Habitat Dudule

Hier, auguste lectorat, j’ai acheté un porte-manteau.

Ne fuis pas, il y a des choses à raconter, je t’assure. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il me faut m’excuser pour le jeu de mots à la fois graveleux et consternant qui constitue le titre de ce billet : vois-tu, comme bon nombre d’auteurs d’imaginaire, j’ai signé de mon sang un pacte avec les forces obscures du calembour, lors d’une nuit orageuse sur un cimetière indien, qui ma garantit l’inspiration concernant bons mots et blagues au moment opportun ; c’est ainsi que la Providence m’a fait la faveur du merveilleux Avatar Simone dont je suis décidément très fier. Mais le pacte comprend un prix, comme tous les pactes.

Je ne peux résister aux jeux de mots les plus consternants, même si ma réputation, ma carrière et ma vie en dépendait.

Donc, hier, j’ai acheté un porte-manteau.

Il faut que tu saches, auguste lectorat, que les auteurs ne font rien gratuitement : tous leurs actes, semblassent-ils des plus anodins, ont forcément un lien avec l’écriture, leur obsession, la lentille à travers laquelle ils voient le monde. En fait, hier, j’étais donc allé acheter la licence d’Office 2010 pour disposer du nouvel OneNote, le logiciel de prise de notes que j’aime d’amour et qui me sert à centraliser toutes mes infos sur les projets en cours. Et puis, il se trouve que je n’ai pas de porte-manteau, que c’est naze, mes manteaux traînent par terre, quand je reçois du monde, je suis obligé de dire aux gens : navré, mais j’ai pas de porte-manteau, par contre cette énorme valise qui a traîné pendant un an dans mon hall à mon retour de la Worldcon peut servir de repose manteau. Tu veux une bière ?

Donc, en revenant de la Fnac, je suis passé chez Habitat et je me suis dit : pourquoi ne pas en profiter pour acheter un porte-manteau ?

Auguste lectorat, j’avais d’Habitat l’image d’une boutique un peu bobo, un peu chère et pas mal moche, mais plutôt solide, genre Ikea en plus cher et en souvent pas terrible. Le genre d’endroit où vont des gens qui répondent « mais oui bien sûr » quand on leur propose de leur livrer la commode Bartleby blanc laqué pour seulement 75 € de plus.

Mais moi, je voulais juste un putain de porte-manteau.

J’ai trouvé un modèle vaguement convenable, un peu cher, mais il faut savoir aussi sur les écrivains, auguste lectorat, que leur temps est de l’argent : pécho l’engin là, alors que j’étais dans les parages, fût-il cher, m’aura coûté toujours moins que d’aller prendre une heure et demie pour sortir de la ville, me pointer chez Ikea, faire quarante fautes de transcription à Bügülzuppkrømm, qui sera comme par hasard le modèle qui me plaira, sur la feuille de commande, insulter dans ma barbe quelques couples fatigués qui n’ont rien de mieux à faire que de rester en plein milieu du chemin en discutant de la couleur d’abats-jours tous moches de toute manière, retirer le truc à la caisse, rentrer chez moi, me rendre compte qu’il manque une rondelle de treize dans le colis, repartir là-bas, insulter dans ma barbes d’autres couples, rentrer, monter l’engin et puis le casser au bout de deux jours parce que j’aurai fait ça n’importe comment. Alors hein.

Malgré les apparences, je ne suis pas un homme aux idées reçues, même si je parle de couples fatigués qui restent dans le chemin en discutant de la couleur d’abats-jours tous moches ; je suis parfaitement conscient d’avoir dans les recoins marécageux de ma psyché des remugles de clichés aussi bêtes que méchants et qui me font ricaner la nuit quand je sacrifie des bébés pandas à la gloire d’Azathoth. Mais je me disais, man, t’es vraiment qu’un gros connard, t’as une espèce de vision de gauchiste premier degré d’Habitat, c’est quand même pas mal ce qu’ils font, tout ne te plaît pas mais tous les goûts sont dans la nature, regarde, leurs serviettes éponge ont l’air moelleuses, leurs horloges sont rigolotes même si tu n’en voudrais pas, et puis t’as même acheté un porte-manteau là-bas, tu fais partie de leur clientèle maintenant, alors stop le vieux cliché, et puis t’as trente ans passés maintenant, tu commences à aimer le beige, fais-toi une raison.

C’était jusqu’au moment où j’ai pris possession du colis.

Pièce à conviction :

Alors maintenant, qu’on m’explique quelle boutique, qui se soucie un minimum d’une clientèle piétonne, peut avoir le sadisme de faire des PUTAINS DE CARTONS AVEC DES BORDS BISEAUTÉS (et donc coupants) ?

Non mais sérieux ? Si ça c’est pas du mépris du prolétariat, des petites gens, des vélocipédistes, que dis-je, du développement durable lui-même – puisqu’un véhicule polluant sera le mode de transport préféré pour rapporter l’achat convoité ?

Tout ça pour un foutu porte-manteau en fil d’acier qui ne doit peser que dix kilos tout mouillés à terme ? Je jure que le colis me faisait l’effet d’en peser quarante, et pourtant je fais du sport depuis trois mois, c’est dire ma forme olympique.

Et après quoi ? Je suis sûr qu’ils lestent leurs cartons de canapés avec des ancres de paquebots.

L’oeil ne voit que la surface des choses, qu’ils disaient. Ouais, ben, parfois, l’emballage est instructif aussi.

2011-05-19T14:51:55+02:00jeudi 19 mai 2011|Humeurs aqueuses|14 Commentaires

Zénitude d’un monde dématerialisé

Palahniuk mentionne dans Fight Club « ce que tu possèdes finit par te posséder à son tour1 » – une réflexion qui, j’en suis quasiment sûr, remonte au bouddhisme ou au zen2. Pour un bibliophile, un mordu de culture, vidéo, jeu, aspirant une vie plus nomade – mettons, au hasard le plus total, hein, un auteur porté sur le voyage – se déplacer entraîne quelques lourdeurs logistiques tandis que la simple idée d’un déménagement tient du cauchemar absolu.

Je me méfie un peu des idéaux de dépouillement, de contentement, qui me semblent souvent cacher une rationalisation du renoncement. Cependant, la tendance actuelle à la sur-consommation, la sur-accumulation me semble porter un poids bien lourd sur l’agilité de notre esprit, non pas parce que posséder, c’est mal, mais parce qu’occuper l’espace mental de tâches trop nombreuses à accomplir, remplir l’espace visuel, entraver notre mobilité, tout cela accapare nos facultés et tend à les isoler de nos aspirations profondes et véritables. Mais, même en résistant à l’achat de trucs et machins inutiles, le plus cultivé des sages trimballe une bibliothèque qui ferait pâlir un libraire.

