Question : comment construire ma méthode d’écriture ? (1/2)

Toujours dans les questions qui me sont arrivées et qui sont restées sans réponse depuis la première moitié du vingtième siècle (au moins), en voici une qui touche à un sujet qui m’intéresse particulièrement, celle de la méthode d’écriture. En préambule, il me faut dire que je considère toute « méthode » comme un échafaudage à la pratique de l’art, quel qu’il soit, et que cette pratique relève toujours d’un mélange de technique et d’inspiration, de métier et de folie, de préoccupation d’accessibilité et de plaisir personnel. C’est un exercice de funambule : le métier donne un cadre à l’envie brute, et il me semble qu’une oeuvre de qualité résulte de la juste application de l’un, comme de l’autre, ensemble. La technique seule entraîne une oeuvre fadasse, aseptisée, vite oubliée. L’inspiration seule donne une oeuvre anarchique, peu accessible, confuse, où, dans les cas extrêmes, le lecteur n’est pas respecté dans ses attentes.

Il arrive fréquemment que prôner l’usage de la technique fasse pousser des hauts cris aux jeunes auteurs qui ne jurent que par leur plume et le respect ultime de l’Art. Okay, le respect ultime de l’Art, c’est cool, mais si l’on veut faire de l’écriture un métier, il faut considérer qu’au bout du livre, il y a un type qui le lit, et qu’à un moment, il faut le prendre en compte. Non pas le prendre par la main, mais pas le prendre pour un abruti non plus. Les tiroirs sont pleins de manuscrits respectant ultimement l’Art, dont l’auteur refuse de toucher une virgule. Ce n’est pas un jugement de ma part sur leur valeur. En revanche, il me semble que le Graal de tout artiste consiste à faire passer son message, à respecter son Art, tout en le rendant accessible, à lui-même comme aux autres, autant qu’il est possible. Mais c’est autrement plus difficile. Et c’est là que la technique intervient, d’une part pour s’aider soi-même à construire cette oeuvre, dans les phases d’élaboration, d’autre part pour atteindre cet objectif, dans les phases de réalisation. (Nous avons déjà discuté de cette problématique autour des diplômes d’écriture.)

La question posée est si vaste que je vais la séparer en deux parties, la première aujourd’hui, qui me concerne plus directement. Bien sûr, ma réponse ne regarde que moi, et encore, en ce moment ; il n’est pas dit qu’elle n’évoluera pas, comme elle l’a déjà fait pour le passé. Néanmoins, pour ma part, je tire toujours du profit de discuter de méthode avec mes camarades, et de lire celle des autres, alors autant apporter ma pierre à l’édifice collectif.

La seconde partie de la réponse viendra dans le courant de la semaine prochaine.

Vous dites vous imposer d’écrire vite le premier jet, pour ne pas écouter les doutes, mais quelle est la part de réflexion préalable ? Combien de temps passez-vous à réfléchir au synospis, aux personnages, à la trame en général ? Dans ce laps de temps peut également s’insinuer le doute.

Effectivement, je m’impose d’écrire rapidement, d’une part pour ne pas écouter les doutes, mais surtout pour court-circuiter, autant que possible, la part intellectualisante et clinique qui va observer une scène, un personnage, de l’extérieur au lieu de les vivre de l’intérieur – ce qui m’est pourtant nécessaire pour me les montrer d’une façon cohérente, et me permettra de les écrire d’une manière qui va impliquer le lecteur autant que possible. Cependant, cela se couple en effet à une phase de réflexion antérieure, au cours de laquelle je vais construire ma matière, m’en imprégner.

Cette période peut être extrêmement longue. J’ai jeté les toutes premières briques de Léviathan vers la fin des années 90, et celles d’Évanégyre au début des années 2000. Les premiers textes publiés dans l’univers datent respectivement de 2007 et 2009. Après, j’ai aussi fait tout un travail d’entraînement, de recherche de ma propre méthode, qui a aussi nécessité un temps d’apprentissage. Le cycle est à présent plus court, mais j’estimerais en moyenne que le travail « actif » de préparation d’un livre me prend au grand minimum six mois à temps plein d’étude pure, de recherches, de construction de scénario, etc. Je ne parle pas de la construction d’un univers, qui est insondable.

Les doutes peuvent s’insérer à cette étape, mais je pense qu’ils ne sont pas délétères. À l’origine, il y a une idée, une envie d’écriture, un idéal et un projet, et je m’efforce de très soigneusement capturer cette intention dans les premières phases. Elle s’apparente à une forme de saveur, à une émotion brute, originelle, que j’ai envie de ressentir dans l’écriture et, autant que possible, de transmettre au lecteur. Elle constitue mon compas et ma direction. Si je m’embourbe, je prends un moment pour me poser et me dire : « OK, que voulais-je faire à l’origine ? Ce que je suis en train de faire va-t-il dans la bonne direction ? » Les doutes sont donc intéressants dans ce contexte, ils peuvent constituer un signal d’alarme exprimant un potentiel fourvoiement. Et cette réflexion peut conduire à un changement volontaire de cap, parce que l’idée a évolué. Dans les phases de préparation, il n’y a aucune « crainte » du résultat final à avoir. Cela s’apparente à tracer l’itinéraire d’une randonnée sur une carte. C’est sans risque, c’est le terrain des voeux, des désirs, de la volonté, de la vision. C’est sur le terrain lui-même qu’il faudra fournir l’effort réel.

Après, cette approche ne fonctionne pas pour tous – d’autres préfèrent se lancer tête baissée dans le récit, parce que cela leur convient mieux. C’est très bien aussi. Nous parlerons la semaine prochaine de la constitution d’une méthode, ou, de façon plus vaste, d’une approche personnelle de l’écriture, dans la deuxième partie de la question.

2014-08-05T15:18:28+02:00jeudi 18 avril 2013|Best Of, Technique d'écriture|7 Commentaires

Question : subir des influences stylistiques ?

oppa-gangnam-style-funny-frog-pictureJe continue à éplucher les questions sur l’écriture qui me sont arrivées depuis 1872, et auxquelles, pris par le terrible flux érosif de l’activité quotidienne, je ne pus convenablement répondre :

Est-ce que tu arrives à écrire d’une certaine façon, avec un certain style, et à rester imperméable à ce que tu peux lire à côté ? Je sais que moi, je suis une vraie éponge et quand je veux écrire un texte à la première personne, je ne peux que lire un livre écrit comme tel, sinon ça ne ressemblera à rien. Alors docteur, suis-je faible ? Ou est-ce normal ?

Il est évidemment meilleur d’apprendre à se cloisonner l’esprit, à se cuirasser tel le Bismarck, mais soyons honnêtes, nous ne sommes que des êtres de chair et de sang aspirant secrètement à des câlins le soir. Donc, tout en restant conscient qu’il vaut mieux travailler sa discipline mentale, ça n’est pas forcément la peine de se tirer une balle dans le pied. Écrire peut être assez épineux comme ça, et il n’y a rien de honteux à se sentir imprégné par ce qu’on lit, tant qu’on y prend garde. Un auteur a forcément un côté éponge, sinon comment pourrait-il se montrer sensible au réel et le rendre vivant à ses lecteurs ? 

J’ai lu il y a un sacré bail un entretien d’un grand auteur (je crois que c’était Kristine Kathryn Rusch), lequel oeuvrait dans moult domaines différents, et qui confiait toujours lire dans un genre très différent ce qu’il est en train d’écrire afin de minimiser les influences inconscientes. Je pense que c’est un bon conseil qui ne coûte pas cher, j’ai tendance à le suivre par prudence, et ne m’en porte pas plus mal.

