Une description fort apte de Twitter

Chuck Wending (dans un article par ailleurs fort intéressant sur l’implication personnelle des auteurs qui écrivent pour de grosses licences) :

[Twitter] is a wasteland where nuance goes to die. As I am increasingly wont to say, Twitter is the place where somebody was wrong on the internet. Then someone was mad on the internet. Then you were mad on the internet. Then you were wrong on the internet. And that cycle just kinda goes and goes. It’s like a dunk tank where you’re dunking people and then getting dunked for dunking on people and then as you’re being dunked you still find other people down in the deep to dunk on, until everyone is drowning down in Dunktown.

Chuck Wendig, « No, Writing IP is not Soulless« 

(Graissage de mon fait.)

Pour m’assurer qu’on n’avait pas essayé de m’envoyer des notifications que j’aurais ratées (et un peu par curiosité perverse, j’avoue) j’ai sous-mariné Twitter quelques minutes la semaine dernière pour voir si, avec le recul, j’aurais des regrets.

Ce que j’ai vu partout : a) des gens qui s’engueulent pour des broutilles b) des choses plus sérieuses qui font du mal à des gens c) des broutilles ou des choses plus sérieuses qui me font du mal à moi. Il y a bien, bien d’autres façons de rester informé du monde et d’y agir, sans avoir recours à ce mode qui donne le sentiment que tout est accessible et donc que tout qu’on peut, et doit, tout résoudre tout seul maintenant tout de suite pourvu qu’on y mette assez d’énergie (non). Sachant, auguste lectorat, que tu as eu la gentillesse de suivre ici en nombre, ce n’est même pas que j’ai zéro regret : j’ai littéralement l’impression de m’être libéré d’un poids toxique de longue date. Forcément, j’ai envie de vous encourager vous aussi à laisser complètement cette machine à tristesse derrière vous. J’ai retrouvé des facultés de concentration et une certaine tranquillité d’esprit (malgré la pression du boulot assez incommensurable par ailleurs) que j’avais perdues sans même m’en apercevoir, et c’est assez terrifiant, en fait.

Le monde est dehors.

2020-08-31T09:18:35+02:00lundi 31 août 2020|Humeurs aqueuses|4 Commentaires

Internet après les réseaux

La semaine dernière juste avant de quitter Facebook, je me suis connecté pour répondre aux derniers commentaires. Et j’ai été frappé par ce que j’ai vu, jour après jour, sur le fil d’actualité :

Des personnes répondant en longueur à des affronts datant de la veille ou l’avant-veille, relançant des polémiques à travers l’expression de leur colère et de leur frustration, justifiant leurs réactions à des différends que personne n’avait vu, jour, après jour, après jour.

Je ne m’en étais jamais rendu compte avec une telle clarté, mais j’avais l’impression de voir sous mes yeux le théâtre même de la folie.

Je me rappelle quand j’ai découvert Internet à 17 ans. J’ai eu une discussion épique avec ma mère (épique signifiant ici une descente dans l’Agora, prêt à jouer sa vie sur la base de sa seule compétence oratoire) (ma mère et moi sommes épiques de nature) où, tout chevelu et idéaliste, je soutenais qu’Internet sauverait le monde, parce que les gens entreraient en contact les uns les autres et apprendraient à se connaître et à s’informer et parce que le grand mal de l’humanité était avant tout la méconnaissance des gens envers leurs semblables et de le monde mais que dès que la connaissance apparaîtrait à tous, le mal serait levé, c’était aussi simple que ça.

Et puis on a eu Facebook.

HA, HA, HA.

Ouais, un peu comme ça. Gni.

Honnêtement, il y a toujours une part en moi qui croit à cet idéal lointain. Le problème – on en a parlé –, c’est que les réseaux ne reposent pas sur la qualité des interactions, mais sur cette foutue valeur qu’est l’engagement. Pour que les régies publicitaires que sont Facebook, Twitter, Instagram tournent, il leur faut nous maintenir sur la plate-forme le plus longtemps possible. Pour ça, il faut, d’une, nous faire réagir, de deux, nourrir notre ego par l’attention reçue en retour à nos réactions. Et ça, ça marche beaucoup mieux si l’on nous confronte à des sujets qui suscitent de l’angoisse, de l’outrage, de la dissension, plutôt que de nous soumettre à des contenus plus harmonieux. Cela permet d’alimenter le cercle vicieux de l’angoisse et de l’ego. Facebook a littéralement refusé des algorithmes qui auraient pu rendre le site moins clivant.

J’ai donc quitté Facebook dimanche soir, et il se trouve que je traîne par ailleurs sur un forum orienté technologie ; donc, fier de mon accomplissement, je me suis empressé d’annoncer – sur ce forum de geeks, donc – que j’étais Facebook-free.

J’ai été stupéfait par le nombre de membres – de geeks, j’insiste – annonçant que, pour beaucoup, ils avaient déjà quitté Facebook, et parfois tous les réseaux, depuis littéralement des années. Je m’attendais à en voir, mais à peu près 3 sur 4 dans le fil en question – non.

Maintenant, combinons ça au célèbre TED Talk de Cal Newport – chercheur en informatique, on ne parle pas vraiment d’un luddite – qui exhortait déjà en 2017 : « quittez les réseaux sociaux ! » Je le remets dessous, il est court, et ça vaut vraiment le coup :

Combinons ça au boycott croissant d’entreprises envers Facebook, frappant notamment là où ça fait mal, le budget publicitaire (dont le mammouth Procter & Gamble, ça n’est pas non plus le bowling du coin) ;

Combinons ça à la pression des États de tous bords (pour des raisons plus ou moins valides) pour limiter le pouvoir des réseaux (dont le récent ordre de Trump – qu’il soit bien fondé ou pas, c’est une autre question, disons juste ici qu’il témoigne d’une volonté de fond) ;

Combinons ça à des entreprises et des associations qui quittent Facebook en nombre toujours plus important, pour fonder leurs propres plate-formes et environnements de formation (comme Evenant) ;

Combinons enfin ça à Jaron Lanier, un des pionniers de la sécurité informatique, qui écrit littéralement un bouquin sur les dix raisons de quitter les réseaux… 

Pour savoir où vont les tendances de la technologie, il est toujours instructif de voir ce que font les early adopters. Réponse : si j’en crois mon forum tech, ils ne sont déjà plus sur Facebook. Depuis des années. (Au cas où : je ne suis pas moi-même un early adopter. J’aime la technologie, mais je la vois quand même d’abord comme un moyen a) de création et b) de me rendre la vie plus facile. C’est pourquoi je n’early adopte pas, je veux que ça marche – ça ne m’amuse plus de brancher le FSB sur le coefficient multiplicateur du bus parallèle en titane de carbone pour arriver à bosser ; ça n’empêche pas que je scripte et automatise mes machines avec joie pour me libérer le temps d’écrire deux lignes de plus par jour.)

