Un nouvelliste d’exception disponible en français : L’Opéra des serrures, par Bruce Holland Rogers

Toujours un peu difficile de vanter ainsi un ouvrage dont on a fait la traduction, mais je le pense – c’est d’ailleurs pour cela que je me suis retrouvé à piloter ce projet (c’est donc que j’y crois). Bruce Holland Rogers est un nouvelliste d’exception, souvent à la frontière entre le réel et l’imaginaire, dans une mouvance rappelant les grands maîtres du réalisme magique, et surtout, il est capable d’évoquer dans des textes de quelques pages la force d’un haiku, d’une chanson et d’un coup de poing. Il y a quelques années, je m’occupais de traduire ses nouvelles pour un service d’abonnement (qu’honnêtement, je n’ai jamais réussi à vraiment faire décoller en France) ; il était vraiment dommage que ces textes disparaissent dans l’oubli, et L’Opéra des serrures les rassemble ainsi qu’un bon nombre d’inédits. Si vous êtes venu.e à une représentation des Deep Ones, le texte “Traverser la frontière”, dont on me demande souvent la référence, est de Bruce1.

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L’Opéra des serrures, c’est quarante textes dont beaucoup sont des “shorts shorts” soit des nouvelles très courtes, quelques pages au plus, qui couvrent l’imaginaire, mais aussi la littérature générale, l’étrange, toujours avec une capacité unique à établir un lien avec le lecteur à travers la communauté de l’expérience humaine. Avec en plus deux copieuses préfaces et un entretien réalisé par votre humble serviteur où se trouve, pour moi, la meilleure définition du métier d’écrivain que j’aie lue, donnée par Bruce :

La technique artistique relève d’une connaissance suffisante de l’histoire pour […] se concentrer sur le lecteur et manipuler adroitement son esprit.

Je remercie également les éditions Rivière Blanche d’avoir accepté de porter un projet un peu dingue et pour la direction littéraire ; le livre est actuellement disponible chez tous les bons libraires, ainsi qu’en ligne, directement sur le site de l’éditeur, ici, là.

  1. Il ne figure cependant pas dans le livre qui est une traduction du recueil américain Keyhole Opera.
2018-08-23T09:42:44+02:00jeudi 25 janvier 2018|À ne pas manquer|6 Commentaires

On n’écrit (et ne traduit) que du sous-texte

Auteur scriptural, dit également jardinier (allégorie). Photo Eduardo Prim.

EDIT : Comme me l’a fort justement signalé mon camarade Laurent Genefort au moment d’enregistrer la saison 3 de Procrastination, la notion dont il est question dans cet article n’est pas le hors-texte, mais le sous-texte. L’article a été corrigé par rapport à sa version d’origine.  

On l’a abordé en filigrane dans Procrastination, j’en ai parlé par ici de temps en temps, mais plus le temps passe et plus cela m’apparaît avec limpidité : on n’écrit pas des mots, ils n’ont aucune importance. On n’écrit que ce que les mots disent.

OK, dit comme ça, on dirait que j’ai inventé l’eau chaude, mais bougez pas, je m’explique.

La définition la plus claire du métier d’écrivain – en tout cas, celle avec laquelle je me sens le plus en accord – m’a été donnée par Bruce Holland Rogers dans une interview que je lui proposais (et qui sera publiée un jour) :

Mon art réside dans le choix de mots qui engendreront un effet attentivement étudié.

Ce que j’interprète comme : écrire consiste à gouverner les émotions du lecteur (éventuellement avant qu’il ne s’en rende compte). Soit : il ne s’agit pas tant de prêter à voir que de donner à rêver ; il ne s’agit pas de raconter simplement ce que les mots disent, que d’évoquer et déployer sensations et images dans l’esprit du lecteur en n’employant que l’outil du vocabulaire, un peu comme un espace “plus grand à l’intérieur”, une sorte de TARDIS tel que le décrit aux Imaginales par Mélanie Fazi dans le cas de la nouvelle. Ce sont, évidemment, les rôles fondamentaux de la comparaison, de la métaphore… Mais cela va plus loin : cela porte avant tout au travers de ce que l’on ne dit pas. Roger Zelazny, grand maître de l’épure, raconte qu’il a commencé à vendre des textes professionnellement quand il a cessé d’expliquer les choses à son lecteur mais les a laissées émerger du contexte du récit (l’émergence, un mot dont on parle décidément beaucoup dans Procrastination). Tous les auteurs ou presque disent que le lecteur fait la moitié du travail, car il construit ses images, ses représentations et son univers au fil de sa découverte ; l’une des difficultés, et peut-être des marques de l’expérience, consiste pour l’auteur à lui en laisser la place. En d’autres termes, l’auteur apprend d’abord à dire, puis, surtout, il apprendrait à en dire le moins possible, et au contraire à laisser habiter.

