Boîte à doutes, gueuloir ou… Relaxation tantrique : mes trucs d’écrivain [table ronde aux Imaginales]

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Ce débat aux Imaginales 2018 a été capté par le site de référence ActuSF et faisait participer Marie Caillet, Gabriel Katz et moi-même. Modération et animation : Silène Edgar. Il peut être écouté librement en ligne ou bien téléchargé sur cette page.

2023-02-04T07:07:00+01:00jeudi 7 juin 2018|Entretiens, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Boîte à doutes, gueuloir ou… Relaxation tantrique : mes trucs d’écrivain [table ronde aux Imaginales]

Ulysses contre Scrivener : le grand comparatif

EDIT du 8 décembre 2020 : ce qui suit reste valide, mais à force d’expérimentations, il apparaît qu’Ulysses ne soutient pas la création de projets complexes. Le vainqueur est donc, sans appel, Scrivener.

Auguste lectorat, si tu traînes suffisamment dans ces lieux de perdition, tu sais l’amour éternel que je voue à Scrivener. C’est pour moi l’application ultime d’écriture professionnelle, le couteau suisse qui atteint le juste équilibre entre liberté et structure, et je pense résolument qu’il sait s’adapter à tous les modes de travail. Cependant, il existe (systèmes Apple uniquement) un concurrent de taille, avec un parti-pris résolument différent, qui fonctionne également sur Mac et iOS : Ulysses. De la même façon qu’une guerre sainte Mac Vs. PC, OmniFocus Vs. Things, Amiga Vs. Atari, la discussion Ulysses contre Scrivener défraie de loin en loin le microcosme des auteurs geeks, certains annonçant leur soutien à l’un ou à l’autre à l’exclusion du concurrent.

Du calme.

Auguste lectorat, encore une fois, je descends des glaces polaires, environné d’orques jouant au ping-pong avec des otaries, pour donner mon avis que personne n’a demandé. Sachant que j’utilise les deux applications régulièrement… mais pour des choses différentes.

Les différences fondamentales entre Ulysses et Scrivener

Les deux applications s’articulent autour du même paradigme : un traitement de texte hiérarchique, permettant d’organiser fragments, scènes, chapitres à son gré dans l’équivalent de dossiers (un dossier par chapitre, par exemple). Il s’agit ensuite d’exporter le contenu désiré pour former un livre, une nouvelle, un article, dans un traitement de texte que l’on peut partager avec d’autres (typiquement un fichier Word envoyé à un éditeur). Les deux applications permettent de réordonner les fragments à son gré, de les identifier par mots-clés, surveillent toutes deux la taille d’un fichier (pour se fixer des objectifs de longueur).

Scrivener…
… et Ulysses.

Cependant, la comparaison s’arrête là, car les deux applications ont une philosophie de développement très différente.

Ulysses mise en effet sur le minimalisme, alors que Scrivener mise sur l’exhaustivité. Ulysses propose une interface extrêmement dépouillée (mais quand même puissante ; ce qu’on peut, soit dit en passant, obtenir avec le mode composition de Scrivener) pour réduire les distractions ; Scrivener cache des dizaines, des centaines de fonctionnalités poussées qu’il faut des années pour épuiser. Ulysses s’appréhende immédiatement ; Scrivener se gagne (je recommande toujours de faire le didacticiel inclus et d’y consacrer au moins deux heures pour comprendre ce qu’il apporte). Si vous êtes du genre à être distrait par des boutons ou des interfaces, Ulysses vous ravira ; si vous aimez pouvoir tout faire avec votre application et ne pas chercher ailleurs, c’est Scrivener qui reste l’application la plus puissante.

Deux applications, deux ambiances, deux use cases

Si les deux applications existent, fonctionnent et ont chacune leur aficionados, c’est bien qu’elles remplissent des rôles différents. Je vais essayer de les délimiter et expliquer mon propre choix (qui pourra être l’inverse du vôtre ; ce qui compte, c’est de produire un bouquin dont vous soyez content.e, sans trop de douleur). Je crois que toute la différence repose sur ce point : Ulysses centralise tous vos écrits au même endroit, Scrivener fonctionne par projets. 

Ulysses articule l’intégralité de ses fichiers autour d’une bibliothèque unique, qui conserve absolument tout, tout ce que vous faites. C’est évidemment structurable en dossiers à l’infini, avec de jolies icônes personnalisables. Scrivener le fait aussi, mais fonctionne en projets étanches et séparés. Si vous travaillez sur deux livres distincts, Ulysses vous proposera les deux au sein de la même bibliothèque, sous Scrivener, il faudra ouvrir (et synchroniser) deux projets distincts.

Le paradigme d’Ulysses me semble une force pour un auteur de textes courts (articles, nouvelles, etc.), qui retrouvera non seulement tous ses projets en cours, mais les archives de ce qu’il a fait ; en revanche, je n’imagine absolument pas conserver toutes mes notes pour, mettons, « Les Dieux sauvages » (4 livres prévus d’un million de signes pièce avec huit points de vue changeant d’un livre à l’autre, et des méga-octets de notes, d’inspirations, de planification à côté) au même endroit que des idées d’articles de blog, une nouvelle sur laquelle je travaillerais en parallèle, les archives d’un livre passé… Je crois que, dans Scrivener, l’étanchéité entre projets est salutaire quand ceux-ci deviennent des environnements de travail à part entière, surtout quand lesdits projets ont des horizons qui dépassent une année.

