Non, Mediapart n’a rien découvert sur le triage des patients

En ces temps bizarres de confinement, quand on a la chance de pouvoir le faire, je pense qu’il nous faut conserver ce que l’on sauver de normalité, car la normalité, c’est bien : elle nous aide à prendre de la hauteur, à ne pas catastropher sur l’évolution de la situation, à prendre conscience que même l’épidémie de grippe espagnole – à une époque où l’on ne disposait pas des moyens actuels – a reflué, non sans laisser un terrible bilan derrière elle bien sûr. (C’est pour cela qu’il faut rester chez nous ; démonstration supplémentaire à suivre.)

Donc, je m’étais dit que j’éviterais de trop parler de l’épidémie, d’essayer de proposer des choses différentes, c’est-à-dire les mêmes choses que d’habitude. Mais là, j’ai la sensation qu’il faut prendre du temps pour pointer du doigt ce qui me paraît du sensationnalisme irresponsable.

Disclaimer : je ne suis pas médecin, évidemment (si des médecins me lisent et repèrent une bêtise, je les invite à me corriger avec joie). Cependant, il se trouve que pour écrire de la fantasy, on plonge beaucoup dans l’histoire, et elle nous apprend des tas de trucs utiles. Pour écrire « Les Dieux sauvages », notamment Le Verrou du Fleuve et La Fureur de la Terre, j’ai passé un temps un peu trop déprimant à étudier les mécaniques des populations assiégées à diverses échelles (Leningrad, Alamo), ainsi que les conséquences des armes biologiques et radioactives.

Cela ne m’a pas rendu pas expert, on est d’accord – mais cela m’a un peu éduqué, or c’est fou ce que l’on peut éviter de dire comme conneries quand on se constitue un brin de culture. Alors accompagne-moi donc, auguste lectorat, tel un intrépide journaliste d’investigation, dans les méandres de sources secrètes, obscures et internes :

Wikipédia !

Qu’est-ce que le triage médical ?

Le triage médical est une notion qui intervient lorsque l’on a de nombreux patients, notamment en cas de guerre, d’accident de grande ampleur, ou de catastrophe […] Les degrés de priorité déterminent l’ordre dans lequel les patients vont être traités et évacués. Le but du triage est de sauver le maximum de victimes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Triage_médical (Graissage de mon fait)

Je n’ai pas retrouvé la source, mais je crois avoir lu à un moment que le triage a été mis au point par les médecins de Napoléon. On ne parle donc pas exactement d’un truc qu’on a découvert hier dans des sources qu’on ! vous ! cache ! (Ce bouquin en parle même sous l’angle historique – c’est donc bien qu’il y a… un fucking angle historique.)

Le triage est une technique de zone de guerre. Elle applique une arithmétique terrible et douloureuse, mais nécessaire, pour, comme dit plus haut, sauver le maximum de victimes :

  • Un afflux de blessés ou de malades arrive, engorgeant la capacité de soin (lits et/ou attention du personnel soignant)
  • Tout le monde ne pourra pas recevoir des soins, parce que ce n’est mathématiquement pas possible (supposons un médecin pour cinquante blessés graves)
  • Le triage applique des critères distanciés, établis à l’avance, permettant de garder la tête froide dans le chaos, dont la logique est la suivante : comme les ressources sont limitées, on ne va pas les dépenser sur quelqu’un dont les chances de survie sont très faibles voire nulles. On maximise les chances de ceux qui en ont.

C’est horrible ? Un peu, mon neveu. C’est horrible pour les victimes comme pour le personnel soignant qui se retrouve à devoir faire ces choix. Mais c’est, comme dit plus haut, une technique de zone de guerre. Son application dans les hôpitaux de la Première guerre mondiale est célèbre.

Non, ça ne débarque pas d’hier et ça n’est certainement pas secret !

Comment fait-on pour sauver un maximum de gens quand on sait – parce qu’il n’y a pas assez de capacité, comme dit plus haut – qu’on ne pourra pas sauver tout le monde ? On trie qui on peut sauver. Parce que : on n’a pas le choix. (Voir plus haut : « la notion intervient lorsque l’on a de nombreux patients ») Ce n’est pas faire des sacrifices pour le fun.

Et c’est aussi la manière dont les systèmes d’urgence fonctionnent déjà à travers le monde, même en temps normal (sauf que là, on te fait attendre). Quand j’ai été admis en Australie, malgré la gravité de ma situation (nerf digital sectionné), j’ai eu un bracelet blanc, signifiant : prognostic vital non engagé. Donc j’ai attendu la journée entière, parce que je n’étais pas prioritaire, parce que des gens qui se sont cartonnés en bagnole ou des malades sévères l’étaient plus que moi. T’as mal, peur, tu te demandes un peu ce qui se passe, mais dans ce cas-là, tu te dis la chose suivante : j’ai de la chance de ne pas avoir un bracelet de couleur qui signifierait que je serais urgent. C’est que, au bout du compte, malgré tout, ça pourrait être pire.

Il est extrêmement dommage qu’un organe qui a notre confiance comme Mediapart s’égare dans ce sensationnalisme digne de The Sun. L’article caché derrière le paywall est peut-être tout à fait raisonné et pédagogique, mais tout ce que les gens vont voir, c’est le tweet ci-dessus, et c’est cela qui circulera, qui causera bruit et peur. Cela me rend furieux parce qu’il est irresponsable d’agiter des craintes dans un moment où l’on n’a vraiment pas besoin de ça, face à une population qui souvent, ne sait pas ; furieux parce que si c’est de bonne foi, alors c’est la preuve d’une ignorance crasse et d’une incompétence surréaliste quand l’information et le contexte se trouvent en clair sur Wikifuckingpédia. Quand on a un tel écho, on doit faire un usage responsable de sa parole, plus encore en ce moment.

Je veux dire, FFS, il y avait déjà une quête dans World of Warcraft classic qui portait exactement ce nom ! C’est dans WoW, bon dieu !

Alors, comment fait-on pour que personne – ni les malades, ni les personnels soignants – ne se retrouvent dans cette situation ?

Toujours la même chose, c’est l’importance de flatten the curve :

(Si vous voulez voir avec de jolies animations comment marchent exactement social distancing, confinement et évolutions numériques avec des simulations claires, allez vite voir ici.)

Si on n’engorge pas les capacités d’accueil des hôpitaux, on évite de les déborder et de se retrouver en situation de guerre. On évite de devoir faire des choix terribles pour sauver le maximum de monde, parce que le « maximum » implique qu’on ne peut pas sauver tout le monde.

On évite de se trouver en situation désespérée de triage.

Restez chez vous.

Et rappelez-vous aussi que même si vous n’avez pas le Covid-19, s’il vous arrive quoi que ce soit d’autre lors de vos déplacements autorisés (genre un nerf digital sectionné dans un rayon de grand magasin – tout arrive, figurez-vous), vous serez bien contents aussi de trouver un lit pour vous.

Soutien et pensées aux personnels soignants en première ligne. Et merci.

2020-03-22T10:47:38+01:00lundi 23 mars 2020|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Non, Mediapart n’a rien découvert sur le triage des patients

Devinez quoi, la technologie, c’est maintenant

Tandis que l’homme politique de la semaine disait encore une connerie sur la technologie (je mets même pas de lien, y a qu’à se baisser pour en trouver), je me disais, bon dieu, ça m’agace, il serait temps que j’écrive un machin là-dessus. Je suis fasciné – au sens passif agressif de « oh comme c’est stupide, c’est fascinant » – par la dissonance cognitive de nos sociétés relativement à la technologie.

Le cloud est la fondation de nos sociétés développées ; le smartphone est considéré comme acquis pour tout le monde ; il est difficile de fonctionner sans Google et/ou Facebook ; allez n’importe où et regardez le nombre de gens à la tête baissée sur leur téléphone : oui, les devices régissent nos vies. (Savez-vous comment on appelle à Taïwan les gens absorbés dans leur téléphone qui emmerdent le monde en n’ayant aucune conscience de leur environnement ? « La tribu des gens la tête en bas ».)

