Un boss de boîte d’IA prétend que les gens n’aiment pas faire de musique, sans doute parce qu’il n’a pas d’âme

Ces gens me fatiguent.

Mikey Shulman, président de Suno, justifie son pillage modèle économique en prétendant la chose suivante :

I think the majority of people don’t enjoy the majority of the time they spend making music. (Je crois que la majorité des gens n’apprécient pas la majorité du temps qu’ils consacrent à créer de la musique)

Peu importe que l’espèce humaine en crée depuis LITTÉRALEMENT LA NUIT DES TEMPS, hein. Peu importe que les enfants chantent à tue-tête et adorent les clairons et les tambours offerts par des amis de la famille aux intentions troubles. Peu importe que l’histoire n’ait pas attendu l’arrivée de Suno pour donner Beethoven et Jean-Michel Jarre.

« Je ne crois pas que les hommes préhistoriques qui dessinaient des déesses de la fertilité sur des cavernes aimaient tellement faire ça, en vrai » – Mikey Shulman aussi, j’imagine

L’intérêt de la création est dans le voyage. L’intérêt de la vie, oserais-je, est dans le voyage ; c’est pour ça qu’on aime prendre cher dans Demon’s Souls. Je doute que Shulman ait jamais joué de quoi que ce soit dans sa vie, parce que même moi, qui suis un claviériste totalement dégueulasse, je m’amuse à tripoter les touches, et si le temps de la création peut être difficile, il est enrichissant.

Il est même probablement enrichissant parce qu’il peut être difficile ; c’est la fondation même de la sensation d’accomplissement (conquérir la difficulté).

On n’aurait jamais dû laisser ces compteurs de haricots s’approcher de près ou de loin de l’art et de leur pratique qu’ils ne comprennent visiblement pas. Notre société, gangrénée par son aspiration à ses quinze secondes de gloire, veut parvenir à des résultats, à des récompenses, en imaginant que produire un banger avec un prompt va a) faire d’eux des artistes, leur donnant une identité dont ils attribuent justement la valeur à l’accomplissement ci-dessus, ce qui génère nécessairement un mensonge intérieur b) leur donner le succès et par voie de conséquence c) valider toute la démarche, sauf que la validation se trouve d’abord dans la réalisation et non dans la reconnaissance d’autrui

Dans l’absolu, les outils facilitant la création (des instruments au sens large, allant dudit clairon au séquenceur aléatoire) sont des aides providentielles pour donner à la vision humaine la capacité de s’exprimer. Mais cette vision, pour être respectée, nécessite un travail incompressible, parce qu’elle est inhérente à la personnalité de l’individu, ce qui n’est pas réplicable ni automatisable. J’ai un copain australien, père de deux enfants, extrêmement occupé dans son quotidien, avec une main en vrac l’empêchant de jouer de quelque chose, qui a utilisé Suno pour construire un album de métal en écrivant ses textes de A à Z puis en générant quelques 200 versions pour parvenir à un résultat qui lui plaisait.

De son propre aveu, ça été un boulot immense pour parvenir à un résultat qu’il a filtré et décidé. (Je m’insurge contre l’absence de régulation des entreprises d’IA, mais je ne le voue pas aux gémonies en tant que personne – il ne se considère de toute façon pas comme compositeur ni star internationale.)

Notez bien. Textes originaux. 200 versions. Pour être content à l’arrivée.

Hmm.

Je verrais bien là une ironie pour Mikey Shulman, mais quoi… 

Pour la peine, je remets ça là, tiens.

2025-02-12T00:42:06+01:00mercredi 12 février 2025|Humeurs aqueuses|0 commentaire

Le dark enlightenment, une des clés pour comprendre ce qui est en train de se passer sous nos yeux

J’hésite à relayer ça parce que c’est tellement aberrant que je me fais l’effet d’un conspirationniste, mais le déroulé théorique colle tellement avec l’actualité complètement insensée et terrifiante des deux dernières semaines (et France 24 en parle, donc ça n’est pas non plus zinzin) que ça vaut le coup de poser ça là, comme on dit, et je vous fais confiance pour évaluer la chose à l’aune de la réalité.

On connaît l’existence du Projet 2025, la feuille de route de Donald Trump, cependant il semble de plus en plus que ça ne soit que la partie émergée de l’iceberg, et le moyen pour arriver à quelque chose que… là tout de suite, à 9h45 du matin, je n’ai pas les mots pour décrire.

Prenez dix minutes de votre temps – vraiment, prenez-les – pour lire deux fiches Wikipédia (en anglais si vous le pouvez, elles sont plus développées et mieux sourcées) :

Celle de Curtis Yarvin, le « penseur » en tête de file du mouvement du dark enlightenment (néoréaction) qui pourrait bien former un des objectifs des bouleversements américains actuels :

Political strategist Steve Bannon has read and admired his work. Vice-president JD Vance has cited Yarvin as an influence, saying in 2021, « So there’s this guy Curtis Yarvin who has written about these things, » which included « Retire All Government Employees, » or RAGE, written in 2012. Vance said that if Trump became president again, « I think what Trump should do, if I was giving him one piece of advice: Fire every single midlevel bureaucrat, every civil servant in the administrative state, and replace them with our people.

Ça vous dit quelque chose ? (C’est explicite dans le Projet 2025)

Et donc, d’autre part, la page sur la néoréaction / NRx / dark enlightenment :

Neocameralism is the replacement for democracy where it gives everyone many options for « Exit » out of a undesirable autocracy and its taxes, rules and regulations, you don’t get to vote because in the neoreactionary ideal state they oppose democracy because it’s viewed as being anti-freedom, « Exit » is where you vote with your feet, you are free to bring your labor to another ‘gov-corp’ or governmental corporation, a complex patchwork of small, and competing, autonomous city-states.