De plus, sachant que, dans Ulysses, on peut exporter ce qu’on veut dans un fichier final, je trouve difficile de séparer les notes de la rédaction proprement dite. Scrivener offre en revanche une case à cocher très simple : oui, ce document fait partie du manuscrit, ou non, il n’en fait pas partie. Or, le dépouillement voulu par Ulysses, à mon sens, se prend ici les pieds dans le tapis ; une bibliothèque immense contenant des centaines, voire des milliers de documents va devenir un véritable enfer à maintenir et ordonner (au lieu de se concentrer sur l’écriture, ce qui est la promesse du logiciel) alors que Scrivener gère et contient très bien le « bordel organisé » que devient rapidement un livre en cours d’élaboration. Ce bordel reste confiné à son propre livre… ce qui est une garantie de santé mentale.

Le classeur, centre de Scrivener

Enfin, Ulysses s’avère assez limité pour joindre des fichiers à un texte, insérer des images d’inspiration ou des photos prises sur le terrain ; alors que Scrivener insère et redimensionne des images sans broncher au milieu de son texte comme un petit Word, mais peut aussi recomposer un système de fichiers si on le souhaite (pour intégrer des inspirations sonores, par exemple, au milieu de ses documents) et importe des pages web si on le souhaite (bienvenu pour les références). D’ailleurs, Ulysses construit son texte en Markdown, un langage à balises (il faut encadrer du texte avec des astérisques pour le mettre en italiques, par exemple) ; il faudra apprendre cette syntaxe, ce qui n’est pas terriblement compliqué, mais peut se révéler contre-intuitif pour un écrivain de fiction peu féru de technologie.

La légèreté d’Ulysses présente néanmoins des avantages nets pour l’instant inaccessibles à Scrivener. Déjà, Ulysses est très facilement automatisable : créer un nouveau document et le remplir de contenu prédéfini (pour faire une fiche de personnage, par exemple) est très aisé (mais, pour de la fiction, on peut se demander si c’est vraiment capital). Scrivener ne présente que des intégrations avec des logiciels tiers (mais davantage pensées pour la fiction, comme avec Aeon Timeline et Scapple).

De plus, l’export de documents est bien plus facile avec Ulysses ; on peut même le lier à son blog WordPress pour écrire hors ligne, puis publier une fois que l’on dispose d’une connexion stable. La compilation demeure le point noir de Scrivener pour bien des utilisateurs (bien qu’amélioré avec la version 3).

La synchronisation entre plate-formes et documents est aussi indéniablement plus simple avec Ulysses. Celui-ci utilise iCloud, qui fonctionne en arrière-plan sans problème, alors que la synchronisation de Scrivener est manuelle (sous iOS) et, si elle ne conduit pas à des problèmes, peut nécessiter plus d’attention. C’est dû à la complexité des formats ; Ulysses synchronise seulement du texte, alors que Scrivener présente tout un tas de marqueurs de position dans un projet, de métadonnées, etc. On a la lourdeur inhérente à la puissance.

Reste un argument de poids : le prix. Ulysses est passé à l’abonnement, une décision très impopulaire (mais un abonnement débloque toutes les versions sur toutes les plateformes), alors que Scrivener, y compris avec sa version 3, reste un achat « une fois pour toutes » en fonction de la plateforme. En gros, pour un an et demi d’Ulysses, on a Scrivener sur Mac et iOS jusqu’à la prochaine mise à jour majeure (ce qui a largement dépassé dix-huit mois la dernière fois).

Quelles applications pour quoi ?

Pour un auteur professionnel, je pense que les deux ont leur place, mais qu’Ulysses est certainement la moins justifiable des deux. En ce qui me concerne, tous les travaux d’écriture de fiction, nouvelles, romans et séries, se trouvent dans Scrivener car j’ai besoin de sa puissance et de sa capacité à isoler un projet donné en un seul environnement robuste et flexible. Ulysses me donne un environnement flexible et agile pour la forme courte : idées au hasard, articles ponctuels, interviews, blog (lequel représente une part non négligeable de mon travail d’écriture, quand même) etc. Je pourrais probablement le remplacer par une application plus légère qui ne fonctionnerait pas sur abonnement (notamment IA Writer) mais il y a encore dans Ulysses des tas de raffinements qui lui font conserver une (courte) tête.

Pour un auteur en formation, je pense que Scrivener représente le seul investissement nécessaire à présent qu’il existe sous iOS. L’adage est très simple : qui peut le plus peut le moins, et Scrivener reste indubitablement le plus puissant des deux. L’investissement est modeste, et l’application saura accompagner l’auteur dans son évolution tout en lui donnant, dès le début, des outils qui l’aideront. Ulysses me semble risqué car son côté « fourre-tout » peut engendrer un chaos sans nom dont on peinera à revenir.

Pour en savoir plus sur Scrivener, plein d’articles ici ; pour découvrir Ulysses, on peut passer par là : Mac App Store, iOS App Store.