Je vais donc tenter de façon 200% péremptoire une prévision au doigt trempé, mais je crois que l’âge d’or des réseaux, tel que nous l’avons connu ces dix dernières années, touche à sa fin. (Et quand je parle d’âge d’or, on est d’accord que c’est de l’or pour les actionnaires, pas pour nous.)

Le déclin sera long, autant que d’en arriver là où nous en sommes, peut-être, mais je perçois un mouvement de fond, accéléré par l’insensibilité et l’ineptie des dirigeants de Facebook et Twitter, de ras-le-bol envers ces plate-formes.

De mon point de vue, qui est d’écrire des bouquins et les porter à votre connaissance, elles me tiennent littéralement en otage. Si je veux faire connaître mon boulot, je suis censé publier plusieurs statuts par jour, encore davantage en courant dans la roue à hamster des stories, acheter des pubs, le tout pour alimenter avec mes données, mon contenu, une plate-forme qui ne m’appartient pas et qui se gave de mes données.

Fuck no.

Réseau social, qu’y disaient.

Je pense, donc, que l’érosion a commencé. Lente. Mais inexorable. Et le législateur viendra mettre le dernier clou au cercueil pour achever la jungle des réseaux quand – comme d’habitude – les usages auront déjà glissé ailleurs. (Ce sera certainement, d’ailleurs, le signal que la transition est déjà presque terminée.)

Mark Zuckerberg ne s’y est pas trompé en rachetant WhatsApp. En créant Messenger. Ce n’est qu’une question de temps avant que la pub ne surgisse en grosses lettres clignotantes dans ces deux applications ; vous verrez. On se recentre peu à peu sur des cercles plus réduits, mais de meilleure qualité.

L’avenir de l’Internet social ?

Et qu’est-ce qu’on va devenir alors ? Où mettrons-nous nos photos de chats, nos GIF animés, où inventerons-nous nos mèmes ? It has happened before and will happen again.

Jaron Lanier, précédemment cité, est vachement mieux renseigné que moi, et j’ai envie d’adhérer à sa vision, qui correspond à ce mouvement de fond déjà amorcé :

Instead of just a world of people making their own websites and that we all had envisioned we got a Facebook, which then dictates from on top who gets to say what. So, I think decency in society in a sense of high standards, in a sense of commitment, come from intermediate-scale organizations like, you know, churches, universities, guilds, unions, corporations with ethical standards. All kinds of structures. It’s these in-between structures that people join voluntarily where you can talk about excellence and talk about standards. You can’t really do that globally or it turns into authoritarianism.

Jaron Lanier dans une interview chaudement recommandée (graissage de mon fait)

Internet est peut-être parti pour se redécentraliser, revenir à des structures plus granulaires, plus individuelles, plus communautaires, à échelle humaine, centrées autour d’intérêts communs, d’activités, où la monétisation des données n’est plus le but, mais où il s’agit au contraire de privilégier la qualité des discussions, la temporalité, la réflexion et la coopération.

En gros… le bon vieux forum à l’ancienne, mais nourri des technologies des années 2020.

Moi, ça me plaît beaucoup. Et j’ai envie de participer à cette approche ; avec l’énergie récupérée de Facebook, j’aimerais développer ce site et Procrastination, là où nous pouvons rester sains d’esprit, et où la qualité du signal compte davantage que la quantité de bruit.

On verra bien si mon rêve de 1997 a survécu – contrairement à mes cheveux.

2020-07-13T21:22:06+02:00mardi 14 juillet 2020|Humeurs aqueuses|11 Commentaires

Évidemment qu’il faut déboulonner les statues

Et je ne vois même pas pourquoi cela pose le moindre débat. L’argument historique – il faut les conserver à fin éducatives – ne tient pas debout : personne n’a jamais appris quoi que ce soit en les croisant même, par extraordinaire ennui ou coupure de réseau 4G, en lisant les trois lignes sibyllines à leur pied. L’argument artistique ne suffit pas non plus : si l’œuvre a une valeur en soi, qu’on la mette dans un musée où, d’ailleurs, on en apprendra peut-être davantage sur le contexte, le personnage et l’artiste. (Et où ça leur évitera de terminer sous des kilos d’ammoniaque aviaire.)

Mais qu’est-ce qu’une statue ? Un monument. Qu’est-ce qu’un monument ? Ils servent deux rôles :

  • Commémorer d’un événement qui s’est tenu en un lieu précis ;
  • Symboliser la fierté d’une culture.

Dès lors, il est transparent que la statue d’un personnage revêt deux sens :

  • Commémorer valeurs et actes comme fiertés ayant contribué à une culture ;
  • Proclamer le symbole comme inspiration pour l’avenir de cette même culture.

Donc évidemment qu’il faut déboulonner toutes les statues qui ne satisfont pas à cet examen de civilisation, et qu’il faudrait d’ailleurs les réexaminer périodiquement, à mesure que les temps et les cultures évoluent. (On regrettera qu’il faille recourir au vandalisme pour que cela entre dans les consciences, mais si les dirigeants du XXIe siècle avaient une vraie vision, ça n’aurait peut-être pas été nécessaire.)

Je veux dire, on ne frappe pas de pièces de deux euros avec le visage de Louis XIV. Remplaçons donc joyeusement Colbert par, tiens, Marie Curie, et ce ne serait pas trop tôt.