Et pourtant, aux hauts échelons de décision, que ce soit dans le privé ou le public, on continue à gérer « cette histoire d’informatique » (ou de digital, si l’on tient vraiment à ne pas avoir l’air de savoir de quoi on parle1) comme dans les années 80. Genre, ah oui, c’est intéressant ce que ça permet de faire, le crayon optique de votre TO7/70 sur votre écran cathodique, c’est certainement l’avenir, ça devrait bien se populariser un jour et transformer la société, mais je vois quand même ça d’un peu loin parce que ça a l’air d’une affaire de spécialistes, on n’y est pas, hein.

Ça n’est fucking pas une affaire de spécialistes. C’est l’affaire de tout le monde, c’est notre présent, et c’est tellement notre présent depuis longtemps que ça en devient presque même le passé, eh oh, réveillez(ons)-v(n)ous.

Donc voilà ce que j’avais envie d’écrire mais ô stupeur, je me suis rendu compte que je m’étais déjà excité sur la question en 2017 : que l’histoire des technologies était complètement passée sous silence dans l’enseignement alors que c’est l’une des clés les plus importantes pour comprendre notre monde (et surtout où il va). Donc, j’ai pas de mémoire (vive).

Bref, il est grand temps que la société s’empare de deux axes :

  • Éduquer réellement les gens à l’usage de la technologie pour leur en rendre le contrôle, au même titre qu’on les forme à la syntaxe, à la grammaire, à l’expression, à l’histoire, au permis de conduire ;
  • Le moindre candidat à une fonction de décideur doit pouvoir démontrer qu’il n’est pas une buse totale sur ces sujets car, breaking news, nous sommes en DEUX MILLE VINGT.

Comment faire ça ? Houlà, je suis auteur, moi. Si j’avais le moindre soupçon d’esprit pratique, vous vous doutez bien que je ferais un vrai métier.

  1. In before les gens qui vont soutenir que si si c’est comme ça qu’on dit.
2020-01-23T01:43:37+01:00mardi 28 janvier 2020|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Devinez quoi, la technologie, c’est maintenant

L’image en ligne n’est pas un supermarché

Photo by chuttersnap on Unsplash

Alors on se met bien d’accord, je suis un photographe tout au plus amateur éclairé (c’est important l’éclairage pour un photographe – ahem – bref – ma seule réelle compétence à peu près professionnelle dans le domaine, la photoidentification, ayant un potentiel artistique assez limité, sauf pour le jeu des 7 erreurs). Même si j’ai l’honneur de quelques petites heures de gloire. Et puis que c’est une activité que j’ai plaisir à développer et à m’efforcer de faire bien. Donc, je ne pousse pas non plus des cris d’orfraie, mais il y a quand même des trucs qui énervent, et qui me font compatir d’autant plus au lot des vrais professionnels, ainsi que des illustrateurs :

Ce n’est pas parce qu’une image se trouve sur Internet qu’on peut librement la diffuser et s’en resservir en toutes circonstances, tout particulièrement si le téléchargement est désactivé et qu’il y a un filigrane de droit d’auteur (watermark).

En gros, tout ça, ça dit clairement : « sois sympa, j’aimerais bien en conserver un peu la diffusion » (ce n’est pas parce que c’est certes un peu illusoire sur Internet qu’on devrait accepter sans rien faire la dissémination de son travail).

J’utilise joyeusement des images d’illustration sur ce blog, mais je m’efforce soit a) de prendre des images expressément libres (merci Unsplash et Wikimédia Commons), en citant les sources – voir ci-dessus par exemple ; soit b) de toujours placer les mentions d’illustrateurs quand il est question d’activités en lien avec le livre (couvertures, festivals) ; soit c) de taper dans les mèmes1 ; soit d) si je ne peux rien faire d’autre, en l’absence de toute information, de placer a minima un rétrolien vers le site source.

Ce qui ne se fait pas, en revanche, c’est de piquer des images quand elle sont expressément protégées. Et ce qui ne se fait vraiment pas, quand le téléchargement est désactivé, quand il y a un filigrane, c’est de prendre une capture d’écran tranquille recadrée pour supprimer le filigrane, afin de reposter une photo sur son propre site, même à but non lucratif, même à des fins de pure illustration, sans aucun crédit.

Parce que ça commence à faire plusieurs fois que cela arrive, et à force, la manière agace. Ce n’est pas comme si Internet en manquait, d’images. Au minimum, à l’absolu minimum, citez la source, au moins, pour remercier la personne dont vous utilisez le matériel.

Bref. Amis photographes, illustrateurs, professionnels de l’image au sens large, si vous en ignorez l’existence, je vous signale le service Pixsy, qui est gratuit et utilise l’intelligence artificielle pour explorer le web à la recherche de vos images. En cas d’utilisation frauduleuse, le service vous facilite les demandes de retrait voire, le cas échéant, se propose de mener les procédures légales de demande d’indemnisation à votre place (en prenant une commission au passage). Je m’en sers, et entre les abus ci-dessus et l’existence d’agrégateurs automatiques et de fermes de liens, cela m’a montré toute l’ampleur des problèmes que vous rencontrez au quotidien2. En tout cas, je compatis.

  1. Leur usage est flou, certes, parfois abusif, c’est vrai aussi, mais en cas de problème, on peut toujours m’envoyer une demande de retrait.
  2. Et si, d’ailleurs, vous voyez une manière dont je pourrais améliorer mes propres pratiques ici, n’hésitez pas à me le signaler, c’est très bienvenu.
2019-10-24T00:20:32+02:00mercredi 23 octobre 2019|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Apparaître sur les réseaux commerciaux quand on est un personnage semi-public [leçons de la Worldcon]

Donc. Je suis un peu revenu sur Twitter ces derniers temps, en mode « haha ne faites pas attention à moi, je regarde juste par la fenêtre », oui je sais après avoir juré mes grands dieux que je toucherais plus à cette came néfaste et diabolique, comme j’avais dit il y a quinze ans que je ne toucherais jamais à World of Warcraft, or j’ai TUÉ RAGNAROS ET ONYXIA À VANILLA MOI MONSIEUR. C’est bien la preuve que je suis FAIBLE.

Suis-je si rapide à oublier l’eau froide tel un chat échaudé sans mémoire ? Eh bien, déjà, les interactions régulières et sympas, le côté spontané me manquaient, tout simplement. J’avais un peu l’impression de m’être mis au piquet tout seul (même si j’avais grand besoin d’une bouffée d’air et de réfléchir).

Mais surtout, j’ai assisté à beaucoup de tables rondes sur le sujet même des réseaux commerciaux à la Worldcon, dans l’espoir de comprendre pourquoi mes fils ne cessaient de m’exploser à la gueule depuis le début de l’année pour des trucs bien moins polémiques que je n’ai pu en écrire autrefois (avec d’ailleurs, a posteriori, quelques regrets).

Keira Knightley Anna Karnine GIF - Find & Share on GIPHY
C’est chiant les GIF animés quand on lit hein

La leçon que j’en ai retiré, très simplement, est : « you’re doing it wrong« . Je m’y prends mal, au moins sur la forme. Et la raison en est : engoncé dans mon vieux pote, le syndrome de l’imposteur, je n’avais pas vu que mon audience avait lentement mais sûrement dépassé un certain cercle confidentiel.

Or, il y a une différence entre twitter pour son cercle, qui vous connaît, vous suit et vous accorde le bénéfice du doute quand vous n’êtes pas clair, et voir ses mots pas forcément aussi bien léchés qu’on l’aurait voulu s’envoler bien au-delà de ce qu’on imagine et prendre des formes inattendues et monstrueuses. Et c’est là que l’on prête le flanc à ce vers célèbre de Rudyard Kipling, je paraphrase – c’est là que les gueux travestissent vos paroles pour exciter les sots.