De manière générale, si l’envie d’acheter cet outil (ou l’un des autres présentés sur ce site) vous vient, n’oubliez pas de passer par les liens proposés ci-dessus – vous contribuez à financer le temps passé à rédiger ces articles gratuitement. Merci ! 

2020-12-08T11:52:31+01:00mercredi 6 juin 2018|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Procrastination podcast S02E18 : « Tirer la couverture au livre »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Tirer la couverture au livre« .

Les couvertures illustrées sont, du moins en France, une caractéristique notable des livres d’imaginaire en rayon. Dans cet épisode, nous étudions ce processus tant sous l’angle économique qu’artistique. Laurent signale l’importance de l’image dans la notion même d’imaginaire, et rappelle que les illustrateurs ont marqué les genres autant que les auteurs. Mélanie nous rappelle qu’une illustration est autant une promesse narrative que le titre ; et Lionel aborde plus en détail le processus de réalisation d’une illustration avec la chaîne éditoriale.

Références citées
– Jules Hetzel
– Albert Robida
– Chris Foss
– Virgil Finlay
– Caza
– Philippe Druillet
– Wojtek Siudmak
– Manchu
– Bastien Lecouffe-Deharme
– Alain Brion
– Une Heure-Lumière, collection du Bélial’ illustrée par Aurélien Police

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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2019-05-04T18:45:58+02:00lundi 4 juin 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|2 Commentaires

Apprenons les bases de la typographie pour rendre un manuscrit soigné – 2. Ponctuer et espacer

Après un premier article général sur les règles et les outils qui nous permettront de rendre de jolis manuscrits respectant les règles typographiques, entrons dans le vif du sujet. Et le vif, comme dans la méditation, c’est la respiration. Le blanc. Le vide. Le silence qui donne son sens au contenu.

Les espaces, quoi. 

Ouvrons un livre. (Vous avez bien un livre ? Ou mille.) On sait bien (ou constate) que des espaces se baladent un peu partout dans le texte. Ça aère, ça fait respirer, ça rend la lecture jolie et reposante. Il se trouve que les règles d’utilisation des espaces découlent de siècles de pratique et d’habitude des compositeurs ; elles évolueront probablement encore, mais ce qui nous intéresse, ce sont les règles aujourd’hui.

Elles sont finalement assez simples.

(Rappelons-nous cependant que celui qui a raison, c’est celui qui paye : si un éditeur veut bafouer tout ou partie de ce qui suit, c’est sa responsabilité, et c’est lui qui a raison – tant qu’il vous paye et vous traite bien, on peut bien lui passer une ou douze outrecuidances spatiales. D’espaces, quoi. Bref, n’allez pas me brandir virtuellement en disant que Davoust il l’a dit. Je donne l’usage général, après, à vous de voir.)

Une espace vous manque et tout est trop peuplé

Il existe deux espaces différentes1 2. L’espace normale sert à séparer les mots, et l’espace insécable aussi, mais avec un truc en plus : le logiciel n’a pas le droit de couper la ligne à cet endroit. (Insécable : qu’on ne peut couper.) Quel intérêt ? Eh bien, d’éviter de séparer deux choses qui doivent rester ensemble, par exemple un mot et son signe de ponctuation (« Fichtre ! » rend un peu tarte si le point d’exclamation se balade tout seul au début de la ligne suivante, « 100 km/h » rend bizarre si on coupe entre le nombre et l’unité).

Sous Mac, encore une fois, tout est plus simple : une espace insécable s’insère avec option – espace. Sur Windows… ça dépend du logiciel. Souvent, c’est contrôle – espace. Mais pas forcément. Jetez un œil à votre traitement de texte.

Notons que sur le web, insérer une espace insécable est toujours hasardeux – cela ne fait pas réellement partie du standard (ou bien c’est tellement galère à insérer que le moindre article un peu long comme celui-ci prend trois jours à rédiger). Dans ce qui suit, pour éviter de péter la démonstration, convenons tout de suite que le caractère de soulignement, l’underscore, _ quoi, représente une espace insécable.

Règles générales d’utilisation des espaces

Celles-ci s’appliquent en général – et c’est assez logique – à la ponctuation. Comment cela fonctionne-t-il ? Voyons cela, et parcourons de la sagesse que tout le monde (sauf ta grand-mère) connaît, jusqu’à la finesse subtile qui montrera ton raffinement certain et te permettra enfin de discerner cette nuance de framboise dans le Bordeaux – car tel est le pouvoir d’élégance de la typographie.

Tout signe de ponctuation est suivi d’une espace normale. Soit rouge, bleu et non rouge,bleu.

Un signe de ponctuation double est précédé d’une espace insécable. C’est-à-dire : deux points, point-virgule, etc. Soit rouge_; bleu et non rouge; bleu. (Attention, ce n’est pas le cas en anglais.)  La plupart des traitements de textes récents (Word et OpenOffice) les insèrent d’eux-mêmes en détectant le caractère en question.

