Des liens des langues

Une petite causerie sur la traduction : j’ai été très honoré de recevoir quelques questions d’un étudiant en langues pour son mémoire universitaire, qui traitait principalement du lien que le traducteur nourrit avec sa ou ses langues de travail. Les propos n’engagent évidemment que moi et mon propre cas, je ne sais pas si les réponses sont bonnes mais certaines des questions l’étaient sacrément en tout cas !

Comment ressentez-vous le besoin de lien à la langue que vous traduisez, et comment se manifeste ce lien ? Doit-il être constant ?

A partir du moment où l’on traduit régulièrement et donc que l’on pratique assidûment sa langue source de prédilection, je crois que ce lien devient une seconde nature, il fait partie de soi, comme tout ce que l’on apprend au point d’en acquérir une maîtrise intuitive. Cela dit, j’ai la chance d’être bilingue, donc j’ai peut-être un rapport particulier et immédiat à l’anglais. En conséquence, ce lien est donc constant, effectivement, et la pratique ne disparaît jamais, même après de longues périodes sans pratique. Je le vois simplement comme faisant partie de mon identité, au même titre que je sais lire ou conduire une voiture et je ne saurais pas me concevoir sans.

Pensez-vous que pour un traducteur, une immersion physique dans la langue et la culture liée à la langue traduite est indispensable ? Avez-vous vous-même vécu dans un pays anglophone ?

L’immersion physique ne me semble pas indispensable, en particulier pour la traduction littéraire. Tout d’abord, c’est un matériau que l’on peut méditer longuement avant de le restituer. D’autre part, la littérature, comme tout art, propose une représentation de la réalité et non la réalité elle-même, ce qui implique de comprendre prioritairement la façon dont la culture représente cette réalité, et non cette réalité elle-même (ce qu’accomplit avant tout la vie à l’étranger).

Après, une immersion (tout court) dans la culture source est indispensable, mais elle peut se faire d’un millier de façons: télévision, cinéma, littérature, actualité, essais, etc. C’est extrêmement facile aujourd’hui avec Internet.

Je n’ai pour ma part pas vraiment vécu dans un pays anglophone en-dehors de quelques vacances.

À force de côtoyer une langue étrangère – en l’occurrence l’anglais – existe-t-il un risque qu’elle « déteigne » sur la langue natale, que des calques inconscients apparaissent et altèrent la qualité de la traduction ?

Cela peut effectivement se produire dans les premiers temps de la pratique (heureusement, l’éditeur veille) et c’est d’ailleurs ce qu’on entend parfois dans la bouche d’étudiants de la traduction: la langue source leur paraît (souvent le cas pour l’anglais), plus vive, plus claire, plus « sexy ». Mais c’est, à mon avis, le parfum d’étrangeté qui parle. Je pense (c’est en tout cas mon expérience) qu’avec le temps, on acquiert de mieux en mieux les spécificités et forces de chaque langue et, loin de les mêler, on les sépare mieux, ce qui finit par éviter les calques. Ce sont deux « circuits », presque deux manières de penser différentes et bien distinctes.

La perte de contact avec sa propre langue vous semble-t-elle un risque sérieux ? (par exemple dans le cas d’un traducteur expatrié depuis de nombreuses années)

Dans le cas d’une expatriation, oui. Je l’ai en tout cas entendu dire de la part de confrères ou consoeurs. La traduction requiert une pratique constante des deux langues pour continuer à les « sentir » au mieux et ainsi les servir l’une comme l’autre; dans le cas contraire, on court peut-être le risque de perdre le lien intuitif à sa langue maternelle, qui permet d’en maîtriser les subtilités. Mais, dans le cas d’un traducteur vivant en pays francophone, je pense que le processus exprimé à la question précédente l’en protège. Tant qu’il travaille ses langues et reste critique, je pense que l’expérience le met à l’abri.

Vous est-il déjà arrivé de devoir traduire en Français un document traduit une première fois vers l’Anglais depuis une autre langue ? Si oui, les références culturelles ont-elles posé problème ?

Cela m’est arrivé, et je ne me rappelle pas de problèmes de références culturelles, mais il faut voir que la traduction est extrêmement dépendante du contexte. Ces textes courts ne posaient a priori pas de problèmes de ce genre, ou bien les références faisaient partie du « parfum d’étrangeté » propre à l’original, et sont donc passées sans aucun problème au français.

Lors de la traduction d’un texte, on peut-être amené à adapter certains éléments (de langage, de culture) pour le lectorat ciblé. Dans cette optique, l’utilisation de régionalismes vous semble-t-elle acceptable et utile ?

Il n’y a pas de réponse définitive en traduction: chaque cas est un nouveau problème auquel il faut réfléchir avec un oeil neuf en pensant aux spécificités des deux langues, leur rapport entre elles et à la culture décrite (qui peut être sans rapport avec les langues dont il est question). Cela va donc dépendre totalement du contexte, de l’intention de l’auteur, de l’effet en français, du ton de l’original, etc. Tout va donc dépendre du contexte. Dans certains cas, le régionalisme sera la solution, dans un autre, il ne fonctionnera pas.

Etant donné l’existence de plusieurs variétés d’anglais, pensez-vous qu’il soit souhaitable qu’un traducteur se « spécialise » dans une aire géographique anglophone qu’il connaît mieux que les autres ?

