Rubber : sans maîtrise, la puissance n’est rien

Difficile de parler de ce film OVNI réalisé par Quentin Dupieux (Mr. Oizo bien connu pour son Flat Beat minimaliste) sans en déflorer la matière. Car il repose en grande partie sur l’effet de découverte, l’ahurissement croissant et l’accompagnement dans le délire du récit. Oui, Rubber est le film où le tueur psychopathe est un pneu – un argument en soi suffisamment débile pour justifier un Palmito d’Or – mais c’est plus, bien plus.

En effet, l’histoire du pneu (complète avec tous les clichés du film d’horreur de série B) vient s’enchâsser – telle la jante dans la chambre à air, dieu comme c’est beau – dans une méta-intrigue complètement inattendue pour un registre pareil : une réflexion bizarre, jamais gratuite ni ennuyeuse, sur la narration, le spectateur et, bien entendu, les codes et les attentes. « Pourquoi l’extraterrestre d’ET est-il brun ? nous demande le shérif dans la scène d’ouverture. Aucune raison. » Mais c’est surtout la scène où celui-ci triche contre son adjoint aux échecs qui retiendra l’attention : « Tu ne peux pas faire ça. Enfin, tu peux, mais c’est contre les règles. »

Le piège du surréalisme ou de l’onirique est de basculer dans un absurde creux, sans signification et donc ennuyeux. Rubber flirte ainsi de bout en bout avec les règles, mais, s’il les subvertit ou s’en moque éperdument, il ne bascule jamais dans une opacité intello qui servirait à masquer sa vacuité. Tout sert, sans donner dans la démonstration, et pourtant tout est complètement barré ; des répliques mériteraient de devenir cultes ; on rigole, à moitié halluciné, en se demandant quel revers improbable ce road-movie bizarre va encore prendre. En mettant à nu l’aspect factice du cinéma, Dupieux ne fait que mieux projeter le spectateur dans cet univers où l’on se demande qui est véritablement acteur, jusqu’à le pousser à réfléchir sur son rôle même. Bien des œuvres, des 4’33 de John Cage (où un pianiste ne joue rien pendant quatre minutes trente-trois secondes, donnant un silence peuplé des bruits du public) au très saint Sacré Graal des Monty Python en passant par David Lynch ou même l’Oulipo ont conduit un jeu plus ou moins prononcé sur le rôle du public en le poussant à s’interroger sur la véritable mesure de sa participation à l’œuvre. Mais je ne sais pas si cela été déjà fait avec autant de maestria et surtout de manière aussi ludique et indolore qu’avec Rubber.

Bon, OK. Ça se sent tant que ça, que j’essaie de toutes mes forces de garder mon sérieux ?

*glousse tout seul*

C’est pas juste awesome comme truc ?

Ahem.

Le film ne plaira pas à tout le monde, c’est une évidence : il en laissera beaucoup complètement froids – ou égarés. Il faut abandonner son incrédulité au guichet et accepter de jouer le jeu de cette histoire parfaitement improbable enchâssée dans un contexte guère plus normal. Mais les aficionados de bizarre, d’hénaurme, de grotesque, se doivent absolument d’aller voir ce film : il en sort peut-être un dans ce style par décennie. C’est drôle, c’est intelligent, c’est sans compromis, c’est fichtrement bien fait et, surtout, c’est complètement con. Alors, si vous vous reconnaissez un tant soit peu comme le public concerné, foncez-y tant qu’il passe encore en salle !

(Site officiel)

2024-10-08T09:24:33+02:00jeudi 25 novembre 2010|Fiction|Commentaires fermés sur Rubber : sans maîtrise, la puissance n’est rien

Question : être prêt pour écrire

Une question arrivée il y a maintenant quelques semaines (mes excuses pour le délai de réponse, mais j’ai essayé de prendre le temps d’y réfléchir) :

J’aimerais connaître ton avis sur le degré de connaissance que nous devons avoir de nos personnages avant de commencer à écrire. […] Qu’est-ce que je dois poser sur mes fiches pour me dire : « A y est, je peux prendre le stylo, je suis prêt » ? […] Bien évidemment, ces questions sont reportables – et reportées – sur l’intrigue, sur l’environnement, sur les persos secondaires, etc.

Hélas ! Il n’y a pas de réponse universelle. Ce dont on a besoin, c’est ce qu’il faut pour conduire l’histoire à son terme, et cela varie énormément d’un auteur à l’autre.