J’en suis convaincu depuis des années, mais ça m’est récemment apparu avec une lucidité inédite à mesure que je prends de la distance avec l’enseignement en fac de traduction (où je n’ai jamais été qu’intervenant extérieur une quarantaine d’heures dans l’année, hein – une belle aventure, mais que je dois clore peu à peu en raison du temps à ma disposition) et suis donc à même de lâcher des sentences. Comme dit l’autre, on ne travaille vraiment quelque chose que quand on devient capable de l’enseigner à quelqu’un. Or doncques, l’autre jour, il m’est apparu avec une absolue clarté que traduire, ça n’est que traduire le sous-texte. Celui qui traduit seulement les mots, comme celui qui écrit seulement les mots, n’a rien compris à l’exercice. Il s’agit de traduire les fonctions du langage qui créent les atmosphères, les sons, les ressentis, les émotions – et c’est cela, par le biais des outils stylistiques, syntaxiques et de civilisation, qui doit rester identique autant que faire se peut. C’est là que l’on sait si la distance est adéquate avec l’original ; quand il faut s’approcher, quand il faut s’éloigner, pour rester paradoxalement fidèle à l’esprit. Mais les mots peuvent changer, du tout au tout si c’est parfois nécessaire. Ils ne sont pas importants par eux-mêmes. C’est pourquoi la traduction littéraire restera toujours une affaire d’êtres humains, car c’est une affaire de sensibilité ; du moins, le jour où les IA seront capables de faire la même chose, la société aura muté d’une telle manière que l’humanité affrontera des bouleversements probablement bien plus fondamentaux que la survie de la profession.

Les mots sont comme une onde porteuse. Ils ne sont pas la finalité, ils ne sont que le support de l’écriture, du message, de la communication. Ce qui est une imperfection fréquemment fustigée dans des domaines nécessitant la plus grande rigueur comme le juridique, la diplomatie ou la communication au sein du couple (qui a dit “tout ça s’apparentant à la même chose” ?) devient, dans le cadre de la poésie et de la littérature, l’espace pour chacun d’habiter le récit de se l’approprier dans son espace intérieur – le silence ou la pudeur sémantiques, quel que soit le terme qu’on plaque dessus, est là une force.

Ouvrir ces espaces dans lesquels l’on peut se projeter marque à mon sens le plus haut degré de maîtrise de l’écriture, et savoir ajuster leur dosage (afin de proposer une onde assez forte pour transmettre du sens, mais pas trop pour ne pas l’assécher) relève certainement de l’œuvre d’une vie : cerner le contour du silence, une pratique presque zen s’apparentant à l’entretien de jardins de sable et de pierre. Davantage que du lâcher-prise, c’est du lâcher-prose. (Voir ici pour la vidéo virale convenant à la réaction à cette formule)

J’ai peut-être inventé l’eau chaude, mais après tout, c’est un blog, alors le cas échéant, je fais me faire cuire un bain.

2019-06-04T20:35:20+02:00jeudi 19 octobre 2017|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

Qu’est-ce que le métier de traducteur ? En vidéo en compagnie de Mélanie Fazi et Jean-Yves Cotté

J’ai encore énormément de retard sur pas mal de choses à partager, la faute à des actualités qui ont pris le dessus au début de l’été, mais je me dis que cela pourra toujours quand même intéresser du monde ; dans cette mode de l’immédiateté à outrance, ce n’est pas parce qu’une vidéo a six mois qu’elle devient périmée… (Sauf les vidéos de L’Équipe, mais bon)

Notre amie et estimée consœur Samantha Bailly a une super chaîne YouTube qui parle de littérature, du métier, de ses choix et de sa manière de travailler, et elle nous a fait le plaisir, à Mélanie Fazi, Jean-Yves Cotté et moi de venir parler de traduction, de ce que cela représente et implique, des aspects artistiques aux côtés matériels. C’est ci-dessous, si vous souhaitez en savoir davantage sur la manière dont ça fonctionne, dont on travaille, sur les difficultés et plaisirs de l’exercice.

Grand merci à Samantha pour son invitation, pour nous avoir donné l’occasion de parler de ce métier du livre un peu méconnu, et à Jade pour la technique !