Pour essayer de terminer sur une petite note d’optimisme quand même – je suis tombé sur ça, que je pose aussi, en annonçant d’emblée mon ignorance en la matière (insultez mon ignorance si vous voulez – si d’autres qui lisent ces mots ignoraient ça comme moi et se sentent l’envie d’aller creuser, j’aurai gagné ma journée) :

Two software developers became quietly known in tech circles in the 2000s and were almost the reverse image of each other. Both developed web alternatives. Both developed alternatives to the current government model.The right has read Yarvin and it shows. The left has not read Marsh and it shows.

Anonymous (@youranoncentral.bsky.social) 2024-12-06T05:58:45.972Z

Tout le fil vaut la peine d’être consulté mais en résumé, Heather Marsh serait diamétralement opposée à Yarvin, en s’attaquant aux mêmes symptômes (la difficulté d’organiser une société de plus en plus atomisée et volatile, en raison des développements technologiques) mais avec des réponses radicalement inverses, fondées sur l’ouverture et la collaboration.

Franchement, la page 3 de Binding Chaos part bien.

Corporations have the freedom to live in a world without borders or social responsibility, to own property no individual can claim and to control a one world government and legal system. This has had insupportable consequences for the world’s resources and individual rights.

Site et blog d’Heather Marsh, si vous voulez vous faire une idée.

2025-02-05T03:51:30+01:00mercredi 5 février 2025|Humeurs aqueuses|0 commentaire

« Les femmes sont la propriété de leur époux », pourra-t-on dorénavant lire tranquille sur Facebook

Oui, c’est le genre de post qui va dorénavant être autorisé sur Facebook, Instagram et Threads. Ou dire « les gays sont anormaux » ou « les jeunes trans n’existent pas ». Dans un mouvement de trahison opportuniste hélas parfaitement cohérent avec l’absence totale d’éthique de Mark Zuckerberg, Meta vient d’annoncer :

  • La fin d’une flopée de restrictions sur les discours haineux, permettant entre autres « toute allégation de maladie mentale ou d’anormalité basée sur le genre ou l’orientation sexuelle »
  • La fin de leur programme de vérification des faits, remplacé par des « community notes » façon X.

Exactement ce dont on a besoin en ce moment à l’échelon planétaire.

Meta est un putain de cancer sur la civilisation, un réservoir de négativité dont le fonds de commerce est basé la polarisation avec ces foutus algorithmes. C’est un mensonge de prétendre que l’on peut tenir des conversations équilibrées et posées sur ces machins : le COVID nous a montré, en temps réel et pendant deux ans, le bordel que ça a été alors qu’il y avait des politiques en place. La manière dont l’engagement fonctionne promeut mécaniquement la désinformation et le contenu d’extrême-droite. C’est le paradis du sealioning. Lever les restrictions, ça signifie mécaniquement promouvoir le sensationnalisme, la bêtise, la réaction immédiate. C’est la fin de la tempérance.

Je n’ai jamais fait mystère que je n’ai jamais vraiment aimé ces plate-formes, mais j’en reconnais l’intérêt, en particulier en vivant à l’autre bout du monde, les comparant à un salon littéraire permanent. En revanche, je ne participerais en aucun cas audit salon si l’organisateur cautionnait les discours comme « les femmes transgenres n’existent pas, ce sont des hommes pathétiquement perdus » (chacun de mes exemples sont pris verbatim de la revue de presse en fin d’article), ce qui est le cas ici.

Je suis devenu écrivain pour, entre autres, être libre de mon discours et explorer les complexités du monde. C’est beaucoup trop de boulot pour, proportionnellement, une rémunération beaucoup trop modeste pour, en plus, accepter de compromettre avec ce que je crois et, même, écris.

J’avais bêtement cru, en revenant sur Facebook et en tâtant d’Instagram, que Meta avait évolué et peut-être compris son rôle social. Non, Meta est irrécupérable, c’est une entité fondamentalement toxique, opportuniste et toute hygiène mentale devrait l’exclure, au même titre que TikTok.

Je ne jette la pierre à personne de vouloir rester sur ces plate-formes parce qu’il ou elle y percevrait une nécessité d’existence (« toute ma clientèle est là, si je m’en vais, je me coupe de mes revenus »). Je pointerais cependant quelques faits tirés de ma propre expérience :

  • J’ai quitté tous les réseaux en 2020. Le tome 4 de « Les Dieux sauvages », L’Héritage de l’Empire, sorti en plein confinement et sans présence réseau autre que celle de Critic, n’a pas souffert.
  • J’ai connu une productivité et un calme sans précédent (rapport à mon métier qui est de, vous savez, écrire).
  • La qualité des échanges que j’ai eus (par la newsletter ou ici) a augmenté drastiquement.

Après, certes, j’ai eu moins d’échanges et de liens au quotidien, mais c’était beaucoup plus réfléchi, profond, intéressant. Donc, satisfaisant pour tout le monde. Ne vaut-il pas parler réellement à cent personnes que crier à dix mille que ça n’intéresse pas ?

Je pointerais aussi que ces plate-formes n’ont que le pouvoir qu’on leur donne et nous leur en donnons collectivement beaucoup trop. Elles sont très douées pour nous faire croire qu’elles sont indispensables, mais je crois fermement qu’il y a d’autres moyens de constituer nos communautés et, même, de constituer un réseau social. Bluesky est un excellent exemple de ça ; le seul réseau qui trouve réellement grâce à mes yeux et que j’ai plaisir à utiliser parce qu’il n’y a pas d’algorithme. Et les premiers retours sont que : certes, il y a moins de monde, mais proportionnellement, on trouve bien plus de clients (si c’est des clients qu’on cherche).