Alors, que faire, sur un réseau comme Twitter où, par définition, tout est accessible à tout le monde ? Décider que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec vous sont forcément des gueux et ceux qui les suivent forcément des sots ? Les argumentations autocentrées ne sauraient être reçues sans une immense méfiance – celles qui soutiennent que je ne peux pas me tromper car je suis un gentil, et c’est irréfutable, puisque c’est moi. (L’ennemi est idiot, disait Desproges, il croit que l’ennemi c’est nous, alors que nous on sait bien que c’est lui.)

La meilleure image que j’ai entendue à la Worldcon est : il faut considérer Twitter comme un pub. Un pub où, en outre, (pour reprendre une précision qui m’a été apportée depuis) tout le monde est saoul et cherche la castagne. Et, là, à un moment, vous montez sur un fût pour clamer un truc.

Hahaha.

Eh bah, vous avez drôlement intérêt à être clair pour les inconnus qui n’ont pas le contexte et ne vous connaissent pas. Ils n’iront jamais chercher les précisions, car les réseaux sont ainsi faits qu’ils stimulent la rage plutôt que la conciliation, l’outrage plutôt que la modération. C’est structurel, c’est leur modèle économique. Et espérer que les gens le fassent quand même, pour vous accorder, à vous, le bénéfice du doute est certainement une illusion de l’ego. (« Je suis gentil ! Vous devriez me traiter différemment ! Parce que c’est moi ! »)

Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Un auteur (ou créatif au sens large) est dans une situation ambiguë. D’un côté, c’est une personne seule, avec ses failles, ses moments de fatigue, ses opinions, ses maladresses aussi. (On ne tweete pas comme on publie un roman, qui relève de toute façon de la fiction, et où l’on s’efforce en plus de soupeser chaque phrase, lesquelles seront relues par toute une équipe éditoriale, pour que ça dise bien ce qu’on veut dire.) Des fois, donc, on se loupe. Mais aussi, c’est un compte « professionnel ». C’est, qu’on le veuille ou non, l’image pro que dégage l’auteur, et malheur à lui ou elle s’il sort un truc mal interprétable.

Donc, il viendrait, logiquement, que :

On ne doit pas sortir sur Twitter un truc mal interprétable.

Ça veut donc dire éviter un certain nombre de sujets et d’idées complexes.

Triste conclusion ? S’il s’agit de déplorer l’état du débat public, où l’on s’empare de la moindre imprécision pour clouer au pilori la moindre parole qui va défriser une personne isolée, alors oui, totalement. S’il s’agit de comprendre dans quoi on met les pieds personnellement et à quoi on s’expose, c’est une bonne leçon à retenir. Pour ma part, je fais ce blog, je suis sur les réseaux commerciaux pour le plaisir, et pour payer ma dette karmique. Donc, pour m’efforcer d’ajouter de la valeur à une conversation. Tout le monde n’a pas la même notion de la valeur, mais la conclusion que je tirais il y a un mois reste la même : si ce que tu voudrais dire ne peut pas passer clairement en 280 caractères, alors ne le dis pas (comme dans l’analogie du bar avec les clients à fleur de peau), ou bien sois prêt à t’accrocher au pinceau quand on t’enlèvera l’échelle et que the floor is lava.

Je n’ai pas envie d’aller à la baston. Je n’ai plus vingt ans et besoin de m’affirmer au monde pour exister : je sais que j’existe, la preuve, je me suis rencontré. Et franchement, ça me fait chier de terminer certains jours avec le cœur à 120 à cause d’une énième prise de bec idiote sur un mot mal compris, mais ça me fait chier aussi de me dire que peut-être, en face, une personne est dans le même état à cause d’un truc que j’ai pu dire de travers. C’est un peu trop facile de se dire que le type en face est un idiot et que j’ai forcément raison ; de toute façon, j’en suis structurellement incapable.

Alors bien sûr, les trolls, les imbéciles et les personnes qui ne vivent que pour susciter du conflit afin qu’on parle d’eux existeront toujours. Une part de l’apprentissage de ces outils, à mesure que l’on s’adresse à une audience plus vaste dans le pub, consiste aussi à savoir appeler les videurs : mute et block sont tes amis1.

Mais Gareth L. Powell affirmait à la Worldcon : « Je pense résolument que l’on retire des réseaux ce que l’on y investit. Les gens et vos interactions reflètent ce que vous y présentez. » Une opinion à laquelle je souscris (car je la trouve valable pour l’existence, de manière générale : be the change you want to see in the world).

Que faire, donc, du contenu plus complexe, plus potentiellement polémique ? On le tait par prudence ? Le monde ne sera-t-il à jamais que photos de chats ? Non, heureusement que non. Pour ma part, l’envie de me recentrer davantage ici, de réserver de toute façon à MA plate-forme, à MA maison et à vous, qui me faites le plaisir de la suivre, le meilleur de ce que je peux raconter (spoiler : et ça n’est pas le contenu facile à résumer en 280 caractères qui finit sur Twitter, justement), reste. Donc : si ça ne tient pas en 280 caractères, ça sera ici (et ça sera vachement plus provocateur de pensée, thought-provoking, et ça va être chouette).

Mais qu’est-ce qu’on peut faire avec Twitter, alors dis-donc Jamy ?

Il y a une responsabilité dans l’usage de la parole publique, j’ai toujours pensé qu’elle s’appliquait à la fiction (on est responsable de ce qu’on véhicule, consciemment en tout cas – restons-en là pour l’instant, car l’inconscient, c’est beaucoup plus complexe). Maintenant, il faut aussi savoir reconnaître quand on en dispose d’une telle tribune sur un réseau – qu’on soit créateur, critique, ou simplement personne un tant soit peu publique –, sans fausse modestie, et se rendre compte qu’on doit faire un peu plus gaffe que quand on fait une blague à ses potes, car on n’est pas avec ses potes. On est dans un pub louche et on monte sur un fût avec la gueule enfarinée et seulement 280 caractères.

Donc : il s’agit de discuter avec des gens en mettant l’accent sur la bienveillance et la gentillesse. De tendre la main, en accordant soi-même le bénéfice du doute, et de refuser tout net, immédiatement, le conflit (à moins d’être prêt à empoigner le lance-flammes quand il y a réel danger – mais les susceptibilités froissées, la mienne ou la tienne, n’en font pas partie). La polémique, la discussion constructive, devraient être réservés aux espaces plus développés comme les blogs, où l’espace pour s’exprimer est illimité, et où la temporalité, détachée de l’instantané, se prête infiniment mieux à des échanges réfléchis2.

Dont acte, ou du moins, on va faire de son mieux pour.

  1. Par comparaison, la fiction, étant ce qu’elle est (fictive, duh) est un laboratoire paradoxalement bien plus sûr, alors qu’elle livre souvent des idées bien plus inconfortables.
  2. Même si les blogs peuvent aussi avoir leur côté impulsif et inachevé – c’était leur principe, à la base, avant les réseaux commerciaux.
2019-08-26T19:05:09+02:00mardi 27 août 2019|Humeurs aqueuses|11 Commentaires

Les réseaux commerciaux ne nous appartiennent pas

Edit du 6 septembre 2019 : ma réflexion s’est poursuivie avec la Worldcon 2019 avec beaucoup de conférences et tables rondes sur le sujet ; les enseignements se trouvent ici, avec un retour, sous un format différent, vers les plate-formes.

Depuis que j’ai décidé de me mettre en retrait des réseaux, de l’immense caisse de résonance qu’ils donnent à nos egos, à notre désir bien humain d’apparence, il s’est passé un truc bizarre.

Moi qui ai toujours été technophile, geek, amoureux de la technologie et de ce qu’elle offre, c’est comme si j’avais mangé la pilule rouge de Morpheus. Je vois sur Twitter des conflits absurdes sur des détails d’expression pour des questions superficielles et des gens qui s’écharpent pour terminer malheureux et insomniaques. Je vois ceux et celles qui utilisent la plate-forme pour servir de manière froidement calculée leur renommée à travers l’instrumentalisation de vraies causes. Il y a aussi, heureusement, les vrais combats et les outrages populaires qui entraînent des conséquences positives. Mais je m’interroge de plus en plus sur le rapport signal-bruit. Le bilan est-il réellement positif, au final ?