Le cas des guillemets. Les guillemets français sont les guillemets à chevrons, eux, là : « ». (Pour les entrer, voir l’article précédent.) Les ouvrants sont suivis, et les fermants précédés, d’une espace insécable pour éviter la chasse du contenu qu’ils encadrent, ex. : «_Coucou_!_» et non «Coucou!». Sauf que : on peut avoir besoin d’imbriquer des guillemets dans des guillemets, pour une citation contenue dans un dialogue, par exemple. On fait alors appel aux guillemets anglais, qui sont de doubles apostrophes à l’exposant, et qui ne sont pas suivis ou précédés d’espaces, car on suit alors la règle anglaise (ça va ? Ne meurs pas.). On les imbrique selon la règle suivante – et je dois mettre une image car le web est notoirement brouillon en termes d’espacement et de caractères spéciaux (qui a dit « spécieux » ?) :

Guillemets français, puis anglais, puis apostrophes.

Notons aussi que la ponctuation des dialogues vaudrait à elle seule trois articles dédiés. Et devinez quoi ? Ils existent, rhooo c’est quand même bien fait :  1) les bases, 2) le formatage classique, 3) le formatage moderne.

Les incises. Des espaces normales (comme ceci) encadrent une proposition entre parenthèses. Des espaces normales – comme ceci – encadrent les tirets semi-cadratins des deux côtés.

Et c’est à peu près tout. C’est quand même pas dur, non ?

Respecter la typographie française dans les studios d’écriture

Je recommande, je prosélytise, je scande le nom de Scrivener la bave aux lèvres et les yeux fous dès qu’il s’agit d’écrire, et j’ai bien raison (forcément), mais y a un truc : Scrivener ne sait pas gérer la typographie française, de base. Heureusement, il existe des contournements et des solutions très simples pour mimer le fonctionnement de Word dans ce domaine pour éviter d’interrompre son flow.

Et voilà. Avec tout ça, on a couvert probablement 90% du sujet, et un éditeur normalement constitué ne vous en demandera en principe pas plus.

Sauf si vous faites vos alinéas avec des tabulations.

Vous faites pas ça, hein ?

  1. En théorie davantage, mais un traitement de texte ne sait pas les créer, donc limitons-nous à deux.
  2.  Oui, en typographie, l’espace est féminine.
2019-06-01T14:56:08+02:00mardi 29 mai 2018|Best Of, Technique d'écriture|10 Commentaires

Apprenons les bases de la typographie pour rendre un manuscrit soigné – 1. Règles générales et outils

Merci, Inspirobot.

Divers évolution concomitantes m’ont conduit à lâcher la quasi-totalité de mes cours à la fac d’Angers, parmi lesquels figuraient certains « Outils informatiques du traducteur ». Fermement décidé à ce que ma plus grande œuvre ne sombre pas dans l’oubli, je vais archiver en ces lieux étranges une certaine part de ma sagesse suprême, la connaissance la plus lumineuse qu’il m’ait été donné de partager, et vous emmener avec moi dans les hauteurs sublimes du savoir.

C’est-à-dire que je vais vous saouler avec de la typographie.

Pourquoi et qu’est-ce que c’est, la typographie

La typographie, c’est, en gros, l’art de composer une jolie page. À l’origine, c’était le métier des compositeurs qui manipulaient les blocs de fonte (petits, je vous rassure) (mais les gens étaient peut-être musclés quand même) qui formaient la page imprimée. De nos jours, c’est principalement virtuel, et cela désigne les règles, construites par l’usage et l’expérience au fil des siècles d’imprimerie, qui forment une page reposante et harmonieuse à lire.

C’est donc important parce que cela concerne le confort de lecture. C’est aussi important parce que le compositeur (qui travaille aujourd’hui sur InDesign ou XPress) doit respecter ces règles pour fabriquer un livre que le lecteur découvrira avec plaisir. C’est donc important pour l’auteur, parce que respecter ces règles autant que faire se peut dénote sa connaissance du métier au sens large, le soin qu’il prend des yeux de son éditeur, son souci de faire gagner du temps à son metteur en page (et donc de l’argent à tout le monde), bref, c’est une preuve agréable de professionnalisme.

Disons tout de suite qu’un traitement de texte (quel que soit le vôtre, Word, Ulysses, Scrivener, Open Office…) n’est pas un logiciel de mise en page et qu’il existe certaines choses quand même impossibles à faire, mais s’approcher au maximum de l’idéal est appréciable (et on ne saurait demander d’aller plus loin). Respecter ces règles ne fera évidemment pas de vous un grand écrivain (et ne pas les respecter, à moins de vraiment faire exprès, ne vaudra pas un refus sommaire de votre manuscrit), mais au moins un bon partenaire, et comme le découvrent tous les jeunes qui ont conservé leur virginité pour leur nuit de noces, on sous-estime parfois l’importance d’être un bon partenaire dans la construction d’une relation plaisante.

Règles générales et caractères spéciaux

Installons d’ores et déjà une notion qui nous servira plus tard : le cadratin. C’est la largeur maximale que peut occuper un caractère (bon, je résume, hein). Pour une police de caractères à espacement variable, par exemple, un « i » prend moins de place qu’un « m » (c’est le cas sur cette page si vous l’affichez avec les paramètres par défaut) – le cadratin est donc la largeur théorique maximale d’un caractère avec la police donnée.