Les différences linguistiques sont présentes mais pas insurmontables à mon avis; si ces anglais ont effectivement un « goût » légèrement différent, je pense que la pratique permet de les assimiler. On sera peut-être plus à l’aise sur l’anglais américain que britannique, par exemple, mais cela jouera surtout sur la rapidité d’exécution. Le retravail et le recul viendront gommer d’éventuelless interrogations par la suite.

Ce qui peut jouer en revanche, c’est la familiarité avec un certain contexte culturel; là, surtout en littérature générale, ces disparités peuvent prendre un poids non négligeable. Mais cela devient une question de familiarité de civilisation plus qu’une question de langue à proprement parler.

2019-07-22T07:31:14+02:00lundi 23 mai 2011|Best Of, Le monde du livre|4 Commentaires

Lauréats du prix Imaginales 2011

Les lauréats du prix Imaginales (où « Le Sang du large » était finaliste en catégorie nouvelles) ont été révélés ! Félicitations à tous, et notamment à Yohan Vasse pour son prix Imaginales 2011 de la nouvelle !

Le jury est composé de  : Jacques BAUDOU, Anne BESSON, Annaïg HOUESNARD, Jean-Claude VANTROYEN, Jérôme VINCENT et Bernard VISSE, réunis à Paris sous la présidence de Jacques GRASSER, adjoint au maire d’Epinal en charge de la Culture et du Patrimoine.

Roman francophone

Charlotte BOUSQUET.- Cytheriae (Mnémos)

Roman étranger traduit

Ken SCHOLES.- Lamentation (Bragelonne), traduction : Olivier Debernard

Jeunesse

Cornelia FUNKE.- Reckless (Gallimard Jeunesse), traduction : Marie-Claude Auger

B.D.

ANGE, Thierry DESMAREZ.- VengeancesMarie des dragons, 2 (Soleil)

Illustration

Elvire DE COCK.- Cytheriae, de Charlotte Bousquet (Mnémos)

Nouvelles

Yohan VASSE.- « London Faerie Blitz », in Légendes 1 (Céléphaïs)

Prix spécial du jury

Nicolas FRUCTUS.- Kadath, le guide de la cité inconnue, de David Camus, Mélanie Fazi, Raphaël Granier de Cassagnac et Laurent Poujois (Mnémos)

Par ailleurs, le Prix Imaginales des Collégiens a été attribué ce jeudi 12 mai à Pierre BOTTERO pour Les Âmes croisées (Rageot).

Le Prix Imaginales des Lycéens a été attribué mardi 10 mai à Samantha BAILLY pour La Langue du Silence (éditions Mille Saisons).

(source)

2011-05-13T12:13:19+02:00vendredi 13 mai 2011|Le monde du livre|1 Commentaire

La douceur angevine

Illus. Caza

Indépendamment du plaisir que l’on a à faire des rencontres, un déplacement conserve un aspect professionnel : on est là pour passer un bon moment avec des gens sympathiques – sinon, il ne faut pas sortir de chez soi -, mais il convient aussi d’être disponible à tout moment pour le public – sinon, il ne faut pas sortir de chez soi non plus. C’est donc toute la qualité d’un événement que de savoir vous mettre à l’aise ; et puis il y a les événements rares, ceux qui non seulement vous mettent à l’aise, mais vous font vous sentir en vacances – plus que ça : ceux qui vous donnent l’impression d’être reçu en famille, la totale, de la chaleur omniprésente de vos hôtes à l’odeur des petits gâteaux qui cuisent au matin.

ImaJ’nère fut de ceux-là. Installé dans une tour superbe et impressionnante, organisé par l’association du même nom et le bouquiniste Phénomène J qui est probablement la plus belle librairie d’occasion que j’aie jamais vue, avec non seulement des raretés en excellent état à prix abordable, mais tous les rayons du monde et au-delà, la convention fut un de ces événements où il se passe vraiment un truc. David Khara, Thomas Geha et moi avons passé un merveilleux moment, que ce soit pendant les journées ou la soirée mémorable qui a suivi. Merci à Jean-Hugues et Carmen pour leur accueil, leur humour et leur prévenance, à Sylvie, à Artikel, Justin, Patrice (j’espère n’oublier personne) pour leur accompagnement au fil de ces deux jours. Merci également à vous d’être venus ; ce fut l’occasion de revoir en chair et en os une foule de blogueurs et correspondants (salut à toi, Traqueur Stellaire).

En plus d’un chargement de vieux bouquins de SF improbables, je repars aussi avec un kit de base de Metal Adventures sous le bras, le jeu de rôle de pîrates de l’espace créé par Arnaud Cuidet et que j’ai enfin pu rencontrer en vrai alors que nous avions travaillé tous les deux sur les projets d’Extraordinary Worlds Studio (Arkeos). Ça a l’air bien fun et bien conçu, j’espère pouvoir le faire jouer avant 2099 (en me l’appropriant avec une sauce Albator complètement assumée).

C’était enfin pour moi l’occasion de découvrir un peu plus Angers et notamment son centre, vu que je n’en connais que le campus de l’université pour les trois jours de cours que j’y donne par an. C’est une très jolie ville, toute en blancheur, accueillante, aux nombreuses terrasses, et tout le monde est incroyablement sympa (et les filles sont magnifiques là aussi, mais je soupçonne que leur secret réside dans les compétences secrètes des coiffeurs angevins qui leur donne en permanence l’allure de pouvoir poser dans une pub pour l’Oréal, comme si elles avaient un ventilateur léger qui fait voler artistiquement leurs mèches même quand il n’y a pas un souffle de vent. Il y a de la magie – ou un usage créatif de l’antigravité – là-dessous). Il semble y faire vraiment bon vivre et ça donne envie de revenir s’y poser un peu.