Ces plate-formes ne sont pas conçues, de base, pour créer des rapports harmonieux. La facilité avec laquelle elles ont été détournées bien des fois (et combien les entreprises qui les portent ont montré, dans le meilleur des cas, leur inaction) en est la preuve. Je ne dis pas que cette régulation est facile. Peut-être est-elle impossible avec les outils actuels. En revanche, je trouve les initiatives comme celles d’Instagram, qui se glorifie de tester une fonctionnalité d’intelligence artificielle où l’application te demandera en substance « es-tu bien sûr de vouloir poster ce commentaire haineux ? », clairement risibles et largement insuffisantes.

PLUS META TU MEURS

Les réseaux sont importants quand on fait une profession un tant soit peu publique comme auteur, créateur, artiste. En particulier quand l’on travaille sur des projets de long terme comme des bouquins (qui, dans mon cas, ont du mal à sortir plus vite que tous les 12 ou 18 mois, ne serait-ce que parce que j’écris des monstres). C’est une façon de conserver le lien avec une communauté ; parfois, de lever le voile sur le processus créateur ; d’inspirer éventuellement ceux et celles qui viennent après nous, d’être inspiré par ceux et celles qui viennent avant, et de causer boutique avec les gens qui viennent à peu près en même temps.

Je ne suis pas le premier à le dire, j’espère ne pas être le dernier, mais : quelque chose a horriblement mal tourné, dès lors que l’on a commencé à quantifier la portée de nos brèves, de nos photos de chats, que l’on s’est mis à télécharger des applications pour se rendre plus beaux ou belles que nature sur Instagram, que l’on a inventé le terme d' »influenceurs ». Aaaah que je hais ce mot.

J’en ai déjà parlé précédemment, mais : les réseaux sociaux ne nous appartiennent pas. Le terme est d’ailleurs extrêmement trompeur, et je vous encourage à appeler un lolcat un lolcat et à les désigner par leur véritable terme (qui n’est pas de moi) : les réseaux commerciaux.

Il ne s’agit aucunement de tisser du lien entre les êtres humains ; si cela arrive, c’est une belle conséquence, mais c’est un effet secondaire du système et non son but. Facebook, Twitter et consorts ne vivent que d’une chose : de la publicité. Il s’agit donc de générer de l’engagement. Ce qui est très différent. Il s’agit d’inciter l’utilisateur à rester sur l’application, à la consulter le plus souvent possible, pour lui diffuser de la publicité. Il s’agit de générer des réactions instinctives, brutales ; il s’agit de séduire l’utilisateur en l’incitant insidieusement à se présenter de la manière qui générera le plus de commentaires, de validations, de likes. Ils se bâtissent sur l’ego, l’apparence, amplifient toutes les provocations, et comme si ça ne suffisait pas, ils siphonnent nos données personnelles. Encore une fois, je ne suis pas le premier à le dire, loin de là, mais il me semble important de continuer à le rappeler.

Il me semble important aussi de rappeler que les réseaux commerciaux ne sont pas l’ensemble du territoire de la pensée. Ils sont même, en ce moment, une part importante du territoire de la non-pensée. Bien sûr, encore une fois, il se passe de belles interactions avec ces outils, mais je crois résolument que c’est grâce aux gens, et certainement pas grâce à l’outil.

Il nous revient de nous détacher de cette tyrannie de l’immédiat pour retrouver une mesure de quiétude, et c’est aussi un autre des effets de la pilule rouge que je ressens en ce moment. Je n’éprouve plus aucune « FOMO » comme on dit en bon anglais – fear of missing out, la peur de manquer un truc, une des pulsions fondamentales qui nous pousse à nous connecter plusieurs fois par jour sur les réseaux (ou même pour s’assurer qu’un énième shitstorm stupide n’explose pas en notre absence). Je n’avais même pas pleinement conscience que je la ressentais. Mais en ayant fermement refusé que les plate-formes se servent de moi, en ayant résolument décidé de m’en servir à la place – pour amplifier mon travail, qu’il soit gratuit ou non, et maintenir les belles conversations avec les gens de qualité – je retrouve une sérénité et une concentration presque invraisemblables. Une présence à l’instant. Plus de petite pression en fond qui te dit : « ça fait longtemps que t’as rien publié sur Instagram, tu devrais peut-être poster ce coucher de soleil ». Ou « et ma story ? Je fais pas de story. Est-ce que je devrais ? J’essaie ? » Sachant qu’en vrai, tout le monde s’en fout, de mon coucher de soleil (et tout le monde a bien raison). Je partage avec joie mon processus d’écriture, mes réflexions sur le sujet, mais ma vie, et mes moments, n’appartiennent qu’à moi. Pour la dixième fois, je ne suis pas le premier à le dire. Mais l’expérience est incroyablement libératrice.

Il nous appartient de retrouver la temporalité et la réflexion dans les espaces de pensée. Je ne crois pas qu’on puisse les trouver sur les réseaux commerciaux. Ils ne sont pas conçus pour. Ils sont conçus pour nous captiver, ce qui a ses bénéfices également, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain1, mais cela n’a rien à voir. Plusieurs – sur les réseaux, justement – l’ont rappelé : il faudrait peut-être revenir aux blogs, à des communications plus substantielles, dans l’esprit de la vraie presse d’investigation qui prend le temps d’analyser, réfléchir, argumenter. Ce qui n’empêche pas de poster une photo de chat. De s’exprimer avec ironie. Mais pour cela, je crois que les blogs sont les mieux placés. Les outils existent toujours, comme les infrastructures. Facebook et Twitter ne les ont pas détruits. Pour ma part, j’y suis revenu, et bon dieu, ça fait du bien, vous savez.

Vous allez voir que bientôt, on va ressusciter les webrings.

Pour aller plus loin, en anglais : My kids aren’t getting social media accounts and yours probably shouldn’t either

  1. Sérieusement, c’est quoi cette expression ? Le bébé ne passe de toute façon pas par la bonde. Même en appuyant très fort.
2019-09-06T23:37:32+02:00lundi 22 juillet 2019|Humeurs aqueuses|23 Commentaires

Ignorer la précarité des auteurs conduira la langue française à disparaître

Image d’origine Gunnar Ries [CC BY-SA 2.0]

Ça va, tu es bien installé, auguste lectorat ? Déjà les vacances, ou en tout cas bientôt, avec le sapin, la détente, les cadeaux, tout ça ? Bon, c’est cool, parce que pour le dernier article sérieux de l’année avant la coupure annuelle, j’annonce, je vais te péter un peu le moral. Mais il faut, parce qu’il y a des idées qui me chatouillent depuis un moment, surtout à mesure que je voyage et vis de plus en plus souvent à l’étranger.

Rendons d’abord ce qui appartient à qui de droit à, heu… bref. Samantha Bailly (autrice et présidente de la Charte des auteurs jeunesse ainsi que de la Ligue des auteurs professionnels) disait l’autre jour :

Voilà voilà.

Pour résumer mon avis en deux mots (ou plutôt 280 caractères) :

Au bout d’un moment, il y a une équation simple. Si tu peux vivre de ton métier créatif, c’est parce que deux conditions se rencontrent :

  • Tu as assez de public pour générer du revenu
  • Le système te laisse le faire, voire t’y aide, mais dans tous les cas ne te pète pas les genoux à coups de barre à mine

J’aime assez combien on se glorifie de la francophonie, mais hélas, trois fois hélas, voyagez un peu et constatez combien cette belle illusion ne tient absolument pas dans les domaines de la culture populaire (dont l’imaginaire représente une part écrasante – coucou Star Wars, Marvel, Game of Thrones, Harry Potter etc.). La culture dominante, comme presque toujours, est de langue anglaise, et là-dedans, américaine. Je m’esbaudissais cette année de trouver Maurice Druon dans une petite librairie australienne en rayon fantasy (yeah), mais dire qu’il fait figure d’exception est un aimable euphémisme.