Un certain nombre de conventions typographiques s’appuient sur des caractères spéciaux (il existe par exemple trois types de tirets différents, qui n’ont pas la même sémantique). Il importe de savoir les entrer sur son ordinateur, et j’aurais tendance à recommander d’acquérir ces réflexes au plus vite pour les intégrer inconsciemment au moment de la rédaction d’un livre (car faire une passe purement typographique sur son manuscrit est une manière assez sûre de réduire son espérance de vie de trois mois et deux semaines par ennui profond).

Dégageons déjà (oh la belle allitération en J) quelques points auxquels prendre garde (et quelques idées reçues auxquelles tordre le cou) :

Oui, EN FRANÇAIS, LES MAJUSCULES SONT ACCENTUÉES. La légende du contraire circule depuis la machine à écrire (parce qu’on ne pouvait pas facilement les intégrer) mais la règle typographique française a toujours été qu’on accentue les majuscules. Les accents ont du sens.

Usage des italiques. Elles sont principalement réservées aux intériorisations (Fromage ou dessert ? se demanda en son for intérieur l’incroyable Hulk au cocktail des Avengers) et aux locutions étrangères (What the phoque ?), ce qui, caveatinclut le latin. Donc : in pettoin extremisvia le RER B, a priori (sans accent sur le « a », c’est du latin, Priori n’est pas un lieu, sauf si vous parlez du palazzo de Pérouse).

Les points de suspension sont un seul caractère (et pas, comme on dit au primaire, « trois petits points »). Essayez de sélectionner avec votre pointeur ceci : … et cela … ; know the difference, it can save your life. (Ou peut-être pas, mais on n’est jamais trop prudent.)

Les apostrophes sont dites typographiques – ce n’est pas un trait (comme ceci : ‘) mais une sorte de virgule à l’exposant (comme cela : ’).

Il existe (donc) trois types de tirets. Le trait d’union (-), qui sert à relier les mots composés, de-la-sorte. Le tiret cadratin, à l’inverse, est le plus long qui soit (par définition du cadratin, voir plus haut) et ne sert qu’aux dialogues (—). On a longuement débattu de la ponctuation des dialogues spécifiquement dans trois articles, 1) les bases, 2) le formatage classique, 3) le formatage moderne. Enfin, le tiret semi-cadratin est plus long que le trait d’union, plus court que le tiret cadratin (–) et – wait for it – sert aux incises – comme ce qui précède.

Entrer des caractères spéciaux

Il faut être juste et rendre à Word ce qui lui appartient : malgré ses innombrables idiotes-syncrasies, il reste le champion du respect de la typographie française, et fait à peu près tout correctement. Mais il peut rester des occasions où l’on veut entrer manuellement un caractère spécial. Et là, comme qu’on peut faire ?

Sous Mac et iOS. C’est très simple. Tout est accessible facilement et logique par combinaison de touches (Verr. Maj pour les majuscules accentuées ; option-quelque chose pour le reste – voir le Visualiseur de clavier sur Mac, activable dans les préférences). Circulez, y a rien à voir, c’est logiquement fait et c’est chouette, et ça marche pareil entre un Mac et un iPad, en plus.

Sous Windows. C’est beaucoup plus compliqué. Les traitements de texte prévoient souvent des raccourcis clavier, mais ça n’est jamais les mêmes en fonction du logiciel. Les deux solutions un tant soit peu universelles et pratiques consistent, soit à installer un pilote de clavier étendu donnant davantage de caractères accessibles (par exemple celui de Denis Liégeois, kbdfrac)1, soit à utiliser les codes de caractère du système (solution que j’ai utilisée pendant 25 ans depuis Windows 3.1 avec un post-it sur mon moniteur jusqu’à ce que ça rentre dans ma mémoire musculaire…). En gros, taper Alt et une combinaison de chiffres au clavier. Lesquelles sont, pour les plus utilisées :

… et avec ça, nous avons tous les outils en main.

La prochaine fois, nous parlerons d’espaces et de leur juste usage. Comment que c’est trop grave excitant du fun ! Non ?

  1. Ou carrément passer en disposition Bépo, mais ça nous entraînerait trop loin
2019-06-01T14:56:34+02:00mercredi 23 mai 2018|Best Of, Technique d'écriture|4 Commentaires

Aeon Timeline, le meilleur outil de gestion de chronologies, maintenant disponible en version mobile

Alors ça c’est le bonheur : Aeon Timeline, dont j’ai déjà dit grand bien ici, est sorti sous iOS (ouais, pas de version Android encore, désolé). Aeon Timeline fait partie de ces outils ultra-spécialisés, pas le couteau suisse qui fait tourner la boutique au quotidien (pas Scrivener, quoi) mais dont on est merveilleusement content qu’il existe quand on a précisément besoin de son jeu de fonctionnalités, parce que ce qu’il fait, il le fait très bien. La phrase qui précède est vraiment mal fichue, mais j’avoue qu’il est 21h58 au moment où j’écris ça et plus tellement de cerveau.

La vue grille, qui ne cesse de m’impressionner. Cliquez pour agrandir.