Quoi qu’il arrive, je recommande aussi de toujours prendre un temps de réflexion avant de se mettre à écrire une scène, surtout si l’on reprend un projet en cours. Une sorte de mini-méditation qui évacue les influences extérieures, et laisse l’histoire réinvestir l’auteur. Respirer un grand coup, et laisser venir à nouveau les personnages à soi. Se demander activement : où sont-ils ? Qu’ont-ils récemment vécu ? Dans quel était d’esprit sont-ils ? Et que veulent-ils à l’instant ? Ces réponses et ce petit travail, visant à se rendre à nouveau disponible à son histoire, permettent souvent de changer une séance d’écriture laborieuse en une randonnée au long cours, guidée par ses voix internes.

Pour mémoire, vous pouvez toujours m’envoyer vos questions sur le métier, l’écriture, via cette page

2014-08-05T15:18:28+02:00mercredi 10 avril 2013|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

Question : vaincre le doute… et ceux qui nous précèdent

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L’écriture d’un roman est toujours une période particulière, une parenthèse faite autant d’exaltation que d’abattement à vaincre, et je commence à me rendre compte que mes promesses pour le blog mettent toujours du temps à se concrétiser. J’en suis navré, d’autant plus qu’il y en a une qui me tient à coeur, celle de répondre aux questions sur le métier. En voici donc une qui m’est arrivée depuis à peu près deux ou trois éternités, avec mes plates excuses pour ma lenteur, et mon fervent désir d’être plus à jour.

J’ai bien trouvé deux trois choses pour m’orienter dans l’écriture d’un roman. Mais je crois que le plus gros travail reste d’ordre psychologique et prendre suffisamment de confiance en soi pour ne pas jeter l’éponge quand une voix me sussurre : « Laisse tomber, d’autres ont déjà écrit ça mieux que tu ne le feras jamais. » J’envie tous ceux qui n’entendent jamais cette voix et qui peuvent écrire avec leurs tripes sans se soucier de savoir que tout a déjà été écrit. Y a-t-il une méthode pour franchir cette barrière ? Pour enfin faire s’écrouler ce Mur des lamentations ? A force d’y mettre des coups de têtes, peut-être…

Voilà bien une excellente question sur la confiance en soi pour écrire, ainsi qu’un résumé à mon sens très juste de l’essence de ce métier : un mélange d’humilité – pour savoir retravailler, s’améliorer tant qu’on peut, ce qui signifie, au fond, que rien n’est jamais terminé – et d’égocentrisme, car écrire avec une visée professionnelle revient à dire : « j’ai des choses à raconter, et cela va suffisamment intéresser quelqu’un pour qu’il l’achète ».

Eh bien, pas de problème. C’est tout le paradoxe de la chose. Dès qu’on en prend conscience, cela va même mieux, je dirais. Je ne crois pas qu’il y ait de méthode miracle pour vaincre cette ambivalence. Je pense même que le doute, à petites doses, est un aiguillon salutaire pour chercher la qualité et pour ne pas croire que tout ce que l’on fait est génial – un syndrome hélas assez fréquent chez certains jeunes auteurs, ce qui rend impossible tout apprentissage ou tout retravail… Mais, à trop hautes doses, il est paralysant, nous sommes bien d’accord.

Je crains hélas que la réponse – en tout cas celle que j’aie trouvée, pour ma part – soit contenue dans ta question. Prendre confiance en soi, et cela vient avec le travail, l’expérience, la conscience évanescente que l’on parvient de mieux en mieux à atteindre ce que l’on souhaite faire.

Mais au-delà de ça, il y a une réalité réconfortante : seul toi peux écrire ce que tu as à écrire, si tu prends le temps de chercher au fond de toi ta vérité et ce que tu veux vraiment dire. Non, d’autres n’ont pas déjà raconté mieux que toi ton histoire. D’autres ont peut-être déjà traité ce thème, oui – c’est même plus que probable – mais ce que tu peux en faire, ce que tu peux raconter dessus, vient de ta personnalité, de ton vécu, de l’être que tu es, de ton regard sur les choses. Et tout cela est unique, au même titre que tu es une personne unique. Les thèmes sont immensément nombreux mais, à terme, ils représentent l’expérience humaine, le socle de ce que nous sommes, et tu es presque assurément condamné à retomber sur quelque chose de commun. Mais c’est normal. Ce que tu as à dire dessus, par contre, n’appartient qu’à toi. Il faut par contre prendre le temps de le chercher… Et savoir le rendre accessible, le faire partager. C’est là le parcours à apprendre.

En d’autres termes, si l’on s’était arrêté de parler d’amour parce qu’après Tristan et Yseult, tout avait été dit, Shakespeare n’aurait jamais écrit Romeo et Juliette. Toute création se construit sur les épaules des géants qui viennent avant nous. C’est le processus. Nous sommes des créateurs, mais aussi des continuateurs, des explorateurs à avancer en terrain nouveau, le nôte, en permanence.

Un des intérêts de l’imaginaire, c’est qu’on se trouve à défricher de nouveaux thèmes des décennies, voire des siècles, avant qu’ils ne fassent partie de l’expérience humaine. Mais c’est une autre histoire…

2014-08-05T15:18:28+02:00jeudi 7 mars 2013|Best Of, Technique d'écriture|12 Commentaires

Ce que le jeu de rôle enseigne à l’écriture

Alors que je retravaille Léviathan : Le Pouvoir en vue de sa publication prochaine, je réfléchissais encore aux différences de narration entre la littérature et le jeu de rôle, ce dont nous avions parlé aux dernières Utopiales en particulier avec Romaric Briand sur la table ronde dédiée. Il est dangereux de transposer les leçons ou pratiques d’une forme à l’autre, parce que la littérature est faite pour être vécue seule, alors que le jeu de rôle est par essence une expérience collective ; ce qui se joue ne fonctionne pas forcément de la même manière que ce qui se reçoit. Convertir un scénario de jeu (l’exploration d’un donjon en tête) en roman est un exercice fortement casse-gueule, du moins sans adaptation, et une scène d’action excitante en jeu s’avère souvent plate une fois narrée.

Mais au lieu de s’attarder sur les différences, il m’est venu un point commun potentiellement utile, que je pratique plus ou moins consciemment. Il s’agit, non pas de concevoir l’histoire comme un scénario de jeu de rôle, mais de penser à son approche pour les personnages. En effet, dans une saga où ceux-ci se multiplient, où chacun a un caractère, des allégeances, des talents particuliers, il peut être difficile de garder la trace de tout de manière ordonnée. C’est là que le jeu de rôle vient à la rescousse, car il propose une façon de « modéliser » un personnage selon ses aptitudes naturelles (caractéristiques), ses talents acquis (compétences) et ses traits particuliers (avantages / désavantages).

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Attention, il ne s’agit pas de passer trois heures à se demander si Bob a 17 ou 18 en Force ni de remplir chaque case méticuleusement – ni même de remplir une fiche réelle (sauf si c’est votre dada), car quel système adopter ? À partir du moment où l’on se contraint à des cases, à des formulaires, on court le risque d’handicaper la créativité, soit parce que l’esprit se trouve forcé à répondre à des questions sans importance pour le projet en question, soit parce que les réponses nécessaires pour lui donner vie se trouvent justement dans les marges.

Néanmoins, on a coutume de penser à l’histoire personnelle, aux alliés, ennemis, au caractère, à l’apparence d’un personnage lors de sa création, des éléments bien sûr indispensables, mais c’est avant tout ce qu’il sait faire, ce à quoi il est doué ou non, qui va déterminer son action dans l’histoire, et donc la faire avancer. Pour cette raison, c’est aussi important que son passé, si ce n’est davantage. Quantité de romans pulps ou même de séries policières modernes s’en tirent avec un passif pour les personnages qui tient sur une serviette en papier, mais ce sont les compétences extraordinaires de ceux-ci qui propulsent l’histoire – et motivent le lecteur.