2020-06-28T17:40:37+02:00mardi 30 juin 2020|Humeurs aqueuses|6 Commentaires

Je rends ma carte de membre de la Société Des Gens de Lettres

Charles Deluvio

Rappel rapide des épisodes précédents :

  • Dans le contexte de crise actuel, l’État a débloqué des fonds d’aide d’urgence pour les artistes auteurs, et la SGDL a été mandatée pour faire l’intermédiaire.
  • La Ligue des Auteurs Professionnels a vertement critiqué la gestion de la SGDL. À tort ou à raison, ce n’est même pas le problème en l’occurence, car :
  • La SGDL n’a rien trouvé de plus intelligent que d’attaquer Joann Sfar, président de la Ligue, en diffamation pour ses critiques.

En ce qui me concerne, j’avais déjà très saumâtre le soutien de la SGDL au scandaleux projet ReLIRE, et quand j’ai fini – avec un peu de réticence – à y demander mon adhésion plus tard, j’ai découvert avec stupéfaction qu’on me demandait d’envoyer copie de mes contrats d’auteur pour valider mon adhésion.

Les contrats, c’est confidentiel. Spoiler : ils ne les ont pas eus, mon adhésion a été validée.

Aujourd’hui, je quitte donc la SGDL et ça m’économisera cinquante balles par an. Voici le message envoyé à la direction et au responsable des adhésions :

Messieurs, 

Dans le climat difficile qui secoue la profession en ce moment, vous avez décidé d’attaquer Joann Sfar en diffamation pour des propos tenus à l’encontre de votre gestion de la distribution des fonds d’urgence de l’État aux auteurs. 

Indépendamment du fait que vous entendiez dans les propos de M. Sfar des attaques qu’il n’a pas dites ; indépendamment du fait que vous trouviez, ou non, ses propos tolérables : 

Qu’il ait pu venir à la direction de la Société l’idée qu’une telle démarche, quelles que soient les circonstances, était une idée judicieuse témoigne d’une déconnexion et d’un aveuglement colossaux. 

Pour le dire sans ambages : c’est une décision obtuse à une prodigieuse diversité de niveaux de lecture, et je le dis avec d’autant plus de liberté que je ne suis pas membre de la Ligue des Auteurs Professionnels. 

Vous comprendrez que je ne saurais rester adhérent d’une Société qui entend me représenter avec des décisions obtuses. 

Je vous remercie donc dès réception de ce message, conformément à la législation en vigueur, de : 

– Radier mon nom de vos listes de membres. 

– Supprimer mon et nom et coordonnées des bases de données des membres de la SGDL. 

– Supprimer mon espace adhérent. 

– Résilier tout mandat de prélèvement correspondant aux frais d’adhésion à la Société. 

Je comprends que par cette action, je me prive de tous les services ouverts par la Société, sans contrepartie et malgré l’adhésion déjà payée pour l’année en cours. 

Lionel Davoust

2020-05-27T21:23:55+02:00jeudi 28 mai 2020|Humeurs aqueuses, Le monde du livre|2 Commentaires

Twitter comme démonstration du karma

(Reproduction d’un fil Twitter de la semaine dernière 🙂

Dans chaque abonné.e à Twitter il y a un petit chaton qui veut secrètement des câlins

Twitter est probablement la démonstration la plus évidente des mécanismes du karma. (Sachant que je prends ici karma au sens d’une mécanique d’actions, de causes et de conséquences, qui relient et impactent les êtres vivants – plutôt la version new age, donc.)

Twitter met en relation en permanence des milliers de personnes avec leurs propres problèmes, craintes, angoisses, espoirs du moment, et repose sur leur mise en contact pour générer de l’engagement (read: clash). Twitter est structurellement conçu pour nous pousser à réagir sur l’instant avec nos projections sur ce que nous lisons, même et surtout si ça ne nous concerne pas.

C’est ainsi que les malentendus voire les shitstorms s’installent : quelqu’un a dit un truc dans un certain esprit, né de certaines forces plus ou moins élevées ; une autre personne va réagir selon sa propre lentille, ses propres forces plus ou moins élevées. C’est ainsi que la négativité peut se transmettre comme un virus de personne à personne et souvent entre inconnus totaux : « J’ai lu tel truc qui m’a énervé, j’ai perçu qu’on m’a parlé de travers, je vais répondre énervé parce qu’on ne me parle pas comme ça » – le tout de manière parfaitement inconsciente. That is (pour moi) karma – la somme des impacts les uns aux autres.

Ça n’aide évidemment pas que tout cela aille parler direct à l’ego, qui est celui qui réagit ensuite direct sans passer par la case « raison » ou même – diable – la case « cœur ». C’est hyper difficile (et j’en suis coupable comme la vaste majorité d’entre nous) d’arriver à « arrêter » la négativité à soi, de dire « je ne ferai pas rebondir la peur ou la négativité ou l’agression » vers la personne elle-même ou la personne suivante. On se dit « pourquoi ce serait à moi de le faire ? » Seul l’ego parle ainsi, il raisonne en bilans, en représentations de soi, en images à maintenir. « De quoi vais-je avoir l’air si je laisse passer ? »

Il ne s’agit pas d’absorber, d’endosser la négativité, il s’agit de la diffuser dans l’espace, de la détourner, de la désamorcer, y compris en soi. Du coup, l’ego n’a rien à dire, il ne peut pas se plaindre de devoir en faire « plus » – au contraire, il en fait « moins ».

Par contre c’est vache de difficile, hein, je dis pas. On fait ce qu’on peut, mais essayons de faire mieux, de reconnaître cette réaction des tripes sur laquelle les réseaux commerciaux font leur modèle économique, et de la diffuser dans l’espace, mode aikido. Sachons aussi reconnaître ceux et celles qui ont parfaitement percé ce mécanisme et l’exploitent sciemment pour construire leur e-réputation, afin de nous défendre de leur toxicité – nous sommes peut-être égarés, mais ceux-là sont résolument malfaisants.