2017-08-27T18:37:29+02:00mardi 5 septembre 2017|Le monde du livre|1 Commentaire

Worldcon 2017, jours 3, 4 & 5

Et wala, auguste lectorat, me voici dans ma chambre d’hôtel avec du Master Boot Record en fond à m’efforcer de récapituler ce que je pourrais bien raconter et partager d’intense tant il y a de chose…

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De manière générale, je pense qu’il faut vraiment saluer l’organisation. Organiser une Worldcon est un défi, le faire dans un pays européen peu connu des Américains multipliait les difficultés. J’avoue que le premier jour, devant les nombreuses difficultés d’accés aux tables rondes et un espace de vente assez dépeuplé, j’ai eu un peu peur. Mais en une seule journée, l’organisation a réagi avec une efficacité exemplaire et cette Worldcon, il me semble, se termine sur un succès qui n’aurait à envier à Londres et Montréal que davantage d’affluence étrangère – mais ce n’est certainement pas la faute de l’organisation ici qui a fait, en tout cas vu de l’extérieur, tout le nécessaire pour rassembler les conditions du succès.

https://www.instagram.com/p/BXsxPjrDCcx/?taken-by=wildphinn

J’ai résolument placé l’accent, pour moi, sur trois dimensions : le plaisir, l’écriture et (un peu) de “boulot” quand même (c’est-à-dire, le versant plus éditorial et économique) pour me tenir au courant de ce qui se fait hors de nos frontières géographiques et linguistiques.

Côté plaisir, c’était très chouette d’assister par exemple à une présentation sur la demoscene – avec laquelle j’ai grandi à l’époque de l’Amiga, mais quel meilleur endroit que le pays de l’Assembly pour entendre parler de prouesses artistiques et technologiques ? Je garde le souhait lointain de m’investir un jour davantage dans le milieu, côté musique évidemment, parce que niveau codage, je suis un tout petit peu largué. J’ai été bluffé par une démo réalisée sur… une console de mixage, où les faders eux-mêmes étaient animés par le programme.

https://www.instagram.com/p/BXpq3Lijgqt/?taken-by=wildphinn

Le plaisir, dans les Worldcons, c’est aussi et surtout les rencontres et les retrouvailles, des contacts que l’on voit parfois une fois tous les trois ans ou plus, avec qui l’on continue à échanger tout au long de l’année grâce à Internet, mais avec qui on se retrouve avec la même chaleur ; et puis les nouveaux amis qu’on se fait après une table ronde ou en discutant dans les couloirs. Pas de name-dropping, auguste lectorat, tu sais que ce n’est pas mon genre (ça me donne l’impression de me la raconter), mais voilà, c’était chouette, et je veux juste dire un grand kiitos à Sini pour avoir merveilleusement brisé les glaces et comblé les distances géographiques.

https://www.instagram.com/p/BXr5tizDvPT/?taken-by=wildphinn

Un autre côté agréable des Worldcons est l’accent sur la technique de l’écriture et la disposition des intervenants à entrer dans le détail de leurs processus de travail. Ainsi que l’existence de présentations parfois très techniques pour transmettre des connaissances aux auteurs présents (on a beaucoup ri – heureusement – à la conférence sur la mécanique des blessures plus ou moins mortelles et les manières de les représenter de façon réaliste). La Worldcon proposait aussi beaucoup d’interventions sur l’écriture pour les fictions interactives (textuelles ou jeux vidéo) et j’en ressors avec quelques applications supplémentaires sur mon iPhone ainsi que des idées bien consolidées sur ce qu’il est intéressant ou pas de faire dans ce contexte. Ça m’a aussi parfaitement expliqué pourquoi la série de jeux Lifeline, bien qu’intéressante en surface, m’a rapidement lassé.

https://www.instagram.com/p/BXvCEQ_DRrR/?taken-by=wildphinn

Niveau éditorial, il semble que la traduction de fictions étrangères en anglais connaisse un frémissement. Alors attention, ce n’est pas la porte ouverte à toutes les fenêtres, c’est juste un frémissement, mais la reconnaissance d’une nécessité d’ouverture des marchés (principalement de langue anglaise) est, en tout cas, exprimée. Ça ne change pas grand-chose à ce que je disais il y a trois ans (pour être traduit, la voie royale reste de faire un best-seller ou de la payer soi-même), mais au moins, le sujet est évoqué, et aussi de la part d’intervenants des maisons américaines majeures. Une statistique pour mettre les choses en contexte : 3% de la littérature publiée aux USA provient de traductions – dont probablement moins d’1% de littérature de genre.

https://www.instagram.com/p/BXs7iRGD3UF/?taken-by=wildphinn

Il reste à ce que ces intentions soient suivies d’effet, bien entendu ; un de ces quatre, dans un futur billet, je serai assez remonté pour parler de déséquilibres linguistiques mondiaux et de la nécessité de sauvegarder les langues, mais là, je comate un peu trop.

https://www.instagram.com/p/BXvJM9xDRgb/?taken-by=wildphinn

Comme toujours, une Worldcon est épuisante, mais une telle fête de l’imaginaire, totalement décomplexée, sous toutes ces formes, est toujours une célébration pleine de positivité, d’énergie et de frat/sororité. La prochaine est en Californie, mais 2019, ce sera à Dublin, et j’ai déjà mon accréditation (surtout que l’Eurocon suivra juste après). 2020 promet d’être la Nouvelle-Zélande… mais là, c’est un peu plus compliqué. Et rappelons que la France, avec Nice, propose sa candidature pour 2023.