Bref, Aeon Timeline gère des chronologies, donc. Mais à n’importe quelle échelle, de l’heure jusqu’aux ères géologiques ; et pour les écrivains d’imaginaire, il a le bon goût de prévoir les calendriers fictifs. Un système extrêmement puissant (mais qui nécessite un peu d’apprentissage) permet de suivre des relations entre à peu près n’importe quoi dès lors que ça s’organise temporellement : classer des événements, suivre qui était à quel endroit et à quel moment, retrouver les participants à un fait donné, Aeon Timeline est d’une flexibilité extrême et permet même à l’utilisateur de définir toute la sémantique de ses données – fils narratifs, personnes, lieux marquants, tout ce que vous pouvez imaginer. Autant dire que c’est du pain bénit pour la construction de monde imaginaire et de scénario complexe à plusieurs arcs (je m’en sers beaucoup pour « Les Dieux sauvages »), surtout qu’il peut se synchroniser avec Scrivener (en version de bureau).

Autant que je puisse en juger, la version mobile est à parité avec la version Mac / Windows. À un détail près – impossible au logiciel de montrer l’intégralité des entités d’une frise (comme des fils narratifs) sur un même écran pour des raisons de place, disent les développeurs, condamnant l’utilisateur à les voir une à une. Un petit regret pour ma part parce que c’est la vue dont je me sers le plus souvent (et que je ne vois pas trop ce qui empêchait cette fonction sur iPad, en réalité : on peut bien faire défiler la vue). Mais je ne crache absolument pas dans la soupe : c’est une des applications dont je me sers régulièrement qui rejoint l’arsenal iOS et rend le travail en complète mobilité encore un cran plus facile. Surtout que faire défiler sa frise et manipuler ses événements sur une interface tactile s’avère particulièrement intuitif. Bien plus qu’avec une souris.

Cliquez pour agrandir.

Question fichiers, la version mobile d’Aeon Timeline se synchronise tout simplement grâce à l’application Fichiers d’iOS 11, et permet d’utiliser iCloud ou Dropbox. Il faudra d’abord mettre à jour l’application de bureau et sauvegarder ses frises au nouveau format, mais l’opération est triviale (attention à ne pas en ouvrir plusieurs à la fois cependant, cela ayant fait systématiquement crasher l’application chez moi).

Certains tiqueront sur le prix un peu élevé pour une application mobile, mais les développeurs doivent bien rentabiliser leur travail, et pour ma part je l’ai payé les yeux fermés, comme pour tout outil de travail qui m’est nécessaire. Pour découvrir Aeon Timeline sur l’App Store, c’est ici.

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2019-06-04T20:26:06+02:00jeudi 17 mai 2018|Best Of, Technique d'écriture|7 Commentaires

Procrastination podcast S02E17 : « Choisir un bêta-lecteur »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Choisir un bêta-lecteur« .

Le bêta-lecteur est le premier regard extérieur sur un travail achevé : comment se déroule ce processus, et surtout, comment profiter au maximum de cette expérience pour évoluer dans son écriture ? Pour nos trois auteurs, l’étape est fondamentale et ils décrivent leur flux de travail avec leurs lecteurs de confiance. Pour Mélanie et Laurent, c’est même une étape d’explication du travail achevé avant d’être une étape de correction ; Lionel insiste quant à lui sur la nécessité de connaître ses relecteurs pour savoir évaluer leur retour en fonction du projet qu’on s’est fixé.

Référence citées :
– Stephen King, Écriture
– Cocyclics, https://cocyclics.org
– Wattpad, https://www.wattpad.com

Cet épisode peut contenir des mentions de braguettes.

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2019-05-04T18:45:59+02:00mardi 15 mai 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|2 Commentaires

Procrastination podcast S02E16 : « En avoir ou pas (du style) »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « En avoir ou pas (du style)« .

Le style, cette qualité évanescente censée faire ou défaire la clarté de l’expression, sa beauté, ou même l’innovation d’une œuvre. De quoi s’agit-il, et comment cela se travaille-t-il ? Après un rappel de définitions par Laurent et leur évolution notamment à l’époque moderne, Mélanie met l’accent sur la patte, la saveur d’un texte, et la différence d’approche entre auteurs – ceux qui s’adaptent le style à tout genre, et ceux qui adaptent le genre à leur style. Lionel complète par un accent sur le choix esthétique du style, sur la déclaration inévitable qu’il représente, qu’elle soit consciente ou inconsciente.

Références citées :
– Virginie Despentes
– Serge Brussolo
– Albert Camus, L’Étranger
– Élisabeth Vonarburg

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2019-05-04T18:47:07+02:00mardi 1 mai 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|1 Commentaire

Question : garder la motivation (pourquoi écrire ?)

Photo Sebastián León Prado

Je me permets de t’écrire après avoir lu ton article « Vivre les corrections« . Hyper intéressant. Je l’avais vu passer, et je suis retournée le chercher car je suis en plein dedans, dans les corrections.

Dans ton article, tu dis que finalement, tu livres une pierre brute que tu vas tailler avec l’aide de ton éditeur.
Je suis dans le cas, là, où je suis…fatiguée…de travailler sur un texte, que j’ai presque terminé. Au final, il ne me reste plus grand chose à faire en regard de TOUT CE QUE J’AI DEJA abattu comme travail. Mais ça me semble vraiment vraiment ardu.