Pour prendre un exemple très récent, le pilote d’Unforgettable nous sert une héroïne avec une histoire rebattue cent fois (sa soeur est morte assassinée, c’est ce qui l’a poussée à entrer dans la police puis à démissionner, ajoutez un ex un peu benêt resté flic avec qui on sent que tout n’est pas fini), mais le côté extraordinaire, et ce sur quoi repose le concept, est que cette femme se trouve incapable d’oublier quoi que ce soit, ce qui en fait un témoin de première qualité, et la rend capable de tirer des déductions uniques : voilà la motivation du récit. (Bon, à part ça, la série est pas terrible, hein.) Ayez le passif pour les personnages ET les compétences et vous tenez potentiellement les éléments d’un Game of Thrones. 

Introduire un soupçon de mécanistique dans la conception des personnages pose donc des questions intéressantes sur eux, mais permet également de mieux cerner ce dont ils sont capables, ce qui crédibilise leurs actions, leurs rapports et fonde leur cohérence. Si Jack crochette une serrure p. 24, il faut qu’il l’ait appris au cours de sa vie – et quel type de personnage apprend à crocheter les serrures ? Et, confronté à la même p. 154, il ne peut pas rester les bras ballants si sa vie en dépend. Pour parler de ce que je connais le mieux, dans Léviathan, l’ordre de puissance des mages est clair : par exemple, globalement, Masha est moins douée que Julius, qui est moins doué qu’Alukar. Cela ne signifie pas que les plus faibles ne pourraient l’emporter sur les plus forts, mais il leur faudra alors déployer une ingéniosité particulière ou disposer d’un avantage inattendu. Si quelqu’un bat Julius en duel, cela signifie quelque chose de fort concernant cet adversaire.

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Les choses deviennent très amusantes quand on doit décider si les personnages sont conscients – ou non – de ce rapport de force ; s’ils le savent, mais se laissent aller à l’agressivité et tentent le tout pour le tout ; bref, il y a toutes les variations humaines et surprenantes induites par les circonstances d’un moment unique, celui de la scène que l’on écrit. Et les personnages ont bien sûr différentes façons de se positionner l’un par rapport à l’autre : qui ne peut l’emporter sur le terrain des armes manoeuvrerera peut-être sur celui de la politique. Julius est meilleur duelliste que Masha, mais elle parvient à le manipuler car elle connaît ses faiblesses et joue sur ses secrets – un levier qu’ici, d’ailleurs, une fiche de personnage représentera mal.

Je crois ne pas m’avancer en affirmant qu’il y a parmi les auteurs d’imaginaire, expérimentés ou non, une convenable proportion de geeks ; et si vous cherchez à faire vos premières armes, sortir vos livres de jeu de rôle, réfléchir à la façon dont ceux-ci s’efforcent de représenter la richesse de l’expérience humaine, vous permettra peut-être de trouver de nouveaux leviers scénaristiques différents de vos réflexes et qui vous surprendront vous-même. N’hésitez pas aussi à jeter un oeil aux adaptations de l’un vers l’autre : les évaluer, juger si vous êtes d’accord, stimulera vos réflexions et vous aidera à cerner ce dont vous, vous avez vraiment envie – ce qui est le fondement de toute création.

À toi, ô auguste lectorat : as-tu déjà réfléchi à cette approche ? Comment la considères-tu ? Des recommandations à faire, des lectures à conseiller ?

2015-06-29T16:51:54+02:00vendredi 11 janvier 2013|Best Of, Technique d'écriture|32 Commentaires

Quelques idées en vrac sur les diplômes d’écriture

lolcat-relevantL’école supérieure d’art et design du Havre a lancé, à la rentrée dernière, un master de création littéraire. Je n’en ai pas parlé parce que, d’une part, j’ai eu l’info un peu tard, d’autre part, je n’avais pas forcément grand-chose à en dire. Sauf que, la semaine dernière, sur un réseau privé, une discussion s’est lancée sur le sujet en mode outré de la part de certains intervenants : keuwâh, on pourrait apprendre à écrire ? Et on donne des diplômes pour ça ? Scandale au formatage, à la mainmise de l’université sur la pensée, à l’illusion qu’on puisse prendre un léger raccourci.

Personnellement, je n’ai pas fait le master, hein, donc je m’abstiens de le critiquer. Mais puisque le débat était assez profond et bien fourni en arguments, je recopie ici mes messages, car cela déborde du cas de ce master pour aborder la notion plus globale de travail Vs. inspiration, d’artisanat Vs. art, d’apprentissage Vs. découverte, et touche finalement aussi à un de mes domaines d’intérêt : parler de technique littéraire.

My two fucking cents :

Les apprentis écrivains ne connaissent souvent pas les codes, les attentes des lecteurs, les questions d’artisanat inhérentes à tout art (car dans tout art, il y a l’inspiration, mais aussi la technique – Picasso, avant de fonder le cubisme, était un roxxor de la perspective, du fusain et de l’anatomie). Ils veulent direct casser la maison, mais sans même savoir quelle maison ils cassent, et ça donne souvent des choses bancales, ou étrangement conventionnelles.

Alors, si un Master enseigne les codes, c’est une excellente chose. Avant de s’en affranchir, avant de réinventer les règles du jeu, il faut savoir à quel jeu on joue, et c’est pour ça que les livres sur l’écriture, les formations, les blogs comme le mien et – ô surprise – le travail existent : pour *comprendre*.

Les formations en art, c’est toujours pareil. On se les approprie et on en fait quelque chose. Si on reste dans la parole imposée et la mécanique, on n’est pas un vrai créateur, on est un abruti.

Mais si cette formation propose un raccourci pour enseigner déjà les briques de base, c’est une excellent chose. Devenir un bon musicien, c’est vachement plus facile en faisant des gammes et du solfège. Devenir un bon dessinateur, c’est vachement plus facile en étudiant les principes de la composition. L’écriture, c’est la même chose. C’est seulement quand on a ingurgité assez de technique qu’elle s’efface et qu’on a la boîte à outils assez fournie pour faire quasiment tout ce qu’on veut. Et c’est le but de la manoeuvre.

Il m’a été répondu que je faisais passer l’attente du lecteur avant la liberté de l’écrivain. Sauf que :

Minute.
Si l’on écrit, avec volonté d’être lu, alors on parle à quelqu’un. Quelqu’un qu’on ne connaît pas forcément, quelqu’un dont on espère peut-être qu’il nous ressemble. Mais quelqu’un quand même. Sinon, on écrit pour son tiroir, donc sans volonté d’être lu ni compris. OK, ça existe, pas de souci. Mais si l’on veut être lu, il faut prendre en compte qu’à un moment, il y aura quelqu’un en face, et si l’on veut que l’histoire soit appréciée, il faut AUSSI lui faire plaisir. Il y a donc communication. Et s’il y a communication, il y a nécessité / volonté / devoir d’intelligibilité.

C’est à mon sens la plus grande leçon qu’enseigne la technique (ou sa pratique). Suivre son envie, sa volonté, tout en sachant la rendre intelligible aux autres. Les deux ne sont pas antinomiques, mais les concilier demande de l’apprentissage. Savoir se faire plaisir, tout le monde y arrive plus ou moins. Savoir faire plaisir au lecteur tout en se faisant plaisir à soi, c’est, je crois, ce qui fait d’un écrivain un professionnel.

Cette dernière phrase a été interprétée comme la différence entre art et artisanat. Sauf que, again :

Désolé, mais il n’y a pas d’artiste sans artisanat. L’artisanat implique la réalisation et les moyens pour y parvenir. En caricaturant à mort, je peux me déclarer peintre, mais si je n’ai pas de bras et pas de bouche pour tenir le pinceau, je ne peindrai jamais rien.