Coucou les pouvoirs publics, j’ai une putain de révélation qui va vous asseoir, accrochez-vous : les effectifs du public francophone n’ont aucune mesure avec le public anglophone. Ouais, je sais, c’est puissant, mais j’ai fait des études, c’est pour ça. Un public plus vaste entraîne mécaniquement un marché plus vaste et/ou plus rentable, et aussi davantage de moyens (où sont le Doctor Who, le Game of Thrones de la télé française ?). Donc, tu veux protéger ton marché culturel, tu l’aides un peu, ne serait-ce qu’en ne le matraquant pas avec des cotisations qui doublent du jour au lendemain ou en le laissant dans l’expectative quant aux changements de régime fiscal.

Il y a un truc capital à piger aujourd’hui : la mondialisation va dans les deux sens. C’est-à-dire, on reçoit la culture anglophone, mais évidemment, le public va aussi vers elle. Et mécaniquement, après, à la louche, vingt ans d’accessibilité du cinéma et de la télé sur les réseaux pirates (soit une génération), on constate une aisance toujours plus importante du public français avec la langue anglaise. L’attitude des années 90 « jamais je regarderai un film avec des sous-titres, c’est trop chiant » est devenu aujourd’hui « jamais je regarderai un film doublé, c’est trop naze ».

Ce qui veut dire que, mécaniquement, on sera de plus en plus nombreux à pouvoir écrire en anglais. On peut faire ce choix pour des raisons esthétiques, mais on peut aussi le faire pour des raisons économiques, parce qu’on en a marre du marché de niche et qu’on a un peu d’ambition pour la portée de son art (c’est pas forcément un mal, l’ambition). Quand je me suis mis un peu à la musique à côté, la langue de ma communication ne s’est pas posée un seul instant : c’était l’anglais, parce que, tu fais de l’électro et tu veux communiquer en français, HAHAHA, non, sérieusement ?

Je vais te le dire très clairement, auguste lectorat, et avec des gros mots : cet état de choses, ça me fait chier. J’ai parfaitement conscience que le dire n’y changera rien. Mais j’entends constamment des jeunes, y compris dans les cursus de traduction, m’expliquer que, quand même, l’anglais, c’est plus cool, on peut dire plus de trucs, c’est plus explicite (hint : absolument pas, mais c’est un autre débat) et que le français c’est ringard. Ça n’est pas nouveau, mais si on sape et démotive méthodiquement les auteurs, c’est l’assurance progressive de voir toutes les forces vives lâcher le français pour aller vers les terres plus vertes de la langue anglaise. Or : ce phénomène est déjà en cours. Encore une fois, je ne dis pas que tous les auteurs français qui ont fait le choix d’écrire en anglais le font pour ces raisons ; ce peut aussi être un choix esthétique. Mais la raison économique existe aussi, déjà, maintenant, la possibilité est réelle, et si on n’agit pas – genre en foutant la paix aux auteurs, juste, pour commencer –, c’est l’assurance d’accélérer encore la fuite des cerveaux.

Or une langue sans auteurs, c’est une langue morte. Aussi simple que ça. Le Québec l’a parfaitement compris, par exemple, en subventionnant son industrie littéraire pour lui permettre de résister et de faire vivre sa langue face à l’anglais. Avec un très beau succès, dirais-je en plus.

Pour ma part, il y a vingt ans, je me suis posé la question de la langue dans laquelle j’écrirais, étant à peu près capable de faire les deux, et j’ai opté pour le français. Un choix que je refais à peu près tous les cinq ans, résolument, parce que le français est une langue puissante, nuancée, évocatrice, créative, et qu’on peut lui faire faire des trucs de malade ; parce que j’ai aussi envie de croire en un imaginaire de langue française fort et fier capable d’offrir autre chose que les importations américaines, que c’est le pays où je suis né, et que bon, tout simplement, j’ai envie de lui être fidèle – ainsi, et ça n’est pas anodin, qu’à toi, auguste lectorat, qui me suis fidèlement. Mais je t’avoue qu’il y a certains jours où c’est plus difficile que d’autres de résister à l’envie de faire un gros fuck – en bon anglais dans le texte – à tous ces énarques.

Allez, j’arrête la diatribe ici, mais il est probable que je l’étudie plus en détail ; gardons cela dans un coin de notre tête, qui est ronde, alors où se trouve le coin… ? Bref, demain, c’est le message annuel de déconnexion, mais les bisous n’attendent pas le nombre des heures, alors, déjà, par anticipation : bisous.

2018-12-21T09:05:37+01:00jeudi 20 décembre 2018|Humeurs aqueuses|5 Commentaires

De la porte NON DIMENSIONNELLE comme avancée science-fictive majeure

Aïeuh.

Une réflexion parfaitement aléatoire mais qui m’a amusé l’autre jour : quand je découvrais, à grands renforts de Canal Jimmy et d’un ami qui enregistrait religieusement tout sur Sky grâce à sa parabole pour me faire des COLIS DE VHS MA POULE (eh ouais, c’était avant le partage par Internet et toutes ces technologies de zazou), quand je découvrais, donc, la licence Star Trek dans tout ce qu’elle a de chouette à l’ère moderne (The Next Generation en tête), forcément, je m’efforçais de partager la Bonne Parole auprès de mon entourage.

Le geek en moi était totalement fasciné par l’esthétique du LCARS (les interfaces tactiles de l’Enterprise), l’usage du moteur d’Alcubierre, et j’étais profondément marri quand mon entourage supposément bienveillant et intelligent me faisait à un moment cette réflexion :

« Ouais, bon, c’est sympa ton truc, mais leurs portes, là, c’est un peu abusé, non ? Elles s’ouvrent comme par hasard quand l’équipage veut les traverser, c’est quand même bidon, haha. »

(Alors le moteur à distorsion, les extra-terrestres surpuissants façon Q, Data l’androïde, les phasers, TRANQUILLE, mais toujours, bordel, on me parlait à un moment de ces foutues portes. C’est à ça que vous comprenez que je suis le dangereux déviant dans cette famille.)

« Euh… Nan… disais-je, soudain saisi d’un élan d’éloquence rare. Mais bon, tu vois, ils ont une technologie avancée, hein, alors les portes, elles détectent quand les gens veulent les traverser, et elles s’ouvrent quand ils s’en approchent, mais si… genre… t’es en train de discuter avec quelqu’un… Que tu restes juste devant… » À ce stade, je rougissais de plus en plus, souvent : « Euuuuh, elles s’ouvrent pas.

— Mouaiiiiis. »

Et par ce simple mot, toute la morgue du monde s’abattait sur moi en un tombereau de rêves spatiaux brisés. (Un jour, je vous raconterai comment j’ai formé en école d’ingénieur une association visant à construire l’Enterprise-C, la classe Ambassador étant quand même l’une des plus chouettes qui aient été conçues, mais c’est une toute autre histoire.)

Eh bien, tu sais quoi, auguste lectorat ? L’autre jour, donc, quand je réfléchissais (je réfléchis le mercredi, pas davantage, c’est fatigant), je me suis dit que ça faisait bien dix ans que personne, absolument personne, ne m’avait sorti ce genre de réflexion sur les portes automagiques de Star Trek ou de la SF de manière générale. Et tu sais quoi ?

Parce que ça n’étonne plus personne, effectivement.

En une époque où les algorithmes de reconnaissance faciale sont à la disposition de tous sur un terminal qui tient dans la main, où des discussions à haute voix avec des assistants vocaux deviennent la norme et où l’on compare, le plus naturellement du monde, les bénéfices des différentes IA (Alexa ? Siri ? Cortana ? HAHAHA non pas Cortana je déconne), ça n’abracadabrate plus personne (du verbe abracadabrater, je vous défie de le prononcer à haute voix comme de l’orthographier correctement du premier coup) qu’il puisse y avoir, après tout, hein, une fucking porte intelligente qui s’ouvre quand elle détecte tes intentions. Détection de démarche et de la vitesse, après tout, c’est pas si difficile.