Ce qu’on peut faire

Se barrer en masse, comme de X (une des meilleures décisions de ma vie récente en termes de rapport énergie / bien-être).

Réfléchir aux alternatives, retrouver le bonheur d’une vie sans algorithmes, et les refuser.

Pour ma part, toutes ces informations seraient suffisantes pour me faire partir, à jamais, de tout ce que Meta touche de près ou de loin (comme j’ai déjà évacué avec succès Google et Microsoft de ma vie). Cependant, John Gruber de Daring Fireball, un analyste que je respecte, pourtant farouchement anti-Trump, décode différemment la situation – et c’est le seul truc qui retient ma réaction furieuse. Il tend à dire que les règlementations internationales (en gros, européennes) rendront impossibles ces changements et qu’il s’agirait ici de brasser beaucoup d’air pour un simple exercice de génuflexion devant l’orange bouffie. Ce qui n’est pas glorieux, mais me fait retarder ma décision de dynamitage ; non pas parce que j’aime Facebook et Instagram (non, je déteste ces machins qui me donnent l’impression de tuer quelques neurones à chaque ouverture) mais par respect envers vous, qui y êtes et m’accordez votre intention et votre fidélité.

Je vous ai déjà fait un numéro de « je m’en vais » (en 2020) pour « je reviens » et je suis très conscient du temps que vous-mêmes passez sur ces plate-formes (avec plaisir même, je ne juge personne). Je vous suis très reconnaissant de vos suivis divers, de vos commentaires, de nos interactions. Il n’est pas question que je fasse la girouette ou la diva, et si je m’en vais de nouveau, ce sera pour de bon, en assumant toutes les conséquences1.

Une chose est sûre, il me semble vital, dans le monde où nous sommes, d’attirer l’attention sur ces situations. Si je n’utilise pas la mienne, de plate-forme, pour parler de tout ça, pour rappeler qu’on se tue le cerveau collectivement en se rendant malheureux avec ça, et peut-être, suivant les déroulements à venir, d’agir en cohérence avec moi-même, pourquoi je fais ce travail, bon dieu ? Pourquoi je passe tant d’heures, parfois au détriment de ma vie personnelle, à façonner au mieux de ma compétence des histoires, des personnages qui se battent pour leur destin et leur actualisation ? Si elle l’avait devant lui, Mériane collerait une énorme gifle à Zuckerberg (et l’enverrait au tapis tellement il est tout fragile).

Nous devons inventer d’autres modes, reprendre le pouvoir de notre communication, de notre lien social. Meta a réalisé un hold-up planétaire sur une activité humaine fondamentale tout en la vidant de sa substance ; combien de temps allons-nous encore tolérer de nous polluer ainsi l’esprit ?

Références

  1. Venez sur Bluesky ! Tant que ça dure… mais je crois qu’ils ont compris leur positionnement qui est : « exactement le contraire du reste ». Aller à l’encontre de ce placement serait un suicide commercial, ce qui me donne espoir.
2025-01-12T21:38:06+01:00lundi 13 janvier 2025|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

La Succession des Âges continue d’approcher… mais pas tout à fait encore – point d’étape

Bon, hélas, j’ai (encore) une mauvaise nouvelle, mais je crains que La Succession des Âges ne puisse pas encore tout à fait sortir au printemps 2025. J’ai arrêté de promettre mes grands dieux – « cette fois, c’est sûr, ça sortira à l’automne 2024 ! » – parce que l’envergure de l’engin dépasse tout ce que j’ai pu faire / imaginer. Je constate, avec recul, que je suis en train de faire le boulot d’une trilogie à part entière dans un seul roman. Et en termes de taille, je suis incapable de vous expliquer la forme physique que ça prendra. À ce stade, je suis obligé de me détacher de toute considération de fabrication ou de calibrage pour tenir sur la durée et : réaliser cette histoire de la meilleure façon possible, telle que je crois qu’elle doive exister.

On verra ensuite ce qu’on peut faire, et j’ai la chance immense d’avoir une maison d’édition formidable qui m’accompagne dans mes délires. (Le fait que vous aimiez et attendiez cette série en masse aide énormément aussi – ça nous aide à avoir un peu de marge de manœuvre pour tenter des trucs un peu fous. Merci.)

Parce que. Bon. Voilà.

Plutôt que vous faire encore des promesses, je vous propose qu’on fasse le point sur ce qui se passe en toute transparence. Note en passant : je travaille à plein temps sur ce bouquin, mais ma vie perso a exigé régulièrement plusieurs mois d’une attention soutenue pour : me marier, réaliser les démarches complexes de mon émigration en Australie, organiser et réaliser le tri des affaires d’une vie pour les envoyer là-bas, et m’établir ici. On ne soupçonne pas la quantité de choses qu’on peut pour acquises quand on est installé dans sa vie, du genre : avoir le bon câble de charge pour tel appareil (l’Australie utilise les prises de courant chinoises…), savoir comment l’on réalise telle démarche administrative, etc. Le bouquin a subi des retards à cause de ça aussi, mais à un moment, malgré mes meilleurs vœux, je ne suis pas énergie pure, et la vie doit vivre.

Donc, sous vos yeux ébahis, voici un aperçu du classeur Scrivener de « Les Dieux sauvages ».

La réalisation d’un texte de cette envergure passe environ par trois grandes étapes :

  1. La production du texte à proprement parler (duh), ce qui passe par l’idéation (on fait quoi ?), la construction (on le fait comment ?) et évidemment la rédaction.
  2. Les corrections personnelles : je reprends et évalue ce que j’ai fait, et lui donne une forme aussi finale que possible, avec intégration des retours des bêta-lecteurs.
  3. La correction éditoriale : j’ai accompli le meilleur effort possible, je passe maintenant ça à ma fantastique directrice d’ouvrage, Florence Bury, avec qui nous porterons le tout plus haut encore ensemble.