Attention, l’artisanat ne fait pas la valeur d’une oeuvre, on est d’accord : elle n’est que pratique sans âme.
Mais l’âme, sans la pratique pour lui donner forme et impact, restera mal dégrossie et donc ne prendra pas pleinement son envol et toute la force qu’elle peut véhiculer. Je ne parle même pas des aspects commerciaux ; je parle de faire les choses *bien*.

Si je n’ai pas de muscles dans les doigts et un minimum de pratique, je ne jouerai jamais Beethoven. Les avoir n’assurera pas que je le jouerai bien, mais au moins, il n’y a rien qui me retiendra.

« Sans pratique, le talent n’est qu’une sale manie. » – Brassens.

C’est tout de même amusant cette résistance à la technique, alors qu’elle est parfaitement admise dans la musique, le dessin, même la danse ou le deltaplane ; mais tout le monde est forcément écrivain. Probablement parce que bosser, c’est tout de suite plus chiant que de s’imaginer génial de base, alors on a tendance à considérer que c’est superflu… (Et c’est ainsi que des centaines d’auto-proclamés écrivains en herbe ne grattent pas plus de dix pages dans leur vie.) Le truc, c’est que même Mozart a dû un jour apprendre à lire une partoche. Faut bosser. Personne ne sait si vous êtes génial, et surtout pas vous : la seule chose que vous maîtrisiez, c’est le travail. Alors autant régler ce qu’on maîtrise. Et puis même, les récompenses, la richesse, la maîtrise, les enseignements qui viennent avec le travail sont souvent bien plus délectables que la facilité immédiate. Et voilà que je sonne comme un jésuite, merde.

2014-08-05T15:18:29+02:00lundi 7 janvier 2013|Best Of, Technique d'écriture|29 Commentaires

Il faut cesser d’amalgamer droit d’auteur et copyright

Tandis que les anciens modèles économiques de distribution et de production de la culture se fissurent avec la dématérialisation et le téléchargement, un certain nombre de nouvelles théories émergent, des réflexions se forment, sur l’évolution de l’art et la rémunération de ses acteurs, du créateur au distributeur.

Parmi ces discussions, et puisque la plupart des initiatives viennent des États-Unis, on voit régulièrement la traduction, maladroite et erronée, de « copyright » par « droit d’auteur » en français.

Cet article vise à démontrer, de façon claire et définitive, pourquoi cet amalgame, en plus d’être une ânerie, représente un danger pour la création, et pourquoi, au lieu de considérer la question comme accessoire, les tenant du libre devraient au contraire s’en soucier au plus haut point.

Par ailleurs, cet article a été relu et validé par un spécialiste du droit d’auteur, qui étudie sur le plan juridique son application et les différences de régime entre US et France. Caveat : merci de ne pas venir protester en commentaires pour dire que les choses ne fonctionnent pas comme ça : mon métier me fait pratiquer cela au quotidien, ces questions font la profession de mon relecteur, ce qui, pardonnez-moi d’être abrupt, ne fait pas le poids face aux oui-dire, aux rumeurs et aux conceptions erronées.

Maintenant, avanti.

Quels sont les droits sur une oeuvre de l’esprit ?

Les droits relatifs à une oeuvre de l’esprit s’articulent selon deux axes.

Le respect de l’oeuvre : le droit moral

Le droit moral concerne la reconnaissance de la souveraineté du créateur sur sa création. Puisqu’il en est le créateur, sans qui rien n’existerait, il a tout pouvoir sur son oeuvre. Il peut notamment exiger que soit respectée l’intégrité de son oeuvre, et qu’elle ne soit pas exploitée d’une façon qui lui déplaise. Par exemple, le droit moral signifie, mais ne se limite pas aux points suivants :

  • L’oeuvre ne doit pas être altérée. (Le galleriste ne peut pas rajouter un Mickey sur mon tableau ; l’éditeur ne peut pas me sucrer un chapitre sans mon consentement.)
  • Elle doit être exploitée conformément à mes voeux. (Je peux refuser que Marine Le Pen utilise ma chanson pour introduire un de ses meetings si je déteste ses idées ; si un éditeur charcute une de mes traductions, je peux refuser que mon nom apparaisse pour ne pas être associé à ça.)
  • J’en suis le créateur et c’est inaliénable1. C’est le droit de paternité.

L’exploitation de l’oeuvre : les droits patrimoniaux

Avec les droits patrimoniaux, nous quittons le monde pur de l’idée. Quand une création est disséminée, elle est exploitée, et cela relève classiquement de la logique économique : le public va jouir de l’oeuvre, en retirer un plaisir (ou un avantage, si, par exemple, une entreprise veut illustrer sa publicité avec ma chanson), et va donner de l’argent en échange de ce travail. Sachant que dans la logique de marché2, la jouissance d’un produit se rapporte à l’achat de celui-ci, l’exploitation de la création se fonde, en première approche, sur la production d’exemplaires et leur commercialisation.

C’est ce que recouvrent les droits patrimoniaux : une oeuvre fait partie du patrimoine d’un créateur, droits qui sont exploités contre, espérons-le, rémunération. Notons que ces droits appartiennent à la base, eux aussi, au créateur ; mais que, la plupart du temps, il n’est pas armé pour les exploiter (on est rarement auteur, éditeur, distributeur et libraire à la fois), aussi va-t-il les céder, contre rémunération, à un acteur qui va, lui, les exploiter, et dont c’est le métier.

C’est pourquoi les contrats d’édition etc. s’appellent techniquement des « contrats de cession de droits d’exploitation ».

Maintenant, abordons les particularités des deux régimes : copyright et droit d’auteur.

Copyright Vs. Droit d’auteur

Même Wikipédia, en préambule de la page copyright, fait un distinguo clair :

Le copyright relève plus d’une logique économique et accorde un droit moral restreint, là où le droit d’auteur assure un droit moral fort en s’appuyant sur le lien entre l’auteur et son œuvre.

Entrons dans les détails.

Qu’est-ce que le copyright ?

Le copyright est une marchandise.

Le copyright, étymologiquement, concerne the right of the copy, ce qui n’est pas, contrairement à ce qu’on lit partout (autre ânerie), le droit de copie, mais le droit relatif à l’exemplaire, soit, en réalité, avant toute chose, le droit relatif à l’exploitation des oeuvres, soit les droits patrimoniaux. Le copyright, reconnu à l’échelle mondiale, mentionne un droit moral, mais celui-ci – et c’est toute l’importance du distinguo – est secondaire aux droits patrimoniaux. En d’autres termes, pour simplifier, pour qu’il existe une exploitation d’une oeuvre, il faut quelqu’un à qui l’attribuer, donc cela implique la nécessité d’un droit moral, mais celui-ci est réduit. Le droit moral, dans ce régime, peut être cédé de manière irréversible. Dans le régime du copyright, tout droit est achetable, et son acquéreur en fait ce qu’il veut. Je n’aime pas l’expression, mais le copyright est, pour simplifier, la loi de l’argent.

Par extension, le copyright peut s’appliquer à toute oeuvre de l’esprit originale – un logo, comme celui des Jeux Olympiques – et peut être déposé par un producteur, un éditeur, une entreprise, sur une oeuvre, collective ou non. C’est une première évidence qui fait de la traduction de « copyright » par « droit d’auteur » une absurdité : comment peut-il y avoir un droit d’auteur quand on a affaire à la création d’une entreprise américaine qui a acheté le droit de paternité d’une oeuvre, au point qu’il n’y a donc plus d’auteur ?

Pour résumer : Copyright = Droits patrimoniaux > Droit moral

Qu’est-ce que le droit d’auteur ?

Le droit d’auteur protège l’Homme.

Il protège avant toute chose, non pas l’oeuvre, mais les droits du créateur sur sa création. Ils sont inaliénables, et seuls les droits patrimoniaux sont cessibles.