À la première extrémité du spectre, il y a (selon les catégories définies par Francis Berthelot dans Du rêve au roman) les scripturaux : ceux qui découvrent l’histoire au fur et à mesure qu’ils l’écrivent, sans plan, qui se jettent à corps perdu dans la mêlée en gageant que les personnages et les situations dévoileront eux-mêmes leur potentiel. De toute évidence, la préparation est ici minime (en tout cas au niveau conscient) et ces auteurs, à ce que j’en sais, « sentent » intuitivement le moment où ils peuvent se jeter à l’eau.

À l’autre extrémité, il y a les structurels, qui planifient, préparent, travaillent sur des notes détaillées avant la rédaction proprement dite (je devine à te lire que tu es plus dans cette optique-là, et moi aussi).

Le problème, c’est que, comme je le disais, c’est un spectre. Personne n’est vraiment tout l’un ou tout l’autre ; certains scripturaux vont récapituler où ils en sont en cours de route pour décider où conduire leurs vagabondages ensuite ; certains structurels vont suivre un chemin de traverse qui leur est venu sur le moment. Je crois que ça se résume à une question viscérale d’apprendre à se connaître, d’une part pour savoir quand on se sent prêt à écrire, mais surtout pour savoir précisément ce dont on a besoin pour le faire. Certains voudront tous les détails du passé du personnage ; pour d’autres, un nom bien trouvé suffira. Le pire, c’est que ça peut changer d’un projet à l’autre, d’un personnage à l’autre. Chiant, hein ?

D’autre part, il est fréquent de se croire prêt, de se lancer dans l’écriture, bouillonnant d’envie… Pour se rendre compte 100 000 signes plus tard qu’on n’a pas préparé les informations nécesssaires – ou, pire, qu’on a pris une mauvaise direction (ça m’est arrivé plus d’une fois).

Je pense qu’un début de réponse se situe dans l’objectif visé. Écrire est par essence un acte intimidant qu’on peut très bien repousser sine die sans attaquer grâce à ces merveilleux dérivatifs que sont les recherches et l’accumulation de détails. Sauf que ce travail, d’une part, ne compte pas vraiment dans la rédaction du récit final, d’autre part, il peut même s’avérer paralysant. Même le plus minutieux des structurels va rencontrer un éclair d’inspiration qui va entraîner son histoire dans une direction plus intéressante ; à trop planifier, on peut corseter les envies et perdre l’élan vital de son histoire.

Il me semble donc utile, quand on est structurel, de cerner avant tout ce qu’on essaie de faire de son récit. Si j’écris une chronique sociale des ateliers de confection dans l’Angleterre victorienne, j’ai intérêt à m’y connaître en confection et en Angleterre victorienne. Mais si je parle d’une femme qui a, entre autres loisirs, la couture, peu importe que je sois un expert en la matière : ce qui compte, c’est que cela fasse sens pour mon histoire. Cette personne présente peut-être des penchants pour la nervosité et le perfectionnisme : la couture est ainsi un bon exutoire car elle permet à la fois de se détendre en satisfaisant un certain goût pour le travail bien fait. C’est en cela que ce détail est important. L’essentiel ici est de connaître le moteur, pas les conséquences (dans la même optique, toutes choses étant égales par ailleurs, mon personnage aurait parfaitement pu s’adonner au macramé ou à la peinture sur soie). Car c’est le moteur qui met les éléments de l’histoire en action, pas un inventaire de détails disparates.

Savoir ce qui fait sens dans le projet, voilà à mon sens le minimum à connaître : ce qui donne vie, pilote les choix des personnages et de la narration elle-même, l’information critique qui donne une direction « vitale » à l’ensemble. C’est ce que j’appelle – très humblement et surtout pour moi-même – la « volonté de l’histoire » (ou des personnages), soit ce qui dicte sa propre logique, sa propre énergie, de manière à conduire à la réalisation du potentiel contenu dans la situation de départ1.

Le reste, je pense, s’improvise ou se recherche en cours de route quand le besoin s’en fait sentir (détails, évidemment, qui peuvent prendre une importance capitale par la suite, mais cela fait partie du jeu et de ses risques).

Et toi, auguste lectorat, as-tu un avis différent ou des expériences à partager ?

