rien d’une évidence, il faut s’assurer que l’on est convenablement armé pour s’engager à réaliser un travail de traduction, en particulier si l’on débute ou (c’est assez fréquent) que l’on rend service sur un contract ponctuel sans réelle intention professionnelle. Pour cela, le code de déontologie du traducteur est un précieux guide. Il faut notamment juger de la difficulté du travail à réaliser : un essai technique ou de la poésie ne poseront pas les mêmes embûches qu’un article de presse grand public ou qu’une nouvelle de littérature blanche. Il n’y a pas de lignes directrices autres qu’un examen de conscience honnête et approfondi, surtout si l’on débute, pour répondre à la question : « Suis-je capable de faire correctement ce boulot sans y laisser l’ensemble de mon sommeil pour les trois mois à venir ? »

Ensuite, combien demander ? L’ATLF réalise tous les ans une enquête sur la rémunération des traducteurs en fonction de la langue et du support (voir ici). Ces fourchettes peuvent servir de ligne directrice mais il faut avoir conscience que les tarifs peuvent varier bien davantage, notamment selon l’expérience du traducteur, la difficulté du support, l’urgence du délai, la rareté de la langue, etc. Toutefois, ils ne devraient pas descendre « trop » en-deçà de la fourchette basse. La traduction est un travail exigeant et une bonne traduction se paie. Si le donneur d’ordre n’a pas les moyens de la financer1, il lui faut peut-être s’interroger sur la pérénnité de sa stratégie à l’étranger.

Il faut noter que cette enquête donne les tarifs selon le dit « feuillet calibré standard de 1500 signes ». C’est n’est PAS une tranche informatique de 1500 signes calculée dans Word. Le feuillet est un étalon en vigueur depuis des décennies dans l’édition, hérité de la machine à écrire, et correspond à une feuille « modèle » d’approximativement 1500 signes. Je n’entre pas davantage dans le détail, il y a un excellent article et didacticiel sur la question encore une fois sur le site de l’ATLF à cette adresse (en PDF). Il est possible de calculer la rémunération selon le calibrage informatique, mais il convient alors de la majorer (voir enquête rémunération).

Enfin, je ne m’en étais pas encore fait l’écho, mais Pierre Assouline vient de publier un épais rapport sur la condition du traducteur, bourré de chiffres et d’analyses, fruit d’une longue et minutieuse enquête de terrain. Il est disponible gratuitement sous forme numérique sur le site du Centre National du Livre à cette adresse.

  1. Si c’est une entreprise, bien sûr.
2014-08-30T18:33:01+02:00jeudi 8 septembre 2011|Best Of, Le monde du livre|24 Commentaires

Actualité des prix (Rosny & Masterton)

La convention de science-fiction de Tilff touche à sa fin en ce jour, et les résultats du prix Rosny (où L’Importance de ton regard était finaliste en catégorie nouvelle) ont été annoncés :

  • Roman : Laurent Whale, Les pilleurs d’âmes, Ed. Ad Astra
  • Nouvelle : Timothée Rey, « Suivre à travers le bleu cet éclair puis cet ombre », in Des nouvelles du Tibbar, Ed. Les Moutons Électriques

Le prix Cyrano, qui couronne l’ensemble d’une carrière dans la science-fiction, est attribué à Ayerdhal.

Enfin, le prix Masterton, qui récompense la littérature fantastique, vient d’ouvrir son site : http://masterton.noosfere.org/

2011-08-22T23:14:12+02:00lundi 22 août 2011|Le monde du livre|1 Commentaire

SFFT Awards : des prix pour de la traduction en anglais

J’ai un mois de retard sur cette info mais d’une part, elle a peu circulé, d’autre part, elle mérite de circuler : en juin dernier ont été remis les Science Fiction and Fantasy Translation Awards, qui visent à récompenser le travail de traducteurs de l’imaginaire de langues étrangères vers l’anglais. Il est très agréable de voir la traduction récompensée et reconnue, mais aussi quand il s’agit de l’apporter aux territoires anglophones, où la pénétration des littératures étrangères reste très faible. Bravo donc à tous les lauréats, mais aussi au jury pour cette initiative, qui est en plus dotée d’une somme monétaire divisée entre l’auteur et son traducteur (ce qui est rare).

Long Form Honorable Mention

The Golden Age, Michal Ajvaz, translated by Andrew Oakland (Dalkey Archive Press). Original publication in Czech as Zlatý Věk (2001).

Long Form Winner

A Life on Paper: Stories, Georges-Olivier Châteaureynaud, translated by Edward Gauvin (Small Beer Press). Original publication in French (1976­-2005).

Short Form Honorable Mention

“Wagtail”, Marketta Niemelä, translated by Liisa Rantalaiho (Usva International 2010, ed. Anne Leinonen). Original publication in Finnish as “Västäräkki” (Usva (The Mist), 2008).

Short Form Winner

“Elegy for a Young Elk”, Hannu Rajaniemi, translated by Hannu Rajaniemi (Subterranean Online, Spring 2010). Original publication in Finnish (Portti, 2007).