Mais cela est-il appelé à rester vrai sous 5, 10 ans ? Je me réjouissais de la possibilité de stocker ses données dans le cloud pour connaître une vie professionnelle mobile – une habitude qui ne touche pas que les créateurs et qui appelée à se répandre si l’on en croit le développement du télétravail et les bénéfices que certaines entreprises peuvent en tirer. À l’heure où la dernière barrière de la dématérialisation culturelle est en train de tomber, celle du livre ; où l’on marque des avancées vers la réduction de nos ordinateurs à de simples terminaux accédant aux données comme aux applications en ligne (exemple de Google Docs ou du service OnLive) ; on peut concevoir la numérisation totale de nos données, musique, films, livres. On peut imaginer que le smartphone ou la tablette commercialisée en 2020 accéderont à l’ensemble de notre vie culturelle dématerialisée sans qu’existe aucun support physique.

Dans ce contexte, que devient la « possession » au sens de Palahniuk et du bouddhisme ? Posséde-t-on des connaissances de la même façon que le livre sur lequel elles sont écrites ? Si, pour les consulter, il suffit d’un simple appareil miniature qui les rappelle de n’importe où, d’une paire login / mot de passe, peut-on encore vraiment parler d’alourdissement de l’esprit, d’entrave à l’agilité, d’accaparation ? La mémoire et l’éventuelle sagesse qui en découle suivent son détenteur partout où il va ; que penser s’il a l’équivalent de la BNF entière dans sa poche et qu’il peut la consulter comme il le souhaite d’un coup de requête SQL ?

Est-ce une frontière supplémentaire qui est en train de tomber ? On peut arguer que les données que nous possédons, elles, ne nous possèdent pas, du moins pas au sens traditionnel du terme. On peut rêver que le citoyen formé à baigner dans ce flux de données continu apprenne à les apprivoiser, à les plier à ses désirs, cultive, pour reprendre les mots de Tim Ferriss dans La Semaine de quatre heures, une « ignorance sélective » de bon aloi.

Ou alors, la question se déplacera tout simplement sur le champ, bien connu lui aussi, de la mémoire et de l’histoire personnelle. Laquelle nous forge également, mais il est amusant de contempler que, peut-être, dans quelques années, nous aurons supprimé un intermédiaire dans la détermination de notre identité. Si les biens que nous possédons nous reflètent et cadrent, en un sens, notre propre histoire, avec le danger de nous y emprisonner, c’est justement parce qu’ils reflètent et cadrent la mémoire. Peut-être qu’avec la dématérialisation, nous passerons directement de l’achat à la construction du soi sans passer par l’intermédiaire du support physique.

  1. What you own ends up owning you.
  2. Si quelqu’un connaît la source exacte, je suis preneur.
2018-07-17T14:26:13+02:00mercredi 6 avril 2011|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Tu auras des seins, ma fille

Je reste carrément pantois devant cet article d’OWNI1 : la nouvelle mode, c’est de faire porter aux gamines de 7 – 8 ans des soutien-gorges rembourrés pour faire croire à une poitrine naissante. Évidemment, ça a soulevé un tollé plutôt légitime, de l’opinion comme de la part des associations de protection de l’enfance, et les articles en question ont été retirés des rayons avec une diligence presque surprenante. On peut même s’ébahir devant la rapidité de certaines réactions, l’article mentionnant :

Il n’empêche : suite à nos appels, La Redoute et les 3 Suisses ont tous deux retiré de leurs sites web les modèles de soutiens-gorge rembourrés de taille 10 ans/70A.

D’habitude, pour obtenir ce genre de gain de cause, il faut se heurter à des téléphones qui ne répondent pas, des mails qui reviennent en erreur, bref, batailler longuement. Là, pas de discussion, une suppression qu’on pourrait même croire préventive, genre « oups, on a sévèrement merdé, là, retirez-moi vite ça de la vente ». Ça pose quand même la question : n’y a-t-il personne chez la Redoute qui contrôle les inventaires et les catalogues ? Découvriront-ils demain que ces mystérieux masseurs de visage qu’ils vendent depuis des années ne sont en fait pas des masseurs de visage ? *shock* Je me demande quelle absurdité un esprit farceur pourrait pousser ces compagnies à placer dans leur référencement. Quand soudain, entre un slip et un calebute, 200g de choucroute garnie.

Bref. Ce n’est pas tant cette vente qui me scandalise en elle-même, bien que ce soit parfaitement grotesque et surtout potentiellement dangereux pour les gamines. Je m’agace surtout de la société, schizophrène en phase terminale, qui a pu rendre ce genre de truc débile possible. D’un côté, nous avons la hantise viscérale de la pédophilie, crime ignominieux par excellence de notre époque qui considère, dans sa morale, l’enfant comme le bien suprême, ce qui a conduit à des dérapages comme Outreau. Nous avons le déni quasi-total de la sexualité adolescente : aussi fort que leurs parents s’efforcent d’oublier leur propre jeunesse, pas mal de gamins et gamines de 13 -14 ans sont fort précoces et très intéressés par la chose – ce qui ne veut pas du tout dire qu’il faille les précipiter sans aucune réserve vers la pratique, mais, plutôt que de se cacher la tête dans le sable, il me semble que les orienter et les éduquer vers un développement sain, une sexualité assumée et leur propre protection leur éviterait refoulement, insatisfaction et surtout de faire des conneries dans le dos d’adultes qui ne veulent si souvent rien voir ni entendre. Mais non, ce sont encore des enfants, tu comprends, ils ne pensent jamais à la chose. Mais ouais, c’est ça.

Bon, et de l’autre côté, on colle des seins sur des gamines ?

Ce ne sont pas les marques de lingerie ou les distributeurs que j’ai tellement envie de baffer. Ce sont les parents qui achètent ces trucs. Ces parents irresponsables, incohérents, au regard vide, à la voix traînante, qui ne savent communiquer que par aboiements et gloussements, qui suivent les panneaux publicitaires brillants comme des chats à qui l’on fait gigoter une ficelle, pour habiller leurs gamines comme des Barbie d’une main et de l’autre pousser des cris d’orfraie et réclamer la peine de mort dès qu’on prononce le mot « pédophile ». Les gens, faites un geste pour la planète : donnez votre cerveau à la Croix Rouge, il y a des scientifiques qui ont besoin de puissance de calcul et qui sauront parfaitement quoi faire d’un beau réseau de neurones inutilisé.

Mon espoir pour la semaine, ce n’est pas que ces trucs soient retirés de la vente, ce serait qu’ils ne se soient pas vendus.

