Création produit > identité de marque
Histoire d’être plus rigolo et parce que cela rejoint ce dont on a déjà parlé sur le mythe des réseaux pour se faire connaître où j’ai pu constater des opinions divergentes, je vais commencer par vous en raconter une (d’histoire).
C’est (donc) l’histoire (ben oui, suivez) de quatre-cinq gugusses (et à un moment, une gugussette) de 20 ans fraîchement inaugurés qui se mettent dans la tronche qu’ils vont devenir le nouveau Nightwish / Dream Theater / Cradle of Filth / Muse (il y a un intrus dans cette liste, sauras-tu le retrouver ?) selon leurs fantasmes personnels (et on voit tout de suite que ça va déconner, mais un peu de clémence, les gugusse·ette·s – orthographe inclusive FTW – n’avaient donc que 20 ans tout mouillés, donc). Donc ils font des répétitions, commencent à composer, à un moment quand même boivent plus de bière au bar que composer, mais ils sont des pros, tu comprends, donc ils savent ce qu’ils font – ouais, c’est l’équivalent métal du type à cheveux longs qui glande au Starbucks avec un MacBook Air couvert d’autocollants qui va écrire le prochain grand roman social, promis juré, mais demain.
Bon, alors, avant que ça râle, au cas où ça n’aurait pas suivi, j’étais évidemment un des gugusses en question, hein, avec mes cheveux longs et mes doigts gras sur mes synthétiseurs (sachant qu’il aurait parfois mieux valu que je laisse jouer les arpégiateurs, c’est pas par hasard que je produis depuis en différé), et j’étais pas le dernier quand il s’agissait d’imaginer les concerts de cent mille personnes où même le tout-Paris s’étonne en pensant qu’il existait une alchimie secrète convertissant la bière en bonne musique. (Résistance, quand tu nous tiens.) Donc, je dis ça avec la tendresse qu’il faut avoir envers les ambitions qu’on a à vingt piges (à cet âge-là, j’ai aussi fantasmé un monde imaginaire qui se déclinerait en nouvelles et sagas sur des années de création avec un énorme plan maître et on va dire que ça s’est beaucoup mieux passé, donc bon, faut surtout pas avoir peur de rêver). (Incidemment, tout ça pour dire : être wannabe, je sais ce que c’est, j’en rigole ou cringe selon les jours et quand je parle de la quantité de boulot à investir dans son art, c’est pas pour emmerder le monde, c’est que je sais beaucoup trop bien.)
Tout ça pour en arriver à une certaine anecdote saillante (c’est de saison, l’escalade sportive était aux JO) résumant tout le bouzin : à un moment, lesdits gugusses + gugussette se sont dits, avec probablement une compo et demie dans l’escarcelle à ce stade : « hé, les gens, il faut absolument qu’on fasse un logo, et un site web pour se promouvoir ». (Il est très possible que je sois moi-même le responsable de cette connerie.)
Bon. Eh ben non, hein ? On continue à bosser, peut-être, d’abord.
Je parle de ça parce que ça m’est revenu après quelques écoutes de podcasts disparates sur l’écriture et les réseaux, et que certaines stratégies employées par des jeunes auteurs m’ont frappé comme étant, eh bien, l’équivalent 2021 du groupe des gentils couillons pensant au management avant le cœur du métier. Qui est : créer des choses de qualité, donc apprendre et améliorer son art, le travailler diligemment (et il y a fichtre de choses à apprendre, toute sa vie mais encore plus au début, forcément). Au lieu de cela, j’entends parler de « stratégies contenu » entre blog, newsletter, formations qu’on donne, comptes Instagram, communautés Discord, tweets, pages Facebook et évidemment, tout ça en parallèle12.
Bon. Heu. À ce stade, j’ai juste envie de poser une question, gentiment hein, mais le cœur du métier, c’est community manager ou écrivain·e ? Sérieusement, où diable trouvez-vous le temps d’écrire ? (J’écris à plein temps depuis plusieurs années et je n’en ai déjà fucking pas assez ! J’ai plutôt fait l’inverse : j’ai quitté tous les réseaux et tout récemment, la majorité des forums que je fréquentais aussi parce que, qui a le temps et la bande passante mentale pour ça ?)
Encore une fois, comme me le disait un de mes MJ de Donjons et Dragons dans une incarnation immortelle de tous les aubergistes du monde qui n’ont pas envie de répondre aux questions des joueurs : « chacun fait ce qu’il veut » mais j’interroge, juste, la pertinence de développer la stratégie média de la Lyonnaise des Eaux quand on n’a peut-être que quelques nouvelles publiées ici et là (ce qui est bien, hein ! on parle des à-côtés).
Ce n’est pas votre présence en ligne qui vous fera connaître, ce sont de bons textes. Mireille Rivalland l’a dit dans Procrastination, spoiler : Pascal Godbillon le dira aussi à la saison 6, et je vous invite, pour l’exercice, à aller regarder exactement combien d’auteurs et d’autrices découvert·es ou qui publient de premiers romans chez de grandes maisons ont une présence en ligne d’envergure sur les cinq dernières années. Personnellement, j’ai plutôt l’impression de constater (au doigt mouillé) une relation proportionnelle inverse entre les démarrages de carrières prometteuses et le plan média personnel de ces auteurs. Évidemment, un canal, un point d’eau (disons un site, peut-être un blog et/ou une newsletter), c’est nécessaire aujourd’hui ne serait-ce que pour qu’on sache où vous trouver et créer du lien avec votre communauté naissante (ce qui est chouette !), mais je pense que l’idée d’une galaxie média est une vache de fausse route quand on en est encore à faire ses gammes…
Alors, comme toujours, si ça vous amuse, c’est cool, et c’est autre chose. Il peut y avoir un plaisir sincère à rester sur Twitter (j’ai joué hardcore à WoW, qui suis-je pour juger des addictions des autres ?), et il y a un réel bénéfice à l’entraide des communautés en ligne. Et puis même, fantasmer sur le logo de son groupe qu’on aura en grand derrière soi sur la scène du Zénith, ce n’est pas interdit, ça fait rêver, et les rêves, c’est chouette, les accomplissements commencent toujours par là.
Mais on est d’accord, hein ? Ce n’est pas du boulot. Le boulot, c’est la création, la production. C’est là qu’on apprend et c’est là qu’on crée des choses à montrer et qu’on progresse. Le groupe de métal devra se soucier de son logo et de son site, bien sûr, mais ça vient quand on a déjà 10-15 compositions qu’on peut jouer sans pain de façon fiable et régulière (et ça n’est pas donné à tout le monde) (et non, effectivement, on n’est jamais arrivé à ce stade, vous l’aviez deviné, hein ?).
Et c’est là-dessus qu’il faut bosser, le reste viendra quand il devra venir. That’s all I’m sayin’.
- Je laisse de côté l’autoédition, que je connais beaucoup trop mal et qui peut nécessiter ce genre de chose, mais cela me semble ajouter à une charge de travail déjà considérable, ce qui constitue un solide argument en faveur de l’édition traditionnelle. ↩
- Je laisse aussi de côté les gens qui ont des équipes pour les épauler et gérer ça pour eux. ↩