Maintenant, retour au boulot, j’ai des signes à écrire (beaucoup…), mais cela fait vraiment du bien de sortir un peu la tête du guidon !

2017-08-13T20:03:31+02:00lundi 14 août 2017|Carnets de voyage|4 Commentaires

Worldcon, jour 1

Me voilà de retour à mon hôtel pour un bilan de ce premier jour de Worldcon en Finlande. Déjà, il me faut tout de suite mentionner que c’est un pays à la pointe de la civilisation, car LE CARRELAGE DE LA SALLE DE BAINS EST CHAUFFANT. Oui madame. Rien de meilleur quand tu prends ta douche les yeux pas en face des trous et que le monde te paraît hostile et froid sorti de la couette.

https://www.instagram.com/p/BXkOLgxDbrs/

Mais ces considérations n’intéressant guère que Jacob Delafon, la convention en elle-même, donc. Le Messukeskus (centre de congrès) (j’ai toujours tendance à lire “mais qu’est-ce qu’y a”) se situe dans un sympathique parc de loisirs et terrains de sport, et on y retrouve les étapes habituelles de toute Worldcon qui se respecte : salles de conférence, expositions, stands d’éditeurs et vendeurs en tous genres…

Eh bien, cela m’embête un peu de te dire ça, auguste lectorat, parce que je mesure tout le travail que représente l’organisation d’un événement de cette ampleur, et rien que l’audace de le faire mérite le respect ; peut-être suis-je fatigué, blasé, aigri, trop vieux, mais, voilà – je retire de ce premier jour une petite impression de frustration que je n’avais pas eue à Montréal et Londres. Alors attention, ça reste un splendide événement et les premiers visiteurs en auront indubitablement plein les mirettes – mais certains aspects sont venus un peu se mettre en travers du wow factor. En premier lieu, le rapport entre l’affluence et la taille des salles : sur tout le planning que j’avais prévu, je n’ai pu faire que la moitié des débats (ce qui est assez courant dans une Worldcon) mais souvent pour découvrir au dernier moment, après une demie-heure de queue scrupuleuse en tête de file devant la salle, que non c’est toujours complet en fait merci de trouver autre chose à faire (ce qui là, n’est pas top). L’espace commercial et les expos sont nettement en retrait par rapport aux Worldcons en territoire au moins partiellement anglophone, ce qui soulève clairement à la fois le courage et le risque d’organiser une convention mondiale en Europe dans un pays peu connu des Américains (certains d’entre eux ayant probablement eu peur du voyage).

https://www.instagram.com/p/BXkgFwCDLNw/

Ce qui souligne d’ailleurs la vivacité de la communauté finlandaise – et suscite le respect, ainsi, que j’avoue, venant d’un pays à la langue largement plus répandue que le finnois, une pointe d’envie. Alors certes, la Finlande a pour texte fondateur, entre autres, le Kalevala quand la France a les Rougon-Macquart, ça vous sensibilise assurément un inconscient collectif à l’épopée et à la fantasy, mais quand même. Avec tout ce que le bruit que l’on fait avec la Francophonie, je pense qu’on est en droit de se demander pourquoi, chez nous, bon sang, on n’a pas d’équivalent de la SFWA (les Finlandais en ont un, la STK), des traductions plus nombreuses à l’étranger (les Finlandais y arrivent – un peu), des éditions reliées cartonnées qui semblent faire partie du circuit normal (et pas que des éditions luxe)… Bref, ce sont des questions qui nous agitent en ce moment dans le milieu français – la reconnaissance de l’imaginaire dans les médias (laquelle influe nécessairement sur le rayonnement économique du secteur). C’est très difficile d’avoir une opinion intelligente sur la question quand on n’est là que pour quatre jours et qu’on voit les choses par le petit bout de la lorgnette, et ma perception est peut-être faussée ; mais le fandom finlandais semble assurément avoir un rayonnement à l’international que nous n’avons pas. C’est tant mieux pour eux ; mais cela pousse à se poser des questions pour soi-même – sans réponses, on est d’accord.

https://www.instagram.com/p/BXkcK31DHAQ/

Bon, sinon, l’ambiance est toujours aussi agréable, où votre connaissance de dix minutes à un workshop se met à discuter avec vous avec le naturel de si vous étiez un pote de dix ans. Cela m’avait fait ça la première fois à Anticipation en 2009 à Montréal, huit ans plus tard, je pense toujours, sans cesse, en déambulant dans les couloirs, à l’expression de Roland C. Wagner, “le peuple de la SF”. Et mon camarade de workshop, américain, a probablement eu le bon mot qui m’a fait, pour ma part, ma journée : “La tristesse de notre pays, c’est qu’on a élu un président chaotique mauvais. Et le pire, c’est que son vice-président est certainement loyal mauvais.”
Il n’y a que dans une Worldcon qu’on peut échanger des analyses aussi claires et incisives de la politique internationale (et qu’on peut les partager avec des gens qui les comprennent).