  1. À noter la conclusion fascinante de l’article sur les différences culturelles entre Occident et Orient et comment un produit visant un but sur un marché entraîne des conséquences diamétralement opposées sur l’autre.
2011-03-25T13:02:46+01:00vendredi 25 mars 2011|Humeurs aqueuses|24 Commentaires

Pour régler la question de l’héritage

Photo AFP

Entre autres fixettes, Nicolas Sarkozy en a une sévère : « l’héritage chrétien de la France ». Il rend visite au Pape pour lui parler d’Internet, il aime les dorures et la pourpre, il remonte fièrement à une contrée fille aînée de l’Église et ne manque guère une occasion pour opposer à un bloc islamique fantasmé un autre, tout aussi illusoire, d’un Occident chrétien. Dernière illustration en date, « l’héritage chrétien » et ses valeurs civilisatrices dont il est allé parler au Puy-en-Velay.

Il va falloir un jour que monsieur Sarkozy – ou les conseillers qui lui écrivent ses discours – ouvrent un livre d’histoire et la mettent en perspective. De quoi parle-t-on exactement quand il est question de valeurs de « civilisation » – ce projet si cher dont il nous rebat les oreilles depuis son institution, un projet qui, par ailleurs, rogne les budgets de l’éducation, retire l’histoire des filières scientifiques, les maths des littéraires, et conduit de manière générale une offensive concertée contre ce qui peut nourrir de près ou de loin l’esprit critique ?

La civilisation, c’est vivre ensemble ; c’est quitter l’état de nature pour progresser dans le domaine des moeurs, des connaissances, des idées, nous explique le TLF. Inutile de ressortir du placard Galilée, les croisades, les persécutions, pour s’interroger en quoi la chrétienté fut réellement fondatrice de progrès « dans le domaine des moeurs, des connaissances et des idées » – charge qui concerne, d’ailleurs, toute religion dogmatique. Être convaincu de détenir la vérité vous rend curieusement résistant aux opinions contraires – une résistance qui s’exprime le mieux la tronçonneuse à la main.

L’attaque est facile. Tellement éculée qu’elle en devient honteuse. La chrétienté, ce n’est pas cela ; ses valeurs sont différentes. Elles se fondent sur le partage, la charité, l’amour. La chrétienté moderne est ouverte, tolérante, positive – à opposer, bien entendu, à un Islam rétrograde, totalitaire, obscurantiste.

Ah oui, vraiment ? N’y a-t-il pas une légère confusion des causes ?

Qui sont les plus grands penseurs de cet Occident progressiste, éclairé, en quête de raison, de progrès dans le domaine des moeurs, des connaissances et des idées ? Les papes successifs, les cardinaux ? Hormis certains penseurs chrétiens de haute volée, de Saint-Augustin à Kierkegaard en passant par Teilhard de Chardin, qui furent les réels fondateurs et véhicules de cette lumière ?

Il va falloir un jour que la droite chrétienne comprenne que ces valeurs positives dont elle se réclame tant et dont elle ignore la genèse ne viennent malheureusement pas – pour eux – de l’Église mais du mouvement même qui a irrémédiablement sapé l’autorité divine : les Lumières. Que les fondateurs d’une certaine idée de la tolérance, de l’égalité, de la république, de la raison, ne sont pas les penseurs chrétiens, pour aussi beaux et fondamentaux qu’ils puissent être. Les Lumières se placent dans la continuité de cette pensée chrétienne dans ce qu’elle a de meilleur, mais elles ont aussi introduit l’idée fondamentale qui sous-tend le monde développé dans ce qu’il a de plus positif : la raison humaine et la conscience doivent primer sur la tradition et notamment sur l’autorité dogmatique – c’est-à-dire celle de Dieu. Les Lumières n’ont évidemment pas renié le rôle du religieux, comme en témoigne le déisme d’un Voltaire, mais l’organisation sociale, la quête de la connaissance, doivent être subordonnées à un humanisme séculaire et rationnel qui vise l’intérêt commun, et qui place l’individu au centre des préoccupations.

C’est là que se trouve la vraie grandeur des civilisations (« Comment ! Ces gens n’ont pas encore entendu dire que Dieu est mort ! » se lamentait déjà Nietzsche à travers Zarathoustra descendant dans la vallée) : l’usage du raisonnement individuel et de la conscience sociale dans les choix. L’Église s’est peut-être un peu rapprochée de son discours pour le second au cours des derniers siècles, mais la soumission à toute autorité entre fondamentalement en conflit avec le premier.

Et si, même, l’on voulait faire un calcul purement politique, en plus des aspects franchement douteux de l’idéologie de monsieur Sarkozy, son discours est idiot. Opposer ainsi la chrétienté comme racines françaises ou occidentales à l’obscurantisme d’une différence étrangère, mal définie mais anxiogène, est d’une stupidité consommée. Sans dire que « nos » racines sont devenues pour la majorité plus rhétoriques que réellement vécues, sans parler du danger d’une confrontation frontale entre blocs, les Lumières, faisant l’apanage de la raison, rendent solubles tous les systèmes de pensée en éveillant la personne à sa conscience, à son civisme et à la tolérance. Plutôt que de répondre à des extrêmismes par d’autres, il conviendrait plutôt d’éveiller chacun à son libre arbitre et de le rendre libre de ses choix, enfin apte à se détacher du carcan des traditions, des autorités suprêmes autoproclamées qui exigent sa soumission, sa fidélité, son âme et son argent, pour être libre de n’en adopter que ce qu’il désire, qu’il s’agisse de religion, de modèle familial ou de valeurs ; le tout dans le respect de la personne humaine, afin que, bordel, les dogmes et les divinités dégagent une bonne fois pour toutes de la place publique et qu’on discute en êtres humains sociaux.

On a peur des fondamentalistes ? Qu’on leur montre la puissance de la raison et en quoi elle est compatible avec toutes les croyances, comme avec la vie humaine1.

Cela, monsieur Sarkozy, serait un vrai projet de civilisation.

  1. Oui, je suis conscient que des horreurs ont aussi été commises au nom des Lumières. Mais qu’on me pardonne si je pense fermement que c’est le meilleur outil dont on dispose actuellement et que deux siècles de cette philosophie ont plus fait pour la civilisation que deux millénaires de soumission aveugle à l’autorité.
2014-08-30T18:29:34+02:00vendredi 11 mars 2011|Best Of, Humeurs aqueuses|3 Commentaires

Thèse antithèse synthèse

Fiction

Nolwenn Leroy dans son clip reprenant la jument de Michao

Réalité

Je suis sûr que c’est en réplique à ce qui précède, pour faire peur aux Parisiens qui imaginent que la Bretagne donc est un méga camp hippie resté figé dans les années 60.

Ceci est un message : ne venez pas à Morlaix, on a des tyrannosaures. True story.