2011-04-11T10:58:25+02:00lundi 11 avril 2011|Le monde du livre|5 Commentaires

Grand Prix de l’Imaginaire 2011 : les finalistes

Le jury du GPI a rendu publique la liste des finalistes de l’année 2011. Les lauréats seront annoncés au cours de la cérémonie qui se déroulera au cours du festival Étonnants Voyageurs, à Saint-Malo, du 11 au 13 juin 2011. (L’Importance de ton regard faisait partie de la sélection du premier tour.)

Roman francophone

  • Le Souffle de l’ogre de Brigitte Aubert (Fayard)
  • Les Démons de Paris de Jean-Philippe Depotte (Denoël)
  • Cygnis de Vincent Gessler (L’Atalante)
  • May le monde de Michel Jeury (Robert Laffont)
  • Vegas Mytho de Christophe Lambert (Fleuve Noir)
  • Le Vaisseau ardent de Jean-Claude Marguerite (Denoël)

Roman étranger

  • Artères souterraines de Warren Ellis ; trad. Laura Derajinski (Au Diable Vauvert)
  • Le Fleuve des dieux de Ian McDonald ; trad. Gilles Goullet (Denoël)
  • Le Don de Patrick O’Leary ; trad. Nathalie Mège (Mnémos)
  • Ceci n’est pas un jeu de Walter Jon Williams ; trad. Jean-Daniel Brèque (L’Atalante)
  • A travers temps de Robert Charles Wilson ; trad. Gilles Goullet (Denoël)

Nouvelle francophone

  • « Desmodus Draculae » de Leni Cèdre (Bifrost n°60)
  • « Ethologie du tigre » de Thomas Day (L’O10ssée, Gallimard)
  • Stratégies du réenchantement (Recueil) de Jeanne-A Debats (Griffe d’Encre)
  • « Rempart » de Laurent Genefort (Bifrost n°58)
  • Bara Yogoï (Recueil) de Léo Henry et Jacques Mucchielli (Dystopia)

Nouvelle étrangère

  • L’Essence de l’art (Recueil) de Ian M. Banks ; trad. Sonia Quémener (Le Bélial’)
  • « Voyage avec mes chats » de Mike Resnick ; trad. Jean-Michel Calvez (Galaxies n°10)
  • Sous des cieux étrangers (Recueil) de Lucius Shepard ; trad. Jean-Daniel Brèque et Pierre K. Rey (Le Bélial’)
  • Les Vestiges de l’automne de Robert Silverberg ; trad. Florence Dolisi, Jacqueline Dolisi & Éric Holstein (ActuSF)

Roman jeunesse francophone

  • La Guerre des mondes n’aura pas lieu ! de Johan Heliot (Mango jeunesse)
  • La Roue des vents de Vincent Joubert (Ankama)
  • La Douane volante de François Place (Gallimard jeunesse)
  • Les Yeux d’Opale de Bénédicte Taffin (Gallimard jeunesse)

Roman jeunesse étranger

  • Le Sortilège de pierre de Cornelia Funke ; trad. Marie-Claude Auger (Gallimard jeunesse)
  • Voraces de Oisin McGann ; trad. Patrick Imbert (Mango jeunesse)
  • Alcatraz (Série) de Brandon Sanderson ; trad. Juliette Saumande (Mango jeunesse)
  • La Confrérie de l’horloge de Arthur Slade ; trad. Marie Cambolieu (Le Masque)
  • Léviathan de Scott Westerfeld ; trad. Guillaume Fournier (Pocket jeunesse)

Prix Jacques Chambon de la traduction

  • Mikael Cabon pour Chroniques des rivages de l’Ouest (Série) de Ursula K. Le Guin (L’Atalante)
  • Sara Doke pour Lila Black (Série) de Justina Robson (Milady)
  • Nathalie Mège pour Le Don de Patrick O’Leary (Mnémos)

Prix Wojtek Siudmak du graphisme

  • Aleksi Briclot pour Worlds & Wonders (CFSL Ink)
  • Philipe Gady pour La Maison qui glissait de Jean-Pierre Andrevon (Le Bélial’), H2G2 de Douglas Adams et H2G2 : Encore une chose… de Eoin Colfer (Denoël)
  • Grégory Fromenteau pour Solaris n°174 et Solaris n°176
  • Frédéric Perrin pour Ceci n’est pas un jeu de Walter Jon Williams (L’Atalante)
  • Diego Tripodi pour Jack Barron et l’éternité et Il est parmi nous de Norman Spinrad (J’ai lu)

BD / Comics

  • La Brigade chimérique (tomes 1 à 6) de Fabrice Colin, Serge Lehman et Stéphane Gess (L’Atalante)
  • Les Derniers jours d’un immortel de Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval (Futuropolis)
  • Le Diable amoureux et autres films jamais tournés par Méliès de Fabien Vehlmann et Frantz Duchazeau (Dargaud)
  • Tortuga (tome 1) de Sébastien Viozat et Antoine Brivet (Ankama)
  • Zombillénium (tome 1) de Arthur De Pins (Dupuis)