Hérité du droit romain et repris en 1789 avec la Révolution, le droit d’auteur, en vigueur en France et dans certains pays européens, emploie la logique inverse du copyright. Il place le droit moral – donc le créateur, souverain sur son oeuvre, celui sans qui, rappelons-le, rien n’existerait – au centre du dispositif, et les droits patrimoniaux découlent de son désir d’exploitation. Seul un créateur dispose de droits d’auteur. Pas une compagnie, une entreprise, un acteur économique3, seulement un créateur (ou un groupe de créateurs), ce qui place l’art au centre du dispositif économique, et subordonne, autant qu’il est possible et contrairement au copyright, l’importance de la création aux impératifs de marché, et non l’inverse.

Selon le droit d’auteur, le droit moral est souverain, non pécuniaire, incessible et inaliénable.

Pour résumer : Droit d’auteur = Droit moral > Droits patrimoniaux

Pourquoi il faut faire la différence

Même si les deux régimes s’efforcent de répondre aux mêmes impératifs, ils le font de manière opposée, répondant à deux conceptions différentes de l’économie, l’une anglo-américaine et libérale, l’autre européenne et d’ascendance romaine. Dans le droit d’auteur, le droit moral prime, ce qui place la création avant la logique économique, alors que dans le copyright, les droits patrimoniaux priment, ce qui place l’économie avant la création.

Répétons-le :

Le copyright est une marchandise.

Le droit d’auteur protège le créateur.

Or, droit moral, par exemple, il ne pourrait exister les licences Creative Commons chères aux libristes. En effet, dans une licence CC-By, par exemple, un artiste abandonne ses droits patrimoniaux, MAIS – et c’est le pilier de la licence, une des façons par lesquelles bien des créateurs se sont faits connaître, comme Cory Doctorow – il exige que l’oeuvre lui soit attribuée. C’est encore plus prégnant dans le cas de la licence CC-By-SA, où l’auteur autorise à ce que son travail soit « remixé », adapté, édité, MAIS uniquement si la nouvelle oeuvre résultante est distribuée selon le même mode libre. C’est une expression très forte du droit moral.

Quelle équivalence ?

Il n’y en a pas, même si une certaine partie des régimes se calquent l’un sur l’autre. Mais, en défintive, c’est très simple.

Le « copyright » en anglais, c’est le « copyright » aussi en français, car, on l’a vu, cela fait appel à une conception et un régime anglo-américains des choses.

Le « droit d’auteur », c’est « author’s rights » en anglais. Car cela fait appel à quelque chose de différent de leur conception des choses.

Il est capital de faire la distinction car, quand nombre d’activistes veulent torpiller le copyright et qu’ils traduisent par droit d’auteur, ils s’attaquent justement au pilier qu’ils souhaitent valoriser et défendre le plus souvent : le droit moral. La loi est un domaine rigoureux, où le vocabulaire a un poids, un sens précis, et qui ne tolère par l’à-peu-près.

Si l’on veut parler de ces sujets, il convient de savoir exactement de quoi l’on parle et d’employer les mots justes, en sachant ce qui se place derrière, si l’on veut commencer à être écouté.

EDIT : Franck Macrez, juriste et spécialiste du droit d’auteur, apporte ces précisions à l’article : 

Dans le droit moral, il n’y a pas que le droit au respect, dommage de le réduire à cela (le droit de divulgation c’est fondamental). Dans les droits patrimoniaux, il y a reproduction et représentation (important car le copyright ne connaît que la copie, d’où les textes absurdes qui nous viennent de Bruxelles, p. ex. sur les copies provisoires).

  1. Pas aux USA – ou le droit de paternité est cessible.
  2. On peut vouloir changer de logique. On conviendra qu’avant de réformer le copyright, il va d’abord falloir une révolution bolchevique pour changer la société, et ce n’est pas le thème de cet article.
  3. Hormis dans le cas d’ayant-droits après décès du créateur, mais il s’agit d’un transfert de droits.
2014-08-30T18:32:02+02:00vendredi 19 octobre 2012|Best Of, Le monde du livre|27 Commentaires

La boîte à outils de la fiction : le McGuffin

« Excusez-moi, monsieur, mais qu’est-ce que ce paquet à l’aspect bizarre que vous avez placé dans le filet au-dessus de votre tête ?

— Ah ça, c’est un MacGuffin.

— Qu’est-ce que c’est un MacGuffin ?

— Eh bien c’est un appareil pour attraper les lions dans les montagnes d’Écosse.

— Mais il n’y a pas de lions dans les montagnes d’Écosse.

— Dans ce cas, ce n’est pas un MacGuffin. »

Alfred Hitchcock à François Truffaut.

Première entrée d’une boîte à outils de la fiction, peut-être la dernière, on verra, mais cela faisait longtemps que j’avais envie de faire de petites fiches sur certaines techniques identifiées de la narration. (Cette série a d’ailleurs failli s’appeler « petit lexique narratalogique », ce qui m’aurait donné un maximum de street cred, mais je n’étais pas sûr que cela colle vraiment à la réalité des choses : il s’agit ici de procédés narratifs, d’éléments de culture à adapter et utiliser davantage comme un tournevis et un marteau au moment où on plonge les mains dans le cambouis de son histoire, que comme des concepts très éthérés existant dans le seul Monde des Idées, copyright Platon.)

Qu’est-ce qu’un McGuffin, donc ? Comme le dit la blague, si on peut le définir, ce n’est plus un McGuffin. Expression introduite par Hitchcock, le McGuffin est un élément de scénario primordial en tant que moteur de l’histoire, mais dont on se contrefiche de la vraie nature. On doit juste savoir que c’est important, que tout le monde le veut, que ce soit vaguement plausible, et en voiture Simone. Ce dont il s’agit réellement n’a aucune importance et l’histoire fonctionne sans (si, si) ; l’attention du spectateur est concentrée ailleurs. Tellement que la présence du McGuffin passe comme une évidence vite évacuée. On s’entretue pour, on cavale après, les alliances se nouent, les romances se forment, et le McGuffin court toujours, jusqu’à la fin de l’histoire, si étourdissante qu’on oublie presque l’existence de ce qui la motive à la base.

Vous ne me croyez pas ? Quelques exemples..

Dans Pulp Fiction, un attaché-case, que Marsellus Wallace veut à tout prix récupérer, passe de main en main. On n’y voit qu’un reflet doré, au point qu’il a été théorisé que la mallette contiendrait l’âme de Wallace, et cela expliquerait pourquoi il tient tant. La vérité est toute autre : la mallette contient un McGuffin, point barre (presque parfait, d’ailleurs, puisqu’on ne le voit pas, seulement son reflet).

Dans Highlander, le Prix qui est censé récompenser le dernier immortel en vie est un McGuffin – si l’on exclut la fin un peu fumeuse du premier film. La preuve, malgré cette fin, la série télévisée avec Adrian Paul (Duncan) fonctionne parfaitement (et a connu un énorme succès) parce que « Il ne peut en rester qu’un » sonne assez badass pour justifier qu’on se décapite à qui mieux-mieux ; peu importe pourquoi.

Dans Battlestar Galactica, le fameux « Plan » des Cylons dont on nous rebat les oreilles pendant deux saisons flaire sérieusement le McGuffin, parce que, personnellement, je n’ai jamais pleinement compris ce dont il s’agissait (mais il me reste à voir The Plan, et j’ai peut-être aussi raté un truc). Il est probable qu’il s’agisse d’un McGuffin involontaire, vu que la série a été plus ou moins écrite au fil de la réalisation, sans plan d’ensemble, et que les auteurs ont un peu raccroché les wagons au fur et à mesure.