(Photo Niklas Bildhauer [licence CC-BY-SA] via Wikimedia Commons)

  1. Oui, ça rejoint beaucoup l’energeia d’Aristote.
2014-08-05T15:23:06+02:00mercredi 24 novembre 2010|Best Of, Technique d'écriture|7 Commentaires

Utopod, c’est fini

Lucas Moreno, co-créateur du podcast et producteur de l’émission, vient d’annoncer sa décision de mettre un terme à l’aventure Utopod. C’est avec beaucoup de regret que je vois cette initiative pionnière, un des modèles de défrichage des dits « nouveaux modes de diffusion » s’arrêter ; Utopod était un média unique dans le paysage francophone, qui permettait de découvrir en audio et gratuitement de nouveaux textes et de nouveaux auteurs. Utopod s’était fait, à force d’un travail inlassable et sérieux, une place unique et avait quasiment acquis un statut d’institution au cours de ses trois ans et demi d’existence.

Il ne s’agit nullement de difficultés mais d’une question de temps et de priorités – ce qui est éminemment compréhensible. Lucas s’explique en détail sur les raisons de cet arrêt et ses futurs projets, et les épisodes existants resteront en ligne.

Je suis très heureux et fier d’avoir pu en faire un petit peu partie à travers « L’Île close » (épisodes 26 et 27). Cela a assurément permis de faire connaître le texte à un plus large public et m’a permis de rencontrer de nouveaux lecteurs. Je tenais donc juste à marquer le coup et dire un grand merci, Lucas et Utopod, pour cette belle aventure, et meilleurs voeux pour la suite !

2010-11-23T16:21:21+01:00mardi 23 novembre 2010|Le monde du livre|6 Commentaires

Earthling : trop, ou pas assez

De nos jours : une espèce de sphère organique dérive vers la Station Spatiale Internationale ; le cosmonaute qui la récupère se trouve pris d’une folie meurtrière et assassine ses deux camarades. Une impulsion électromagnétique en haute orbite entraîne alors d’étranges conséquences sur Terre, et notamment sur Judith, professeur de lycée sans histoire, qui percute alors un arbre en voiture et perd le bébé qu’elle portait. Sa vie commence alors à glisser dans une déprime qui ouvre la porte à toutes sortes d’événements improbables, comme cette jeune élève marginale qui lui témoigne un intérêt curieux. Mais surtout, Jude ne peut nier l’existence des excroissances qui lui poussent sur le sommet du front, comme de ces rêves étranges qui semblent venus d’une autre vie.

Malgré ce synopsis qui laisse apparaître les mécanismes du fantastique, Earthling est bel un bien un film de SF : les réponses viennent de l’espace ainsi que le préfigure la première scène. Cependant, il s’agit avant tout d’un voyage psychologique, celui de Judith qui devra découvrir sa véritable identité, et surtout l’accepter au sein d’une communauté qui s’est, en vertu de sa différence, entièrement détachée d’une morale humaine à laquelle Jude reste pourtant attachée.

Earthling a reçu un triomphant accueil critique, comme en témoigne le prix Utopia des Pays de Loire qui est venu le récompenser aux dernières Utopiales. En effet, produit du cinéma indépendant, ce film a, sur le papier, tout pour plaire dans un milieu (le cinéma de science-fiction) où les habituelles grosses productions ne  laissent souvent guère de marge de manoeuvre aux scénarios profonds, aux intrigues psychologiques, même, dirait-on, aux histoires contemporaines. Malheureusement, il semble qu’à vouloir trop plonger dans la problématique de l’identité, le film finit par s’égarer dans un inventaire un peu laborieux de toutes ses facettes, de l’image de soi à l’orientation sexuelle, en passant par la mémoire, l’éthique, la rédemption et ainsi de suite. L’intrigue, relativement simple et centrée sur le trajet de Judith entre rejet et acceptation d’une vérité différente, peine à porter convenablement ce foisonnement de thèmes et Earthling s’égare dans la confusion et, plus grave, dans la démonstration.

Confusion d’abord parce que le film, en cherchant à surprendre le spectateur, prend des détours parfois un peu laborieux pour se faire passer pour ce qu’il n’est pas : une histoire d’invasion d’extraterrestres façon Profanateurs de sépultures ou The Thing ? Lorgne-t-on vers La Malédiction avec des personnes révélant des traits diaboliques ? Si le jeu est amusant dans un premier temps, il devient forcé à partir du moment où les pièces ont été véritablement mises en place : les révélations sur la nature de la sphère organique se font attendre, puis se contredisent en une espèce d’enchaînement de coups de théâtre qui finit par sonner artificiel. Le dernier tiers du film est par ailleurs assez pédestre ; alors que toutes les informations sont disponibles, on attend enfin que Judith choisisse un camp, passe du rôle de découvreuse réticente à celui d’actrice de son propre destin, ne serait-ce qu’en opposant une résistance silencieuse à ceux dont elle désapprouve les projets. Mais elle tourne en rond trop longtemps, exige davantage de preuves, entraînant un retour sur elle-même de l’intrigue fastidieux et dispensable.