(Et puis arrêtez d’acheter des cirés Guy Cotten jaunes, bordel. Personne ne porte des cirés Guy Cotten jaunes en Bretagne à part éventuellement les pêcheurs qui, genre, ont besoin d’être repérés s’ils tombent en mer, histoire d’être visibles. En Bretagne comme ailleurs, aucune personne saine d’esprit et jouissant de son plein libre arbitre ne met volontairement du jaune.)

2011-01-13T11:55:26+01:00jeudi 13 janvier 2011|Humeurs aqueuses|13 Commentaires

Verrouille et ferme ta gueule

Le Cri, Edvard Munch

Je suis vraiment très, très énervé. Je suis profondément énervé par la bêtise crasse qui peut parfois animer les gens bien intentionnés, les gens qu’on interroge au micro dans le journal de 20 h de TF1 qui s’improvisent experts sur l’écologie, la politique internationale et les embouteillages dûs à la neige, je suis écoeuré par l’inertie générale de ceux qui haussent les épaules en justifiant l’avenir par le présent, et je suis surtout encore plus consterné par cette part importante de nos peuples qui remet par ignorance les rênes de son existence à des bouchers déguisés en gendres idéaux tels des moutons à l’abattoir. Je dis beaucoup « je » mais, comme je l’ai dit, je suis hors de moi. Gueuler ne servira pas à grand-chose, j’en ai conscience, mais ça me défoulera, et si ça peut t’informer, auguste lectorat, alors je n’aurai pas perdu 10 000 signes pour rien.

La loi LOPPSI 2 a été adoptée hier. Cette loi touche à un certain nombre de méthodes de centralisation et de gestion de l’information personnelle pour faciliter les investigations criminelles. Mais, comme tous les serpents de mer que pond ce merveilleux gouvernement dont la rhétorique repose sur un seul et merveilleux principe, l’insulte à l’intelligence, il comporte un volet destiné une fois de plus à contrôler l’information – et donc à altérer la perception du monde.

Retour sur Hadopi

Un détail pris isolément n’est pas significatif. Il faut, pour comprendre l’offensive coordonnée sur la liberté d’information et d’expression menée par le gouvernement Sarkozy, composer une image globale de sa relation avec la presse, avec le droit du citoyen (voir l’excellent blog de Maître Eolas) et par rapport au Net. J’ai longuement parlé de cette loi grotesque, stupide et trompeuse, dont l’intention se résume à une seule chose : faire entrer chez le citoyen une mesure de surveillance volontaire de son activité en ligne au titre fallacieux que celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à cacher. J’invite ceux qui sont d’accord avec cette idée à aller jeter un oeil aux méthodes des propagandes totalitaires.

Hadopi ne protège pas le droit d’auteur, ne protège pas les ayant droits, c’est une loi idiote, coûteuse, inefficace et absurde, votée par des députés moutons qui ne pigent strictement rien à la technique et s’inquiètent uniquement de leur réelection, de leurs appuis et du millésime du dîner de ce soir. Hadopi repose sur une technique de manipulation éprouvée, l’épouvantail rhétorique : brandir une cause juste avec lequel on ne saurait disconvenir pour justifier n’importe quelle extrémité en comptant sur l’ignorance des gens comme des prétendus penseurs (oui, c’est votre attitude sur ce dossier que je vise, Alain Finkielkraut). Ici, l’épouvantail était la mort de la culture et de la création (plaçant le gouvernement Sarkozy en chevalier blanc défenseur d’un domaine où on le voit pourtant peu) et le véritable but l’instauration volontaire de la surveillance.

LOPPSI, pourquoi demain, vous ne saurez rien

LOPPSI repose sur la même méthode. L’épouvantail rhétorique : la pédophilie. Il y a quelque chose dans notre époque qui fait de l’enfant l’ultime objet de sacralisation : l’enfant est roi, l’enfant est suprême, l’enfant est bon. Quantité de personnes balancent le cerveau au vide-ordures dès qu’il est question d’enfant : on retombe soi-même en enfance, divisant son QI par deux ; tout devient justifiable, même l’inacceptable. Qui n’a jamais entendu dire « je suis contre la peine de mort, sauf pour les pédophiles » ? Quel type de raisonnement est-ce là ? L’enfant justifie l’abdication de la raison.

Par conséquent, diaboliser Internet comme un repaire de pédophiles permet d’ouvrir la porte à tous les abus, dont ici le filtrage des contenus sans intervention de l’autorité judiciaire. De façon purement arbitraire. Qui saura que tel site est bel est bien pédophile ou non ? La pédophilie est déjà un crime, interdite sur le Net, poursuivie et châtiée. On ne trouve pas de sites pédophiles dans Google. Internet ne regorge pas de types louches prêts à assassiner des enfants à coups de clavier – pas plus que dans le quartier où on les laisse rentrer seuls.

Cette mesure est très grave à deux titres.

Une mesure contre-productive

Tout l’effet qu’ont ces mesures sur le filtrage et la surveillance des communications entraîne une suspicion croissante à l’écart des gouvernements, rompant la confiance historique avec les représentants du peuple, mais surtout généralise et banalise l’usage de méthodes de cryptage et de dissimulation des échanges. Habituellement, seules les communications sensibles ou criminelles se trouvaient masquées de la sorte, facilitant pour les services de police l’enquête et l’infiltration des réseaux. Mais si tout le monde se met – par méfiance – à crypter ses communications, la tâche sera terriblement complexifiée et rendra très ardue la séparation du bruit d’un véritable signal criminel. Instaurer le filtrage, restreindre les libertés de communication, c’est encourager les contournements et rendre, à terme, bien plus difficile l’arrestation des criminels véritables.

Le filtrage sans discrimination

Qui peut vérifier qu’un site bloqué est bel est bien pédophile ?

Si l’on instaure dans les esprits l’idée que l’on peut bloquer des contenus pour des raisons de sécurité (ce qui est inefficace, voir point précédent), demain, ne peut-on imaginer le blocage de sites « menaçant la sûreté nationale » ? Qui, mettons, révéleraient des malversations dans les hautes sphères du pouvoir ? Des manipulations de la presse ? Des affaires Bettencourt, des Karachigate ? Des sondages défavorables ?

Comme, par exemple, Wikileaks ?

Brice Hortefeux osait prononcer la vomissable phrase suivante : « Parfois, la transparence est une forme de totalitarisme. » Même George Orwell dans son célèbre 1984 n’avait pas osé le formuler en ces termes, préférant un plus sobre « Ignorance is strength » (l’ignorance est une force) parmi les principes fondamentaux de Big Brother.

Comment les gens peuvent-ils l’écouter ?

Parce qu’ils ne réfléchissent pas ?

Dans ces conditions, peut-on encore s’interroger sur les véritables raisons qui poussent le gouvernement à restreindre les fonds accordés à l’éducation ou à supprimer les enseignements d’histoire au lycée ?