Merci à Hekusen
2020-05-08T10:57:15+02:00lundi 11 mai 2020|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Twitter comme démonstration du karma

Non, Mediapart n’a rien découvert sur le triage des patients

En ces temps bizarres de confinement, quand on a la chance de pouvoir le faire, je pense qu’il nous faut conserver ce que l’on sauver de normalité, car la normalité, c’est bien : elle nous aide à prendre de la hauteur, à ne pas catastropher sur l’évolution de la situation, à prendre conscience que même l’épidémie de grippe espagnole – à une époque où l’on ne disposait pas des moyens actuels – a reflué, non sans laisser un terrible bilan derrière elle bien sûr. (C’est pour cela qu’il faut rester chez nous ; démonstration supplémentaire à suivre.)

Donc, je m’étais dit que j’éviterais de trop parler de l’épidémie, d’essayer de proposer des choses différentes, c’est-à-dire les mêmes choses que d’habitude. Mais là, j’ai la sensation qu’il faut prendre du temps pour pointer du doigt ce qui me paraît du sensationnalisme irresponsable.

Disclaimer : je ne suis pas médecin, évidemment (si des médecins me lisent et repèrent une bêtise, je les invite à me corriger avec joie). Cependant, il se trouve que pour écrire de la fantasy, on plonge beaucoup dans l’histoire, et elle nous apprend des tas de trucs utiles. Pour écrire « Les Dieux sauvages », notamment Le Verrou du Fleuve et La Fureur de la Terre, j’ai passé un temps un peu trop déprimant à étudier les mécaniques des populations assiégées à diverses échelles (Leningrad, Alamo), ainsi que les conséquences des armes biologiques et radioactives.

Cela ne m’a pas rendu pas expert, on est d’accord – mais cela m’a un peu éduqué, or c’est fou ce que l’on peut éviter de dire comme conneries quand on se constitue un brin de culture. Alors accompagne-moi donc, auguste lectorat, tel un intrépide journaliste d’investigation, dans les méandres de sources secrètes, obscures et internes :

Wikipédia !

Qu’est-ce que le triage médical ?

Le triage médical est une notion qui intervient lorsque l’on a de nombreux patients, notamment en cas de guerre, d’accident de grande ampleur, ou de catastrophe […] Les degrés de priorité déterminent l’ordre dans lequel les patients vont être traités et évacués. Le but du triage est de sauver le maximum de victimes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Triage_médical (Graissage de mon fait)

Je n’ai pas retrouvé la source, mais je crois avoir lu à un moment que le triage a été mis au point par les médecins de Napoléon. On ne parle donc pas exactement d’un truc qu’on a découvert hier dans des sources qu’on ! vous ! cache ! (Ce bouquin en parle même sous l’angle historique – c’est donc bien qu’il y a… un fucking angle historique.)

Le triage est une technique de zone de guerre. Elle applique une arithmétique terrible et douloureuse, mais nécessaire, pour, comme dit plus haut, sauver le maximum de victimes :

  • Un afflux de blessés ou de malades arrive, engorgeant la capacité de soin (lits et/ou attention du personnel soignant)
  • Tout le monde ne pourra pas recevoir des soins, parce que ce n’est mathématiquement pas possible (supposons un médecin pour cinquante blessés graves)
  • Le triage applique des critères distanciés, établis à l’avance, permettant de garder la tête froide dans le chaos, dont la logique est la suivante : comme les ressources sont limitées, on ne va pas les dépenser sur quelqu’un dont les chances de survie sont très faibles voire nulles. On maximise les chances de ceux qui en ont.

C’est horrible ? Un peu, mon neveu. C’est horrible pour les victimes comme pour le personnel soignant qui se retrouve à devoir faire ces choix. Mais c’est, comme dit plus haut, une technique de zone de guerre. Son application dans les hôpitaux de la Première guerre mondiale est célèbre.

Non, ça ne débarque pas d’hier et ça n’est certainement pas secret !

Comment fait-on pour sauver un maximum de gens quand on sait – parce qu’il n’y a pas assez de capacité, comme dit plus haut – qu’on ne pourra pas sauver tout le monde ? On trie qui on peut sauver. Parce que : on n’a pas le choix. (Voir plus haut : « la notion intervient lorsque l’on a de nombreux patients ») Ce n’est pas faire des sacrifices pour le fun.

Et c’est aussi la manière dont les systèmes d’urgence fonctionnent déjà à travers le monde, même en temps normal (sauf que là, on te fait attendre). Quand j’ai été admis en Australie, malgré la gravité de ma situation (nerf digital sectionné), j’ai eu un bracelet blanc, signifiant : prognostic vital non engagé. Donc j’ai attendu la journée entière, parce que je n’étais pas prioritaire, parce que des gens qui se sont cartonnés en bagnole ou des malades sévères l’étaient plus que moi. T’as mal, peur, tu te demandes un peu ce qui se passe, mais dans ce cas-là, tu te dis la chose suivante : j’ai de la chance de ne pas avoir un bracelet de couleur qui signifierait que je serais urgent. C’est que, au bout du compte, malgré tout, ça pourrait être pire.

Il est extrêmement dommage qu’un organe qui a notre confiance comme Mediapart s’égare dans ce sensationnalisme digne de The Sun. L’article caché derrière le paywall est peut-être tout à fait raisonné et pédagogique, mais tout ce que les gens vont voir, c’est le tweet ci-dessus, et c’est cela qui circulera, qui causera bruit et peur. Cela me rend furieux parce qu’il est irresponsable d’agiter des craintes dans un moment où l’on n’a vraiment pas besoin de ça, face à une population qui souvent, ne sait pas ; furieux parce que si c’est de bonne foi, alors c’est la preuve d’une ignorance crasse et d’une incompétence surréaliste quand l’information et le contexte se trouvent en clair sur Wikifuckingpédia. Quand on a un tel écho, on doit faire un usage responsable de sa parole, plus encore en ce moment.

Je veux dire, FFS, il y avait déjà une quête dans World of Warcraft classic qui portait exactement ce nom ! C’est dans WoW, bon dieu !

Alors, comment fait-on pour que personne – ni les malades, ni les personnels soignants – ne se retrouvent dans cette situation ?