Special Award

In addition to the standard awards, the Board of ARESFFT presented a special award to British author and translator Brian Stableford in recognition of the excellence of his translation work.

(Je suis particulièrement heureux de voir récompensé Edward Gauvin, qui avait réalisé l’excellente traduction de « L’île close » et qui se bat pour faire entrer l’imaginaire français aux États-Unis.)

2011-07-11T18:24:55+02:00lundi 11 juillet 2011|Le monde du livre|4 Commentaires

S’il le dit c’est que j’ai raison

… et s’il ne le dit pas c’est qu’il a tort.

Non, OK, mais tu comprends, ô auguste lectorat, dans le petit manuel du successful blogger, il est dit qu’il faut créer des titres intrigants, alors j’essaie.

La petite nouvelle qui fait le tour du Net en ce moment c’est cette interview de Jeff Bezos, PDG d’Amazon, donnée au Nouvel Observateur. Indépendamment de l’idéalisme teintant l’article (« Amazon est l’une des plus belles success stories du Net » – il faut se rappeler, ceux qui ont vécu l’éclatement de la bulle Internet en direct s’en souviendront, que l’entreprise n’est bénéficiaire que depuis sept ans pour une fondation en 1995), des multiples coups de com’ au passage (« Chez Amazon, on est obsédés par nos clients… pas par nos compétiteurs. »), quand Jeff Bezos cause, on l’écoute en tremblant, parce qu’Amazon, c’est le Kindle, le Marketplace, une politique tarifaire agressive et le meurtrier présumé de l’édition traditionnelle.

Et, selon Jeff, « le livre papier sera marginalisé ». Évidemment, stupeur et tremblements, mais il suffit d’avoir utilisé une liseuse et le confort qu’elle apporte pour songer qu’il n’a probablement pas tort (en tout cas pour la consommation de masse). Cependant, il me semble aujourd’hui qu’une des grandes résistances aux supports dématérialisés concerne la facilité d’accès aux contenus : dois-je brancher ma liseuse pour la recharger en données, où puis-je acheter du contenu et suis-je sûr de le posséder toujours ? Avec la généralisation du nuage (le cloud), nos données seront accessibles d’à peu près partout, ce qui simplifie encore l’achat, le stockage et l’accès. Ces opérations jadis un peu techniques deviendront – on l’espère – de plus en plus transparentes. Malheureusement, cela promet d’être le fait des distributeurs, qui sont ceux qui détiennent le savoir-faire technique et la culture nécessaire (on en avait parlé là), alors que les éditeurs traditionnels de contenu pataugent encore souvent (les FAIL stories sont courantes, à commencer par tout ce qui contient l’expression « DRM »).

Il y a quelques mois encore, j’aurais été un peu abattu de lire cela à cause du phénomène incontrôlable que sont les échanges en ligne – et qui représentent un manque à gagner véritable pour un créateur, quoi qu’on en dise. Bien sûr, être copié permet d’être connu, mais être connu ne permet pas d’acheter des pâtes, même Eco+. Aujourd’hui, auguste lectorat, toi qui connais mon scepticisme de bon aloi concernant l’engouement de l’électronique, je serais plutôt guilleret. En effet, cette absurdité qu’on appelle la riposte graduée – dont découle le monstrueux FAIL qu’est la loi Hadopi – connaît des revers de plus en plus fréquents un peu partout en Europe1. Le calcul est simple : la riposte graduée fait des lecteurs / auditeurs / spectateurs des ennemis tout en ne dégageant pas un seul centime pour la création, coûtant au contraire des centaines de milliers d’euros en loyers somptueux, en études absurdes et publicités grotesques (bravo, la révélation française qui chante en anglais) pour un résultat proche du zéro. Or, le PS vient d’annoncer qu’en cas d’éléction, il abrogerait les lois aberrantes Hadopi et Loppsi pour préférer une rémunération proche de la contribution créative (une taxe prélevée sur l’abonnement Internet), ce qui, d’ailleurs, est la solution que réclame depuis dix ans la SACEM.

Je ne fais pas de politique politicienne, auguste lectorat, je me tiens hors de ces sphères qui éclaboussent plus souvent qu’elles ne lavent, même si tu auras compris depuis quelques années le peu d’affection que j’ai pour le gouvernement actuel ; si je le signale, c’est pour prendre un peu de recul et constater que l’idée fait enfin son chemin dans les esprits, comme l’absurdité des DRM le fait aussi. Donc, on pourrait espérer des lendemains meilleurs. Mais un gouvernement PS, le cas échéant, tiendrait-il cette promesse en cas d’élection ? Fort probable. Ce serait une décision extrêmement populaire pour un coût minime, assurée d’apporter des voix. C’est une décision stratégique saine doublée d’un avantage pour la création : une situation gagnant-gagnant comme on n’en voit plus très souvent en cette ère post-moderne, mon bon monsieur.