Bon, demain (enfin, aujourd’hui pour toi, auguste lectorat), je vais m’efforcer de voir si je peux mieux louvoyer avec le programme.

2017-08-10T15:52:45+02:00jeudi 10 août 2017|Carnets de voyage|7 Commentaires

Entretien vidéo sur le Mont des Rêves autour de La Messagère du Ciel et de la traduction

Merci à l’excellent blog / vlog Le Mont des Rêves, qui fait un splendide travail d’interviews et de dossiers, à tel point que c’en est plus un webzine qu’un blog : l’équipe m’a proposé un petit entretien à la dernière édition d’ImaJn’ère à Angers (2017), et en quelques minutes (et un montage de qualité), nous avons parlé de traduction, d’écriture et bien sûr de La Messagère du Ciel. C’est ici (avec une authentique photo de ma bibliothèque de jeux de rôles en prime) :

2017-06-12T12:15:47+02:00jeudi 25 mai 2017|Entretiens|Commentaires fermés sur Entretien vidéo sur le Mont des Rêves autour de La Messagère du Ciel et de la traduction

Considérations lexicales oisives dans le cadre d’Évanégyre

Illus. Fred Navez

Une fois n’est pas coutume, mais cela peut le devenir. Évanégyre prenant de l’essor avec la publication prochaine de La Messagère du Ciel (18 mai, pour mémoire), le portail univers dédié commençant à se préciser un peu et étant invité au congrès Boréal pour parler spécifiquement de construction d’univers de fantasy, je pensais commencer à discourir peut-être un peu plus en profondeur de cet aspect-là du travail.

Dire qu’un auteur se préoccupe du sens des mots et de leur justesse est un truisme (gruiiik), mais pour un auteur d’imaginaire, la difficulté est peut-être double. En effet, non seulement il faut se préoccuper de leur justesse, mais il convient de se soucier de leur adéquation à un contexte fictif pour lequel, par définition, les règles sont celles établies par le récit.

Et, dès lors que l’on cherche à proposer un univers fictif imaginaire cohérent et auto-suffisant, on se heurte à quantité de questions passionnantes, mais qui peuvent rapidement parasiter le travail principal – la narration d’une bonne histoire. Après tout, pourquoi les années devraient-elles être découpées en mois, semaines de sept jours, rythmées par des saisons semblables aux nôtres ? Pourquoi, la réponse est relativement immédiate : pour apporter une forme de familiarité au lecteur dans un contexte caractérisé par la différence, et que si, pour arriver à suivre une chronologie, il faut réapprendre les mois de l’année, les noms des jours, et s’habituer à des heures durant 172 minutes qui ne font pas elles-mêmes 60 secondes, le lecteur risque fortement d’abandonner avant que l’histoire n’ait accompli son premier pas.

Tolkien a immensément défriché le champ de la création lexicale et linguistique dans le contexte de la création d’un univers imaginaire. (Il l’a même tellement défriché qu’il a piqué la moissonneuse-batteuse, l’a conduite jusqu’à l’autre bout de la commune et se prépare à attaquer les champs du département d’à-côté tandis que le reste d’entre nous est encore en train de se demander par quel bout tenir la faux sans se blesser.) Une notion, dans la création de la Terre du Milieu, m’a toujours semblé apporter une élégante solution à ce problème. Le Seigneur des Anneaux est censé être une traduction (par Tolkien lui-même) d’un récit historique, Le Livre rouge de la Marche de l’Ouest, rédigé par Frodo et Bilbo. Cela donne une justification à l’emploi de référents « terrestres » : on ignore peut-être ce qu’étaient unités, noms à l’origine ; mais le « traducteur » aura obligeamment fait tout le travail pour rendre le récit compatible avec le monde du lecteur. D’ailleurs, Tolkien avait fourni des directives à ses traducteurs (en d’autres langues terrestres) expliquant quels noms étaient « signifiants » en anglais et nécessitaient donc une adaptation (Baggins devenant Sacquet ou Bessac par exemple) et lesquels ne l’étaient pas (parce que dérivant typiquement d’une autre toponymie ou étymologie que celle de l’anglais, comme les langues elfiques).

