Stockage de données et navire de Thésée
Les disques durs des années 1990, en particulier ceux employés pour le stockage de données à long terme de l’industrie musicale, sont en train de planter et devenir irrécupérables :
Hard drives gained popularity over spooled magnetic tape as digital audio workstations, mixing and editing software, and the perceived downsides of tape, including deterioration from substrate separation and fire. But hard drives present their own archival problems. Standard hard drives were also not designed for long-term archival use. You can almost never decouple the magnetic disks from the reading hardware inside, so that if either fails, the whole drive dies.
https://arstechnica.com/gadgets/2024/09/music-industrys-1990s-hard-drives-like-all-hdds-are-dying/
La question du stockage de données à long terme devrait intéresser tout·e artiste indépendant·e qui peut se demander comment conserver, à l’échelle d’une vie, des travaux peut-être rédigés sur un vieux Macintosh avec MacWrite (dans le genre, on avait fait une plongée musicale ici). Mes propres CD gravés il y a 20 ans montrent déjà du bit rot, sans parler des disquettes (vous n’avez rien sur des disquettes, hein ? Dites-moi que vous n’avez rien sur des disquettes).
À l’époque du cloud, du RAID et de la disponibilité de serveurs domestiques à des prix raisonnables (Synology for the win), le stockage de données ne devrait plus représenter un problème, tant qu’on s’en occupe un peu : mon serveur est devenu le navire de Thésée, où chaque disque dur qui plante se trouve remplacé par un nouveau, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus un seul d’origine au fil des ans, voire des décennies ; certaines données rescapées là-dessus ont plus de vingt-cinq ans. The hardware goes, but the data remains.
Ça n’est vraiment pas difficile à faire aujourd’hui, et ça ne coûte même plus grand-chose, tant qu’on ne cherche évidemment pas à stocker l’intégrale de ses Blu-Ray en 2160p avec sauvegarde redondante dans le cloud. Là, je décline toute responsabilité (responsibilita, responsibilita, responsibilitam, responsibilitae, responsibilitae, responsibilitâ). Si vous n’avez pas de bonne solution, considérez ceci comme votre rappel de vous en occuper prochainement.
Les protecteurs d’écran Paperlike sont atroces
Il existe a une zone d’équilibre, éminemment personnelle, entre les apports multiples apportés par la technologie pour la réflexion et la création, et le déraillement total de l’esprit qu’elle peut aussi occasionner quand tapoter l’icône d’Instagram devient un réflexe conditionné. Parmi les usages et les apports : prendre des notes manuscrites sur un iPad, ce qui permet de stocker des milliers de pages dans un bloc à poids fixe, mais la friction de prendre la machine – la déverrouiller – ouvrir son bloc-notes – trouver le bon – écrire avec la sensation d’un Bic sur une plaque de verre n’offre pas la meilleure expérience.
Pour le dernier point, on peut faire quelque chose : quantité de compagnies proposent des protège-écran mats censés recréer une expérience d’écriture proche du papier. À cette fin, j’étais jusqu’ici un utilisateur convenablement grognonnant de l’iVisor Moshi – c’est-à-dire que je n’étais pas spécialement heureux du machin, mais que je le laissais à demeure parce que les bénéfices dépassaient les inconvénients. Qui sont : une expérience d’écriture effectivement supérieure, mais un écran devenu tout mat et pas super joli, résumant le verdict technique complet à : « ouais, okay, mais gneumeugneu ».
Paperlike est le leader de ce petit marché, et donc, appâté par la pub, le succès et, en réalité, un budget marketing déraisonnable en vidéos YouTube, je viens de tenter le coup alors que je changeais mon décidément vieillissant iPad Pro de 2018. Fantastique, c’est la nouvelle version, et on les trouve même en rayonnage chez JB Hi-Fi (équivalent Aussie de la Fnac sans les livres), c’est bien que ça doit être quand même chouette, surtout que tout le monde en dit du bien et…
AAAAH ARRÊTEZ TOUT C’EST DÉGUEULASSE
La procédure d’installation n’est pas des plus commodes malgré des vidéos détaillées et un processus raffiné : heureusement que Paperlike fournit deux protections d’écran parce que, honnêtement, j’ai complètement raté la première et j’ai dû repartir de zéro.