Démonstration ensuite parce que, comme on l’a dit, Clay Liford, auteur et réalisateur d’Earthling, semble vouloir aborder trop de thèmes à la fois, ce qui réduit chacun à une portion congrue et schématique, lançant quelques pistes rarement traitées à satisfaction, ce qui laisse au spectateur peu d’os à ronger et une sensation d’incomplétude. La question de l’identité sexuelle, par exemple, offrait énormément de potentiel par rapport à l’identité biologique apparente, et ce thème à lui seul aurait pu porter efficacement les questionnements principaux de l’héroïne, mais il semble à peine effleuré. On peut également critiquer quelques soucis de cohérence (ou de clarté) sur les relations entre personnages, qui ignorent l’amour mais connaissent tout de même le mariage, et l’argument servant de toile de fond à toute la conspiration, beau, inspirant et dont on ne révèlera évidemment rien, mais qui arrive à un moment où la crédibilité du spectateur commence à être un peu mise à l’épreuve.

Les deux paragraphes précédents pourraient laisser croire à un assassinat en règle d’Earthling, mais il n’en est rien : il faut louer l’initiative et le courage d’avoir osé faire un film de véritable SF humaniste, intelligente et profonde avec un budget aussi étroit, dans un contexte pas franchement ouvert au genre. Les acteurs sonnent particulièrement juste ; l’image oscille à bon escient entre des atmosphères oniriques et des scènes choquantes et crasseuses ; la musique porte les ambiances ; le voyage de l’héroïne est présent, la richesse de thèmes aussi, on l’a vu, quand l’inverse, merci Hollywood, est trop souvent vrai.

En résumé, il y a là un potentiel énorme, mais Earthling paraît curieusement inabouti en l’état, et, lors de la session questions – réponses qui a suivi, le producteur, Adam Donaghey, pourrait bien avoir donné par inadvertance une réponse à cet état de fait : le montage original de Clay Liford durait trois heures, ce qu’il a bien fallu réduire (à 114 minutes) pour pouvoir proposer le film aux festivals. On sent effectivement que les idées sont là, l’écriture aussi, et c’est cette amputation, peut-être réalisée à mauvais escient – ou impossible à réaliser – qui a peut-être donné à Earthling ce regrettable petit goût d’esquisse.

Le film tourne actuellement dans les festivals indépendants et cherche une distribution ; s’il doit sortir en DVD, j’appelle de tous mes voeux la production à faire apparaître le director’s cut sur la galette. Ce qui, en soit, doit prouver l’intérêt de ce film malgré ses défauts : car, après avoir vu ce montage, j’aimerais énormément revoir toute cette histoire telle que le réalisateur l’avait envisagée afin – je suppose – qu’elle donne sa pleine mesure. Clay Liford, et Well Tailored Films, sont assurément des créateurs à suivre, car ils démontrent assurément qu’ils ont des choses à dire et savent se montrer extrêmement créatifs pour pallier leur manque de budget. Ne manque peut-être, maintenant, qu’une forme de concision, ce qui est toujours difficile en création, car choisir, c’est abandonner.

(Site officiel du film)

2010-11-22T02:00:40+01:00dimanche 21 novembre 2010|Fiction|1 Commentaire

L’interview la plus barrée qu’on m’ait faite

(c) Disney

Marion Lineres : Nous recevons aujourd’hui Lionel Davoust, qui sévit de temps à autre dans notre vaste complexe, usant de sa verve incisive. Lionel est là, emmitouflé dans sa cape moyen-âgeuse, cheveux au vents (enfin ceux du dessous) pour nous parler de son ouvrage L’importance de ton regard.

« Lionel Davoust », ça pue le pseudo d’auteur à plein nez, c’est quoi ton vrai nom ?

L.D. : Bob Dude Stackelevitch Ivanoï N’go N’go Wakarimashita Tamère de la Plata Rodriguez. Mais tu peux m’appeler Caroline. En fait, j’aimerais bien.

Info ou intox ? Une rumeur circule actuellement sur le net, es-tu vraiment le frère caché des Bogdanov ?