Manga

  • 7 milliards d’aiguilles (tomes 1 à 4) de Nobuaki Tadano ; trad. Michel Le
  • Bras (Doki-Doki)
  • Baptist (tomes 1 à 4) de Gyung-Won Yu et Sung-Ho Mun ; trad. Kette Amoruso (Ki-Oon)
  • L’Île Panorama de Maruo Suehiro ; trad. Miyako Slocombe (Casterman)
  • Pluto (tomes 1 à 5) de Naoki Urasawa ; trad. Thibaud Desbief (Kana)
  • Ultra Heaven (tomes 1 à 3) de Keiichi Koike ; trad. Sylvie Siffointe, Satoko Fujimoto & Anthony Prezman (Glénat)

Essai

  • A.E. Van Vogt, passeur cosmique sous la direction de Joseph Altairac (L’Oeil du Sphinx)
  • Steampunk ! L’esthétique rétro-futur de Etienne Barillier (Les Moutons électriques)
  • Jean Ray, l’alchimie du mystère de Arnaud Huftier (Encrage)
  • Le Panthéon des savants fous de Anna C. Long et Daniel H. Wilson ; trad. Patrick Imbert (Calmann-Lévy)
  • Encyclopédie du fantastique sous la direction de Valérie Tritter (Ellipses)

Prix spécial

  • Kadath, le guide de la cité inconnue de David Camus, Mélanie Fazi, Raphaël Granier de Cassagnac, Laurent Poujois et Nicolas Fructus (Mnémos)
  • Les Mers perdues de Jacques Abeille et François Schuiten (Attila)
  • Poètes de l’Imaginaire, anthologie de Sylvain Fontaine (Terre de Brume)
  • The Sunday Books de Michael Moorcock et Mervyn Lawrence Peake ; trad. Liliane Sztajn (Denoël)
2011-03-21T11:28:35+01:00lundi 21 mars 2011|Le monde du livre|Commentaires fermés sur Grand Prix de l’Imaginaire 2011 : les finalistes

Lauréats des prix Bob Morane et Masterton 2011

Hop, les résultats viennent de tomber. Félicitations à tous les heureux lauréats !

Prix Bob Morane 2011

  • Roman francophone : Plaguers, de Jeanne A Debats (L’Atalante)
  • Roman traduit : Le Fleuve des dieux, de Ian McDonald (Denoël, traduction de Gilles Goullet)
  • Nouvelle : « Rempart », de Laurent Genefort (Bifrost n°58)
  • Coup de coeur : Les contrées du rêve, de H.P. Lovecraft (Mnémos)

Prix Masterton 2011

(Flammagories était cette année finaliste du prix.)

  • Roman francophone : Le Dieu Vampire, Jean-Christophe Chaumette (L’Editeur)
  • Roman traduit : Mais c’est à toi que je pense, Gary A. Braunbeck (Bragelonne, traduction de Benoît Domis)
  • Nouvelle : « Séparation de corps », Richard D. Nolane (Rivière Blanche)

 

2011-03-15T12:32:51+01:00mardi 15 mars 2011|Le monde du livre|Commentaires fermés sur Lauréats des prix Bob Morane et Masterton 2011

Un rempart contre le Pacifique

De retour d’un festival Rue des Livres toujours très sympa : une organisation gentille comme tout, une équipe Critic au taquet comme toujours, et le plaisir de retrouver la bande de l’imaginaire rennaise et d’ailleurs. Le joie de pouvoir glisser quelques mots de plus, dans la confidence, sur les projets en cours, notamment la série chez Don Quichotte qui suit son bonhomme de chemin et que je meurs d’envie de voir enfin diffusée, les nouvelles à paraître – la prochaine sur Évanégyre, ce sera en mai, dans l’antho annuelle du festival Imaginales. Le bonheur de retrouver les lecteurs fidèles, les blogueurs (dont Lelf, qui a déjà publié un compte-rendu et des photos de son côté), et aussi celui de faire de belles nouvelles rencontres. Une impression un peu bizarre, aussi, dimanche, tandis que nous étions plusieurs suspendus aux nouvelles du Japon, ceux d’entre nous équipés de smartphones relayant les dernières informations aux autres, dans le désolement, l’incrédulité et, aussi, la crainte. La sensation un peu creuse, pour ma part, que quel que soit le prestige dont se pare la littérature, quelle que soit sa force, pourtant tangible, capable de déplacer les montagnes et soulever les peuples, nous restons toujours un peu des terroristes de bac à sable qui jouent à se faire peur face à la puissance brute des éléments et aux tragédies atroces et crues qui viennent poignarder la réalité.

 

2011-03-14T12:30:42+01:00lundi 14 mars 2011|Le monde du livre|4 Commentaires

Oh, to be Jung again

Je déclare par la présente que Limoges est la ville avec la plus grande densité de jolies femmes au m². Vraiment, c’est incroyable, et ça l’était encore plus quand, le soir, je suis allé boire un coup dans un bar rigolo1 où l’animation était assurée par une serveuse qui chantait les grands succès de toute boîte qui se respecte, boum ksi let’s dance put your hands in the air shake it like a hurricane the carpet is waiting for us, des trucs comme ça, chansons à texte (mais super bon esprit). Je n’ai jamais vu un truc pareil au point que je me suis demandé si je n’allais pas abdiquer la nationalité bretonne pour la limousine, des fois qu’on me prête en plus une méga grande bagnole, mais on m’a expliqué que non, c’était sans rapport. Joliment apprêtées, souriantes et drôles, bref, c’est bien simple, là-bas, même les filles pas jolies sont jolies aussi. Oubliez Santa Monica, Rio, la plage et toutes ces conneries : allez à Limoges.