La seconde, correctement appliquée sur ma machine, a duré à peu près 127 secondes en place avant que je ne l’arrache avec un absolu dégoût. (Y a pas que moi : vous auriez dû voir aussi la tronche de L. l’effleurant de son gracile index.)
Ce que le Paperlike fait bien : l’écran est beaucoup plus joli qu’avec un iVisor. Certes, c’est mat, mais c’est l’idée, cependant la définition est à peu près conservée, les couleurs sont à peine plus ternes, sur ce point, c’est une réussite. Mais :
Dealbreaker absolu : toucher et expérience d’écriture. C’est atroce, et il faut que ça se sache au-delà des vidéos payées à grands renforts d’influenceurs. Vous pouvez recréer exactement la sensation chez vous, avec une petite recette toute simple et un peu de matériel, vous allez voir.
- Prenez une surface lisse, comme un dallage de salle de bains ou un plan de travail de cuisine.
- Renversez du Coca dessus.
- Essuyez le tout avec une éponge mouillée du mieux possible, à plusieurs reprises, mais sans employer de savon.
- Laissez sécher.
Vous voyez cette sensation lisse, mais qui reste très vaguement collante, qui accroche sous les doigts sans pourtant que vous n’ayez le moindre résidu sur la peau ? Ce genre de surface que vous passez une semaine à astiquer pour essayer, sans grand succès d’ailleurs, à enfin supprimer cette vague sensation de sale ? Voilà le toucher de la Paperlike. Au stylet, c’est la même chose : on n’écrit pas sur du papier, on n’écrit pas avec un feutre, on a juste une pointe ralentie par une pellicule mollassonne, avec en prime la joie d’appuyer la paume de sa main sur le même mélange.
C’est. Une. Horreur.
Je ne peux pas en dire suffisamment de mal. C’est un des produits les plus montés en épingle de notre niche branchouille de nerds connectés. À éviter à tout prix, absolument, et en plus, c’est même pas assez Paperlike pour qu’on puisse les cramer écologiquement dans un jardin. Soixante kangourous foutus en l’air : ne buvez pas la hype.
La photo de la semaine : Corneille punk
« Laissez-moi rentreeeer ! »
Les Moutons électriques en difficulté, appel aux dons
Oh, what sad times are these when passing ruffians can say « Ni » at will to old ladies.
La maison d’édition Les Moutons électriques appelle à la générosité du lectorat pour la sauver de la fermeture :
Le Covid a asséché notre trésorerie et nous n’avons jamais vraiment réussi à nous en remettre, sans compter nos changements de diffuseurs, de Harmonia Mundi à MDS, pour finalement arriver chez la Diff Hachette (dont le travail nous satisfait pleinement). Le bateau tremble, la soute est fendue, l’eau monte et nous n’avons plus que des seaux bosselés pour écoper. Bref, pour arrêter cette métaphore marine, nous sommes au bord de la fermeture.
La diversité des maisons indépendantes construit la santé du marché et, au-delà, elle reflète la diversité culturelle même de l’imaginaire francophone. Une collecte de fonds a été lancée sur Ulule et, si l’objectif est déjà rempli à l’heure actuelle, on n’a jamais assez de soutien par les temps qui courent quand on se trouve porté à ces ultimes extrémités, donc je vous invite à consulter…
s09e01 – En public avec vos questions à l’Ouest Hurlant – partie 1
Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « s09e01 – En public avec vos questions à l’Ouest Hurlant – partie 1« .
Le festival des cultures de l’imaginaire l’Ouest Hurlant à Rennes reçoit toute l’équipe de Procrastination et surtout VOUS : l’invité du podcast sur cette saison, c’est vos questions, vos interrogations, avec trois réponses contradictoires pour le prix d’une !
Merci à l’Ouest Hurlant et toutes ses équipes de nous avoir invité·es et de nous avoir donné une salle et une heure pour rendre ces conversations possibles. C’est un splendide festival qu’on vous encourage à suivre !