La Succession des Âges comporte 8 gros actes projetés. Pour pouvoir commencer à alimenter Florence en amont en raison de l’envergure invraisemblable du travail, j’ai fait une pause dans la rédaction à la fin de l’Acte VI pour effectuer mes corrections personnelles et terminer la rédaction en parallèle du retravail éditorial (ça paraît de la haute voltige comme ça, mais on l’a fait sur tous les tomes à partir du 2. C’est plus efficace comme ça). J’en suis là :

Les Actes I à V ont été rédigé et corrigés (étapes 1 et 2). Dans ce processus, le manuscrit a perdu près de 500 000 signes, soit l’équivalent de la moitié du tome 2, alors que j’ai rajouté des scènes… Un colossal travail de dégraissage, de concision, d’efficacité, de recentrage de l’énergie de l’intrigue. J’avoue que je ne suis pas peu fier d’avoir réussi ça.

L’Acte VI est rédigé, je dois le corriger (étape 2 en cours). C’est l’un des plus gros du bouquin à ce stade, et je sais qu’il a besoin de coupes et de recentrages sur les enjeux. Je sais aussi globalement où, donc y a pu qu’à.

Les Actes VI, VIII et les épilogues doivent encore être rédigés (étape 1). Sachant que, bien évidemment, je sais ce que je vais y faire… J’arrive à la fin que j’avais envisagée dès mes premières réflexions sur cette saga en… 2016. La majeure partie des fils possède déjà son architecture de détail, je sais l’ambiance que je vise, il reste des points de logistique à organiser, mais globalement, je vais surtout avoir affaire à une longue phase de rédaction finale (puis de correction personnelle).

Souvenirs, souvenirs.

Je sens aujourd’hui très clairement ce que j’appelle « l’appel d’air de la fin ». C’est-à-dire : la majeure partie des choses sont à présent décidées et figées ; la rédaction a depuis longtemps franchi le point de bascule où elle s’entraîne avec son propre élan. À l’échelle d’un projet aussi dingue, ça n’est pas aussi simple que laisser filer l’écriture – I wish – mais assurément, la dynamique du projet est dans sa phase de descente et d’atterrissage. La ligne d’arrivée, bien que lointaine, est en vue ; la complexité s’est suffisamment réduite pour pouvoir commencer à habiter tout entière dans ma mémoire de travail. Et, après le travail invraisemblable de ce livre et l’épuisement qu’il a déclenché en 2021, je vous avoue un immense soulagement.

Et donc, on continue.

Le manuscrit des cinq premiers actes annoté (en recto) et à présent corrigé (l’écart de ma main fait exactement 20 cm)…
… et l’Acte VI imprimé et annoté, prêt à la correction (imprimé en recto verso, par contre)
2024-11-14T04:24:27+01:00lundi 11 novembre 2024|À ne pas manquer, Journal|6 Commentaires

Le monde est différent. Nous pas.

Well, fuck.

John Scalzi

Je ne vais pas prétendre que j’ai une grande analyse profonde à vous proposer alors que le monde entier a la gueule de bois, que nous sommes innombrables à être terrifié·es du monde dans lequel nous nous réveillons aujourd’hui et de ce qui nous attend pour les quatre ans à venir.

Une pensée cruciale, cependant : il est indispensable de ne pas baisser les bras. Je sais qu’on en a tou·tes gros sur la patate, que le monde est vraiment très très compliqué, est-ce qu’on pourrait calmer un peu le manège un moment s’il vous plaît – il est sain et normal de se poser un peu avec ses émotions, d’accepter qu’on vient de prendre une brique sur le coin de la gueule et que ça fait mal, deux secondes, je dis aïeuh, je suis à vous dans un instant.

Cependant, la vie n’est pas finie, la civilisation n’est pas vaincue, le monde n’est pas mort. Je sais que c’est extrêmement tentant de penser ou de parler ainsi, parce qu’on en a marre, mais les mots ont du pouvoir, et si nous commençons à les dire, même de dégoût, ils finiront, à force, par prendre de la réalité. Nous créons notre environnement autant qu’il nous façonne.

That is very much how autocracies take hold. People get tired of fighting. Mass withdrawal from the public sphere is the foundation of autocracy.

https://talkingpointsmemo.com/edblog/status-check-before-midnight – emphase de mon fait

L’avenir peut sembler bouché, le monde épouvantable, et ils le sont à bien des degrés. Les droits de tout ce qui n’est pas hétéro, cis, homme, blanc et riche, l’équilibre géopolitique, le climat, tout ça se trouve en très réel danger. La colère envers les irresponsables qui ont voté pour un criminel fasciste est légitime. Mon cœur saigne pour tous les amis qui se trouvent là-bas et les innombrables personnes qui ne voulaient pas de lui.

Pour essayer de nous donner une lueur d’espoir, rappelons-nous que :

  • Dans les années 1950, le McCarthysme battait son plein avec l’existence d’un comité jugeant les activités anti-américaines (HUAC).
  • Dans les années 1960, la crise de la baie des Cochons a amené le monde au bord de la Troisième Guerre Mondiale.

Le monde a survécu, et ce qui passe pour notre civilisation aussi.

Ce n’est absolument pas pour minimiser et dire que tout ira bien – non, parce que l’élection de Trump et ses doctrines vont faire, et font déjà plus que ravages : des morts. Et ça n’est que le début. Mais sa présence n’est pas une fatalité, un signal d’extinction. L’humanité a déjà connu des crises graves, et elle est encore là, grâce à la décence, aux bonnes volontés, aux personnes courageuses qui ont gardé un compas moral.