Toujours la même chose, c’est l’importance de flatten the curve :

(Si vous voulez voir avec de jolies animations comment marchent exactement social distancing, confinement et évolutions numériques avec des simulations claires, allez vite voir ici.)

Si on n’engorge pas les capacités d’accueil des hôpitaux, on évite de les déborder et de se retrouver en situation de guerre. On évite de devoir faire des choix terribles pour sauver le maximum de monde, parce que le « maximum » implique qu’on ne peut pas sauver tout le monde.

On évite de se trouver en situation désespérée de triage.

Restez chez vous.

Et rappelez-vous aussi que même si vous n’avez pas le Covid-19, s’il vous arrive quoi que ce soit d’autre lors de vos déplacements autorisés (genre un nerf digital sectionné dans un rayon de grand magasin – tout arrive, figurez-vous), vous serez bien contents aussi de trouver un lit pour vous.

Soutien et pensées aux personnels soignants en première ligne. Et merci.

2020-03-22T10:47:38+01:00lundi 23 mars 2020|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Non, Mediapart n’a rien découvert sur le triage des patients

Devinez quoi, la technologie, c’est maintenant

Tandis que l’homme politique de la semaine disait encore une connerie sur la technologie (je mets même pas de lien, y a qu’à se baisser pour en trouver), je me disais, bon dieu, ça m’agace, il serait temps que j’écrive un machin là-dessus. Je suis fasciné – au sens passif agressif de « oh comme c’est stupide, c’est fascinant » – par la dissonance cognitive de nos sociétés relativement à la technologie.

Le cloud est la fondation de nos sociétés développées ; le smartphone est considéré comme acquis pour tout le monde ; il est difficile de fonctionner sans Google et/ou Facebook ; allez n’importe où et regardez le nombre de gens à la tête baissée sur leur téléphone : oui, les devices régissent nos vies. (Savez-vous comment on appelle à Taïwan les gens absorbés dans leur téléphone qui emmerdent le monde en n’ayant aucune conscience de leur environnement ? « La tribu des gens la tête en bas ».)

Et pourtant, aux hauts échelons de décision, que ce soit dans le privé ou le public, on continue à gérer « cette histoire d’informatique » (ou de digital, si l’on tient vraiment à ne pas avoir l’air de savoir de quoi on parle1) comme dans les années 80. Genre, ah oui, c’est intéressant ce que ça permet de faire, le crayon optique de votre TO7/70 sur votre écran cathodique, c’est certainement l’avenir, ça devrait bien se populariser un jour et transformer la société, mais je vois quand même ça d’un peu loin parce que ça a l’air d’une affaire de spécialistes, on n’y est pas, hein.

Ça n’est fucking pas une affaire de spécialistes. C’est l’affaire de tout le monde, c’est notre présent, et c’est tellement notre présent depuis longtemps que ça en devient presque même le passé, eh oh, réveillez(ons)-v(n)ous.

Donc voilà ce que j’avais envie d’écrire mais ô stupeur, je me suis rendu compte que je m’étais déjà excité sur la question en 2017 : que l’histoire des technologies était complètement passée sous silence dans l’enseignement alors que c’est l’une des clés les plus importantes pour comprendre notre monde (et surtout où il va). Donc, j’ai pas de mémoire (vive).

Bref, il est grand temps que la société s’empare de deux axes :

  • Éduquer réellement les gens à l’usage de la technologie pour leur en rendre le contrôle, au même titre qu’on les forme à la syntaxe, à la grammaire, à l’expression, à l’histoire, au permis de conduire ;
  • Le moindre candidat à une fonction de décideur doit pouvoir démontrer qu’il n’est pas une buse totale sur ces sujets car, breaking news, nous sommes en DEUX MILLE VINGT.

Comment faire ça ? Houlà, je suis auteur, moi. Si j’avais le moindre soupçon d’esprit pratique, vous vous doutez bien que je ferais un vrai métier.

  1. In before les gens qui vont soutenir que si si c’est comme ça qu’on dit.
2020-01-23T01:43:37+01:00mardi 28 janvier 2020|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Devinez quoi, la technologie, c’est maintenant

L’image en ligne n’est pas un supermarché

Photo by chuttersnap on Unsplash

Alors on se met bien d’accord, je suis un photographe tout au plus amateur éclairé (c’est important l’éclairage pour un photographe – ahem – bref – ma seule réelle compétence à peu près professionnelle dans le domaine, la photoidentification, ayant un potentiel artistique assez limité, sauf pour le jeu des 7 erreurs). Même si j’ai l’honneur de quelques petites heures de gloire. Et puis que c’est une activité que j’ai plaisir à développer et à m’efforcer de faire bien. Donc, je ne pousse pas non plus des cris d’orfraie, mais il y a quand même des trucs qui énervent, et qui me font compatir d’autant plus au lot des vrais professionnels, ainsi que des illustrateurs :

Ce n’est pas parce qu’une image se trouve sur Internet qu’on peut librement la diffuser et s’en resservir en toutes circonstances, tout particulièrement si le téléchargement est désactivé et qu’il y a un filigrane de droit d’auteur (watermark).

En gros, tout ça, ça dit clairement : « sois sympa, j’aimerais bien en conserver un peu la diffusion » (ce n’est pas parce que c’est certes un peu illusoire sur Internet qu’on devrait accepter sans rien faire la dissémination de son travail).

J’utilise joyeusement des images d’illustration sur ce blog, mais je m’efforce soit a) de prendre des images expressément libres (merci Unsplash et Wikimédia Commons), en citant les sources – voir ci-dessus par exemple ; soit b) de toujours placer les mentions d’illustrateurs quand il est question d’activités en lien avec le livre (couvertures, festivals) ; soit c) de taper dans les mèmes1 ; soit d) si je ne peux rien faire d’autre, en l’absence de toute information, de placer a minima un rétrolien vers le site source.