- https://www.ouest-hurlant.com/
- https://www.facebook.com/OuestHurlant/
- https://twitter.com/ouesthurlant
- https://www.instagram.com/ouesthurlant/
- http://ouesthurlant.lepodcast.fr pour retrouver les tables rondes des éditions passées !
Pour commencer, nous parlons de blocages et d’inquiétudes pendant une réécriture au long cours : que faire si la crainte de ne pas être à la hauteur du travail qu’on a déjà accompli sur un gros manuscrit vient s’inviter en cours de correction ?
Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :
Bonne écoute !
La reMarkable Paper Pro et le Zerowriter viennent aussi concurrencer la Freewrite en tant que machines à écrire intelligentes
Les projets promettant de fournir une expérience d’écriture sans distraction n’en finissent plus de fleurir, et vu le prix et l’absurdité de la gestion de Freewrite, ça n’est pas dommage. Après le BYOK et le Micro Journal, deux produits sur le radar :
La reMarkable Paper Pro
J’avais dit grand mal de la reMarkable il y a deux ans principalement en raison d’une interface aux fraises, mais il semble que les mises à jour aient enfin corrigé ça, et la boîte vient de sortir une version très intrigante de sa tablette minimaliste intégrant la couleur. Les premiers retours annoncent que c’est simplement le meilleur panneau à encre électronique couleur du marché, et la machine peut intégrer un clavier associant ce qui semble être le meilleur des deux mondes – prise de notes manuscrite, en couleur donc, et rédaction au clavier.
Hmmm.
La qualité de production des reMarkable est toujours un énorme point fort, et on peut toujours essayer la machine 100 jours et la renvoyer pour remboursement complet si l’on n’est pas convaincu. Il reste l’abonnement qu’il faut payer pour avoir l’historique illimité de synchronisation et quelques autres fonctionnalités, ce qui passe toujours difficilement à mes yeux, mais j’avoue que je suis peut-être prêt à retenter l’expérience pour un outil professionnel.
➡️ La reMarkable Paper Pro (Ultra Zillion Clairefontaine Supreme Productive Gamma)
Le Zerowriter
Ouuuh. La jolie chose que voilà.
Le Zerowriter est, pour simplifier, une Alphasmart Neo ou une Freewrite alpha, en open source, pour une fraction du prix ! Orchestrée par un type tout seul dans son garage, c’est la version produite à large échelle d’un projet antérieur à construire soi-même à base de Raspberry Pi. Le Zerowriter conserve ses racines : le logiciel est entièrement hackable et modifiable, sur des standards ouverts, mais il vient avec un clavier magnifique et la promesse de pouvoir en éditer intégralement et simplement la disposition (vous entendez, Freewrite ?)
Tout ça pour deux cent balles, actuellement en financement participatif. Les vidéos de démo sont ultra, mais ultra sexy, et pas parce que c’est filmé artistiquement avec de la lounge tamisée de nuit suave, mais parce que le produit est ultra cool (ce bruit de clavier ! cette latence quasi nulle !), et c’est bien ce qui compte.
Graou.
➡️ Le Zerowriter sur Crowdsupply
Un petit mot sur le Micro Journal
J’ai commandé et reçu depuis un moment mon Micro Journal v5, mais trouver la batterie requise en Australie s’est avéré étonnamment difficile (attention, il faut aussi un tournevis hexalobe pour pouvoir l’installer). Bref, je l’ai, j’ai enfin pu le configurer, le mettre à jour, et j’ai eu l’immense plaisir de découvrir installée conformément à ma demande la disposition de clavier belge (la seule disposition de clavier français AZERTY qui ait le moindre sens, et employée par défaut sur les Macs). Ça marche, mais il semble que les claviers Apple n’envoient pas le code de la touche majuscule comme les autres, ce qui m’empêche encore de m’en servir en production, mais j’ai eu une réponse dans l’heure de l’artisan qui va essayer de régler le problème.
Encore une fois, j’ai plus de support technique d’un gars tout seul, pour une fraction du prix, que de toute la compagnie Freewrite…
Du travail et du fruit du travail dans l’écriture
Je sors souvent une référence à la Bhagavad-Gita ici et là et dans Procrastination, et quelques échanges de loin en loin m’ont laissé entendre que cela pouvait être un peu mal compris, du coup, archivons ici ce qu’il en est. Il s’agit du célébrissime verset 2.47, que je connais le mieux sous cette forme en traduction anglaise1 :
You are entitled to the labor, but not to the fruits of the labor.