L.D. : C’est un peu plus compliqué que ça. Plus exactement, dans quarante-deux ans, à la suite d’un regrettable incident impliquant un nouveau modèle de détecteur de fumée domestique, mon colocataire futur, un chercheur indien spécialisé en théorie des cordes, va inventer la machine à voyager dans le temps. Malheureusement, en me réveillant un matin la tronche dans l’œuf, je vais la confondre avec le grille-pain et me retrouver transporté dans le Paléozoïque transformé en hermaphrodite (ouais, faut pas déconner avec la mécanique quantique). N’ayant rien à faire dans le Paléozoïque à part me… heu… enfin, tu vois, quoi, je vais donner naissance moi-même aux frères Bogdanov, qui se trouveront illico téléportés dans l’avenir pour éviter un cataclysme temporel, la préhistoire n’étant pas prête à supporter une telle masse cérébrale, et le menton n’étant par ailleurs pas encore inventé. Ce sont eux qui m’ont expliqué en 1985 mon glorieux destin. J’ai été un peu surpris au début.

Te considères-tu comme un scientifique de la fiction ou un fictionnaire de la science ?

L.D. : Ni l’un ni l’autre. Ou alors la science a du souci à se faire. J’essaie de penser mes mondes et mes hypothèses bizarres de manière rationnelle (s’il pleut vert tous les mardis, c’est pas pour qu’au chapitre quatre il pleuve violet), mais pas forcément scientifique (je me contrefous de savoir qu’il pleut vert les mardis à cause d’une fuite périodique d’eaux usées sur la Station Spatiale Internationale ou à cause d’un génocide hebdomadaire de Martiens en haute altitude), si cela n’a pas de rapport intéressant avec l’histoire. Je suis surtout un conteur et je m’intéresse plutôt à ce que le fonctionnement de mon monde provoque de bizarre, de terrifiant ou de franchement débile sur les personnages qui ont la malchance de peupler mon imaginaire. Putain, cette réponse était sérieuse. Merde.

L’importance de ton regard » est un recueil de 18 contes modernes. 18, est-ce une référence au golf ?

L.D. : Le country club est ouvert de 16h à 22h. Je répète, le country club est ouvert de 16h à 22h. Faites passer.

Ton livre se vend à 25 € les 384 pages soit 0,065 € la page. Le prix moyen en 2009 du papier toilette est de 2,62€ pour 6 rouleaux sachant qu’un rouleau en contient 198. Y a pas à chier, t’es un produit de luxe ! Les ventes de papier toilette ont rapportés cette même année 2009, 889,76 millions €. Pour rapporter autant, tu dois vendre 35 590 400 livres. Es-tu prêt à relever le défi ?

L.D. : Désireux d’éviter toute réponse facile comportant l’expression « écrire de la merde », je me contenterai de dire que tu me donnes d’un coup très envie qu’on passe au livre électronique.

En parlant de prix, t’en es où niveau célébrité ?

L.D. : À 22,78%. La nuit avec moi reste abordable, à peu près 300€ la dernière fois que j’ai regardé. Pour ce prix-là, je masse les épaules, tiens une conversation fascinante sur les spiritualités alternatives, taquine du bout de mes lèvres enflammées ton échine frémissante, et ne fais pas la cuisine. (Quand je fais la cuisine, c’est moins cher.)
J’ai aussi le grand honneur et le plaisir d’avoir été sélectionné plusieurs fois pour des prix littéraires (Imaginales, Grand Prix de l’Imaginaire, Rosny Aîné…), d’en avoir reçu un (Imaginales en 2009), d’avoir des critiques adorables sur mes bouquins, d’accueillir maintenant 4000 lectures mensuelles sur le site / blog… Bref, je suis en passe de devenir un gros bâtard puant, et je te prierais de poser tes questions un peu plus vite, connasse, parce que je dois prendre mon jet privé pour aller faire du ski sous dôme à Dubaï.

Traductions, jeux de rôles, nouvelles, articles… il ne manque que des romans pornos dans ton C.V. ; peux-tu nous dire si c’est la prochaine étape puisque ton site ne le précise pas ?

L.D. : Comment t’as deviné ? Non mais sérieux, ça me ferait vachement marrer. J’y pense. J’ai des idées pour. J’aimerais essayer, mais m’efforcer de faire ça intelligemment, genre avec une vraie histoire et un érotisme réel, pas que des bites qui ont manifestement pris leurs cours de romantisme chez Caterpillar. Si j’avais plus de temps, même, ce serait déjà fait.

Que penses-tu du slogan « Soyez exigeant. Soyez curieux. Soyez au courant. Lisez Lionel Davoust ! » crée par YoZone ? Ca ne sent pas un peu la campagne présidentielle de 2011 ça ?