Jeff Bezos ajoute un truc qu’il me fait bien plaisir de lire : « Je serais très surpris si la manière dont nous lisons des textes longs – romans, histoire, biographies – était transformée. » Je me sens moins seul : je fais l’impression d’un dinosaure, mais je ne crois pas non plus au livre dit « enrichi » – en tout cas plus que maginalement – ni à de « nouvelles formes de narration » comme on nous en rebat les oreilles ces temps-ci.

Et donc, s’il le dit, c’est que j’ai raison.

Jolie nimage de lolz trouvée sur Le Journal du Mac.

  1. Suivre @Hadopinsiders sur Twitter.
2018-07-17T14:26:19+02:00vendredi 24 juin 2011|Le monde du livre|3 Commentaires

Brandon Sanderson sur Fantasy Tavern

Une brève pour vous signaler l’émission de Fantasy Tavern dédiée à Brandon Sanderson, tournée il y a deux semaines à Paris dans les locaux de Fantasy.fr ; j’ai eu le plaisir d’en réaliser la traduction, et je vous la signale en particulier parce que Brandon est un grand de la fantasy moderne, quelqu’un d’adorable, de très pro et qui dévoile beaucoup de détails sur sa carrière et sa vie d’auteur dans cette émission. J’en avais parlé l’année dernière, j’insiste : il est un modèle de persévérance et de ténacité, à des années-lumières de cette procrastination et cette tergiversation qui peuvent parfois étreindre les auteurs, et tout jeune auteur (et même tout auteur un peu moins jeune) peut tirer grand profit de l’écouter – sans compter du plaisir de découvrir son excellente oeuvre, si ce n’est déjà fait.

Voir l’émission

2011-06-21T14:26:17+02:00mardi 21 juin 2011|Le monde du livre|7 Commentaires

Geek parmi les geeks (Geek Faeries 2011)

La convention Geek Faeries tient un discours qu’on entend de plus en plus, mais encore trop peu : celui de proclamer avec fierté l’étiquette geek selon tous ses aspects – de l’héritage des jeux vidéos du début des années 80 à la passion pour l’imaginaire en passant par les private jokes et les mèmes assumés (et un volet Erotic Faeries pour la nuit du week-end… dont je ne rapporte pas de photos, navré, j’étais couché asteure, moâ). Je suis très heureux d’avoir pu y être ; les organisateurs, Naya et Laurent, ont porté à bout de bras avec une énergie impressionnante une manifestation d’une énorme complexité entre les débats, dédicaces, stands, concerts, démonstrations diverses, changements totaux d’organisation des lieux toutes les huit heures, toujours souriants et disponibles.

Si vous connaissez ne serait-ce que l’existence du geek test, vous devez trouver le moyen d’aller à cette manifestation, qui parle de fantasy, de SF, de webséries, de BD, de steampunk, de cosplay, de filk, qui proposait un stand retrogaming ahurissant, des démonstrations de combat à l’arme blanche… C’est à ma connaissance la seule du genre et de cette envergure en France. J’ai eu le plaisir d’y retrouver les équipes d’Argemmios (avec Nathalie Dau et Mathieu Coudray), de Voy’el (avec Corinne Guitteaud et Isabelle Wenta), des éditions du Riez (avec Céline Guillaume et Franck Ferric), de rencontrer en vrai l’équipe d’IfIsDead.

Des concerts pleins d’énergie aussi avec Magoyond qui propose un métal heavy un peu halluciné aux textes influencés par les monstres, les fous et les tueurs en série (un petit côté The Vision Bleak en version côté lumineux de la force), et un Naheulband qui a proposé une prestation comme toujours impeccable malgré quelques problèmes de son, et surtout sans retenue aucune pour son public : plus de deux heures sous des spots brûlants, ça c’est du dévouement !

Enfin, qu’on se le dise une bonne fois : non, les geeks ne sont pas tous des mecs, non, l’informatique et les jeux vidéos ne passionne pas que les adolescents, non, l’imaginaire et le jeu de rôle ne s’adresse pas qu’à des nolife sans copine. La gent féminine représentait sans mal la moitié du public de Geek Faeries – je dirais même davantage, mais je crains d’être un peu enthousiaste – et le soin apporté à leurs costumes, leur connaissance manifeste du milieu prouvait, s’il était besoin, qu’il ne s’agissait pas de pauvres nanas traînées malencontreusement par leur copain enthousiaste, mais bien de passionnées au premier chef et à part entière.

Ceci pour répondre au cliché que j’entends encore hélas parfois, du genre « étrange que cette fille joue aux jeux vidéos, elle doit avoir un côté garçon ». C’est bien connu, les filles n’aiment que la réalité vraie, celle constituée de vaisselle et de machines à coudre, cela explique ben pourquoi elles ne sauraient être en aucun cas ni athlètes, ni codeuses, ni militaires.

Il y a des gens qui ont envie de faire des choses : point barre.

2011-06-17T08:45:51+02:00vendredi 17 juin 2011|Le monde du livre|14 Commentaires
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