On le trouve en traduction française par exemple sous cette forme :
Tu as le droit de remplir les devoirs qui t’échoient, mais pas de jouir du fruit de tes actes ; jamais ne crois être la cause des suites de tes actions, et à aucun moment ne cherche à fuir ton devoir.
Sur Wikisource
Mais que je résume ainsi pour mon usage personnel :
On peut prétendre au labeur, mais pas aux fruits du labeur.
Quel est le rapport avec l’écriture ?
La différence entre prendre du plaisir et péter un câble.
Les réseaux commerciaux sont submergés de questions, conseils, stratégies pour arriver à convaincre une maison d’édition et publier son livre ; et soyons clairs, oui, la plupart du temps, quand on écrit, on espère être lu – il y a là un effort (considérable) de communication et le but de la communication, c’est quand même d’avoir quelqu’un en face.
Cependant, l’effet délétère – qui est humain, compréhensible, mais délétère quand même –, c’est de considérer alors que la création est orientée vers le résultat, la production, l’édition, qui, en plus, peuvent former dans notre société autant de métriques de résultat, de succès, jusqu’à un effet extrêmement retors de validation individuelle. (C’est l’incompréhension qui guide les chantres de l’IA.)
Or, quand on crée, tout n’est pas entièrement maîtrisable, et c’est une angoisse de la chose, mais aussi, selon votre constitution, une joie.
On ne maîtrise pas le résultat produit
Même le plus obsessionnel-compulsif des architectes (hello) vous dira qu’il existe toujours un moment où le récit, les personnages prennent vie sur la page et révèlent d’eux-mêmes ou de l’intrigue des éléments complètement inattendus (mais souvent géniaux). Je raconte toujours cette histoire entre Laenus Corvath et Thelín de « Bataille pour un souvenir » à « Au-delà des murs » prouvant même que l’inconscient, la Muse, le Mystère, la communication avec les mondes parallèles opèrent par-delà les textes et les ans, bref : nous sommes les vecteurs de la création, mais il se passe quelque chose d’ineffable au cours du chemin. Et en plus, la valeur de la production nous échappe toujours un peu : une scène écrite dans le sang et les larmes peut se révéler bonne à jeter comme une autre écrite avec la facilité la plus déconcertante peut s’avérer fantastique – et inversement.
Bien sûr, on peut toujours corriger, mais je pense que même avec la plus haute technicité du monde, on ne peut qu’amener sa matière initiale à un certain plafond. Vient un moment où il faut potentiellement réécrire pour imposer un meilleur élan.
On fait de son mieux, mais on ne peut pas garantir le résultat.
On ne maîtrise surtout, surtout pas le succès
Oh ! combien d’écrivains, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des carrières lointaines,
Dans les réseaux sociaux se sont évanouis !
Si l’on connaissait la recette pour faire un best-seller, mes chers amis, tout le monde l’appliquerait, à commencer par les maisons d’édition. Certes, quand on fait ce métier, on espère que ça va marcher suffisamment pour payer sa prochaine facture de pâtes, mais c’est alors que démarre un dangereux raisonnement, celui d’associer la valeur du travail (et donc du chemin de la création) au succès, aux ventes, aux chroniques, aux commentaires sur les réseaux, aux prix littéraires, aux adaptations cinématographiques et – pire que tout ce qui précède – aux mêmes métriques chez les voisins.
Or, personne n’a de réel contrôle là-dessus ! Et attribuer le mérite de son travail à ces métriques extérieures – pire, à celles des copains, qui n’ont pas la même carrière, les mêmes vœux, les mêmes univers – peut peut-être soutenir une personnalité combattive pendant un temps, mais au bout du compte, comme tout élément de son identité dont on plaque la valeur sur une composante du monde extérieur, cela ne peut que rendre foncièrement malheureux.
On fait de son mieux, mais on ne peut pas garantir le succès.