L.D. : Tout à fait. Et ça t’en dit long sur ma préparation vu que je lancerai les élections un an avant tous les autres partis histoire de montrer au monde leur attentisme et leur paresse, ces social-traîtres. Quand je serai élu, ce qui ne manquera pas d’arriver puisque je serai tout seul, je ferai en sorte que chaque citoyen, même les plus démunis, reçoive tous les jours un saucisson frais, j’instaurerai dans les TGV des wagons « kid free », je renommerai la Hadopi en Hadoken et exigerai de ses membres qu’elle apprenne à lancer des boules de feu pour protéger nos frontières, et je lancerai la forge d’une épée fiscale pour aller avec le bouclier du même nom. Votez pour moi.

Notre interview se termine, merci beaucoup à toi d’avoir pris ce temps pour une pause absurde au milieu de ta fiction. Un dernier mot ?

L.D : Ouais.

(A posteriori, j’aimerais quand même préciser mon plus grand respect pour Igor et Grishka Bogdanov, dont les émissions ont bercé mon enfance et certainement grandement contribué à faire de mon parcours ce qu’il est. Marion, elle, voulait me demander en plus : « c’est Davoust, ces jolis yeux ? » Que chacun fasse ce qu’il veut, la messe est dite, je vais grailler un bout de sauciflard.)

2010-11-18T17:41:29+01:00jeudi 18 novembre 2010|Actu|15 Commentaires

Dédicace à Rennes samedi (+ prochains événements)

Couv. Eric Scala

Samedi 20 novembre : Critic

J’aurai le plaisir de me joindre ce samedi 20 novembre à la dédicace de Sophie Dabat pour son roman Changelins ; nous y signerons notamment l’anthologie Contes de Villes et de Fusées dirigée par Lucie Chenu aux éds. Ad Astra (et où figure « Le Sang du large »). (Jean Millemann sera peut-être aussi de la partie.)

Rendez-vous à la librairie Critic dès 16h00, 19 rue Hoche !

Week-end du 4-5 décembre : Salon du Roman Populaire

Je serai par ailleurs présent au Salon du Roman Populaire d’Elven (56) les samedi 4 et dimanche 5 décembre. Plus d’infos sur la programmation, les horaires, etc. dès que j’en ai.

J’espère vous y retrouver !

2011-01-24T19:09:18+01:00mercredi 17 novembre 2010|Actu|3 Commentaires

Utoffpiales

Oui, il y a donc des moments off dans tout festival, et voici deux petites images pour en témoigner :

De magnifiques chaussures zombie…

… mais j’ai surtout flashé sur la machine à café du hall du Novotel. Sérieux, elle ne vous fait pas penser à une vieille anglaise respectable qui occuperait ses longues journées d’oisiveté à veiller au bon respect des convenances dans le voisinage ?

2010-11-16T15:41:27+01:00mardi 16 novembre 2010|Expériences en temps réel|2 Commentaires

Funambuler sur la frontière (Utopiales 2010)

Ill. P. Druillet

Comme tout le monde (hélas), me voici de retour après l’édition de 2010 de ces Utopiales, consacrées cette année au thème de la frontière. Les festivals sont souvent des moments intenses car, en plus de vouloir profiter des débats, des expos, ce sont des grand-messes de la profession, où l’on retrouve tous les copains, où des projets se nouent, où l’on côtoie des tas de gens qui vous disent, d’un air navré « ah ! il faut vraiment qu’on boive un coup, mais là j’ai rendez-vous avec Machin » – ton serviteur, ô auguste lectorat, étant probablement le pire de tous en la matière. Mais je ne me plains absolument de rien : j’ai eu la chance de faire des rencontres fantastiques, de boire quand même quelques bières et de donner quelques entretiens à des gens gentils qui ont même ri à mes blagues, alors bon.

Je m’étais réservé la matinée de jeudi pour voir les vingt minutes de Tron Legacy proposées en avant-première ; la lose, la voiture en a décidé autrement. J’ai quand même pu voir quelques débats, comme ceux autour du jeu proposés par David Calvo et Stéphane Bura, passionnants comme toujours ; le film Earthling, qui a remporté le prix Utopia mais ne m’a pas entièrement convaincu (critique détaillée à venir).