J’ai dit.

La médiathèque centrale est magnifique elle aussi, et l’accueil fut extrêmement chaleureux et agréable : merci à Patricia, Sylvie, Anna et Claire pour avoir organisé cette exposition sur la fantasy, cette rencontre autour du genre et pour avoir veillé sur nous (surtout sur moi, en proie à un décalage horaire mental prononcé). Nous avons passé trois heures avec Stéphane Manfrédo à parler d’imaginaire, lequel sait toujours poser les questions qui vous font prendre conscience d’aspects de votre travail auquel vous n’aviez jamais pensé (ou dont vous n’aviez jamais osé parler). Nous sommes partis parfois très, très loin sur la valeur du sens dans l’existence rapportée à la fantasy, la magie et au conte, le numineux chez Jung, les métamorphoses de l’esprit chez Nietzsche, et le plus génial, c’est que personne n’est parti au milieu. Merci donc à vous tous qui êtes venus écouter cette rencontre (spéciale dédicace à la Vade-Mecum du Disque-Monde krew qui s’est déplacée en force et que ça m’a fait grand plaisir de revoir) !

Un enregistrement de l’ensemble sera peut-être disponible dans les semaines à venir, je vous tiendrai au courant.

EDIT : Le Vade-Mecum du Disque-Monde a posté un petit compte-rendu de la rencontre sur son forum.

  1. Pas l’Arkange, c’était un peu trop loin, je me suis mal démerdé, j’ai zappé, les huit heures de train ont eu raison de ma pauvre icelle – raison, donc.
2011-02-23T10:13:29+01:00lundi 21 février 2011|Le monde du livre|13 Commentaires

Livre enrichi en vent (2) : marché de niche

Alors bon, vraiment, je suis ultra déçu, il semble que je n’aie pas réussi à me rendre entièrement impopulaire hier avec des affirmations à l’emporte-pièce sans explication, ce qui prouve que je ne suis définitivement pas prêt pour la monétisation de mon contenu rédactionnel à forte valeur ajoutée, comme me l’expliquait cet important spécialiste russe du web qui m’a écrit hier sur Twitter pour me proposer un séminaire de deux jours à 1000 $ en me promettant que l’investissement serait dérisoire par rapport aux bénéfices que j’en retirerais. J’hésite, franchement, j’hésite.

Donc, je ne crois donc pas à la généralisation du tant vanté « livre enrichi », et c’est un geek, un poilu, un vrai, du genre à crier de joie en découvrant dans un carton de déménagement un vieux câble série pour faire des transferts avec ses vieilles machines qui vous cause. (Je précise – ce que j’aurais dû faire hier – que je me place avant tout dans le cadre de la littérature et de la fiction ; les cartes sont moins nettes pour le contenu académique.)

Alors, pourquoi, hein ?

L’insoutenable linéarité de l’être

À moins de prendre des hallucinogènes puissants ou d’atteindre un degré d’évolution cosmique transcendantal, l’expérience humaine est linéaire. Notre expérience du temps, et donc notre intégration des connaissances, se fait de manière sérielle et généralement causale. Si je raconte la chute de la blague puis ses prémisses, c’est nul. Si je raconte que Jésus a ressuscité avant de mourir, ça casse le « ooh » (et l’ambiance, mais c’est une autre histoire). Complexifier le flux cognitif conduit vite à une sensation désagréable de décousu : on se demande vite « D’accord, mais qu’est-ce que ça raconte vraiment, au juste ? »

Bien sûr, on peut jouer avec la forme, comme Richard Nolan le fait très bien dans Memento, on peut expérimenter avec la temporalité du récit, d’un simple retour en arrière à la mosaïque totale, mais ce sont des écarts à la norme, des artifices visant à renforcer un effet de surprise chez le public qui, parce qu’il reçoit malgré tout la narration de façon linéaire, va se poser des questions supplémentaires qui sortent du cadre établi. Toute fiction pose des questions. (Si c’est pour ne pas poser de questions, autant aller se coucher tout de suite.)

Bref, si l’on doit passer du texte à une vidéo puis à des mots croisés, on largue inévitablement du monde en route : j’adore d’un amour impérissable et vénérant La Maison des Feuilles, mais je doute que ça devienne la norme demain – et qu’on aille beaucoup plus loin dans le concept non plus. On nous ressort périodiquement le concept de « fiction hypertexte », mais, sérieusement, vous en avez vu beaucoup qui a pris, vous ?

Pardon monsieur, vous pourriez couper votre livre, s’il vous plaît ?