Ce qui ne se fait pas, en revanche, c’est de piquer des images quand elle sont expressément protégées. Et ce qui ne se fait vraiment pas, quand le téléchargement est désactivé, quand il y a un filigrane, c’est de prendre une capture d’écran tranquille recadrée pour supprimer le filigrane, afin de reposter une photo sur son propre site, même à but non lucratif, même à des fins de pure illustration, sans aucun crédit.

Parce que ça commence à faire plusieurs fois que cela arrive, et à force, la manière agace. Ce n’est pas comme si Internet en manquait, d’images. Au minimum, à l’absolu minimum, citez la source, au moins, pour remercier la personne dont vous utilisez le matériel.

Bref. Amis photographes, illustrateurs, professionnels de l’image au sens large, si vous en ignorez l’existence, je vous signale le service Pixsy, qui est gratuit et utilise l’intelligence artificielle pour explorer le web à la recherche de vos images. En cas d’utilisation frauduleuse, le service vous facilite les demandes de retrait voire, le cas échéant, se propose de mener les procédures légales de demande d’indemnisation à votre place (en prenant une commission au passage). Je m’en sers, et entre les abus ci-dessus et l’existence d’agrégateurs automatiques et de fermes de liens, cela m’a montré toute l’ampleur des problèmes que vous rencontrez au quotidien2. En tout cas, je compatis.

  1. Leur usage est flou, certes, parfois abusif, c’est vrai aussi, mais en cas de problème, on peut toujours m’envoyer une demande de retrait.
  2. Et si, d’ailleurs, vous voyez une manière dont je pourrais améliorer mes propres pratiques ici, n’hésitez pas à me le signaler, c’est très bienvenu.
2019-10-24T00:20:32+02:00mercredi 23 octobre 2019|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Apparaître sur les réseaux commerciaux quand on est un personnage semi-public [leçons de la Worldcon]

Donc. Je suis un peu revenu sur Twitter ces derniers temps, en mode « haha ne faites pas attention à moi, je regarde juste par la fenêtre », oui je sais après avoir juré mes grands dieux que je toucherais plus à cette came néfaste et diabolique, comme j’avais dit il y a quinze ans que je ne toucherais jamais à World of Warcraft, or j’ai TUÉ RAGNAROS ET ONYXIA À VANILLA MOI MONSIEUR. C’est bien la preuve que je suis FAIBLE.

Suis-je si rapide à oublier l’eau froide tel un chat échaudé sans mémoire ? Eh bien, déjà, les interactions régulières et sympas, le côté spontané me manquaient, tout simplement. J’avais un peu l’impression de m’être mis au piquet tout seul (même si j’avais grand besoin d’une bouffée d’air et de réfléchir).

Mais surtout, j’ai assisté à beaucoup de tables rondes sur le sujet même des réseaux commerciaux à la Worldcon, dans l’espoir de comprendre pourquoi mes fils ne cessaient de m’exploser à la gueule depuis le début de l’année pour des trucs bien moins polémiques que je n’ai pu en écrire autrefois (avec d’ailleurs, a posteriori, quelques regrets).

Keira Knightley Anna Karnine GIF - Find & Share on GIPHY
C’est chiant les GIF animés quand on lit hein

La leçon que j’en ai retiré, très simplement, est : « you’re doing it wrong« . Je m’y prends mal, au moins sur la forme. Et la raison en est : engoncé dans mon vieux pote, le syndrome de l’imposteur, je n’avais pas vu que mon audience avait lentement mais sûrement dépassé un certain cercle confidentiel.

Or, il y a une différence entre twitter pour son cercle, qui vous connaît, vous suit et vous accorde le bénéfice du doute quand vous n’êtes pas clair, et voir ses mots pas forcément aussi bien léchés qu’on l’aurait voulu s’envoler bien au-delà de ce qu’on imagine et prendre des formes inattendues et monstrueuses. Et c’est là que l’on prête le flanc à ce vers célèbre de Rudyard Kipling, je paraphrase – c’est là que les gueux travestissent vos paroles pour exciter les sots.

Alors, que faire, sur un réseau comme Twitter où, par définition, tout est accessible à tout le monde ? Décider que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec vous sont forcément des gueux et ceux qui les suivent forcément des sots ? Les argumentations autocentrées ne sauraient être reçues sans une immense méfiance – celles qui soutiennent que je ne peux pas me tromper car je suis un gentil, et c’est irréfutable, puisque c’est moi. (L’ennemi est idiot, disait Desproges, il croit que l’ennemi c’est nous, alors que nous on sait bien que c’est lui.)

La meilleure image que j’ai entendue à la Worldcon est : il faut considérer Twitter comme un pub. Un pub où, en outre, (pour reprendre une précision qui m’a été apportée depuis) tout le monde est saoul et cherche la castagne. Et, là, à un moment, vous montez sur un fût pour clamer un truc.

Hahaha.

Eh bah, vous avez drôlement intérêt à être clair pour les inconnus qui n’ont pas le contexte et ne vous connaissent pas. Ils n’iront jamais chercher les précisions, car les réseaux sont ainsi faits qu’ils stimulent la rage plutôt que la conciliation, l’outrage plutôt que la modération. C’est structurel, c’est leur modèle économique. Et espérer que les gens le fassent quand même, pour vous accorder, à vous, le bénéfice du doute est certainement une illusion de l’ego. (« Je suis gentil ! Vous devriez me traiter différemment ! Parce que c’est moi ! »)

Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Un auteur (ou créatif au sens large) est dans une situation ambiguë. D’un côté, c’est une personne seule, avec ses failles, ses moments de fatigue, ses opinions, ses maladresses aussi. (On ne tweete pas comme on publie un roman, qui relève de toute façon de la fiction, et où l’on s’efforce en plus de soupeser chaque phrase, lesquelles seront relues par toute une équipe éditoriale, pour que ça dise bien ce qu’on veut dire.) Des fois, donc, on se loupe. Mais aussi, c’est un compte « professionnel ». C’est, qu’on le veuille ou non, l’image pro que dégage l’auteur, et malheur à lui ou elle s’il sort un truc mal interprétable.

Donc, il viendrait, logiquement, que :

On ne doit pas sortir sur Twitter un truc mal interprétable.

Ça veut donc dire éviter un certain nombre de sujets et d’idées complexes.