Et devine quoi ? Une équipe de chercheurs l’a fait. YEP, pour 1000 dollars, tu peux changer ta porte idiote à cellule qui s’ouvre pour un oui ou pour un non, par une porte intelligente à lidar et tous ces bidules, qui ne s’ouvre que pour un oui. (Cette phrase est étrangement dérangeante.)

C’est quand même à ce genre de petit détail idiot qu’on vit dans un monde de science-fiction. Et cela explique peut-être pas mal de choses sur l’acceptation des évolutions technologiques par le grand public (et, par extension, de la SF). Un vaisseau spatial qui quadrille la galaxie (techniquement, le quadrant, mais bon, quadriller un quadrant, c’est moche) à trois mille fois la vitesse de la lumière, pas de souci, mais une porte intelligente ! Quoi ! Pas possible. Je connais la porte, elle s’ouvre comme ça, regarde, je la pousse ou la tire, et quand elle coulisse, je la regarde quand même un peu de travers, parce que c’est bizarre.

Eh bien voilà. La porte intelligente est une avancée de premier plan dorénavant acquise dans l’inconscient collectif. Je suis quand même un peu dépité, j’aurais préféré qu’on hiérarchise un peu mieux nos priorités en tant qu’espèce et qu’on commence par le moteur d’Alcubierre, mais bon. Je vais prendre la porte, je suppose.

2018-11-06T17:27:58+01:00lundi 12 novembre 2018|Humeurs aqueuses|17 Commentaires

Roi maudit de la fantasy en France ?

Or doncques, auguste lectorat, je suis en Australie en ce moment, et je me promène l’autre jour dans une libraire d’un joli petit village des collines situées dans la grande, grande périphérie de Melbourne (45′ de voiture au bas mot). Une chouette boutique, pas petite mais pas immense non plus, et pas non plus dans un centre urbain regorgeant de geeks au mètre carré – bref, le rayon imaginaire était tout au plus deux fois plus large que la photo ne le montre. Or, quel ne fut pas mon ébahissement en tombant sur :

« Les Rois maudits », de notre grand et national Maurice Druon, au rayon FANTASY, bon dieu, entre Sara Douglass et David Eddings. Et avec un blurb de George R. R. Martin : « Le ‘Game of Thrones’ original ».

Alors, deux réactions sanguines, sur le moment, quand même.

Déjà : a) wouaaah, c’est quand même génial que ces livres soient disponibles là, dans ce rayon (alors que c’est du roman historique), vive la France, et vive Maurice Druon, qui a dépassé les frontières, dont les livres ont été repris avec des couvertures tout à fait raccord avec le genre, accrocheuses, susceptibles d’intéresser de nouveaux lecteurs. Vraiment, génial, et intelligent d’un point de vue éditorial.

Ensuite, b) MAIS QU’EST-CE QU’ON FICHE EN FRANCE, BON DIEU ?

Bragelonne a ressorti « Les Mémoires de Zeus »1 et c’est une vache de bonne idée ; Martin cite en effet régulièrement Druon en entretien comme inspiration pour « Game of Thrones ». Maurice Druon, de l’Académie Française, c’est un diable de grand monsieur, co-auteur du « Chant des Partisans », et son œuvre forme une passerelle rêvée pour nos genres et l’acceptation qu’elle lutte toujours pour acquérir auprès des élites qui traitent l’imaginaire de sous-littérature par totale ignorance.

J’ignore si l’initiative de Bragelonne a rencontré le succès espéré / qu’elle méritait. En fait, j’ai l’impression qu’on parle assez peu de Druon, de manière générale, et de son influence sur des auteurs centraux de la fantasy. Les barrières des genres sont encore diablement étanches ; Druon étant un auteur « respectable », on rechigne (sauf Bragelonne) à l’associer aux mauvais genres. De façon plus large, combien de classiques de la SF et de la fantasy devenus « respectables » republiés en collections blanches, sans l’étiquette, surtout, parce que ça fait peur à la dame et au monsieur propres sur eux ? 1984, Le Meilleur des mondes, À la croisée des mondes… Si mes droits d’auteur avaient augmenté d’1% chaque fois que quelqu’un me répondait en parlant d’une des œuvres s-citées « ah mais ça c’est pas la science-fiction, c’est de la littérature« 2, je toucherais 1200% à chaque bouquin et on saurait fichtrement pas comment gérer ça, et qui a donné 1% à Davoust à chaque fois, c’est quoi encore cette idée stupide ? Bref.

J’ai quand même parfois l’impression qu’en France, on préfère parfois que les jeunes ne lisent pas plutôt qu’ils risquent de lire des trucs qui les amuseraient, genre de la SF et de la fantasy, et que – horreur ! choc ! – ils puissent, genre, attraper le virus de la lecture. Bon dieu, laissez les gens lire ce qu’ils veulent, tant qu’ils lisent ! Ne venez pas vous plaindre qu’ils « ne lisent pas » si vous froncez le nez dès qu’ils prennent une novelisation de World of Warcraft. Aujourd’hui WoW, demain, quoi ? Tolkien, peut-être. Diantre, Maurice Druon ! Pour ma part, j’ai approché Balzac passé vingt ans, et ça n’est absolument pas les cours de français avec, à de rares exceptions près, leurs analyses stériles, entièrement dénuées de la moindre notion de joie, qui m’en ont donné envie ; c’est mon parcours de rebelle secret à aller chercher du plaisir (ouh le vilain mot) qui l’a remis sur ma route, à une époque où, en plus, j’avais peut-être la maturité pour apprécier.

Les passerelles entre littérature générale et imaginaire sont innombrables, et plus je voyage dans le monde anglophone, plus j’ai l’impression que le monde entier l’a plus ou moins compris, sauf nous.

  1. Merci à Emmanuel Tollé qui a signalé une erreur dans la première version de cet article : je citais « Les Rois maudits », que Bragelonne n’a en réalité jamais repris.
  2. Et ma main dans ta tête ne sera pas une gifle, mais de l’éducation.
2019-06-03T11:39:36+02:00mardi 14 août 2018|Humeurs aqueuses, Le monde du livre|23 Commentaires

Internet et l’âge d’or de l’agitprop

L’article sur Internet et l’économie du scandale a généré un certain nombre de réactions positives (et en même temps assez désabusées), ainsi que des débats productifs sur : à quoi nous servent tous ces réseaux, en vrai ? En ce moment, tandis que j’écris allègrement La Fureur de la Terre en ne consultant mails et réseaux qu’une fois par jour, je n’éprouve absolument plus la compulsion de vérifier ce que je peux bien avoir raté dans le vaste monde ; au contraire, je savoure un silence tel qu’on n’en connaissait qu’en une ère pré-Facebook.

Cependant, encore une fois, il y a aussi de belles choses, bien sûr, à naître de ces lieux. Merci, sincèrement, auguste lectorat, d’en faire partie.

Mais les possibilités que ces médias œuvrent pour des fins néfastes semblent tellement prééminentes, surtout par les temps qui courent, qu’on peut s’interroger, au final, sur leur bien-fondé (même Mark Zuckerberg se pose la question, alors bon). Or, le fonctionnement réel de cette rhétorique du buzz, du « parlez de moi en mal, parlez de moi en bien, mais surtout parlez de moi » immortalisée par Léon Zitrone m’apparaît de manière de plus en plus limpide et, auguste lectorat, histoire de nous serrer les coudes le plus possible en cette époque de fake news et d’ingérences russes, permets-moi de te l’exposer telle que je l’ai comprise, histoire de partager un peu d’autodéfense mentale.