Ce filtrage ouvre la porte à la forme ultime d’effacement de l’information, de remodelage de la pensée. Avec cette loi, si on l’imagine par exemple étendue à la sûreté nationale (ce qui n’a rien d’impossible), une information peut entièrement disparaître du paysage sans laisser de traces. C’est l’équivalent informationnel du Patriot Act où toute personne pouvait se voir déchue de ses droits élémentaires et détenue arbitrairement dès qu’elle était seulement soupçonnée d’activité terroriste : demain, on vous emmène à Guantanamo et vous disparaissez de la circulation. C’est pire que le démenti, la manipulation ou la censure : avec cela, certains pans entiers du savoir peuvent disparaître – ne laissant même pas de trace. Avec cela, on peut réécrire l’histoire, altérer l’actualité, gouverner l’opinion dès qu’une information est jugée contraire au bon vouloir de celui qui tient les ciseaux.

Ici, c’est la pensée contraire qui peut se trouver rayée du paysage – allant jusqu’à annihiler le seul concept de pensée contraire.

La guerre ne fait que commencer

Il se joue quelque chose de très grave en ce moment et je suis atterré en voyant le sourire hébété d’une certaine majorité de gens qui marchent à l’abattoir contents, le regard et le cerveau vides. Les Anonymous, WikiLeaks et autres acteurs de la contre-culture Internet sont les fers de lance de la protection de nos droits civiques d’information et d’expression dans le monde de l’information de demain. C’est une véritable guerre qui s’installe entre les gouvernements dits « démocratiques » qui, progressivement, se muent en oligarchies reposant sur le principe de manipulation de la soumission librement consentie, et une poignée d’acteurs éclairés et très en colère contre ce qui se trame.

Internet n’est pas votre ennemi. Internet n’est pas non plus sans défauts : Internet est humain. Mais Internet protège votre droit à l’information et à la transparence. Cette guerre qui se déroule en coulisses est peut-être pour moi le précurseur du véritable théâtre d’opérations d’une forme très spéciale de Troisième Guerre Mondiale, celle dont l’enjeu n’est rien moins que notre cerveau, notre libre arbitre, notre personne entière.

Battons-nous, en commençant par nous-mêmes. Notre esprit critique et notre volonté de connaître sont nos premières armes.

2014-08-05T15:12:34+02:00vendredi 17 décembre 2010|Humeurs aqueuses|19 Commentaires

Tu seras une case, mon fils

FLASH INFO SPÉCIAL BREAKING NEWS ULTIMATE : Petit rappel pour dire que je serai en dédicace ce dimanche à Elven au Salon du Roman Populaire, avec Thomas Geha et David S. Khara. Venez nombreux me coller un bourre-pif pour l’article d’hier, youkaïdi youkaïda.

Diane laissait ce commentaire à propos de l’article d’hier :

Est-ce que tu pourrais développer un peu plus le dernier paragraphe s’il te plaît ? Notamment les propos sur les conventions, les catégorisations, la maîtrise du lien causal et de la cohérence.

Wow.

Bon, impossible de répondre correctement à ça sans y consacrer en article entier. Je vais m’efforcer de faire au mieux sans – caveat – m’emmêler les pinceaux dans la fatigue du vendredi, et en prenant soin de préciser que je ne suis ni sociologue ni psychologue, mais c’est mon avis et je le partage avec moi-même.

La narration chez les petits

J’ai eu des discussions passionnantes avec des instit’ qui proposaient à leurs élèves de travailler l’imagination par l’invention d’histoires. Il ressort que les enfants n’ont que rarement le souci de la mesure ou de la plausibilité : par exemple, dans une situation désespérée, tout se résoud d’un coup de baguette magique par l’arrivée de la police qui débarque comme par magie (soit, techniquement, un deus ex machina). Cela ne leur pose aucun problème, comme de faire des sauts abracadabrants (la princesse devient un papillon puis un Canadair pour éteindre l’incendie de forêt). Encore une fois, écouter des enfants jouer à construire des histoires le prouve amplement.

Le lien cause à conséquence est ipso facto plus difficile à faire comprendre – je me rappelle au collège de certains rudiments de logique que mes profs ont dû rattraper chez certains élèves, la chaîne de causalité n’étant pas inuititivement saisie par tous (A implique B ne veut pas dire que B implique A). La distinction réel / virtuel est donc très claire, mais les structures logiques purement formelles sont plus difficiles à maîtriser.

Parce que c’est comme ça

Les parents opérant un véritable travail critique sur les a priori (j’ai placé quatre locutions latines, c’est bon, je me la pète officiellement) sociaux sont extrêmement rares et, pourvu qu’on y fasse attention, on le repère partout : il y a une ligne très fine entre propogation du savoir culturel et endoctrinement dû à une absence totale de remise en cause du savoir établi. Trois exemples (pas très subtils, j’avoue, mais indiscutables) au pif.

  • Les tabous culturels et notamment la religion : combien d’enfants baptisés, par exemple, sans réflexion qui sorte du référentiel de la tradition ? Combien élevés dans la stricte observance des traditions religieuses, dont une infime partie (comme ne pas mentir, ne pas piquer le pain du voisin, ne pas le tuer à coups de pelle et abandonner son cadavre dans un fossé) sert réellement la vie en communauté ?
  • L’orientation sexuelle et, plus largement, le rapport à l’autre : la cellule familiale hétérosexuelle et monopartenaire reste la norme, non pas parce qu’il a été prouvé rationnellement que c’est « mieux », mais parce que, pour beaucoup de gens, c’est comme ça et ta gueule. De même, le rôle fondamental du couple reste la procréation pour une quantité écrasante de monde et vivre kid free n’est pas quelque chose d’aisément concevable.
  • Les rôles des genres. Feuilleter les catalogues de jouets pour Noël est une expérience qu’on peut qualifier soit d’instructive, soit de terrifiante : les petites filles ont des fers à repasser en plastique rose, les garçons des jeux de guerre (ou pire : des jeux de réflexion, parce qu’ils sont assez intelligents pour, eux). Là encore, c’est « comme ça ». On peut éventuellement concevoir qu’au Moyen-Âge, il y avait une raison sous-jacente à cette ségrégation, mais aujourd’hui ? Pour un bon coup de déprime ou de révolte, jeter un oeil au blog Vie de Meuf.

Évidemment, on est forcé, dans nos rapports à l’autre et plus particulièrement dans l’éducation, de transmettre ce qu’on est, ce qu’on pense, et c’est une richesse dès lors que c’est réfléchi et raisonné. Mais une quantité invraisemblable de présupposés foncièrement inutiles à la vie en groupe et à l’épanouissement de soi enrobent les identités et ne font que ligoter l’enfant et le jeune dans des attitudes considérée comme évidentes, alors qu’elles sont, à mon humble mais ferme avis, sclérosantes pour lui comme pour la société toute entière. Rares sont ceux qui y ont réfléchi deux secondes.