Forcément, étant traducteur par ailleurs, cette approche ne peut que me ravir, et j’avoue l’avoir adoptée dans le for intérieur de moi-même dans la création et la rédaction d’Évanégyre. Certaines langues fictives du monde existent à des niveaux de développements plus ou moins poussées – tout particulièrement celle de l’Empire d’Asreth. (On m’a parfois demandé s’il y avait une erreur ou un repentir avec les deux graphies du nom : Asreth dans La Volonté du Dragon, Asrethia dans Port d’Âmes, changements de l’un à l’autre au fil de La Route de la Conquête. C’est au contraire parfaitement volontaire et cette simple syllabe a une signification énorme, qui sera expliquée un jour, lors d’une visite ultérieure à la période concernée.) Il existe au minimum, pour la plus infime ethnie d’Évanégyre, des syllabaires pour la simple cohérence des noms et sonorités.

La traduction de l’imaginaire offre son lot de défis uniques au domaine (ce sera une histoire pour un autre jour). L’un d’eux, en particulier, concerne le rapport de la langue cible (celle vers laquelle on traduit) à sa propre étymologie. (La traduction – et l’écriture – de romans historiques présente le même défi.) Pour faire simple, si je traduis un nom commun dans un contexte historique, il faut que je m’assure de ne pas employer de termes modernes. Ce qui paraît une évidence. « Je vous recontacte » (en plus d’être un anglicisme moche) fera très bizarre à la cour de Louis XIV. Alors, bien sûr, on ne parlait pas exactement le même français à la cour de Louis XIV qu’au XXIe siècle, et un style romanesque relativement simple aujourd’hui constitue déjà un anachronisme, mais c’est là l’effet de réalité qu’on vise. Et donc, il s’agit, dans l’exercice de la traduction, mais aussi de l’écriture, de ne pas employer de termes trop modernes. Typiquement, de jeter un œil à leur étymologie et de voir si c’est cohérent avec la période dépeinte (ou qui semble dépeinte dans le cas d’une inspiration fantasy).

Le défi se retrouve dans l’écriture, bien évidemment. Dans un cadre de fantasy – plus spécifiquement la société post-apocalyptique revenue à l’époque médiévale de la trilogie « Les Dieux sauvages » – puis-je dire « être au courant » ? Que dire de l’expression « autant / au temps pour moi » ? Quid de la connotation moderne potentiellement malheureuse du verbe « afficher », comme « afficher une expression », qui peut faire penser à nos écrans ?

Auguste lectorat, critique potentiel, sache que les mots et expressions ont été pesés au mieux de ma compétence, et que les éventuels anachronismes n’en sont pas nécessairement.

Que parler de « citoyen » ou de « nation » dans le cadre de la Rhovelle des Âges sombres (des notions qui évoqueraient plutôt chez nous l’après Révolution française et non l’Ancien régime) n’est pas une erreur mais un reflet d’un monde qui fut jadis unifié par un Empire dont il ne reste que des bribes.

Que, oui, j’ai écrit dans La Messagère du Ciel « autant pour moi » et non « au temps » à dessein. La sagesse répandue veut qu’on privilégie « au temps » car ce serait une expression d’origine militaire (pour désigner celui qui ne suit pas le rythme du pas du régiment : on le reprend, « au temps pour lui »). Sauf que les étymologues diffèrent sur ce point et que certains pointent « autant » comme une possibilité viable, surtout en la rapprochant de l’anglais curieusement semblable « so much for ». Le personnage employant cette expression dans La Messagère du Ciel n’ayant aucune expérience militaire, cette histoire de pas n’ayant pas cours en Rhovelle, employer la graphie contestée ne devient pas une erreur, mais un point signifiant.

« Être au courant » date d’avant la généralisation de l’électricité. Ce « courant »-là représente ce qui est en cours ; ce sont les « affaires courantes » – et être au courant, c’est donc avoir la connaissance de ce qui est en cours. « Afficher » est évidemment bien antérieur aux écrans. Cependant, dans ces deux derniers cas, il peut exister malgré l’étymologie un potentiel parasitisme de l’esprit du lecteur moderne qui peut être gênant dans le cadre d’une société qui a perdu sa technologie – je ne les ai pas bannis, mais je les ai maniés avec précaution.

De la même façon, cela fait longtemps que j’ai banni dans la plupart de ma fiction l’emploi du subjonctif passé. Personne (à part les correcteurs – et ils ont raison !) ne m’en a fait la remarque, mais c’est un autre point sur lequel il faudra que je m’explique. Ce sera une histoire pour un autre jour. Dans l’intervalle, bonne nuit, les petits.

2019-06-04T20:31:15+02:00mercredi 12 avril 2017|Best Of, Expériences en temps réel|4 Commentaires

Machines et traduction en science-fiction : débat aux Utopiales 2016

machine_trad

Pierre-Paul Durastanti, Sara Doke, Patrick Dusoulier, Patrick Marcel, LD. Photo © ActuSF.