Attention, le bon McGuffin n’est pas un mystère qui se trouve révélé à la fin. Dans Space Battleship, dont on parlait la semaine dernière, j’ai cru au début que le message des extraterrestres invitant les Terriens à se rendre sur Iskandar serait un McGuffin, mais les énigmes entourant la capsule connaissent bien une explication à terme. Le bon McGuffin n’est surtout pas un cache-misère, sinon il devient une promesse narrative non remplie, le deuxième péché capital de l’écrivain après la rupture de cohérence ; sa nature est rapidement écartée, elle s’inscrit dans l’histoire et sa fonction est transparente. Des espions courent après des documents ultra-secrets. Des gangsters cavalent après une cargaison de drogue. Cela sert de support à une intrigue haute en couleurs et en personnages, qui forme la vraie chair de l’histoire.

À titre personnel, je n’aime pas tellement faire usage du McGuffin ; je préfère que les éléments s’expliquent et soient tous constitutifs d’une histoire. D’ailleurs, la série Léviathan est née, certes d’une foultitude de choses, mais en partie aussi de la constation que, dans le thriller dit « ésotérique », c’est-à-dire où l’on parle d’initiation, d’occultisme, ces concepts pourtant centraux à la métaphysique et la philosophie sont constamment relégués au stade de McGuffin – j’ai le plus grand respect pour la science du suspense d’un auteur comme Dan Brown, mais l’ésotérisme dont il parle pourrait être les plans d’une arme nucléaire, l’histoire n’en souffrirait quasiment pas.

C’est aussi ce qui fait, ou non, une vraie histoire d’imaginaire. L’argument SF et/ou fantasy fait-il partie intégrante du récit ? Se casse-t-il la figure si on le retire, ou bien peut-il parfaitement fonctionner entre d’autres temps, d’autres lieux, d’autres constantes gravitationnelles ? S’il est transposable, alors l’élément d’imaginaire appartient au décor, ou c’est un McGuffin. Sinon, on a effectivement affaire à une histoire de genre. Notez bien que cela n’a rien à voir avec la qualité de la narration. Il s’agit juste de décortiquer les mécaniques des histoires, comprendre comment elles sont faites, savoir ce que l’on fait et mesurer les attentes des lecteurs, pour enrichir sa propre boîte à outils de la fiction.

2014-08-05T15:18:29+02:00mardi 18 septembre 2012|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

Écrire des distances réalistes

La corvette légère Blagazurienne mesurait quatorze kilomètres…

L’archiduc Fanfrenouille aimait les grands espaces ; sa salle de bal couvrait bien quinze mille mètres carrés…

Dans un sprint désespéré, Dick Ultimate couvrit les huit cent mètres qui le séparaient de Ranjo Terrorist…

Y a un truc qui coince. (Et si vous pensez que tout va bien dans les phrases précédentes, vous avez d’autant plus besoin de lire cet article !)

La description moderne en narration s’efforce de se passer autant que possible de l’inventaire des distances, parce que cela devient vite fastidieux (« L’artefact Très Ancien et Très Dangereux avait la forme d’un parallélépipède de dix centimètres par trois sur deux de hauteur ; il se trouvait dans une salle de trois mètres de côté, dont la hauteur sous plafond loi Carrez était égale à deux mètres cinquante-deux »), mais il subsiste nombre de situations où un chiffre brut seul parle davantage que toutes les métaphores du monde, qu’il s’agisse de parler de gigantisme d’une machine, d’un champ de bataille, ou du microcosme.

Le problème – et on le voit fréquemment en mer avec les observateurs inexpérimentés, quand il s’agit de juger l’écart entre le navire et le dauphin que l’on vient d’apercevoir -, c’est que l’oeil est un mauvais estimateur, et que notre idée des distances est extrêmement subjective, variable d’une personne à l’autre. Et, même sans tomber dans l’absurdité des exemples précédents, un chiffre légèrement invraisemblable peut ruiner une description. Prudence, donc, en la matière.

Heureusement, il existe un outil tout simple qui permet de se rendre compte de la crédibilité d’un chiffre, et cela sans sortir de chez soi – car il n’est pas question de se confronter à la réalité, hein ? On écrit, on n’est pas là pour sortir. Il s’agit d’un gadget d’une immense utilité pour l’écrivain, qui se cache dans les fonctions « labs » de Google Maps.

J’ai nommé : l’outil de mesure des distances. Activez-le.

Ce petit gadget ajoute une règle près de l’échelle de la carte sous Google Maps. Pour l’utiliser, cliquez gauche sur un point de la carte, puis sur un autre : Google Maps vous donne obligeamment la distance séparant les deux points.

À quoi ça sert dans notre contexte ? Eh bien, au-delà de l’intérêt de pouvoir juger des distances réelles si votre récit se déroule dans un contexte contemporain, cela offre un point de comparaison évident entre l’imagination de l’auteur et des points de repères immédiatement accessibles. Hum, quatorze kilomètres pour une corvette blagazurienne ? Mais la rue qui passe en bas de chez moi, qui me semble interminable au moment de rapporter le pain, mesure seulement trois cents mètres. Cela ne représenterait-il pas une meilleure, et surtout, plus vraisemblable envergure ?

Un petit détail amusant à signaler, qui apparaît quand on demande à Google de mesurer de très longues distances :

Non, la courbure de la ligne « droite » n’est pas un bug. C’est un effet de la rotondité de la Terre, et une conséquence du fait qu’une carte est projetée sur un plan. Le trajet le plus court épouse la sphère terrestre, ce qui se traduit par une courbe sur la carte. (Pour ceux qui voudraient s’intéresser au phénomène, il s’agit de la trajectoire orthodromique, bien connue en navigation. Caveat, faut aimer la trigonométrie.)

Et voilà, vous êtes armés pour peupler convenablement la géographie de vos mondes imaginaires et de vos engins de destruction massifs. N’hésitez pas à partager vos anecdotes en commentaires.

2018-07-17T16:57:22+02:00mercredi 29 août 2012|Best Of, Technique d'écriture|12 Commentaires

Question : Pourquoi n’es-tu pas traduit en anglais ?

Comme promis, je me relance à écrire davantage sur l’écriture (j’aime ces tautologies), mais aussi l’édition au sens large et le monde du livre. « No fish is an island », dit-on en écologie marine, et le métier d’écrivain ne se conçoit pas sans son écosystème. Au-delà des aspects purement créatifs, je vais donc m’efforcer de parler aussi de ce qui va autour : soit la facette « métier » de l’expression, très mal connue en général. Et puisque j’ai une brouette de questions auxquelles j’ai promis de répondre, je vais commencer par celle qui revient le plus souvent…

Pourquoi n’es-tu pas traduit en anglais ?

C’est pour quand la traduction ?

Tu peux t’en charger toi-même, non ?

Aaaah, la traduction en langue anglaise. Le Graal de tout auteur étranger, les portes perlées du Paradis et de la reconnaissance internationale, celles qui ouvrent les deals à 25 millions de dollars avec Pixar, les adaptations à Bollywood avec Ashwarya Rai, en théâtre Nô à Tokyo et en comédie musicale muette pour les bénédictins ayant fait voeu de silence. Être traduit en anglais, c’est franchir le seuil de la lingua franca, c’est l’assurance statistiques d’être lu, et donc repéré, par un public bien plus vaste, parce que tout le monde parle anglais, et pas le français. Alors, il faut se faire traduire, hein ? Et tu l’es ?

Non ?

(À ce stade de la discussion, en général, l’interlocuteur adopte une moue dubitative. La traduction décuple le lectorat ; c’est tellement évident que, si tu n’en as pas, quelque chose cloche forcément chez toi. Genre tu souffres d’odeurs corporelles chroniques qui empêchent ton éditeur de rester suffisamment longtemps dans la même pièce pour te faire signer le contrat, ou alors tu es secrètement insupportable – comme tous les créateurs, on le sait bien – je le savais ! je le savais ! -, ou alors tu es chroniquement malchanceux et c’est contagieux alors reste loin de moi je te prie, ou pire. Tes livres. Sont. Mauvais. Et tu vas vouloir me les vendre. Mon dieu, comment me tirer de ce mauvais pas ? Vite, parlons-lui de mes enfants.)