Quand les parents n’ont pas résolu tout le sédiment qu’il charrient dans les profondeurs de leur éducation, cela ne peut que se reporter sur la génération suivante ; plus grave, ces sédiments sont souvent confondus avec une forme de clairvoyance, et leur confusion vient brouiller les cartes de leur progéniture. Sérieusement, comment un enfant peut-il bien réagir quand il découvre que le père Noël n’existe pas et que ses parents lui mentent depuis des années comme un arracheur de dents (et dieu sait qu’on flippe du dentiste à cet âge-là) ? Réflexion en amont sur les conséquences : nada. C’est « ce qui se fait », ça doit donc être bien.

Nietzsche

Mais bon, c’est quand même le vieux fou qui en parle le mieux dans Ainsi parlait Zarathoustra, « De l’enfant et du mariage », et je vais me faire plaisir en le citant :

J’ai une question pour toi seul, mon frère. Je jette cette question comme une sonde dans ton âme, afin de connaître sa profondeur.

Tu es jeune et tu désires femme et enfant. Mais je te demande : es-tu un homme qui ait le droit de désirer un enfant ?

Es-tu le victorieux, vainqueur de lui-même, souverain des sens, maître de ses vertus ? C’est ce que je te demande.

Ou bien ton vœu est-il le cri de la bête et de l’indigence ? Ou la peur de la solitude ? Ou la discorde avec toi-même ?

Je veux que ta victoire et ta liberté aspirent à se perpétuer par l’enfant. Tu dois construire des monuments vivants à ta victoire et à ta délivrance.

Tu dois construire plus haut que toi-même. Mais il faut d’abord que tu sois construit toi-même, carré de la tête à la base. Tu ne dois pas seulement propager ta race plus loin, mais aussi plus haut. Que le jardin du mariage te serve à cela.

Tu dois créer un corps d’essence supérieure, un premier mouvement, une roue qui roule sur elle-même, – tu dois créer un créateur.

La suite (et tout le texte) ici.

Photo : Jouet Smoby Baby pécho sur Pixmania.

2010-12-03T17:23:08+01:00vendredi 3 décembre 2010|Humeurs aqueuses|13 Commentaires

/facepalm de Noël

How how how, c’est le premier décembre, les petits amis, l’époque des fêtes, de la neige qui ne fond même pas, des sapins en plastique et des dreling dreling de vieux pervers barbus agitant leurs cloches dans les supermarchés en vous remettant des coupons d’économies parce que c’est bientôt Nowel, how how how ! C’est le moment parfaitement choisi pour se montrer désagréable. La nouvelle a un mois mais je n’en ai pas parlé avant, comprenez,  j’étais occupé à dépecer les rennes du père Noël pour refaire les sièges de ma Lada :

L’article de Rue89 qui va avec et les réactions qui l’accompagnent laissent franchement les bras ballants :

La banque ne recule devant rien en s’attaquant aux rêves des enfants et en heurtant la sensibilité des plus jeunes d’entre eux !

WTFBBQ ??

Bon, d’une, y a vraiment pas plus fondamental comme sujet d’indignation ? « T’auras pas de taf, de santé, d’éducation, de retraite, d’environnement, de liberté d’expression, mon fils, mais au moins on t’a sauvé le père Noël : tu peux continuer à rêver. » C’est vrai, tant qu’on a l’inaccessible, ma foi, on est sauvé. C’était pas Nietzsche qui disait que l’espoir était la pire des malédictions parce qu’elle entraînait passivité et renoncement ? Sais pu.

Quoi qu’il en soit, il me semble qu’un certain nombre de personnes auraient bien besoin d’un cours de rattrapage éclair sur la différence entre fiction, rêve et mensonge. L’existence du père Noël n’a rien d’un rêve, c’est un mensonge éhonté, point barre. La « magie » se passe parfaitement bien de mensonges : cela s’appelle les rêves, justement, soit l’action de concrétiser son désir ; ou bien la fiction, qui est une forme de jeu et d’enseignement. Le lecteur – ou le spectateur – sait pertinemment que l’histoire à laquelle il assiste est fausse, mais cela l’empêche-t-il pour autant de la vivre avec intensité ? Non. Ce qui est marrant, c’est que les enfants parviennent encore mieux à maintenir cet état d’esprit dual entre réalité et fiction (suffit de regarder dix secondes une cour de récré pour s’en convaincre) ; ils sont même bien plus prêts à laisser leur imaginaire filer dans la direction qui leur plaît, hors des règles et des convenances, en toute liberté. Ne plus pouvoir être émerveillé que par un véritable mensonge, c’est bien là un triste travers d’adulte « mûr ».

Faudrait donc arrêter de prendre les gosses pour des cons, et plutôt les aider à maîtriser au plus tôt la différence entre réalité et imagination – ce pour quoi ils sont très bien armés ; ce sont les adultes qui souvent leur embrouillent l’esprit avec des conventions et des catégorisations qu’eux-mêmes maîtrisent mal. Ce qui manque souvent aux enfants, c’est la maîtrise du lien causal et de la cohérence, mais ils savent bien différencier le vrai du faux – et surtout, bordel, ils savent être émerveillés par le faux.

De là à imaginer qu’à notre époque, un rêve se doit d’être faux, il n’y a qu’un pas. Et il est atrocement révélateur.

Sinon, bons préparatifs à tous, je retourne à la bourse d’échange de charbon, j’ai une livraison à prévoir pour la fin du mois.

Dessin © Black-Charizard (profil DeviantArt)

2010-12-01T16:02:36+01:00mercredi 1 décembre 2010|Humeurs aqueuses|4 Commentaires

Liberté de la diffusion et publicitaires : petit retour

Retour deux semaines plus tard : l’article intitulé « Comment la libération de la diffusion fait le lit des publicitaires » a suscité toute une quantité de réactions, sur Twitter et des blogs, allant de l’assentiment à l’hostilité la plus franche (et même des insultes, rétractées par la suite, mais ça fait drôle) : le numérique cristallise beaucoup d’espérances, mais aussi un certain nombre d’extrêmismes, dont, évidemment, cet angélisme dont je me méfie énormément – mais un angélisme en mode Tipiti au pays des Toupoutou :

Je constate avec un certain amusement que je peux basher le Pape, tout le monde s’en contrefout, mais qu’on ne peut apporter de critique argumentée sur les espérances d’Internet sans prendre le risque de se prendre une croisade sur le coin de la figure, parce qu’Internet, c’est sacré, c’est le salut, et tu n’impliqueras point qu’il pourrait ne pas être parfait. Il doit y avoir une leçon à tirer de tout ça sur notre époque, je suppose.