Triste conclusion ? S’il s’agit de déplorer l’état du débat public, où l’on s’empare de la moindre imprécision pour clouer au pilori la moindre parole qui va défriser une personne isolée, alors oui, totalement. S’il s’agit de comprendre dans quoi on met les pieds personnellement et à quoi on s’expose, c’est une bonne leçon à retenir. Pour ma part, je fais ce blog, je suis sur les réseaux commerciaux pour le plaisir, et pour payer ma dette karmique. Donc, pour m’efforcer d’ajouter de la valeur à une conversation. Tout le monde n’a pas la même notion de la valeur, mais la conclusion que je tirais il y a un mois reste la même : si ce que tu voudrais dire ne peut pas passer clairement en 280 caractères, alors ne le dis pas (comme dans l’analogie du bar avec les clients à fleur de peau), ou bien sois prêt à t’accrocher au pinceau quand on t’enlèvera l’échelle et que the floor is lava.

Je n’ai pas envie d’aller à la baston. Je n’ai plus vingt ans et besoin de m’affirmer au monde pour exister : je sais que j’existe, la preuve, je me suis rencontré. Et franchement, ça me fait chier de terminer certains jours avec le cœur à 120 à cause d’une énième prise de bec idiote sur un mot mal compris, mais ça me fait chier aussi de me dire que peut-être, en face, une personne est dans le même état à cause d’un truc que j’ai pu dire de travers. C’est un peu trop facile de se dire que le type en face est un idiot et que j’ai forcément raison ; de toute façon, j’en suis structurellement incapable.

Alors bien sûr, les trolls, les imbéciles et les personnes qui ne vivent que pour susciter du conflit afin qu’on parle d’eux existeront toujours. Une part de l’apprentissage de ces outils, à mesure que l’on s’adresse à une audience plus vaste dans le pub, consiste aussi à savoir appeler les videurs : mute et block sont tes amis1.

Mais Gareth L. Powell affirmait à la Worldcon : « Je pense résolument que l’on retire des réseaux ce que l’on y investit. Les gens et vos interactions reflètent ce que vous y présentez. » Une opinion à laquelle je souscris (car je la trouve valable pour l’existence, de manière générale : be the change you want to see in the world).

Que faire, donc, du contenu plus complexe, plus potentiellement polémique ? On le tait par prudence ? Le monde ne sera-t-il à jamais que photos de chats ? Non, heureusement que non. Pour ma part, l’envie de me recentrer davantage ici, de réserver de toute façon à MA plate-forme, à MA maison et à vous, qui me faites le plaisir de la suivre, le meilleur de ce que je peux raconter (spoiler : et ça n’est pas le contenu facile à résumer en 280 caractères qui finit sur Twitter, justement), reste. Donc : si ça ne tient pas en 280 caractères, ça sera ici (et ça sera vachement plus provocateur de pensée, thought-provoking, et ça va être chouette).

Mais qu’est-ce qu’on peut faire avec Twitter, alors dis-donc Jamy ?

Il y a une responsabilité dans l’usage de la parole publique, j’ai toujours pensé qu’elle s’appliquait à la fiction (on est responsable de ce qu’on véhicule, consciemment en tout cas – restons-en là pour l’instant, car l’inconscient, c’est beaucoup plus complexe). Maintenant, il faut aussi savoir reconnaître quand on en dispose d’une telle tribune sur un réseau – qu’on soit créateur, critique, ou simplement personne un tant soit peu publique –, sans fausse modestie, et se rendre compte qu’on doit faire un peu plus gaffe que quand on fait une blague à ses potes, car on n’est pas avec ses potes. On est dans un pub louche et on monte sur un fût avec la gueule enfarinée et seulement 280 caractères.

Donc : il s’agit de discuter avec des gens en mettant l’accent sur la bienveillance et la gentillesse. De tendre la main, en accordant soi-même le bénéfice du doute, et de refuser tout net, immédiatement, le conflit (à moins d’être prêt à empoigner le lance-flammes quand il y a réel danger – mais les susceptibilités froissées, la mienne ou la tienne, n’en font pas partie). La polémique, la discussion constructive, devraient être réservés aux espaces plus développés comme les blogs, où l’espace pour s’exprimer est illimité, et où la temporalité, détachée de l’instantané, se prête infiniment mieux à des échanges réfléchis2.

Dont acte, ou du moins, on va faire de son mieux pour.

  1. Par comparaison, la fiction, étant ce qu’elle est (fictive, duh) est un laboratoire paradoxalement bien plus sûr, alors qu’elle livre souvent des idées bien plus inconfortables.
  2. Même si les blogs peuvent aussi avoir leur côté impulsif et inachevé – c’était leur principe, à la base, avant les réseaux commerciaux.
2019-08-26T19:05:09+02:00mardi 27 août 2019|Humeurs aqueuses|11 Commentaires

Les réseaux commerciaux ne nous appartiennent pas

Edit du 6 septembre 2019 : ma réflexion s’est poursuivie avec la Worldcon 2019 avec beaucoup de conférences et tables rondes sur le sujet ; les enseignements se trouvent ici, avec un retour, sous un format différent, vers les plate-formes.

Depuis que j’ai décidé de me mettre en retrait des réseaux, de l’immense caisse de résonance qu’ils donnent à nos egos, à notre désir bien humain d’apparence, il s’est passé un truc bizarre.

Moi qui ai toujours été technophile, geek, amoureux de la technologie et de ce qu’elle offre, c’est comme si j’avais mangé la pilule rouge de Morpheus. Je vois sur Twitter des conflits absurdes sur des détails d’expression pour des questions superficielles et des gens qui s’écharpent pour terminer malheureux et insomniaques. Je vois ceux et celles qui utilisent la plate-forme pour servir de manière froidement calculée leur renommée à travers l’instrumentalisation de vraies causes. Il y a aussi, heureusement, les vrais combats et les outrages populaires qui entraînent des conséquences positives. Mais je m’interroge de plus en plus sur le rapport signal-bruit. Le bilan est-il réellement positif, au final ?