Ce débat a eu lieu aux Utopiales 2016 : quel rôle pour la machine linguistique dans la science-fiction, et sommes-nous près de réaliser ces avancées dans notre monde ? Avec Sara Doke, Patrick Dusoulier, Patrick Marcel et moi-même, modéré par Pierre-Paul Durastanti.

Le site de référence ActuSF en a réalisé la captation audio, disponible en streaming ou en téléchargement libre sur cette page.

2016-11-28T12:15:29+01:00mardi 29 novembre 2016|Entretiens|Commentaires fermés sur Machines et traduction en science-fiction : débat aux Utopiales 2016

Entretien (en anglais) sur la traduction, chez Authors and Translators

Writing (and translating) are lonely activities. We write, pretending we do it solely for ourselves, apparently not caring if it reaches or speaks to anyone, but in truth (or at least it is my case), we also write to bond with other humans, to ask of the void: “is there someone out there who shares the same fears, the same anger, the same wonder about the world, about life?”

Le blog anglophone Authors and Translators m’a fait l’honneur de me proposer un entretien autour de la traduction et de l’écriture ; on y retrouve par exemple aussi Edward Gauvin, responsable de l’excellente traduction américaine de “L’Île close”. C’est en anglais, mais c’est ici.

2019-08-28T21:28:07+02:00mercredi 13 avril 2016|Entretiens|Commentaires fermés sur Entretien (en anglais) sur la traduction, chez Authors and Translators

Sept anglicismes à bannir du langage geek et de l’imaginaire

thank-you-fistingQuoi ? Quoi, j’ai dit “sus aux anglicismes” et “geek” dans la même phrase ? Alors d’une, je l’ai mis en italiques, ce qui explique bien que c’est un emprunt, et de deux, geek n’a pas de réel équivalent en français, vu que ça signifie en gros “mec chelou” ou “débile” en langue anglaise.

Donc bon.

Nous, peuple de l’imaginaire et par extension peuple du jeu vidéo, de la contre-culture, embrassons les nouveautés pour lesquelles il n’y a pas encore de réel vocabulaire (ce qui est beau), un mode de pensée et de construction venu d’ailleurs dans le cas des mécaniques ludiques (ce qui est intéressant) mais oublions au passage que nous avons une langue avec laquelle nous pouvons faire autre chose que manger des glaces, c’est-à-dire parler correctement quand il existe des termes parfaitement valides, a fortiori quand les anglicismes que nous importons sans réfléchir se heurtent à des mots existant déjà, concourant à des phrases qui, franchement, ne veulent plus fucking rien dire. (Là encore, les italiques, vous avez vu ?)

Alors maintenant, ça suffa comme ci, voici sept anglicismes qu’il faut cesser d’utiliser, parce que sérieux, ils vous donnent l’air tarte : les mots que vous employez ne signifient pas ce que vous croyez.

1. Franchise

“J’adore toute la franchise Star Wars.”

Star Wars ne vous fait pas de secrets ! Star Wars vous dit tout ! La franchise, c’est la somme que vous devez payer avant que l’assurance ne couvre les frais, ou bien l’honnêteté dont vous faites preuve pour dire à votre coloc que ses chaussettes puent, mais cela ne désigne en aucun cas une propriété intellectuelle dont on dérive des oeuvres. Une franchise, à la rigueur, c’est le droit d’exercer pour un artisan passé maître (ce qui explique qu’on puisse être franchisé Subway de nos jours, quand il est plus civilisé de servir des poulet teriyaki que des parpaings), mais cela ne s’applique pas à une oeuvre de l’esprit – dans ce cas, on parle de licence, c’est-à-dire une licence d’exploitation pour créer une oeuvre secondaire, ou pour continuer à explorer un univers existant.

2. Achèvement

“J’ai tous les achèvements héroïques de World of Warcraft.”

Les achèvements sont donc une fin en soi ? En même temps… Ahem. Les trophées / exploits / hauts faits / réussites que l’on obtient dans les jeux (les petits défis sans autre récompense qu’un score à la clé) dérivent de l’anglais achievement, mais to achieve signifie réussir, parvenir à. En français, achever, ça veut dire terminer, pas réussir (une réussite est terminée, mais toute terminaison n’est pas réussie, comme, peut-être, celles des neurones des locuteurs qui intervertissent les termes sans distinction). Sinon, quoi, vous avez obtenu des terminaisons dans World of Warcraft ? Ça a l’air tarte, hein ? Bah voilà. Utilisez ce que vous voulez, mais pas achèvement.

3. Disposer de ses ennemis

octopus1“J’ai disposé de toute l’équipe ennemie, je roxxe !”