Bref, maintenant que la houle est retombée et que j’ai un peu de recul, je voudrais apporter quelques clarifications qui paraissent nécessaires :

  • Je suis un geek. J’étais déjà sur Internet à surfer la nuit sur quatre machines à la fois dans les salles de mon école à l’époque où bien des activistes d’aujourd’hui n’en entendaient que seulement parler. L’information, puis le Net au tout début de sa démocratisation sont ma culture et ma patrie depuis, euh, toujours. Mais c’est bien pour cela que je m’avère prudent avec les miens : il faut être attentif à ses amis et à sa famille pour les prévenir quand on a l’impression qu’ils risquent d’errer, en espérant qu’ils fassent de même avec soi. Avec un détail d’importance : il ne convient pas de convaincre, mais d’être entendu. Je ne donne de leçons à personne ; je m’interroge, je m’inquiète.
  • Je ne prétends rien inventer. Oui, la publicité existe déjà à notre époque, oui, le numérique offre la possibilité d’exister à des oeuvres qui n’auraient jamais vu le jour en fonction de leur faible coût, oui, la promotion est évidemment importante. Il est nécessaire qu’on parle de soi pour trouver son public. Je critique seulement l’idée selon laquelle le numérique doit tout abattre, tout changer, tout réinventer, et, ce faisant, nous sauvera tous. J’avance que cette optique conduira à un déséquilibre peu souhaitable en faveur des communicants et non de l’art alors que les deux, idéalement, seraient en équilibre.
  • J’espère me tromper. Je ne tirerais aucun plaisir à avoir raison, pas plus qu’on ne se réjouit de voir les éléments dystopiques d’une fiction se concrétiser. Bien sûr, j’aimerais que le numérique permette à tous de vivre, qu’on trouve un juste équilibre entre acteurs, que la communication ait un rôle d’information et non de matraquage médiatique. Mais si je parle de tout cela, c’est que je n’en suis pas sûr ; c’est que j’ai peur d’avoir raison. Alors, rendez-vous dans quelques années, en espérant que nous trinquerons ensemble à ma bêtise infondée et je vous assure que je serai le premier à vider la bouteille.
  • Quant aux attaques ad hominem, ma foi, j’ose espérer que mes actes et mes archives suffisent à en démontrer l’inanité.

Retour à des activités un peu plus funky dans la semaine !

2010-09-20T12:31:58+02:00lundi 20 septembre 2010|Humeurs aqueuses|4 Commentaires

Comment la libération de la diffusion fait le lit des publicitaires

Attention, article impopulaire.

L’édition électronique fait couler beaucoup d’e-ink en ce moment ; après la musique et le cinéma, c’est au tour de la littérature de se voir numérisée en masse, et d’affronter les défis posés par ce bouleversement. (Le but de cet article n’est certainement pas d’étudier la question en entier, mais mon petit orteil me dit qu’on n’a pas fini d’y revenir.) Face au changement, très schématiquement, on discerne trois attitudes :

  • L’édition classique, héritière de contraintes légèrement prosaïques comme des salaires, des loyers, des frais d’entreprise, s’efforce de transposer son modèle économique à ce nouveau monde sans y laisser des plumes.
  • Beaucoup d’internautes et « affiliés » (start-ups dans le domaine) scandent que « le vieux modèle est mort », qu’il faut une révolution, qu’il faut tout faire péter, sans proposer grand-chose de réaliste qui dépasse l’échelle d’une relative confidentialité. (Même Benjamin Bayart, directeur de FDN, à qui j’avais posé la question, pataugeait un peu sur ce point bien qu’il présente une argumentation tout à fait raisonnable sur les limites du vieux modèle.)
  • Les auteurs et créateurs, assis entre deux chaises, qui aimeraient bien ne pas se faire bouffer par ce qui se prépare en grande partie sans eux, ont souvent de belles idées sur la circulation de la culture, ou bien sont terrifiés par ce qui se prépare mais n’osent rien dire de peur qu’une campagne de presse négative comme Internet sait si bien en lancer ne se déchaîne contre eux (les trois n’étant pas mutuellement exclusifs).

Or, je vois se promener depuis un bon moment maintenant sur la toile un angélisme branchouille, où l’on parle de « nouveaux métiers », de « nouveaux horizons », où le nouveau rebelle est le type qui pirate pour saper les méchantes forteresses du grand capital, où la liberté de création et de diffusion sera la garante absolue de la diversité de l’offre, et où tous les créateurs pourront vivre joyeusement, même les plus confidentiels. Youpi arcs-en-ciel.

Je n’y crois pas un seul instant. Et je m’en vais démontrer pourquoi, en distribuant deux ou trois flying high kicks, parce que ça commence à me courir depuis un moment, et puis qu’un article énervé c’est toujours plus marrant à lire, et je pense à ta marrade, ô auguste lectorat, alors lâchage.

Évacuons tout de suite un certain nombre de présupposés de l’argumentation.

  • Je postule que le créateur doit être rémunéré correctement pour son travail. Pour deux raisons :
    • D’une part par justice : le travail apprécié doit être rémunéré.
    • D’autre part par nécessité structurelle. Créer demande du temps, un investissement personnel, une pratique régulière, un état d’esprit ; ce peut être l’oeuvre d’une vie, et il faut que le créateur puisse s’y consacrer sans obstacles. La rémunération juste de son travail devrait idéalement être donc investie dans la suite de cette création. Par ailleurs, un créateur fauché, sans retour juste, finit par laisser tomber et faire quelque chose de plus productif et satisfaisant de sa vie. Oui, créer est une vocation, un besoin impérieux qui viendrait presque d’en-haut mais, au bout d’un moment, la lassitude finira – en moyenne – par s’installer, ne laissant que des apprentis en mal de reconnaissance. Rémunérer le créateur, c’est s’assurer de la santé de la culture – et donc le plaisir qu’on y prend.
  • Je rappelle que je suis fermement anti-DRM, anti-Hadopi et toutes les horreurs qui vont avec. À titre personnel, le piratage ne me dérangerait pas si j’avais l’assurance de gagner par ailleurs correctement ma vie. Je me suis très longuement exprimé sur la question l’année dernière.

Unicorns and rainbows

L’angélisme dont je parle plus haut appelle de ses voeux un monde en quelque sorte déréglementé, peut-être souhaitable dans une certaine mesure, mais dont les conséquences, je le prédis telle Cassandre, seront aux antipodes de ce qu’on imagine. Quelle est l’hypothèse principale de ce monde ? Avec la baisse des coûts de production, l’offre devient pléthorique (encore plus). Toutes les étrangetés peuvent théoriquement se retrouver publiées sur la toile ; chacun y va de l’ouverture de sa boutique, de sa micro-structure, etc. Les éditeurs reconnus poursuivent, voire augmentent leur imposant rythme de publication.