Le corollaire – et la deuxième raison – est que, dans les habitudes de consommation actuelles, différents supports correspondent à différents moments, différents lieux. On écoute des podcasts dans le métro. On lit des gros bouquins cartonnés dans son pieu ou sur une chaise longue. On joue à Mass Effect de préférence vautré dans son canap’ avec une longue soirée devant soi. Et l’on regarde des films posé dans un endroit confortable (bon, OK, au boulot si c’est YouTube). Le son, composante quasiment indissociable de la vidéo, ne peut être consommé confortablement partout, tout comme l’image. Et si une partie de ce contenu nécessite un autre mode de consommation que celui prévu, soit on le saute (= création inutile) soit on éprouve de la frustration (et frustrer le client, c’est mal). (Alors oui, d’accord, je suis au courant il existe des casques, mais admettez que si vous avez une chouette télé et des haut-parleurs à la maison, vous préférerez attendre de regarder votre dernière épisode de série chez vous que sur votre portable pourri entre une grosse madame qui sent le chou et un pervers aviné.)

Sur Facebook, deux réactions hier concernant Level 26 (Anthony E. Zuiker), qui propose des vidéos récapitulatives en fin de chapitre, étaient éloquentes : non seulement c’est vécu comme « ne servant à rien » mais en plus, le lecteur se sent vaguement insulté qu’on lui résume ce qu’il vient de lire.

Rapide comme du texte

La dernière raison, que pas mal de diffuseurs de contenu oublient, c’est qu’il n’y a pas de mode de communication plus rapide que le texte. C’est pour cette raison qu’il n’a pas disparu et ne disparaîtra pas avant la généralisation de la télépathie. Un paragraphe du Monde contient plus d’information que trente minutes du journal de TF1 (mais ça, ça n’étonnera personne). La vidéo est rigolote, l’image est funky, les deux peuvent former d’excellentes illustrations, effectivement meilleures que de longs discours ; mais, à temps égal, un manuel restera toujours plus riche qu’un documentaire. Quand il s’agit d’intellectualiser, rien n’est plus dense que le texte. Sinon, le Web serait déjà peuplé de vidéos idiotes et d’images de chats. (Euh… attendez une seconde…)

Caveat canem

Alors, bien sûr, ces expériences sont intéressantes, il faut les faire, et ça ne m’empêchera pas de jouer si l’occasion se présente avec, parce que diable, c’est rigolo. Oui, le numérique et son interactivité offrent des possibilités enthousiasmantes, comme celle d’avoir un dictionnaire embarqué avec son ebook, de faire une recherche en plein texte, de répéter une phrase étrangère pour vérifier si son accent est passable. Mais arrêtons-nous un instant. En-dehors de quelques usages très ciblés, est-ce qu’on parle vraiment de fiction ici ? Non. Les enrichissements peuvent constituer un plus appréciable. Mais y a-t-il une vraie différence avec un livre illustré ?

Je ne crois pas. Et toute la question se résume finalement à ça, à mon humble avis. C’est chouette, les livres illustrés. Seulement, le jour où l’on a su intégrer à grande échelle des images à un texte, est-ce qu’un type fraîchement émoulu de Sup de Co s’est exclamé « oh putain, c’est l’avenir du livre, plus personne ne pourra jamais écrire à l’ancienne » ? Non. Le livre enrichi, ce n’est rien de plus qu’un livre illustré fait avec des électrons et, comme dans les rayons actuels des librairies, cela correspond à une demande existante et à un marché spécifique, très différents de la littérature « pure ». Alors, par pitié, arrêtez de nous marteler que c’est « l’avenir du livre » et que ça va radicalement changer la littérature. Parce que si c’était le cas, l’invention du vélo aurait entièrement éradiqué la marche à pied.

(Mais nous ne saurions nous passer d’un autre de ces merveilleux éducatels.)

2018-07-17T14:24:17+02:00jeudi 3 février 2011|Le monde du livre|11 Commentaires

Livre enrichi en vent (1) : ne pas y croire

Malgré mes années de geekeries, mes expériences de diffusion électronique libre, l’existence de cette auberge, j’annonce la couleur : je suis un vieux con rétrograde qui n’a rien compris à l’avenir de la diffusion ni de la culture.

Oups. Ça, c’était censé être les premiers commentaires de cet article. Veuille, ô auguste lectorat, pardonner la sénilité précoce de ton misérable serviteur.

Je recommence.

Olol multimédia

Le livre électronique, c’est super chouette. Vraiment. J’ai une liseuse (la Sony PRS-300, dont je n’ai jamais eu le temps d’écrire un test), je trouve le confort de lecture absolument fantastique, la légereté du bousin convaincante, j’aime pouvoir lire les mains libres en mangeant des Pépito. Mais le grand argument à la mode en ce moment pour vendre du livre électronique, c’est le « livre enrichi », les applications « liées au livre », et tout le bazar. Comme si le livre, honteux de n’avoir offrir que de seules lettres écrites en noir et blanc, cherchant à se donner une caution en 3D.

Okay, la nature abhorre les tièdes, alors je vais prendre le risque d’avancer un bullshitagain. Le livre enrichi me fait l’effet du serpent de mer qui resurgit à chaque fois qu’une nouvelle plate-forme fait son apparition : on va faire converger les médias dans une nouvelle expérience multimédia mêlant vidéo, texte, image, etc. Sauf que l’histoire de l’informatique est jalonnée d’échecs dans ce domaine.