Non, parce que ce n’est pas si simple.

J’ai trois nouvelles traduites, « Devant » et « L’Île close » en anglais, dont seule la deuxième a donné lieu à une véritable diffusion aux États-Unis, ainsi que « Bataille pour un souvenir » en Pologne. Et cette chance est déjà extrêmement rare pour un auteur français.

Les obstacles

Alors, pourquoi cela n’arrive-t-il pas souvent ?

  • La difficulté de lire la langue. Comme dit plus haut, presque tout le monde parle anglais, et beaucoup d’acteurs de l’édition le lisent. Une langue plus exotique, comme le français ou le moldovalaque, est bien plus rare. Il y a bien entendu des exceptions, mais on ne peut compter dessus. Pour se faire repérer ou publier, il faut envoyer un texte dans un idiome intelligible. En-dehors de la France, celui-ci est la plupart du temps l’anglais. Donc il faut être traduit d’abord. Ce qui résoud un peu la question, hein.
  • Le prix d’une traduction. Une traduction de qualité, ça se paie. Tout le monde ne peut pas s’improviser traducteur littéraire, c’est un métier, et un professionnel a un coût. Ce coût est souvent supérieur à l’à-valoir de l’auteur. Et c’est à l’éditeur importateur de payer ce chantier (en principe). Ce qui augmente drastiquement le risque financier, et donc, la prudence est de mise ; on tentera plus facilement de publier un auteur obscur dans sa propre langue, bien sûr.
  • L’envergure de l’offre anglaise. On raconte qu’autrefois, quand on demandait aux éditeurs américains pourquoi ils n’importaient pas davantage d’étrangers, ils répondaient : « Pourquoi traduire ce que nous avons déjà ? » En 2004, sur le sol américain, on estime que sur 185 000 titres de littérature adulte publiés, seuls… 874 étaient des traductions, soit 0,005% (hou yeah). C’est un effet mécanique : tout le monde parle anglais ; beaucoup le lisent ; la taille du marché rend viable des niches économiques restreintes partout ailleurs. Donc, pensent les Américains, il n’y a pas d’intérêt à payer davantage pour ce qu’ils croient avoir déjà. (Même si l’idée est fausse, sinon ils ne traduiraient rien, et ils le savent.)

Ce n’est évidemment pas pour prétendre que c’est infaisable, loin de là : plusieurs auteurs français, David Khara, Pierre Pevel, Jean-Claude Dunyach, Mélanie Fazi, Jess Kaan, Léa Silhol, votre serviteur et encore d’autres ont déjà franchi le seuil, une diffusion plus ou moins vaste. Les lamentations qu’on entend parfois sur la prétendue impossibilité de la chose sont fausses. OK, c’est dur, mais pas infaisable.

Pour que cela se produise, autant que j’en sache, il convient de résoudre les problèmes principaux exposés ci-dessus.

  • Trouver quelqu’un qui lise et apprécie le français (c’est surtout ce qui m’est arrivé). C’est aussi le rôle du département droits étrangers d’un éditeur : cela réclame de connaître les bonnes personnes, et beaucoup de patience…
  • Faire le pari de payer la traduction soi-même en espérant se rembourser sur la vente à l’étranger. Ça marche assez bien, mais ça risque de donner de mauvaises habitudes aux angolphones qui risquent d’oublier, à la longue, que la traduction est à la charge de l’importateur.
  • Connaître une notoriété suffisante pour être repéré par les éditeurs (devenir un best-seller, quoi).
  • Mettre en valeur la littérature étrangère auprès des pays anglophones. Impossible de ne pas mentionner le travail de fourmi et constant réalisé par la critique et éditrice Cheryl Morgan, qui siège au jury des SF&F Translation Awards, chargés de récompenser la qualité de traductions étrangères en imaginaire.
  • Se traduire soi-même.

Se traduire soi-même ?

Ce dernier point mérite un peu de développement, car c’est souvent ce qui ressort quand je discute de la chose. Si l’on sait traduire vers le français, pourquoi ne pas se traduire soi-même dans l’autre sens ? (La même moue dubitative que précédemment accompagne généralement cette question : si ce n’est pas fait, c’est qu’il y a forcément quelque chose qui cloche.)

Eh bien, ça non plus, ce n’est pas aussi simple.

  • On ne connaît aucune langue aussi bien que sa langue maternelle. Même un bilingue a plus d’assurance dans l’une ou l’autre. il y a une pratique, un bain culturel, dont il est quasiment impossible de bénéficier dans plus d’une langue. Même si l’on connaît extrêmement bien une culture étrangère, créer dans celle-ci nécessite une intimité avec le langage bien supérieure à la compréhension profonde. Traduire vers une autre langue que la sienne est un défi extrêmement périlleux que les traducteurs refusent très généralement.
  • Mais c’est possible quand même. On peut avoir un niveau de maîtrise qui permet l’exercice, cela arrive, et, de toute façon, l’auteur ne viendra pas râler s’il se trahit tout seul. Certains créent aussi directement en anglais : Aliette de Bodard par exemple. Pour ma part, je me suis chargé de traduire « Devant » tout seul, et j’ai terminé avec une mention honorable à l’Eurocon 2009 : je n’ai donc probablement pas trop raté mon coup. Hélas, pour la plupart des auteurs, ce n’est pas envisageable. Mais j’aimerais retenter l’expérience, sauf que…
  • … Traduire prend du temps et de l’argent. Je ne peux parler que de mon cas, car c’est ce que je connais le mieux, et ce point constitue mon principal obstacle. Une traduction d’un solide pavé, de l’anglais vers le français, me prend environ six mois. Six mois pendant lesquels on me paie… Si je devais traduire un Léviathan, par exemple, il faudrait que je bloque six mois, six mois pendant lesquels je n’écrirais rien de nouveau – ce qui est un peu déprimant – et pour travailler sans certitude de publication ni rémunération. J’ai plus urgent et plus sûr à faire, tout simplement.

En conclusion

Voilà pourquoi ce n’est pas évident : cela n’a rien à voir avec une maladie honteuse ou un trait de caractère fondamentalement tordu. Cependant, les réussites sont présentes, existent, et montrent que la barrière n’est pas infranchissable. Mais elle existe quand même ; avec des journées de 72h, ce serait déjà réglé.

C’est peut-être ça, la maladie honteuse : ne pas avoir de journées de 72h.

Auguste lectorat, amis de l’édition, n’hésitez pas à partager votre expérience en commentaires, vos idées, vos remarques.

2014-08-30T18:32:11+02:00jeudi 23 août 2012|Best Of, Le monde du livre|41 Commentaires

5 règles pour (ne pas) démarcher quelqu’un

« Les temps comme les oeufs sont durs », professait ce philosophe de l’exrême qu’est Ken le Survivant (dans son immortelle version française). Cependant, pour faire ses premières armes dans le domaine de la création, il est de plus en plus courant de prendre contact avec d’éventuels professionels via Internet et les blogs.

Je suis honoré et surpris de recevoir de plus en plus de démarches en ce sens, mais j’en reçois aussi un nombre certain qui sont tournées n’importe comment.

Or, les gens publiés sont méchants, c’est connu, ils font partie d’un complot visant à étouffer la véritable création indépendante, puisqu’ils n’aident personne.

Sauf que.

Si je peux aider quelqu’un, je suis ravi de le faire, car « you can never pay back, only pay forward » dans ce métier. Mais faut quand même y mettre un minimum d’efforts. Cela ne vaut pas que pour moi – je suis plutôt cool, en fait, à part mes 10 ans de retard sur mon mail, ce qui constitue une raison parfaitement suffisante pour me vouer à une éternité en enfer -, mais pour toute démarche visant à demander un truc à un type. Et comme le bon sens n’est pas – contrairement à ce qu’affirme ce gros prétentieux de Descartes – la chose la mieux partagée au monde, enfonçons les points sur les i avec des portes ouvertes.