Ces plate-formes ne sont pas conçues, de base, pour créer des rapports harmonieux. La facilité avec laquelle elles ont été détournées bien des fois (et combien les entreprises qui les portent ont montré, dans le meilleur des cas, leur inaction) en est la preuve. Je ne dis pas que cette régulation est facile. Peut-être est-elle impossible avec les outils actuels. En revanche, je trouve les initiatives comme celles d’Instagram, qui se glorifie de tester une fonctionnalité d’intelligence artificielle où l’application te demandera en substance « es-tu bien sûr de vouloir poster ce commentaire haineux ? », clairement risibles et largement insuffisantes.

PLUS META TU MEURS

Les réseaux sont importants quand on fait une profession un tant soit peu publique comme auteur, créateur, artiste. En particulier quand l’on travaille sur des projets de long terme comme des bouquins (qui, dans mon cas, ont du mal à sortir plus vite que tous les 12 ou 18 mois, ne serait-ce que parce que j’écris des monstres). C’est une façon de conserver le lien avec une communauté ; parfois, de lever le voile sur le processus créateur ; d’inspirer éventuellement ceux et celles qui viennent après nous, d’être inspiré par ceux et celles qui viennent avant, et de causer boutique avec les gens qui viennent à peu près en même temps.

Je ne suis pas le premier à le dire, j’espère ne pas être le dernier, mais : quelque chose a horriblement mal tourné, dès lors que l’on a commencé à quantifier la portée de nos brèves, de nos photos de chats, que l’on s’est mis à télécharger des applications pour se rendre plus beaux ou belles que nature sur Instagram, que l’on a inventé le terme d' »influenceurs ». Aaaah que je hais ce mot.

J’en ai déjà parlé précédemment, mais : les réseaux sociaux ne nous appartiennent pas. Le terme est d’ailleurs extrêmement trompeur, et je vous encourage à appeler un lolcat un lolcat et à les désigner par leur véritable terme (qui n’est pas de moi) : les réseaux commerciaux.

Il ne s’agit aucunement de tisser du lien entre les êtres humains ; si cela arrive, c’est une belle conséquence, mais c’est un effet secondaire du système et non son but. Facebook, Twitter et consorts ne vivent que d’une chose : de la publicité. Il s’agit donc de générer de l’engagement. Ce qui est très différent. Il s’agit d’inciter l’utilisateur à rester sur l’application, à la consulter le plus souvent possible, pour lui diffuser de la publicité. Il s’agit de générer des réactions instinctives, brutales ; il s’agit de séduire l’utilisateur en l’incitant insidieusement à se présenter de la manière qui générera le plus de commentaires, de validations, de likes. Ils se bâtissent sur l’ego, l’apparence, amplifient toutes les provocations, et comme si ça ne suffisait pas, ils siphonnent nos données personnelles. Encore une fois, je ne suis pas le premier à le dire, loin de là, mais il me semble important de continuer à le rappeler.

Il me semble important aussi de rappeler que les réseaux commerciaux ne sont pas l’ensemble du territoire de la pensée. Ils sont même, en ce moment, une part importante du territoire de la non-pensée. Bien sûr, encore une fois, il se passe de belles interactions avec ces outils, mais je crois résolument que c’est grâce aux gens, et certainement pas grâce à l’outil.

Il nous revient de nous détacher de cette tyrannie de l’immédiat pour retrouver une mesure de quiétude, et c’est aussi un autre des effets de la pilule rouge que je ressens en ce moment. Je n’éprouve plus aucune « FOMO » comme on dit en bon anglais – fear of missing out, la peur de manquer un truc, une des pulsions fondamentales qui nous pousse à nous connecter plusieurs fois par jour sur les réseaux (ou même pour s’assurer qu’un énième shitstorm stupide n’explose pas en notre absence). Je n’avais même pas pleinement conscience que je la ressentais. Mais en ayant fermement refusé que les plate-formes se servent de moi, en ayant résolument décidé de m’en servir à la place – pour amplifier mon travail, qu’il soit gratuit ou non, et maintenir les belles conversations avec les gens de qualité – je retrouve une sérénité et une concentration presque invraisemblables. Une présence à l’instant. Plus de petite pression en fond qui te dit : « ça fait longtemps que t’as rien publié sur Instagram, tu devrais peut-être poster ce coucher de soleil ». Ou « et ma story ? Je fais pas de story. Est-ce que je devrais ? J’essaie ? » Sachant qu’en vrai, tout le monde s’en fout, de mon coucher de soleil (et tout le monde a bien raison). Je partage avec joie mon processus d’écriture, mes réflexions sur le sujet, mais ma vie, et mes moments, n’appartiennent qu’à moi. Pour la dixième fois, je ne suis pas le premier à le dire. Mais l’expérience est incroyablement libératrice.

Il nous appartient de retrouver la temporalité et la réflexion dans les espaces de pensée. Je ne crois pas qu’on puisse les trouver sur les réseaux commerciaux. Ils ne sont pas conçus pour. Ils sont conçus pour nous captiver, ce qui a ses bénéfices également, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain1, mais cela n’a rien à voir. Plusieurs – sur les réseaux, justement – l’ont rappelé : il faudrait peut-être revenir aux blogs, à des communications plus substantielles, dans l’esprit de la vraie presse d’investigation qui prend le temps d’analyser, réfléchir, argumenter. Ce qui n’empêche pas de poster une photo de chat. De s’exprimer avec ironie. Mais pour cela, je crois que les blogs sont les mieux placés. Les outils existent toujours, comme les infrastructures. Facebook et Twitter ne les ont pas détruits. Pour ma part, j’y suis revenu, et bon dieu, ça fait du bien, vous savez.

Vous allez voir que bientôt, on va ressusciter les webrings.

Pour aller plus loin, en anglais : My kids aren’t getting social media accounts and yours probably shouldn’t either

  1. Sérieusement, c’est quoi cette expression ? Le bébé ne passe de toute façon pas par la bonde. Même en appuyant très fort.
2019-09-06T23:37:32+02:00lundi 22 juillet 2019|Humeurs aqueuses|23 Commentaires
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