Mais, comme je le disais, ces festivals, ce sont surtout des rencontres ou des retrouvailles, avec les auteurs, blogueurs, traducteurs et lecteurs bien sûr : Mélanie Fazi, le regard aux aguets et l’appareil photo pour le capturer ; toute l’équipe de l’Atalante ; Antoine Mottier et Sébastien Cevey ; Lelf ; la dynamique équipe du Vade-Mecum du Disque-Monde ; El Théo et Christian Grussi des éds Sans Détour ; David Calvo et Stéphane Bura ; l’adorable Vincent Gessler halluciné de recevoir les prix Verlanger et Utopia (ex-aequo avec Ugo Bellagamba pour Tancrède) pour Cygnis – bravo, copain, tu sais comme je suis ravi pour toi ! Je préfère cesser l’inventaire ici, le name-dropping n’intéressant pas grand-monde – et plus j’en cite, plus je risque de vexer les éventuels oubliés…

La joie de faire de l’interpétariat est aussi de pouvoir côtoyer les plus grands ; j’ai pu ainsi relayer les propos de China Miéville (Perdido Street Station), dont j’avais traduit la toute première nouvelle publiée en France (Familiarisation dans Asphodale n°4), qui allie une grande gentillesse à une profondeur de réflexion sur les genres et la logique onirique qui montre une domination à la fois tranquille et parfaite de l’imaginaire. Je ne peux qu’éprouver – en toute humilité – une certaine communauté d’esprit pour quelqu’un qui cite Kafka en table ronde !

Couv. Yoz

Mais j’ai également fait la connaissance de Brandon Sanderson, auteur d’Elantris et de Fils-des-Brumes (traduit par Mélanie Fazi), et choisi pour terminer La Roue du Temps créée par le regretté Robert Jordan. Sanderson est un homme enthousiaste, chaleureux, et il est – je ne le dis pas à la légère – un modèle de travail. Au cours d’une interview que j’ai eu le plaisir de traduire pour Fantasy.fr, il a révélé par exemple avoir écrit CINQ livres non publiés avant de vendre Elantris. Quant à Fils-des-Brumes, c’est son… treizième.

Si ce n’est pas une leçon de persévérance, je ne sais pas ce qui peut donner un plus grand coup de pied aux fesses : Sanderson voulait devenir écrivain, et il a tout investi, sans retenue, dans sa passion. Sans jamais perdre la foi ni l’envie : il écrit parce que c’est ce qu’il veut faire, pas pour la gloriole, et voilà qui prouve assurément qu’il aurait continué, peut-être pour toujours, avec ou sans publication. Voilà, je pense, un auteur réellement compulsif. Je crois l’être aussi – je passe ma vie à produire du texte depuis toujours et c’est ce que j’aime par-dessus tout – mais, dans les difficultés qu’on rencontre forcément tous, coups durs et doutes, je ne saurais garder, parmi les maîtres américains, meilleur exemple à l’esprit dans ce domaine en particulier. Pour paraphraser Bouddha, « there is no way to writing : writing is the way ».

Bref, je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher la découverte de cet entretien, mais je le relaierai sans faute : bien des auteurs professionnels n’ont pas écrit autant que lui durant toute leur vie. Voilà une leçon magistrale d’apprentissage, de talent et d’insistance. J’ai maintenant hâte de lire ses livres.

En conclusion, ce fut une édition riche en émotions mais aussi très active pour ma part ; j’ai assez peu de photos et même peu twitté. Je n’ai pas encore trouvé une façon simple de rester en contact avec la communauté en déplacement, mais j’explore la chose !

2010-11-15T19:17:27+01:00lundi 15 novembre 2010|Le monde du livre|14 Commentaires

Revue de presse

Couv. Eric Scala

Voici les dernières chroniques. Merci, comme toujours, à tous les critiques pour leurs articles !

La Volonté du Dragon

Contes de Villes et de Fusées

2010-11-10T10:39:11+01:00mercredi 10 novembre 2010|Actu|2 Commentaires

La lose

Comme je le disais hier, le salon fantasy de la Chapelle de Guinchay était vraiment très agréable. Mais sais-tu, ô auguste lectorat – je sais que tu t’en doutes -, que tout festival a sa part de moments off, d’improbable et de bizarre ? Certaines anecdotes sont aussitôt racontables, d’autres un peu plus tard, d’autres enfin ne peuvent être relatées que des années après les faits, en changeant les prénoms et en s’assurant qu’aucun représentant de tabloïde ne traîne dans le coin.

Bref. Ce qui s’est passé dimanche n’appartient en rien au festival, mais y est périphérique. D’autre part, c’est racontable (navré). Imagine-toi, auguste lectorat, Thomas Geha et moi-même, revenant de ce week-end de rencontres et de plaisir, encore portés par notre joie, investis par notre mission de popularisation des littératures de l’imaginaire, projetant de vastes initiatives comme la subvention d’une traduction de Tolkien en inuit ou la fondation d’un musée des boutons de manchette de la fantasy historique.

Sauf que :

Bon, ça arrive.