La seule véritable catastrophe consiste à jeter l’éponge. Ne le faisons pas, où que nous soyons. Tou·tes, à notre échelle, nous devons résister, par la pensée, la parole et l’acte.

Et, en passant, l’une des leçons les plus immédiates et tellement faciles à retirer pour nous dans le reste du monde, c’est qu’il faut voter. Les extrémistes vont toujours aux urnes, et quelle que soit l’opinion qu’on pouvait avoir de Kamala Harris, la situation était claire : dans un cas, il y avait une candidate respectueuse du processus démocratique, des institutions de son pays, dans l’autre, un autocrate avéré, condamné plusieurs fois, leader d’une insurrection, qui cite Hitler tranquille.

Ce n’est pas la même salade. Du tout. Et si la France ou d’autres pays se trouvent confrontés à ce même genre de situation, j’espère que nous aurons collectivement la clairvoyance de le constater, quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir de « l’alternative ».

Les votes comptent. Les États-Unis vont endurer quatre ans (on espère que ça se limitera à ça) très douloureux, et le monde aussi, par voie de conséquence. Qu’il le veuille ou non, ce pays montre le chemin au monde: maintenant qu’ils ont fait cette erreur colossale, ne la faisons pas à notre tour. Et ça peut être, parfois, aussi décisif que bouger son cul en nombre pour éviter qu’une pure ordure se retrouve élue par défaut.

2024-11-07T06:14:36+01:00jeudi 7 novembre 2024|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

L’édition et l’imaginaire ne sont pas imperméables : à un moment, il faut se bouger

Au détour d’une conversation avec l’équipe d’Elbakin.net, j’apprends une nouvelle qui, comme disent les jeunes (ou peut-être déjà plus), me bute.

Leur podcast principal, qui a lancé des appels à candidatures il y a quelques mois (et vient de reprendre !), a reçu royalement le nombre suivant de candidatures :

Trois.

(J’écris cet article avec leur approbation pour communiquer le nombre, mais ils n’ont aucune idée de ce que j’écris et ne sont nullement associés à mes mots, même si, quand ils m’ont donné l’accord de donner le chiffre, j’ai senti de leur part un léger serrage de fesses, ayant probablement senti mes gros yeux à 17000 km de distance.)

Les gens, en fait les gens qui ne me lisent pas, donc c’est un peu ballot, mais bon, bref, les gens : il faut qu’on se parle. Cela fait à peu près une décennie, à la louche, que je lis des questions en ligne du genre : l’imaginaire c’est fermé on peut pas y rentrer, l’édition c’est super opaque, moi je veux bien faire du réseau mais comment je fais je connais personne, et d’ailleurs c’est la seule façon de publier hein, c’est connaître qui il faut –

Désolé, mais, à force

Mes amis, on le ressasse éternellement dans Procrastination, un auteur établi a été un jour un auteur débutant, tout le monde a fait le même parcours que vous, les temps changent mais pas tant que ça par certains côtés, et en plus, beaucoup (même si de moins en moins, le temps avance, tout ça) l’ont fait avant l’omniprésence d’Internet, soit sans le littéral débordement d’information qu’on y trouve (formations, articles, forums, des années de tables rondes captées entre autres par ActuSF, podcasts évidemment, etc.).

Mes amis, j’aurais donné très cher pour avoir accès à tout ça quand j’ai commencé et que – y a prescription, donc je l’avoue – j’imprimais des pages et des pages de ressources uniquement disponibles en anglais à la salle informatique de mon école à deux heures du matin en profitant qu’il n’y ait pas de quota.

Quand je lis ces bouteilles à la mer sur les réseaux et qu’en face, je vois que le podcast Elbakin.net, porté donc quand même par l’un des premiers sites de France, reçoit trois candidatures, j’ai vraiment du mal à comprendre. Okay, peut-être n’êtes-vous pas à l’aise avec le format (mais je vous dirais bien : dans mes années formatrices, j’avais envie de faire des trucs, d’écrire, d’apprendre, donc mon confort avec un format n’entrait pas en ligne de compte, ma réponse de base à « tu veux faire x ? » était : « oui » et je voyais après comment j’allais me tirer de ce guêpier), cependant ça n’est pas une occurrence isolée (voir l’anecdote avec mes étudiants citée dans l’article d’origine). Des occasions pour découvrir un métier et un milieu, des médias, il y en a plein d’autres (bénévolat en festival, blogging, revues amateur…)

Attention, je ne dis pas qu’il faut bosser gratuitement, le travail mérite rémunération ; mais quand on débute, qu’on est, par définition, un complet amateur, des occasions de faire des trucs chouettes au titre du loisir (on faisait des fanzines, autrefois, par exemple), ça existe, ce sont de super occasions d’apprendre, de faire, et c’est comme ça que les portes peuvent finir par s’ouvrir, juste parce que vous montrez enthousiasme, motivation et un début de compétence. (En parlant de portes, j’ai l’impression d’en avoir une énorme devant moi, totalement ouverte, et de l’avoir totalement défoncée, mais visiblement, ce n’est pas une évidence.)

Mes amis, s’investir et se construire, ça nécessite plus que poster une demi-question sur Threads et se réjouir de voir « ah ben je suis pas le seul à me demander ça, c’est quand même compliqué hein, emoji cœur sur toi avec les mains ». Bien sûr, la validation, c’est chouette, mais vous savez ce qui vous entraîne plus loin et vous permet d’atteindre vos buts et vos objectifs ?

L’absence de validation. Sortir de chez soi dans le vaste monde (qui n’est pas aussi dangereux qu’on l’imagine).