1. Renseignez-vous sur la personne à qui vous parlez

Je suis toujours interloqué quand je reçois des mails m’assurant d’un profond désir de travailler avec ma maison d’édition et, si je ne suis pas la bonne personne, pourrait-on parler au responsable marketing s’il vous plaît ?

Allô ?

J’ai vraiment l’air d’une multinationale ? Est-ce que j’ai seulement l’air de bosser à deux ? Il m’arrive d’avoir des stagiaires une fois par syzygie, certes, mais je n’ai guère les moyens que de les payer en nature, telle est la dure loi du monde de la création. (Je parle de livres, allons. Qu’est-ce que vous imaginez ?)

La moindre des politesses consiste à savoir à qui l’on parle. Solliciter un écrivain pour travailler pour son département artistique est un moyen assez sûr de passer pour un abruti. Pour qu’on vous réponde, assurez-vous de ne pas donner l’impression d’avoir fait un faux numéro.

2. Si vous n’êtes pas personnel, faites au moins correctement semblant

Les temps comme les oeufs sont durs, oui, alors envoyer une brouette de mails tous azimuts permet d’augmenter ses chances, non ?

Ben non. Enfin, pas forcément.

Le milieu de la création est grandement fondé sur des relations de personne à personne, non pas parce qu’on se paie en nature (quoi que fantasment les étudiants en lettres) (c’est pendant les études en lettres qu’il faut en profiter les gens, pas après) (enfin, c’est ce que j’ai entendu dire, j’ai pas fait lettres) (hein) mais parce qu’il s’agit constamment de rencontres d’univers personnels : créateurs, éditeurs avec un discours et une vision, distributeurs amoureux de la culture. Recevoir un mail standard envoyé à 10, 100, 1000 destinataires n’a guère de chances de provoquer l’intérêt.. « Salut, je veux bosser pour / avec vous. » Pourquoi ? « Parce que je suis désespéré. »

Pourquoi vous ? Pourquoi moi ? Démarcher quelqu’un, c’est certes lui demander un service, mais c’est aussi potentiellement lui apporter quelque chose. Bossons ensemble ? Yeah. Mais t’es qui, toi ?

Il ne s’agit pas de réécrire 15 pages à chaque envoi. Mais au moins, s’assurer que ce soit bien ciblé sur la personne, avec un paragraphe changeant en fonction du destinataire, histoire de montrer que vous n’êtes pas aux abois, prêt(e) à tout pour percer), peu importe avec qui. Même s’il faut se faire payer en nature.

Sachez à qui vous parlez. Ça retient l’attention. Ça peut donner envie de lancer la discussion et de s’intéresser, en retour, à vous.

3. Valorisez-vous

Vous êtes chaud(e) patate, motivé(e) à balle, remonté(e) comme un coucou suisse, prêt(e) à conquérir le monde. Vous savez ce que vous voulez. Oui ? Alors dites-le. Il y a, d’après le dernier recensement INSEE, 14,7 pétamilliards de personnes désireuses de bosser dans la création. Avec vous au milieu. Qu’est-ce que vous avez de plus ? Vous êtes vous-même. Vous avez vos idées, votre perspective, votre approche, votre personnalité. Au bout du compte, dans ce domaine, c’est ce qui compte le plus : votre vérité. Alors dites-la, for fuck’s sake. Les diplômes n’ont qu’un poids très relatif dans ce milieu, navré. Des vrais futés, débrouillards, inventifs, en revanche, je peux vous le dire : on en cherche.

N’allez pas jusqu’à exposer clairement que vous allez conquérir le monde, hein, ça fait un peu prétentieux en général et l’histoire a prouvé que ça se termine plutôt mal en général. Mais si vous avez des compétences à apporter, si vous voulez monter un projet avec quelqu’un, mettez-le – mettez-vous – en avant. Vous rêvez de bosser avec Edgar Allan Poe et vous faites du webdesign ? Écrivez-lui en lui proposant un coup de main sur ce front. Parce que, franchement, Edgar, même pas un blog et un Twitter, je te le dis, t’abuses.

4. Sachez ce que vous voulez

Vous ne savez pas ?

Arrêtez tout.

Commencez par là. Qu’est-ce qui vous différencie ? Qu’est-ce que vous apportez ? Il y a forcément quelque chose.

Il y a une constante dans le milieu artistique, du créateur au distributeur : tout le monde ici sait ce qu’il veut et pourquoi il est là. On n’arrive pas là par hasard, et surtout, on n’y survit pas par hasard : c’est une route qui nécessite de la ténacité, de la persévérance au quotidien, au nez et à la barbe de tous ceux qui vous assurent que « personne ne réussit là-dedans, voyons ». Il y a une tolérance assez mince dans ce milieu pour les personnalités poussives ou molles. Soyez proactif, démerdard. Sachez ce que vous voulez – en restant humble. Mais choisissez un cap, un rêve, un objectif. Ayez la niaque. La volonté. Agir. Si vous ne savez pas ce que vous voulez, personne ne le saura à votre place.

Permettez-vous de changer, bien sûr. C’est indispensable.

5. Répondez, même si c’est non

Corollaire de la relation de personne à personne. Les gens ne sont pas des outils, encore moins quand vous leur demandez un coup de patte. La réponse est négative ? Vous avez eu une réponse, déjà, parmi les 14,6999 pétamilliards de mails reçus par la personne. (Cela vaut aussi pour les lettres de refus personnalisées quand vous soumettez un manuscrit.) Plus encore : on vous a posé quelques questions, donné des conseils ?

Répondez, sacré bon dieu.

Le temps d’un créateur, c’est son argent. Si le type vous répond, même pour dire non, il est sympa. Rien ne l’y oblige. Remerciez-le – en deux lignes, juste pour marquer le coup. Ça montre que vous savez vivre, tout simplement. Ce n’est pas de l’obséquiosité. C’est juste se rappeler que c’est comme ça que les relations humaines fonctionnent : en se parlant.

Par contre, une chose est sûre, si vous ne savez pas vivre, ça dispose mal. Et les milieux artistiques sont très, très petits. Une incorrection ou du j’m’en-foutisme peut vous retomber sur le dos sans que vous ne compreniez d’où ça vient. À l’inverse, aux gens sympathiques et motivés, les portes, curieusement, s’ouvrent.

Comportez-vous donc comme si vous aviez votre mère perchée sur l’épaule. Ne jouez pas un rôle. Mais c’est quand même le moment de vous rappeler les leçons de savoir-vivre de votre vieille grand-tante quand elle vous rabâchait de dire « bonjour madame, bonjour monsieur ». On n’est pas des bêtes, bordel, même si on dit bordel.

Pour finir

Tout ça ne fera évidemment pas votre carrière. Mais, par tous les diables, ça peut sacrément aider à vous rendre sympathique. Et ça ne fait pas de mal, à vous, à votre entourage, à votre karma, d’être cool.

En d’autres termes plus agressfis, il faut être sacrément talentueux pour s’octroyer le droit de se comporter comme un connard. Or, comme il est toujours prudent pour un créateur d’éviter de se considérer génial, ça l’oblige à être fréquentable, et ce n’est pas plus mal. La planète ne s’en porte que mieux. Les gens sourient. Tout le monde travaille en bonne entente. Les chats se prélassent au soleil. Signature de la paix dans le monde. Clôture du trou de la couche d’ozone. First contact avec les Vulcains.

2014-08-05T15:21:31+02:00jeudi 16 août 2012|Best Of, Technique d'écriture|10 Commentaires
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