Okay, c’est le seul vol des trois écrans écrits en corps 6 à être ainsi affligé, mais bon, ça arrive.

Au moins, ça nous permet de repérer facilement la ligne correspondante sur les panneaux d’affichage.

(Une sombre histoire de pilote qui n’a pas pu revenir de Pologne à temps. J’espère que ce n’était pas à cause d’une petite fête locale. Il n’y a pas d’alcootests en altitude.)

Qu’à cela ne tienne ! Thomas et moi sommes allés vaillants dîner d’un roboratif sandwich Sodebo sous cellophane. Après tout, nous ne sommes pas que de purs esprits et nous savons apprécier la bonne chère, aussi haut planions-nous, le menton relevé, les cheveux dans le vent.

Nous sommes alors passés devant cette machine, gloussant à moitié de l’infortuné client qui nous avait précédés :

Ah ! Ah !

Quelle déception pour ce malheureux ! Nous imaginions sa frustration, les coups vains qu’il pouvait donner contre l’imperturbable plexi qui refusait de lui octroyer la boisson tant espérée !

Que diantre, nous sommes-nous dit, voilà notre chance : pour un investissement modique, nous pourrions profiter tous deux d’un peu de sucre à la vitamine.

C’est donc le coeur léger et fier de notre machination que j’ai inséré mon obole dans le tronc.

L’engin a desserré ses mâchoires, fait rouler ses boissons, projeté la première bouteille dans le vide, et puis la seconde…

Ouais. La lose.

On s’est retrouvé avec une bouteille dont on n’avait même pas envie.

Mais ce n’était pas grave ! Nous sommes repartis d’un pas vaillant vers l’embarquement. Je passerai pudiquement sur le pauvre steward qui donnait l’impression d’avoir eu un bubble gum pour professeur d’anglais – j’aurais voulu pouvoir l’enregistrer et vous le faire partager, c’est impossible à raconter – pour terminer par ne pas remercier les services bagagerie de l’aéroport Lyon Saint Exupéry qui, en trois passages chez eux, m’ont quand même cassé deux sacs à dos. Il y a peut-être chez eux une secte d’étrangleurs de Lafuma, jugeant que seule la valise est conforme à l’idée que Dieu se fait du voyage. Autant j’avais laissé passer la première fois, autant là, même s’il s’agissait seulement d’un pauvre sac acheté 20 $ CAD au Québec, j’étais décidé à jouer les procéduriers et à leur faire perdre temps et énergie pour obtenir réparation. De retour en terres bretonnes, je me dirige donc vers la guérite idoine.

J’explique à l’hôtesse d’accueil mon problème, que je vois alors pianoter sur son terminal, et je découvre avec stupéfaction qu’il existe une page entière de codes pour les bagages endommagés, afin de couvrir tous les cas de figure possibles, lesquels doivent aller, j’imagine, de LA pour « lanière arrachée » à EN pour « pris dans une explosion nucléaire » en passant par DP pour « déchiqueté par un pitbull ».  La dame fait alors glisser une enveloppe vers moi sur le comptoir.

« Voilà monsieur. Vous devez aller faire constater l’incident par un maroquinier agréé. Celui-ci établira un justificatif circonstancié et évaluera le montant de la réparation, qu’il effectuera donc, et nous vous la rembourserons sur présentation du justificatif, d’un RIB et sur cession de l’âme de votre premier né. Ou bien, si ce n’est pas réparable, il vous proposera un modèle équivalent que vous achéterez bien entendu, et vous serez indemnisé sur la valeur Argus du sac à dos pourrave à condition de nous joindre un constat d’huissier, un contrat d’assurance lors de votre prochain vol vers Lyon et trois gouttes de sang frais apposé au bas du contrat. Avez-vous des questions ?

— Ouais. Où est-ce qu’on trouve un maroquinier au XXIe siècle ?

— Heu. Chez des boutiques qui vendent des sacs ? »

Et voici comment, auguste lectorat, au détour d’un incident de voyage, on démontre, d’un doigt dans le nez et d’un coup de théorème de Gôdel, que le maroquinier et le vendeur de sacs sont indéfinissables en dehors de leur propre espace mutuel. Je crois maintenant qu’ils n’existent pas, en réalité. Apprends la vérité, auguste lectorat : les maroquiniers sont une création de notre esprit et une invention des bagagistes de Lyon Saint Exupéry.

J’ignore cependant encore dans quel funeste but. Mais, si je disparais, tu connaîtras au moins les coupables.

2010-11-09T11:47:58+01:00mardi 9 novembre 2010|Expériences en temps réel|4 Commentaires
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