Tous les cinq – dix ans, les nouveaux acteurs fraîchement débarqués sur le milieu du numérique réinventent l’eau chaude en se disant « mais zomg, on va pouvoir mettre des vidéos dans notre contenu!!one ». Sauf que ça n’a jamais marché. Cette fameuse convergence des médias existe depuis une quinzaine d’années, notamment avec les célèbres « CD-ROM multimédia », qui n’ont, soyons clairs, jamais vraiment pris. Le CD-I de Philips reste une énorme blague à laquelle même les journalistes spécialisés de l’époque se sont faits prendre. Même le mot « multimédia » évoque un /facepalm réflexe. Ces fameux « éducatels » ne remplissent pas aujourd’hui les étals des Fnac, seules quelques applications très spécialisées à qui l’interactivité profite vraiment (apprentissage des langues, ouvrages de référence comme les dictionnaires) ont survécu, plus quelques produits qu’on peut offrir à un grand-oncle « qui s’est mis à Facebook ».

On pourrait arguer – à raison – que les terminaux portables n’étaient pas encore disponibles, condamnant le cédérom (© Académie Française) à l’oubli puisque l’usage de l’ordinateur n’était pas encore associé à la culture. Effectivement. Pourtant, depuis, le Net a également permis cette intégration de la vidéo, du texte, du son, mais jetons un oeil réaliste sur son paysage : quel site effectue réellement cette intégration ? Pourquoi les sites d’info continuent-ils à rédiger des textes en mots avec seulement de très occasionnelles vidéos – uniquement quand elles sont flagrantes ? Question de moyens ? J’en doute. Pourquoi avons-nous des canaux d’information spécialisés comme Dailymotion ou YouTube ?

Je pense que les mots « livre enrichi » causeront dans dix ans le même frisson de honte que les expressions « multimédia » ou « autoroutes de l’information ». C’est aujourd’hui qu’une expérience, certes intéressante, un débroussaillage, des jeux, même. On peut regarder d’un air abyssalement dubitatif les « applications » comme celle de Bernard Werber pour Le Rire du Cyclope, qui sont encore moins interactives qu’une télé. Okay, admettons que ça soit rigolo – si on veut. Mais ça, l’avenir du livre ? Faut pas pousser.

OK, mec, d’accord. T’as balancé tes affirmation péremptoires. Alors, pourquoi ?

Eh bien, trois raisons, dont nous causerons demain.

Dans l’intervalle, visionnons un véritable éducatel enrichi.

2018-07-17T14:24:27+02:00mercredi 2 février 2011|Le monde du livre|15 Commentaires

Traduction littéraire, FAQ

Je reçois ces temps-ci pas mal d’interrogations (souvent d’étudiants) relatives au métier de la traduction, littéraire en particulier, et parfois un peu floues, si bien que je ne sais pas très bien quoi répondre exactement. Or, il y a deux ou trois ans, une étudiante (qu’elle en soit remerciée, puissent ses corrections d’épreuves se faire toujours dans la tranquillité avec de longs et confortables délais) m’avait posé des questions très précises par mail sur le domaine, ce qui a plus ou moins pris la forme d’un entretien ; hé, dis-donc, me suis-je dit sous ma douche, pourquoi ne pas poster ce texte sur le blog pour servir de Foire Aux Questions, et les consoeurs et -frères pourraient ensuite réagir, et les gens que ça intéresse poser d’autres questions, et ça pourrait, genre, servir de ressource ? Mode collaboratif web 2.0, tout ça ?

Pour compléter la question, je vous invite instamment à jeter un oeil à l’Association des Traducteurs Littéraires de France, au dossier Traduction réalisé par ActuSF et aux questions aux traducteurs de Lucie Chenu (avec la réserve qu’en ce qui me concerne, certaines réponses commencent à être très datées, surtout sur le lien entre traduction et écriture : l’entretien a sept ans).

Here we go.

J’ai cru comprendre que vous étiez ingénieur avant de vous lancer dans ce que vous faites maintenant, aussi comment avez-vous fait la transition entre les deux ? De quelle manière avez-vous débuté en traduction ? Quelles démarches avez-vous effectuées ?

J’ai commencé par traduire pour des revues littéraires de qualité, mais qui paient peu (ou pas), faute de moyens, car ce sont des très petites structures souvent associatives. Mais ce sont des passionnés ou amateurs très éclairés qui gèrent ces structures, ce qui en fait une excellente école (j’ai par exemple eu la chance immense de faire mes premières armes sous l’égide de traducteurs professionnels reconnus). D’autre part, cela permet de se constituer une première bibliographie (ce qui, en édition, tient lieu de CV) pour aller frapper chez des structures de plus en plus grandes et donc de plus en plus rémunératices. Cela fait donc boule de neige, mais ce processus peut être long (plusieurs années). J’ai tiré le diable par la queue un petit moment avant d’arriver à en vivre correctement. Ce genre de parcours est relativement courant en SF&F, mais il comporte évidemment une part de risque importante – sans parler du besoin d’arriver à se former par soi-même.

Pour les démarches, je me suis simplement investi dans ces revues, rencontrant les équipes en festival, me construisant mon carnet d’adresses, ouvrant les yeux et les oreilles en quête d’une occasion.

Que demandent les éditeurs de la part d’un traducteur littéraire (en matière de qualifications, de compétences) ?