Les conclusions tirées sont triples :

  • La part de distribution et diffusion disparaît (ou se réduit grandement), ce qui se répercute sur la rémunération de l’auteur (qui augmente en proportion) et le prix du produit final (qui baisse).
  • Information universelle et immédiate grâce à la toile : choix informé de l’acheteur. « Tout le monde a sa chance. »
  • Conséquence : accès universel à la culture. Élargissement du marché. Plus de lecteurs, donc plus de rémunération pour plus de créateurs, croissance de la culture, mutation de la société qui sort de la médiocrité et ouvre une nouvelle ère d’éducation et d’échange qui met fin à la guerre et sauve le monde (quand je lis certaines aspirations, je vous jure que j’exagère à peine).

Et moi je dis : bullshit.

Le piège de l’économie classique

Bullshit pourquoi ?

Parce qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette vision qui ne renieraient pas certains altermondialistes tombe dans un piège ultra classique de la doctrine économique. Elle postule que le lecteur est un agent économique parfait. C’est-à-dire qu’il constitue une entité prenant des choix rationnels fondés sur l’hypothèse suivante : il cherche à maximiser son utilité (= ici plaisir de lecture) sur la base d’une information exhaustive, anticipée et analysée.

Cela signifie qu’un lecteur théorique de ce monde futur, pour que ça marche, soit parfaitement informé sur ses domaines de prédilection et fasse un choix informé. Cela postule qu’il dispose donc d’une information fiable, mais surtout d’un temps potentiellement infini pour parvenir à sa décision, tout comme il dispose d’un temps potentiellement infini pour maximiser son utilité (= lire tout ce qui est susceptible de l’intéresser). On touche déjà du doigt les limites du modèle, puisqu’on les affronte déjà aujourd’hui avec l’édition papier. Sans compter que le livre se trouve aussi en concurrence avec la télé, les jeux vidéo, etc.

Conséquence : dans un monde où l’offre est pléthorique et peu coûteuse, mais où le temps d’information comme de consommation se limite toujours plus, comment va se faire le choix ?

Ma réponse est la suivante : à travers la promotion, la communication, en un sens la publicité.

Je pense que les « phénomènes Internet » actuels, de Cory Doctorow à Mikaël Vendetta en passant par Mozinor, se passent de commentaires : leurs initiatives ont créé du buzz (le mot magique qui fait rêver tous les marketeux). Ils ont trouvé le créneau différent, l’approche personnelle qui les a dégagés du lot. On ne parle pas d’eux parce qu’ils sont bons ; on parle d’eux parce que ce sont des phénomènes. Certains dépassent ce stade et s’avèrent des personnalités riches ayant un vrai discours (Doctorow) qui dépasse le buzz ; d’autres sont des flans qui tomberont à moyen terme dans les oubliettes de l’histoire (Vendetta).

Dans un monde où l’offre est pléthorique, dépassant largement les capacités d’information et de lecture de l’être humain moyen, lequel dispose d’un temps limité, c’est le matraquage médiatique qui va faire la différence. Qu’est-ce que je dois acheter ? À défaut, celui dont j’entends le plus souvent parler. Cela va aggraver la tendance « coup éditorial » qu’on subit déjà beaucoup, l’effet « Machin passe chez Fogiel et Ardisson », la construction de pseudo-scandales éditoriaux, etc. Qu’on parle de vous, cela peut vous tomber plus ou moins par hasard, mais c’est aussi une technique, une véritable science, qui coûte de l’argent : c’est le métier du publicitaire.

Attention, le buzz ou la présence médiatique peuvent être parfaitement légitimes en raison, encore une fois, d’un regard différent, d’une oeuvre particulière (Doctorow). Mais qu’on m’explique la légitimité de Mikaël Vendetta, qui est une parfaite construction médiatique ?

De plus, ce matraquage va muter pour noyauter l’information publique (blogs, forums), afin de se dissimuler dans des recoins supposés indépendants. C’est déjà le cas et connu dans le monde du jeu vidéo où certains posteurs sont de suspects avocats indéfectibles d’une même marque… Les majors suivent l’exemple pour constituer de vraies forces de frappe répandant avis favorables et construisant des buzz de toutes pièces.

Je ne dis évidemment pas que tous les blogs se laisseront embarquer – j’en connais personnellement qui ont refusé toute forme d’affiliation et l’ont même publiquement dénoncé, s’attirant des inimitiés au passage. C’est courageux et nécessaire. Mais c’est aussi une affaire de spécialistes. Le visiteur moyen, qui travaille toute la journée, n’a aucune volonté d’exégète mais juste de consommer de la littérature pour son plaisir (et il a mille fois raison), n’a pas le temps, l’énergie, ni même l’envie d’aller démêler le vrai du faux. Et c’est normal.

Loin d’être l’Eldorado fantasmé qu’on nous promet, je regarde donc avec une extrême suspicion les discours idéalistes de dissémination culturelle parce qu’on le veuille ou non, réaliser un choix informé, à moins qu’on soit spécialiste, devient quasiment impossible. Il faut se convaincre une bonne fois pour toutes qu’il ne suffit pas d’être sur Internet pour exister. La conséquence logique est un glissement vers ceux dont c’est le métier de parler plus fort que les autres et d’être écoutés : les publicitaires.

En passant, je voudrais mentionner ce billet de Jean-François Gayrard de Numerik:)Livres, qui définit son métier comme celui d’un « propulseur littéraire ».

Dans des structures comme les nôtres, 100% numérique, quand on y réfléchit bien, l’édition pure occupe seulement 40% de notre temps. Tout le reste est consacré à la promotion dématérialisée sur les réseaux et les médias sociaux de nos auteurs et de nos titres. Nous propulsons plus qu’autre chose.

(Graissage de mon fait.) CQFD.

Sauf que ce métier existe : pour moi, quelqu’un qui passe 60 % de son temps sur la promotion d’une oeuvre, ça porte un nom classique et bien connu des métiers du livre : attaché de presse.

Avant que je ne me fasse sauter à la gorge, je voudrais quand même terminer en déclarant mon respect aux publicitaires et attachés de presse dont le travail est important et nécessaire. Comprenons-nous bien : je ne fustige nullement ces métiers (qui m’intéressent énormément, d’ailleurs). Je fustige l’angélisme qui constiute à imaginer un monde merveilleux, méritoire et bon marché où tout le monde aura sa place. Je répète : bullshit. La publicité sera plus nécessaire encore qu’aujourd’hui, et j’ai un scoop : elle n’est pas gratuite.

Maintenant, à votre avis, qui aura les moyens de la payer ?


Le Buzz ( Le Tutoriel #2 )
envoyé par mozinor. – Cliquez pour voir plus de vidéos marrantes.

2016-01-19T14:25:20+01:00mardi 7 septembre 2010|Best Of, Humeurs aqueuses|8 Commentaires
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