Être validé, c’est confortable, et c’est une nécessité humaine. Mais ce qui nous fait progresser, apprendre, évoluer, c’est justement ce qui ne nous valide pas ; ce qui nous met en situation d’inconfort et nous oblige à agir. Bien sûr, les deux sont nécessaires à une existence, et on préférera certains dans certains contextes (le soutien dans son entourage proche, par exemple), et tout le monde va chercher un équilibre différent à des moments différents. Toutefois, si votre vie n’est faite que de validation ou que de défi, je suis navré, mais il y a un souci quelque part.

Mes amis, dans une vie qui se veut créatrice, la peur et l’immobilisme ne peuvent pas vous gouverner. Désolé, mais la peur est comprise dedans. Ça n’est pas négociable. Ce que vous en faites, comment vous apprenez à la gérer, c’est ce qui fera la différence, et la bonne nouvelle, c’est que ça se travaille ! La mauvaise, c’est que personne ne le fera à votre place. Il n’y a pas, dans la création, de dû, d’occasion qui viendra frapper à votre porte sans que vous n’alliez d’abord à la découverte du monde, ni de récompense en corrélation avec le travail investi. Si vous raisonnez en termes de justice ou de rétribution, je vous le dis tout de suite, c’est fondamentalement injuste ; donc, arrêtez de penser ainsi et pensez plutôt à l’épanouissement offert par le chemin.

Faites-le parce que ça vous nourrit. Ou ne le faites pas. Il n’y a, justement, que des essais.

Ou encore, dans les mots immortel du roi Arthur :

Emoji cœur sur vous avec les mains.

2024-10-06T01:59:34+02:00mardi 8 octobre 2024|Best Of, Humeurs aqueuses|17 Commentaires

Procrastination est à présent disponible sur Deezer

Merci à l’équipe d’Elbakin.net qui, on le rappelle, assure la diffusion de Procrastination depuis neuf ans ! Vous l’avez demandé, et c’est maintenant le cas : le podcast est à présent disponible sur Deezer.

➡️ Procrastination sur Deezer : https://www.deezer.com/fr/show/1001277761

2024-10-02T02:57:01+02:00lundi 7 octobre 2024|À ne pas manquer, Humeurs aqueuses, Le monde du livre|Commentaires fermés sur Procrastination est à présent disponible sur Deezer

Le rapport à la distance en Australie

Reçu cette semaine un mail tout à fait anodin du consulat, annonçant l’ouverture d’une nouvelle antenne à Melbourne permettant la réalisation d’un certain nombre de démarches. C’est bienvenu, car autrement, il faut les faire à Sydney ou attendre une tournée consulaire (le bureau se déplace au fil de l’an d’une capitale d’État à l’autre, tel un cirque itinérant du formulaire Cerfa).

Le message stipule en passant que, si c’est plus pratique, tu peux continuer à faire tes démarches à Adelaide… 

… à 750 km d’ici.

Ce n’est pas une blague ni une bêtise, c’est normal. On parle souvent du rapport aux grands espaces des États-Unis, combien il est possible de conduire des heures sans jamais rencontrer personne, que le pays est taillé pour la voiture ou les vols intérieurs… 

Cela n’a rien à voir avec l’Australie.

Les États-Unis font environ 9,8 millions de km2 pour une population d’environ 330 millions de personnes. Par comparaison, l’Australie a une superficie de 7,7 km2… pour 26 millions de personnes. La densité de population est dix fois moindre.

Par comparaison, la France mesure 670 000 km2… pour une densité de population TRENTE fois supérieure à celle de l’Australie (plus de 100 contre… 3 habitants au km2).

Melbourne skyline
Melbourne Central Business District, sur la Yarra.

Ça n’est pas seulement parce que l’Australie comporte un énorme désert au beau milieu et que les deux centres de population principaux sont Melbourne et Sydney ; ce qui surprend réellement un Européen, c’est combien, partout, il n’y a juste rien. On peut traverser des centaines de kilomètres à travers des forêts en Western Australia sans tomber sur quoi que ce soit, alors qu’en France, on trouve un bled et trois rond-points (surtout trois rond-points) toutes les trois bornes. (Le plus comparable à ma connaissance en Occident serait le Canada.)

Le rapport à la distance et donc au temps s’étirent. À moins d’habiter dans les environs proches de Melbourne ou sur une ligne de train, le moindre déplacement exige de prendre la voiture ; nous habitons déjà trop loin du bled pour que la Poste nous livre le courrier. (Un jour, avant d’avoir une voiture, et impatient d’avoir le colis qui était arrivé, je suis descendu à la Poste à pied depuis la maison : 1h30 aller-retour. Ce jour-là, quand L. m’a demandé ce que j’avais fait de ma journée, j’ai répondu : « je suis allé à la Poste. ») Aller au cinéma ? 30’ de route, voire 1h pour l’IMAX. Faire un bowling ? 40’ de route. Tout cela est normal et extrêmement courant ; mais replacé en France, cela revient à habiter à Rennes et aller faire un bowling… à St-Malo. Quand j’ai passé mes niveaux de plongée, le seul centre offrant la formation qui m’intéressait était à Granville – habiter à Rennes et aller se former à Granville ? Quelle idée ! Mais prenant ma persona australienne, c’est devenu « seulement » une heure de route, un déplacement qu’ici, je fais parfois plusieurs fois par semaine juste pour aller faire un truc.