Alors un truc, les gens, disposer de, c’est avoir à son service, ou bien donner congé. Comme dans : “Alfred, vous pouvez disposer.” Si j’ai vaincu Sauron, je dis quoi : “Sauron, tu peux disposer ?” RLY ? Et sinon, si je dispose de Sauron, c’est mon majordome. Donc vous avez Sauron comme majordome ? (Oui ? Oh d’accord je ne voulais pas vous agacer excusez-moi de vous demander pardon.) Cet horrible anglicisme vient de dispose of, ce qui signifie se débarrasser de. On poutre, assassine, détruit, se débarrasse de, que sais-je encore, mais disposer, non. Sauf si vous vous débarrassez de vos ennemis au sein du service public via des mises à disposition, mais là, c’est retors.

4. Tiers

“J’ai débloqué le quatrième tiers de l’évolution de ma colonie spatiale.”

Combien y a-t-il de tiers dans un quatre-quarts ? Hein ? Hein ? Trois, bon dieu ! Un tiers, c’est une fraction. Mettre quatre tiers dans un verre, à moins qu’on soit chez Pagnol (et que ça dépende de la grandeur des tiers), ça veut dire remplir le verre et en fiche un tiers de plus sur le comptoir. Celui-là vient de tier qui signifie palier. Cessez d’être grotesque, je vous en prie, quand votre paladin de WoW vient de débloquer son ensemble de raid T27 – tiers vingt-septième ? Sérieusement ? What is this I don’t even. Palier. Palier. Ça me rend fou palier. LOL.

5. Expertise

“J’ai appelé un spécialiste qui nous fera bénéficier de son expertise.”

Expérience, fichtrefoutre, pas expertise ! L’expertise, c’est réservé aux comptables ou aux assurances, c’est une forme d’audit, si l’on veut. Dans tous les autres cas, il s’agit d’expérience. De savoir-faire. Non, dire expertise ne donne pas de cachet à l’expérience. Sinon les moines bouddhistes feraient preuve de patise au lieu de patience, l’équipe de Charlie Hebdo très irrévérencieuse montrerait de l’irrévertise et les méduses qui brillent fort dans l’obscurité illustreraient la bioluminestise.

6. Digital

“J’aimerais vous proposer mes compétences en marketing digital.”

Digital, c’est un doigt brandi bien haut. Oui, je sais, l’usage de digital (traduction directe de digital) a été entériné par l’Académie Française (la même qui nous a offert cédérom et mél, rappelons-nous, hein), mais les dictionnaires recommandent plutôt, et explicitement, numérique. C’est du binaire, ce sont des nombres. Je veux bien qu’on interagisse avec des doigts, mais quand on aura des interfaces neuronales, nos doigts seront au repos, quand les nombres défileront toujours dans la matrice. Soyez dans le coup, prenez une longueur d’avance. Parce que quelqu’un qui a des compétences digitales, ça s’appelle un empoisonneur.

7. Habiletés

“J’ai maximisé toutes les habiletés de mon personnage.”

L’habileté, c’est le caractère de celui qui est habile, adroit ; les habiletés, ce sont les maîtrises de techniques et de savoir-faire. Or, ability en anglais recouvre plutôt les facultés, les capacités, à la rigueur les compétences. Et non, “abilité” n’est pas un mot. Débilité, en revanche, si.

8. Bonus : Âge

slip_carefully“Nous entrons dans un âge digital” (double combo)

Celle-là est plus subtile (d’où le fait qu’elle soit en bonus).

Ce n’est pas parce que le titre du film Ice Age a été traduit bêtement par L’Âge de Glace qu’il faut croire tout ce qu’on raconte au cinéma (d’ailleurs, breaking news, les mammouths ne parlent pas). Age en anglais, c’est une période, voire une ère (mais cela engendrait des confusions avec l’échelle géologique du même nom). On peut parler d’âge mais, dans ce cas, on ajoute plutôt un adjectif, comme pour le “petit âge glaciaire” géologique qui n’était pas tant une “période” à proprement parler, mais un refroidissement.

Alors je veux bien que Période glaciaire, ça n’aurait pas fait un titre très sexy, mais j’ose avancer que L’Âge de Glace, c’est à peine mieux. Ce qui fait l’équilibre d’une formulation ne se trouve pas seulement dans les termes employés mais dans leur conjonction. Ici, la solution était simplement : Âges glaciairesL’âge des glaces, ou autres ; parce que L’Âge de glace, ça évoque un peu “les noces de diamant” de ta grand-mère (récit à rebondissement s’il en est, avec dégel, glaciation, mammouths et tigres à dents de sabre maison).

Bref, sur “âge”, se méfier comme l’oiseau qui vient de naître au risque de savonner la pente de la branche sur laquelle on est assis.

Circulez et portez la bonne parole !

2019-09-19T10:37:01+02:00lundi 28 mars 2016|Best Of, Humeurs aqueuses|52 Commentaires

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