On fait de son mieux, et c’est tout ce qu’on peut faire
Je ne suis absolument pas en train de prétendre qu’il faut atteindre une espèce d’horizon détaché de tout (cela annihile l’implication personnelle, et je pense résolument qu’il est vital de croire à ce qu’on fait, donc de lui attribuer un minimum d’importance), que je pratique parfaitement ce qui précède (certainement pas), ni même que toutes ces impulsions ne sont pas humaines ni compréhensibles.
En revanche, non conscientisées, laissées à proliférer, elles sont une voie sûre vers l’épuisement professionnel, le découragement, la frustration, notamment parce qu’elles se trompent sur ce qu’est l’essence du métier. Elles confondent le résultat final (sur lequel on n’a guère de prise) avec le processus créatif lui-même.
Or, notre métier, c’est créer, ce n’est pas vendre des bouquins. Oui, je répète : notre métier, c’est créer, ce n’est pas vendre des bouquins.
Vendre les bouquins, c’est le métier de la maison d’édition.
Vendre des bouquins est une conséquence possible et merveilleuse de la création. On s’y implique, bien évidemment ! Mais tout ne se vend pas dans notre marché (qui est ce qu’il est), et se désoler, rager que ce qu’on fait ne vend pas dans cette situation revient à insulter le ciel pour le temps qu’il fait. Bien sûr, on peut être déçu ; il existe des accidents industriels (je raconterai un jour les vraies coulisses de Léviathan, près de quinze ans plus tard, il commence à y avoir prescription) ; on peut combattre, communiquer, élargir les horizons, se lancer avec courage, tenter le coup, et tout peut marcher, et on s’efforcera toujours de mettre un maximum de chances de son côté, mais au final, on prendra soin de se rappeler cette règle cardinale :
Le labeur ne nous doit aucune rétribution.
Il découle donc, logiquement, qu’il convient de concentrer son énergie sur le labeur lui-même – c’est la seule chose sur laquelle on peut influer – et, surtout, trouver dans celui-ci la toute première source de son plaisir. Un auteur qui écrit parce qu’il aime écrire sera toujours heureux (ou presque). Un auteur qui écrit parce qu’il veut vendre, être vu, reconnu, apprécié sera toujours malheureux (ou presque) parce qu’il n’aura, en définitive, jamais assez.
C’est pour ça que je trouve oiseuse et inutiles les conversations sur le « talent », « l’inspiration » et tous ces concepts qui ne nous aident à rien et sont même, si j’ose, un peu classistes : tu as le don ou tu l’as pas. En revanche, on peut tous travailler, et on peut tous trouver du sens dans ce qu’on fait. Sinon, autant ne pas le faire, hein ?
C’est aussi pour cette raison que je fais l’analogie entre l’écrivain et un DJ : le DJ est embauché pour faire danser la salle, mais il va le faire avec la musique qu’il aime (ou au moins qui ne lui écorche pas les esgourdes). Le cœur de métier, au sens de profession et de carrière, cette fois, est là : faire le travail avec cœur, sincérité et intégrité, en gardant la conscience d’essayer de s’adresser au plus grand nombre, de travailler sa technicité pour être le mieux reçu possible, mais l’un et l’autre doivent fonctionner ensemble.
Bien sûr qu’on fait notre travail du mieux possible, avec la visée raisonnée, intelligente et construite d’un public (on se rappelle, en gros, qu’on gagnera probablement mieux sa vie avec de la romance qu’avec un recueil de haikus en elfique dans le texte). Bien sûr qu’on espère rencontrer les lauriers de la victoire. On ne fait pas ça par-dessus la jambe, à balancer nos œuvres soigneusement assemblées dans le vide. On fait tout ce qu’il faut pour ça marche.
Mais, tels des généraux romains, nous devons conserver la voix perchée sur l’épaule qui nous répète que nous sommes mortels, qu’au final, tout cela est une vaste farce, que l’Univers ne nous doit rien, et que la seule validation solide vient d’abord de l’intérieur avant d’arriver d’ailleurs, et que la réalisation contient déjà en elle sa validation.
Nous pouvons prétendre au labeur, mais pas aux fruits du labeur.