Wallaby

L’étirement de la population entraîne nécessairement un étirement des infrastructures ; dans notre banlieue de Melbourne, la 5G vient seulement d’arriver ; la « fibre » à l’australienne (NBN) est en réalité un ADSL glorifié (la fibre arrive quelque part dans le coin et tout le monde tire dessus, parce que tout est tellement étendu que cela ne semblait pas pertinent de fibrer chaque baraque1). Et nous sommes bien servis, avec 90 mégas réguliers (ce qui fera glousser sans aucun doute les citadins parmi vous). Tout est adapté à cet étirement : les coupures de courant dans les banlieues de Melbourne sont légion, surtout en cas de tempête : un site web permet de pister en temps réel l’état du réseau et l’heure (ou la date…) de retour estimée. Le risque de feu de forêt en été est extrêmement important et là aussi, des applications permettent de suivre l’évolution des feux ou de recevoir des instructions d’urgence du gouvernement local. Je suis en train d’écrire cet article avec un câble USB de 5m pour attraper du réseau mobile dans la maison, notre Internet fixe étant en rade en raison des vents violents de cette semaine.

La photo satellite de Melbourne montre à quel point, très rapidement, il n’y a juste… plus rien.

Échelle en bas à droite. Photo Google Maps.

Alors on prend les réflexes, petit à petit, sans s’en apercevoir. On organise son temps différemment, voir un film ou un concert devient l’occupation de tout l’après-midi. On fait le plein de sa voiture largement avant d’approcher la réserve (les pompes automatiques 24/24 n’existent pas en-dehors des grands centres de population). On télécharge cartes routières et musique en avance parce qu’on ne peut pas compter sur le réseau cellulaire hors des villes. On s’assure de bien avoir un Melway (atlas routier de Melbourne) dans la voiture en cas d’urgence, si le réseau mobile devient indisponible.

Rentrer en France me montre combien le rapport à l’espace est, bien sûr, fonction du temps, mais aussi du médium de transport. La France est suprêmement bien desservie en train, mais la complexité nécessaire du réseau hyperlocal des transports (métro, bus) engloutit en même temps des parenthèses de temps vide en correspondances, attentes, changements qui deviennent ici plus rares. Impossible ici de se poser dans un train et bosser quelques heures pour aller quelque part, mais la quasi inexistence des autoroutes ou quatre voies rend le moindre déplacement d’envergure à la fois long et intéressant. La nature et la route sont omniprésentes, le moindre café te propose toujours de prendre ta commande « here or take away » parce que tout le monde peut être au milieu d’un road trip, même s’il s’agit juste d’un artisan faisant 30km pour son prochain chantier. Tu es en rade avec ta voiture planté sur le bord de la route, tout le monde s’arrêtera pour te proposer de l’aide, parce que, par défaut, tu es loin de tout, et ça peut vite devenir compliqué. Prendre un vol intérieur avec Qantas est à peine plus compliqué que le TGV en France. Alors que la Boîte à Pizza de Rennes Sud refusait de me livrer à Rennes Ouest parce que « j’étais beaucoup trop loin », la pizzeria du coin australienne, c’est la pizzeria qui se trouve à deux bleds de toi. Les supermarchés livrent à peu près partout, parce que si on ne livre pas partout, on ne livre personne2.

Et quand tu reviens à Roissy et que tu remets le pied dehors pour la première fois, il devient inévitable de penser : « waouh, les gens sont vénères, ici… »

Plus de photos australiennes sur Flickr.

Vanishing point
  1. Ce qui est en train de revenir mordre le pays, d’ailleurs – le déploiement du NBN est un désastre politique.
  2. Le rapport à l’espace doit quand même être modéré par rapport à une crise du logement absurde – avec tant de place, on ne devrait pas manquer à habiter – et pourtant, c’est le cas, pour des raisons trop complexes à détailler ici et que, pour être honnête, je ne crois pas maîtriser de toute façon.
2024-09-04T02:29:40+02:00mercredi 4 septembre 2024|Carnets de voyage|3 Commentaires

L’administratif des artistes-auteurs en France est d’une complexité scandaleusement absurde (ou : c’est infiniment plus facile d’être auteur francophone à l’étranger)

Je suis maintenant posé en Australie depuis un moment, j’ai effectué mon premier tax return, j’ai reçu mes droits d’auteur, j’ai facturé des interventions avec la France et le monde, et j’ai donc un peu de recul sur la manière dont ça fonctionne entre les deux pays.

Et la France est d’une complexité absurde qui touche au criminel. Je n’emploie pas ce mot à la légère : d’une part, une langue n’est aussi solide que la santé des industries culturelles correspondantes (regardez le rayonnement de l’anglais américain), d’autre part, l’immense majorité des artistes-auteurs touchent des clopinettes (41% d’entre eux ne dégagent pas un SMIC). En gros, on emmerde des gens qui galèrent déjà à se payer correctement avec des litiges sur des dizaines d’euros et un système d’une complexité abyssale qui ne les protège même pas correctement (l’AGESSA a, de triste mémoire, « perdu » les cotisations retraite de dizaines de milliers de personnes).

Le système français (beaucoup trop court résumé)

Dans le cas le plus général, être auteur en France implique des cotisations retenues à la source sur les droits d’auteur, revenus qu’il faut déclarer tous les ans avec ses revenus (OK). Mais aussi, il faut faire une seconde déclaration à l’URSSAF Limousin qui vérifie que tous les chiffres sont bons. Et quand ils ne le sont pas, va comprendre où ça coince.

Les interventions et les ateliers d’écriture se facturent avec un régime légèrement différent, nécessitant aujourd’hui un SIRET d’artiste-auteur, dont la déclaration est tellement compliquée que les organismes de défense des droits doivent publier des guides à suivre à la lettre. Mes droits d’auteur sont-ils des traitements et salaires ? Des bénéfices non commerciaux ? Dois-je retenir ou facturer la TVA ? Est-ce que la CSG déplafonnée est encore prise en charge par la SOFIA ? Et si je donne des ateliers d’écriture ? C’est une activité accessoire, dans la limite de 5 par an, donnés dans les locaux de l’auteur (!). Un sixième ? Ah non, c’est interdit.