Alors, ma question est, que conseillerais-tu, quand on n’a pas encore d’éditeur pour un roman, comme taille de pierre? Parce que je sais que mon texte est encore faible à certains endroits (notamment des scènes d’action que je sais que je vais devoir ciseler). Mais, seule? Ne risque-je pas de décevoir l’éditeur à qui j’envoie mon texte si mon texte n’est pas parfait (à mes yeux) ou en tous cas se rapproche du mieux que je peux faire? Là, la motivation me quitte peu à peu alors que ma propre deadline approche, que j’ai des critiques de bêta-lecteurs hyper précieuses en poche, et que je n’ai aucune promesse d’édition en vue.

Dans ce cadre-là, si tu avais un avis, un conseil à me donner en tous cas pour que ma motivation revienne, je suis toute ouïe. Parce que je me fatigue toute seule, et ça fait deux semaines, et je m’attriste de plus en plus au lieu de me réjouis des lignes que j’ai corrigées un peu plus chaque jour. J’ai l’impression qu’il me reste 5% de travail à faire seule, avant de pouvoir chercher un éditeur, mais que ce sont les 5 plus difficiles, car je regarde mon roman, et je me demande si après tout ces efforts, cette masse de mots en vaut la peine…

D’habitude, je recentre les messages reçus autour du nœud de la question, mais là le contexte me semblait particulièrement intéressant et je crois qu’on peut être beaucoup à se retrouver, dans une forme ou une autre, dans ces difficultés et questionnements.

J’ai l’impression de lire deux volets dans la question : un aspect technique (comment faire, techniquement, pour tenir bon) mais surtout un appel à l’aide (je suis fatiguée). Il est terriblement difficile de répondre intelligemment à cela car j’ai l’impression qu’à ce stade, la fatigue ne s’ancre pas nécessairement dans une question de technique. Je pourrais répondre de toujours envoyer la meilleure version d’un texte possible à un éditeur pour qu’il ou elle puisse ensuite amener le manuscrit plus loin ; qu’il est intéressant qu’il te donne les clés pour aller au-delà de ce que tu peux faire de mieux, et qu’il n’est pas très intéressant qu’il te reprenne sur des faiblesses que tu connais déjà (on en a parlé dans l’épisode de Procrastination sur les corrections). Je le pense, mais je ne crois pas que ça aiderait beaucoup, à ce stade. Je pourrais aussi te dire que ces doutes, ces questionnements sur la pertinence de ce qu’on fait (« pourquoi je lutte, voire souffre tellement pour atteindre l’objectif que je me suis fixé – qui ça intéresse, en fait ? ») ne s’envolent pas nécessairement avec la présence d’un éditeur derrière ou, plus précisément, je dirais que se « rattacher » à cette présence et cette assurance d’une publication est dangereux car c’est, à mon sens, éviter une question fondamentale, qui sous-tend toutes ces difficultés. Si tu as un éditeur, tu t’attaches aux ventes. Si tu as des ventes, tu t’attaches aux critiques négatives. C’est sans fin.

Et cette question, c’est : pourquoi écrit-on ? Pourquoi écris-tu ? Pourquoi fais-tu cela ? 

C’est pour cela qu’il est impossible de donner une réponse pertinente à ta question, mais je peux te parler… de la question en elle-même. Derrière le doute et la difficulté, derrière les coups de mou, il y a pour moi un ancrage fondamental dans l’interrogation de l’écriture. C’est vrai, après tout : pourquoi lutte-t-on ? Je ne peux pas répondre à cette question à ta place, mais je crois deux choses : d’une, il n’y a pas de mauvaise réponse (aussi égocentrique ou superficielle soit-elle) – la mauvaise réponse, c’est celle dont on n’a pas conscience et qui nous manipule à notre insu. De deux, cette réponse a le droit de changer en cours de route, de mûrissement, d’évolution. Beaucoup d’auteurs, par exemple, éprouvent dans leurs premiers stages d’évolution le besoin de se prouver quelque chose et/ou d’exprimer quelque chose de viscéral au monde ; une fois ceci fait, atteint, ils sont « vides » et ne passent pas à un stade différent qui leur permettrait de continuer à écrire. Ce n’est ni bien, ni mal, c’est leur trajet.