Un éditeur veut du bon boulot, il se fiche d’où vous sortez : votre qualification première, c’est votre bibliographie, derrière laquelle passent les diplômes. Attention, cela ne veut pas dire qu’ils sont superflus (il y a par exemple un master de trad littéraire à Paris et j’enseigne un bref module à celui d’Angers) : ils vous donnent un certain nombre de réflexes qu’il faut autrement acquérir par beaucoup de travail personnel et une formation sur le tas (ce qui peut se faire dans la douleur et dans l’erreur…), en plus de vous aider à décrocher une première place plus facilement. Néanmoins, bien des traducteurs pros n’ont pas un tel diplôme et ont suivi plus ou moins le genre de voie que je décrivais plus haut. En résumé, les diplômes de trad vous faciliteront la vie, mais qu’ils ne sont pas indispensables comme dans la quasi-totalité des autres professions. Pour ma part, mon seul diplôme un tant soit peu relié au domaine est un Cambridge Certificate of Proficiency in English, qui sert juste à montrer que je pige un tant soit peu ce que je lis !

Est-il possible de se cantonner à un genre précis en traduction littéraire (je pense notamment à la SF et la Fantasy) ?

Tout à fait, c’est mon cas comme celui de nombreux traducteurs du domaine (Mélanie Fazi, Jean-Daniel Brèque, Gilles Goullet, Arnaud Mousnier-Lompré, etc.)

Est-il possible/conseillé d’exercer une autre activité professionnelle en parallèle ?

A « terme », la traduction littéraire est normalement un métier suffisamment rémunérateur pour être une activité à plein temps (et même davantage). Après, tout est toujours possible si vous avez le temps et la motivation. Disons que cela dépend des attentes de votre éditeur (s’il vous fournit contrat après contrat, il vous faudra finir par faire un choix) et de votre vitesse de travail. Certains confrères sont par exemple professeurs, musiciens, etc. et ont une entente particulière avec leur éditeur pour avoir des délais de remise « réalistes ». C’est possible avec de l’organisation et de la discipline, et c’est aussi un choix dans une certaine mesure.

Il faut quand même savoir que la traduction d’un ouvrage est un chantier au long cours dont il ne faut pas sous-estimer le volume de travail. Si vous travaillez pour un éditeur qui vous fournit régulièrement des contrats, vous aurez de quoi vous occuper à plein temps tout en en vivant convenablement. Dans les débuts, c’est peut-être plus compliqué, et vous devrez éventuellement fournir un volume de travail important le soir et les week-ends pour coupler ça à un job alimentaire, le temps de décrocher des contrats rémunérateurs, de vous constituer vos contacts – et de ne pas mourir de faim quand même dans l’intervalle.

Quelles sont les difficultés inhérentes à ce métier ?

D’abord celles de toute professon libérale : on marche au contrat donc, en cas de faillite d’un gros client, on peut se retrouver sans rien et devoir recommencer presque de zéro. Vous n’avez pas non plus trop le droit d’être malade ou d’avoir des accidents (ou bien il faut être prescient pour les prévoir…) : les contrats ont des dates de rendu gravées dans le marbre et si les éditeurs peuvent être compréhensifs en cas de coup très dur, être fiable est un qualité essentielle. A vous de vous organiser.

D’autre part, on travaille seul, souvent à domicile. Il faut aimer la solitude, ne pas tourner en rond comme un lion en cage quand on reste enfermé, savoir se motiver et de discipliner. Il faut aussi savoir rester en compagnie d’un même livre pendant des mois entiers, parfois jusqu’à l’écoeurement, et rester rigoureux quand même.

Enfin, comme dans tout milieu artistique, il peut parfois arriver que les mesquineries volent bas. Il faut en faire abstraction et continuer à faire son travail avec coeur, au mieux de ses capacités, sans prêter attention aux voix jalouses.

Enfin, quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait se lancer dans la traduction littéraire en général, et de SF et Fantasy en particulier ?

Du courage et de l’opiniâtreté, parce qu’avoir le statut d’indépendant, se construire un carnet de contacts, apprendre le métier en permanence n’est pas forcément facile ni de tout repos (mais c’est aussi ce qui en fait l’exaltation).

Un véritable amour de la langue et de la littérature, parce qu’il faut chercher sans cesse la justesse du vocabulaire et des expressions, travailler son style, rester parfois très longtemps dans la même oeuvre (des années si on suit une série), avoir un côté perfectionniste parfois obsessionnel pour chercher le mot juste. De l’humilité aussi, parce qu’il ne s’agit pas d’une réécriture mais d’une transmission d’une oeuvre, ce qui implique une certaine plasticité d’expression pour passer d’un auteur à l’autre, d’un genre à l’autre, pour se couler dans le style. Egalement de l’humilité face aux corrections, surtout dans les débuts : toujours chercher le perfectionnement, l’apprentissage, la minutie.

Enfin, j’ai lu que vous suiviez des études de traduction technique : je dois tout de suite vous avertir que la traduction technique et la traduction littéraire sont deux domaines complètement à part et même, pour certains aspects, diamétralement opposés l’un à l’autre. Vous avez certainement acquis un certain nombre de réflexes en trad technique qui seront non seulement inutiles, mais contre-productifs en trad littéraire. Par exemple, vous pouvez (que dis-je, vous devez) jeter Trados et autres mémoires de trad à la poubelle et les proscrire définitivement. La trad littéraire met beaucoup plus en valeur le propos, le message, l’atmosphère, le style (ce qui en fait un véritable exercice de création par certains moments) que la lettre de l’oeuvre, par rapport à la trad technique pour qui la précision passe avant toute autre considération.

2019-08-21T18:26:34+02:00mardi 4 janvier 2011|Best Of, Le monde du livre|5 Commentaires
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