Comme exposé dans l’article précédent, l’exposition sur les réseaux sociaux – un canal aujourd’hui fondamental pour toucher du monde – est fonction, non pas de la qualité du contenu, mais de la quantité de réactions qu’il génère. Donc : plus il choque, plus il heurte, plus il s’adresse à un part reptilienne, viscérale, du public, plus il est susceptible de faire parler, d’être débattu, retransmis. C’est une bonne chose quand c’est une atrocité que le public doit connaître, un discours qui améliore le monde, une invention positive. C’est complètement stupide – et le système s’écroule littéralement – quand il s’agit de désinformation. Comme c’est d’actualité, prenons Alex Jones d’Infowars (non, pas de lien, mais si vous comprenez l’anglais, filer regarder cet épisode de Last Week Tonight pour en savoir plus), qui vient de se faire bannir plusieurs podcasts par Apple et Google pour ses discours incitant à la haine ; le lendemain, l’application idoine se retrouvait troisième des téléchargements de l’App Store d’iOS. La Terre plate, les antivax, toutes ces « doctrines » se répandent à la fois par auto-entraînement et par la quantité de réactions qu’elles génèrent. En résumé : plus c’est gros, plus ça fait parler, et au bout du compte, plus ça passe. C’est là-dessus que reposent les théories du complot – s’il n’y a pas de preuves, ça montre bien combien ils sont forts.

Or, c’est exactement la rhétorique de l’extrême droite américaine (que je n’appellerai pas alt-right, parce qu’un chat n’est pas une machine à laver), des masculinistes, de Donald Trump ainsi que de tous les rameaux putréfiés émanant du socle gangrené du gamergateJohn Scalzi l’explique parfaitement : le but n’est pas d’avoir raison, mais de semer le trouble, de faire perdre du temps et de l’énergie en sortant des grandes phrases toutes faites, des idées reçues que l’autre s’évertue à démonter pour la énième fois. C’est un jeu. Il s’agit de maintenir le plus longtemps possible l’engagement et la discussion, de focaliser l’attention. Et le « troll » n’a rien à perdre ; ceux dont l’existence dépend de ce dont on parle, si.

Ce qui m’épuise et m’inquiète, c’est de voir cette rhétorique se généraliser à des sujets bien plus bénins et à peu près dans tous les domaines – dès lors que l’on cherche à attirer l’attention. Encore davantage si l’on œuvre dans des domaines où la propension des gens à parler de vous peut se transcrire en reconnaissance, voire en revenu : d’où le succès d’un certain type de pose provocatrice dans les métiers médiatiques… Qui se rappelle Mickaël Vendetta ?

Mais attention, la mécanique ne s’arrête pas là. Car – et c’est là tout l’art de la chose – il faut ensuite entretenir le feu que l’on a allumé. Pour cela, il faut agiter les esprits, susciter la controverse, fédérer les « pour » et surtout chercher à accrocher les « contre », pour leur brandir des interprétations juste assez fallacieuses de leurs déclarations en utilisant tout l’attirail rhétorique, comme le raisonnement circulaire, le biais de corrélation, l’appel au ridicule, prendre la partie pour le tout etc. (je vous remets le lien de Wikipédia sur les raisonnements fallacieux, qui est passionnant) C’est certain d’attirer l’attention de la cible, surtout avec une façade de cordialité, une véritable semblance d’appel au dialogue. Le débat s’installe, d’autres s’y invitent, et l’on obtient bientôt (dans le meilleur des cas) l’équivalent d’une réunion de la Cogip où personne n’a la moindre putain d’idée de ce qu’il fout là, mais que quelqu’un doit savoir ce qu’on pense parce que non, j’ai pas dit ça comme ça, et toi non plus, et la virgule, là, enfoiré, elle est passive-agressive, ou bien ?

En résumé :

Tout cela porte un nom (même s’il est polysémique, historiquement) : l’agitprop. Agitation et propagande. Ce qui est funeste aujourd’hui, c’est que l’agitation récompense et alimente la propagande en cercle fermé, grâce à cette immense caisse de résonance qu’est Internet.

Oui mais bon, d’accord. J’écris moi-même, là, un article sur ces sujets sur un blog dont la vocation consiste à être un peu lu. J’ai poussé des coups de gueule par le passé. Forcément, je vais vous dire que je suis fait d’un autre bois, hein ? Ben oui1. Mais surtout, en résumé : comment reconnaître un manipulateur d’un énervé ? 

Pour moi, la clé se trouve dans une parole (si ma mémoire est bonne) d’Orson Scott Card, qui dit en substance que tout le monde a une religion : il suffit de discuter avec la personne jusqu’à trouver le sujet qui déclenche sa fureur. Voilà sa religion. (Il s’y connaît en religion, le bougre, du moins une certaine forme d’icelle, en mode « tuez-les tous et dieu reconnaîtra les siens »2.) Un véritable énervé est énervé parce que je crois, au fond, qu’il est malheureux, et s’il est malheureux, c’est parce qu’il tient à ce qu’il raconte, qu’il voudrait un monde différent, honnêtement, venant de son cœur (que celui-ci soit bien ou mal placé) : et c’est peut-être à cela que se juge la sincérité. Ce n’est pas pour dire que la sincérité équivaut à avoir raison, bien sûr ; il y a beaucoup de racistes très énervés – mais c’est aussi, je crois, qu’ils sont très malheureux au fond d’eux-mêmes. (Et dans ce cadre, compassion, mais prison.)

Le véritable maître de l’agitprop, lui, s’en bat les gonades. Dans un débat ouvertement fallacieux, il conserve une mine affable ; il attend que son interlocuteur s’emporte et se discrédite ; il endosse tout et son contraire avec l’aisance de mues, tant que cela maintient le feu du débat, que le projecteur ne s’éloigne jamais trop loin de lui – voilà son vrai but, et Donald Trump nous a donné à tous une vraie masterclass sur la question. Je crois que c’est à cela qu’on le repère ; et c’est là que, plus que jamais dans notre économie de l’attention, il faut éviter de nourrir le troll, car il se nourrit réellement, au-delà de son ego, économiquement, des retombées qu’on lui octroie. Nous créons les Donald Trump du monde, nous attisons leurs flammes par nos outrages. Je pense très fort à Ayerdhal qui nous répétait souvent que « la fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne s’en puisse dire innocent » (Jean-Paul Sartre) ; il ne s’agit certainement pas de se boucher les yeux et les oreilles au monde, surtout alors qu’aujourd’hui, on dispose de davantage de manières de s’informer que jamais ; mais de combattre la bêtise par l’intelligence, l’ignorance par le savoir, et la colère – mais non pas celle de l’autre ; la nôtre, ce jaillissement de fureur viscérale, religieuse, cher à Card – par la création, la vraie, celle qui s’efforce sincèrement d’apporter de la valeur autour de soi par de l’authenticité, de la pensée, de la recherche, de la bienveillance, de la compréhension. (Ce que j’espère, humblement, avoir un peu réussi à faire ici.)

  1. Personnellement, je ne peux pas faire ce genre de chose : je perds mon calme beaucoup trop vite, parce que je me soucie de ce dont je parle. Les quelques articles vraiment polémiques du site (écrits avec honnêteté sur le moment, même si pas forcément avec intelligence, je ne le nie absolument pas) m’ont explosé à la gueule avec grande sévérité, me faisant clairement comprendre que je n’étais pas taillé pour être éditorialiste ; j’ai tout de suite envie de régler l’affaire avec un duel de tractopelles. C’est aussi pour cela que le site, je m’en aperçois après coup, s’est replié sur des sujets plus calmes, comme la technique littéraire. Je n’ai pas signé pour m’écharper.
  2. Oui, je sais que cette citation est apocryphe.
2018-08-20T08:14:01+02:00mercredi 8 août 2018|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

Internet, cette économie du scandale

On est bien, là ? À la fraîche. Décontracté de la gonade. Moi, ça va bien, l’écriture de La Fureur de la Terre a dépassé peu ou prou le premier cinquième de la taille envisagée, je sens poindre une forme de sérénité liée à une organisation toujours plus GTD et détendue, mais dans, enfin, cette impression d’arriver à enfin escalader la montagne, je constate un truc :

 

Pour des raisons que je ne m’explique pas vraiment-vraiment, après un an et demi à plus de 10 000 lectures uniques par mois, la fréquentation du site est en train de se casser doucement la gueule.