Je crois que la meilleure réponse à tous ces doutes et difficultés, la meilleure motivation, s’enracine dans l’être même. Il y a des années, j’ai eu un passage très difficile avec un éditeur qui a eu des mots incorrects envers moi, lesquels ont sévèrement attaqué le peu de confiance du jeune auteur que j’étais (et jeune auteur que j’étais, je n’ai rien osé dire). J’ai sérieusement, pendant trois jours, contemplé le fait de laisser tomber l’écriture et de repartir dans la science (j’ai même posté des lettres de candidature à des postes – je n’y croyais pas réellement, mais le seul geste a été cathartique). Au final, cette épreuve a été salvatrice, car elle m’a fait comprendre pourquoi j’écrivais vraiment, et en quoi je devais lâcher-prise à certaines ambitions – notamment que je ne rencontrerais que tristesse et illusions en me suspendant à l’approbation d’autrui, et surtout que la confiance ne pouvait, ne devait jamais venir de là. (Hé, j’étais jeune.) Ma réponse, qui n’engage que moi, c’est que l’écriture est un processus qui doit se suffire à lui-même. La publication n’est pas une fin, la lecture et la critique enthousiaste sont de merveilleux cadeaux que l’existence vous fait, qu’il convient d’accepter avec gratitude, mais l’essence de la pratique, le seul domaine qui a de l’importance, est le voyage que l’on fait, et sur lequel on lutte parfois, oui, pour mettre les mots sur la page au mieux de sa compétence et de sa sincérité. (Après avoir fait ce cheminement, j’ai dit à cet éditeur à l’époque : « Je n’ai pas besoin de voir mon nom sur une couverture pour me sentir exister. ») C’est la seule chose qu’on puisse contrôler, de toute manière (et d’ailleurs, quand on voit le poids de l’inconscient, on se demande parfois si on contrôle en réalité quoi que ce soit).

Ces difficultés sont le reflet d’une exigence, d’un idéal esthétique parfois terriblement dur à atteindre (parce que l’on sait parfois visualiser l’objectif, mais que l’on doit beaucoup apprendre pour y arriver), mais qui sont au final une force de vie fondamentale chez le créateur ou la créatrice – car y parvenir sonne juste, sert du mieux possible le projet que l’on s’est fixé. Et je crois que c’est l’élan capital ; et que la joie qui en découle, après avoir parfois souffert mille morts (le premier chapitre de Le Verrou du Fleuve a connu sept ou huit versions, je commence déjà à oublier, alors je compatis) est la véritable récompense du travail et la seule qui puisse avoir du sens : « moi, je suis content, j’ai fait de mon mieux, je n’ai rien retenu ; j’ai plongé là où je n’étais jamais allé, ce sentier était peut-être familier pour vous, mais pour moi il était ardu ; je vous offre ce que j’ai pu faire de meilleur, et dès lors, avec ceux et celles à qui je suis destiné.e à parler, nous nous reconnaîtrons. Aux autres, je ne peux simplement dire que je suis navré de ne pas avoir convaincu ; quel autre choix ai-je, dès lors, que de passer mon chemin ? » (Oui, je sais, je me la joue un peu Nietzsche, là – c’est bon, LAISSEZ-MOI RÊVER.) Plus sérieusement : un écrivain d’une immense expérience m’a confié que cette exigence était simplement le reflet de l’affinement de la compétence et de l’aiguisement du regard. En d’autres termes, on peut la voir, ainsi que les difficultés afférentes, comme un signe positif du mûrissement d’un auteur. En tout cas, je choisis de le voir comme ça. (J’ai dit LAISSEZ-MOI RÊVER.)

De manière plus prosaïque, tu as aussi le droit de te reposer un peu et de réviser les délais que tu te fixes. L’écriture est difficile et on n’accomplit rien sans se frotter à ces difficultés, mais il faut savoir ménager un équilibre – là aussi éminemment personnel – entre la difficulté et le blocage. Une des leçons les plus précieuses, dans l’évolution de ma propre réponse à l’écriture, a été l’intégration de la composante de plaisir. De la même façon qu’il ne faut pas fuir la difficulté (ce pour quoi je suis très doué, parfois un peu trop) il ne fait pas oublier le principe de plaisir (que je trouve dans ce moment où je saisis enfin, au mieux de ma compétence à un instant donné, l’adéquation entre la forme idéale dans ma tête et sa concrétisation en mots). On en a parlé dans le dernier épisode de Procrastination sur les blocages, aussi.

Rappelle-toi enfin que ce que tu as à donner – quoi que ce soit – nul ne peut le dire à part toi. Les mots que tu n’écris pas, nul ne les écrira si tu ne le fais pas. Et oui, ça en vaut la peine, dès lors que tu puises dans ce que tu es, avec vérité et sincérité, car tu es unique dans ce que tu es, et donc ce que tu dis, et comment tu le dis.

J’ai beaucoup parlé de moi dans cet article et non de toi, je suis désolé pour ça, mais comme la réponse est éminemment personnelle, je ne voyais pas très bien quoi faire à part partager ce que je pense, dans l’espoir qu’une histoire – la mienne – soit plus éclairante qu’un discours théorique. C’est bien ce que fait la fiction, après tout.

2019-06-04T20:23:14+02:00lundi 23 avril 2018|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

Procrastination podcast S02E15 : « Les blocages »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Les blocages« .

Mélanie propose de parler pour cet épisode, non pas de l’angoisse de la page blanche, mais du réel blocage : le texte qui ne veut pas s’écrire, la situation qui ne se débloque pas, peut-être en lien avec la personnalité de l’auteur. Laurent est plutôt d’accord, mais Lionel déteste qu’on lui dise qu’il ne peut pas faire quelque chose, même s’il se soigne avec l’âge. Il se dégage au cours de l’épisode la nécessité capitale de l’introspection pour l’auteur, afin de savoir ce qu’il veut ou peut explorer – et comment il peut contourner une contrainte de manière créative, fût-elle personnelle.

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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2019-05-04T18:47:07+02:00lundi 16 avril 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S02E15 : « Les blocages »
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