Alors soyons clairs : les chiffres dans ce domaine ne m’ont jamais vraiment préoccupé. J’ai toujours dit que le site était mon dada, ma façon de payer ma dette karmique (ou de partager les trucs qui m’amusent, ou de me lâcher parfois), mais aussi, quand même, j’essaie un tant soit peu de recouper ce que j’ai envie de raconter avec ce que tu as envie de lire, auguste lectorat, parce que, eh bien, c’est un peu le cœur de mon métier. Un auteur est comme un DJ : tu cherches cette zone où tu fais ce que tu aimes, et où les gens aiment ce que tu fais.

Je disais que je ne me l’expliquais pas vraiment-vraiment, mais j’ai quelques pistes : c’est l’été et c’était la Coupe du monde ; l’ambiance est un peu tendue dans le milieu littéraire en ce moment et il y a d’autres chats à fouetter (pourquoi les chats ?) ; dans mon cas personnel, le passage d’un profil personnel à une page Facebook a entraîné une érosion claire des lectures et des partages des articles ; et peut-être emploie-je un ton un peu moins primesautier et empli de gros mots qu’auparavant (bite, alors).

Pourtant, les retours positifs sur le blog sont toujours présents (et merci à vous), que ce soit de visu, en privé ou en commentaires ; alors keuwah ? On ne saurait mettre en doute la qualité du contenu ici proposé (non, on ne saurait pas).

Le « problème », la réflexion un peu aléatoire à laquelle je songe en ce moment, c’est qu’un article informatif sur l’écriture, ou la productivité, aussi rigolo soit-il, ne génère pas tellement de débat (ou alors, plutôt du débat un peu stérile). Je fonde cela sur pas mal de retours que j’ai eus en privé : « je ne commente pas parce que je n’ai rien à dire, mais je fais partie du lectorat silencieux – et carrément auguste ». Hey, aucun problème. Moi-même, j’ai tendance à participer de moins en moins aux débats et discussions sur les réseaux, parce que ça part souvent en gonade (on y revient), et puis, j’avoue que pour un introverti comme moi, la tendance du tout social, du tout partage, me court un brin sur le haricot – surtout que je hais de plus en plus Facebook, Cambridge Analytica toussa, et que j’ai dansé sur la table l’autre soir en apprenant que l’action avait perdu 20% de sa valeur (bien fait, bordel) (« bordel », c’est pour remonter mes stats de lecture, on est d’accord). Donc, aucun problème, sauf que :

Heu non, pas ça.

Pour décider de la viralité d’un article, les réseaux sociaux prennent en compte le nombre de commentaires, de likes, de partages : plus l’on parle de quelque chose, plus il y a de chances qu’on vous le mette sous le nez, donc que vous en parliez, faisant boule de neige. (Principe un peu abordé ici.) Corollaire : ce qui est susceptible d’être partagé – on le sait – c’est donc ce qui suscite la réaction à chaud, l’instinct, la colère, le scandale, l’outrage. C’est ce qui vous court-circuite les neurones pour faire jaillir vos tripes et vous donne envie, là tout de suite, de prendre les armes contre le maire de Plan-de-Cuques qui menace d’interdire le loto tous les dimanches pendant la messe. Il n’y a plus de gradation : on est tout de suite « choqué », « scandalisé », avec « envie de vomir », etc.

Alors attention, il y a des causes légitimes qui suscitent bel et bien des réactions émétiques, je ne dis pas. Moi-même, je ne suis pas exempt de l’exercice du coup de gueule, du billet éditorialiste, parce que je m’énerve aussi, faut pas croire, je ne suis pas énergie pure, et puis j’ai forcément raison de le faire quand je le fais, puisque vous êtes ici et que vous lisez tout ça et que donc j’ai raison (c’est imparable). Mais aussi, après coup, je ne prétends pas avoir toujours forcément eu raison, justement, sur le fond, la forme ou les deux. Et du coup, une question plus vaste se profile au-dessus de ma tête, qui se rattache à tout ça : que veux-je offrir au monde ici, sur cet espace de liberté ? Ai-je envie de participer à cette économie du choc, à m’impliquer dans le débat, comme on dit, à continuer à m’engueuler avec des inconnus (ou connus) sur Twitter, à redresser des torts ?

Je découvre que, de plus en plus, la réponse est un gros « pfouah non alors ». Cela a surtout à voir avec ce que j’ai envie de proposer au monde, en fait, à ma contribution au grand inconscient collectif, à l’impression que je laisse à chaque personne qui peut passer par ici lire des trucs. Je ne dis pas que je vais me censurer, je dis que je suis un peu las (comme depuis un moment, à dire vrai) des débats dans des verres d’eau, des « gueux qui travestissent les paroles pour exciter des sots » (paraphrasant, mal, un des plus grands vers de la poésie, ever). On a un vrai problème de nos jours (et je ne suis assurément pas le premier à le pointer), c’est que ce qui obtient la parole n’est pas ce qui est le plus intelligent, ni même ce qui crie le plus fort, MAIS ce qui suscite le plus de polémique. Donald Trump l’a parfaitement pigé (c’est peut-être le seul truc qu’il a pigé).

Ce qui est quand même super fatigant. À tous les sens du terme : je ne compte les plus fois où, par le passé, j’ai flingué une matinée d’écriture parce que je me suis enlisé dans un conflit idiot sur un mur social quelconque qui n’a pas fait changer grand-chose et dont la conséquence la plus visible a été : moi, énervé, n’ayant rien branlé.

Je vis merveilleusement bien depuis que je consulte plus les réseaux et les mails qu’une unique fois par jour. (Article là-dessus à venir, en lien avec le teaser de la semaine dernière.) Je suis bien plus concentré sur ce que je dois faire, mon cœur de métier : écrire les meilleurs bouquins possibles. Je suis pris d’une haine de plus en plus profonde envers les réseaux sociaux dont l’économie, au bout du compte, consiste à accaparer l’attention de l’utilisateur le plus longtemps possible pour lui fourguer de la pub. Tout le monde s’y trouve, donc mon boulot nécessite que j’y reste, si je veux pouvoir le faire connaître aux gens chouettes qui y sont (et il y en a, plein). Et quand même, on partage de belles choses tous ensemble là-dessus, et merci ; mais bon, sans ça, et si j’étais un utilisateur lambda, je crois que j’aurais suivi le mouvement #deletefacebook. En fait, on n’a pas besoin de ces trucs-là. Régulièrement, un gourou technologique quelconque émerge et crie avoir vu la lumière en scandant : « JE ME SUIS DÉCONNECTÉ DE FACEBOOK UNE SEMAINE ET J’AI SURVÉCU » mais c’est une claire vérité. Malgré le XXIe siècle, malgré ces outils dans nos poches, on peut en faire des trucs bien mieux que les consulter compulsivement. On peut lire. On peut construire sa propre veille informative, soi-même. On peut jouer à un jeu qui ne nous demandera pas de regarder une pub et de cracher 1,99 € pour gagner 500 turbopièces pour jouer trois tours de plus.

Alain Damasio disait aux Utopiales, lors d’une conférence publique, que les outils technologiques diminuent notre puissance. Je n’ai jamais été d’accord avec cette affirmation : tout outil augmente la puissance de l’utilisateur, au contraire, dès lors qu’il n’en est pas esclave. La question n’a jamais été, de toute l’histoire humaine, dans la nature de l’outil mais dans l’usage qu’on en fait. Le truc, c’est que peu de gens ont seulement conscience qu’une utilisation responsable du smartphone est possible (et par responsable, j’entends : qui n’interfère pas avec des buts individuels dont l’ambition dépasse un tant soit peu le douzième check d’Instagram). Et donc, qu’elle peut être toxique.

Quelle valeur veut-on offrir le monde ? La postérité concerne tout le monde et personne : la postérité, c’est tout ce qu’on a fait aujourd’hui et qui restera avec les gens demain.

Bon, je suis parti un peu loin, mais je m’en fous, il n’y a plus de lecteurs, de toute manière. N’est-ce pas ?

(SEE WHAT I DID THERE?)

2018-07-30T09:47:30+02:00lundi 30 juillet 2018|Humeurs aqueuses|35 Commentaires
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