Puis vient la retraite complémentaire obligatoire (ouais, je sais), ponctionnée à obligatoirement 8%, à moins que l’artiste-auteur ne décline ce prélèvement impérativement avant l’automne, à une hauteur corrélée aux droits qu’il a touchés, sinon il paie plein pot.

Tout ça, on le rappelle, pour une profession globalement précaire qui se bat de toute manière pour trois francs six sous.

Je veux dire, regardez la section fiches fiscales-comptabilité de la Ligue des Auteurs Professionnels (qu’elle soit mille fois bénie pour son travail). C’est beau comme du Lacan : je comprends les mots individuellement, mais la phrase entière échappe à tous sens intelligible :

Extrait choisi au hasard :

La partie versante est tenue de détenir et d’honorer la facture en bonne et due forme établie par l’artiste-auteur :

  • Si l’artiste-auteur facture avec TVA, le montant à régler est toute taxe comprise (TTC).
  • Si l’artiste-auteur est en franchise en base de TVA, le montant à régler correspond au montant sans TVA. Sa facture doit obligatoirement mentionner : « TVA non applicable article 293 B du code des impôts ».
https://ligue.auteurs.pro/fiches/7253/

Un interlude : une conversation avec ma banquière australienne

Conscient de la complexité française et avec ma naïveté, oserais-je dire, charmante, j’ai eu la conversation ci-dessous avec ma banquière australienne il y a quelques années maintenant tandis que son chef validait mon état-civil (puisque j’ouvrais un compte en tant qu’étranger, il fallait s’assurer que je n’étais pas un trafiquant de poneys magiques de contrebande).

Moi : Au fait, je me demandais, puisqu’on attend, je suis artiste-auteur, vous savez comment ça fonctionne en Australie, pour les revenus des droits d’auteur et des interventions ?

Elle : Vous les déclarez.

Moi : Ahaha, lol, oui, j’imagine, mais au niveau du régime, des facturations, des pourcentages, de la TVA, des activités autorisées, vous savez comment ça marche ?

Elle, me regardant comme un demeuré : Oui, vous les déclarez tous les ans dans votre tax return avec vos autres revenus, à partir de là on regarde combien vous avez gagné, et on vous impose en conséquence.

Moi : Euh, vous me décrivez le régime général de l’impôt sur le revenu, là. Mais, je veux dire, pour…

Elle : Ben oui, le régime général des impôts. Vous voudriez quoi d’autre ?

Moi, comprenant le fossé d’incompréhension culturelle qui vient de se former : Ahaha bis, c’est que je suis français, vous comprenez, chez nous c’est un peu plus compliqué… 

Elle, me lançant un regard en biais, ultra sérieuse : Ah, oui, j’ai eu quelqu’un comme vous il y a quelques années. Il paraît que chez vous, vous avez même l’impôt sur la télé.

… J’ai toujours été plutôt favorable à la redevance pour financer l’audiovisuel culturel national, mais je peux comprendre la vision des choses. L’impôt sur la télé. Wahou.

Comment ça se passe en Australie

Auguste lectorat, en tant que français d’origine, ayant effectué mon activité des années sur le sol français, je vais t’avouer un truc : je n’ai jamais entièrement pigé le système. J’avais la chance d’obtenir l’aide de ma chère maman experte comptable à la retraite qui, elle-même, se grattait parfois le scalp avec perplexité dans le but de comprendre quelque missive absconse de l’administration.

Par comparaison, j’ai pigé le système australien en un quart d’heure. En résumé :

  • Tout le monde a le même système.
  • Tout le monde est imposé sur la grille générale des impôts.

C’est tout. Je suis un artiste-auteur comme je serais un plombier, un charpentier, une infirmière à domicile ou un prof de yoga.

Tout le monde peut ouvrir un Australian Business Number (équivalent SIRET) sur n’importe quelle activité. La philosophie est : tu veux bosser, gagner des sous et les déclarer pour payer des impôts ? On ne va peut-être quand même pas te faire chier, non ? Ah OK, très bien.

En tant que sole trader, tu factures librement, sans obligation de tenir la moindre compta, de payer la moindre charge : tu déclares ça avec tes revenus de l’année, sur lesquels on t’impose, et tu peux décompter 30% de tous tes frais professionnels. Tu travailles de chez toi ? Tu peux déduire 67 cents de l’heure au titre d’Internet / électricité / chauffage. Et on t’impose sur l’ensemble de ce que tu as touché. Merci, bonsoir1. La plupart des gens (dont ma pomme) confient tout ça à un tax agent, dépense qui entre aussi dans mes frais pro, qui est l’interlocuteur avec l’Australian Taxation Office. J’ai juste à lui transmettre mes factures. Il fait tout.

Point. Barre.

Un ABN peut contenir jusqu’à trois objets (dans mon cas, auteur, musique et développement logiciel). Un peu inquiet de la complexité française, j’envoie un jour à mon tax agent une demande : je donne aussi parfois des des ateliers d’écriture, et à présent des conférences, comment ça s’organise avec l’objet « auteur » ? Je peux le faire aussi ?

Réponse : tu es auteur, évidemment qu’on se doute que tu as des activités annexes, évidemment que tu as des activités publiques, évidemment que c’est couvert dedans. Duh.

Ahaha, non mais vous voyez, l’impôt sur la télé… OK, je me tais.

Demander et obtenir mon ABN a juste pris le temps de remplir le formulaire. Je l’ai obtenu directement en ligne (au lieu de nécessiter un putain de courrier envoyé avec quinze jours de délai comme si on était encore en 1970).

Je donne maintenant des conférences et des ateliers avec les USA : alors qu’en France, je n’aurais eu aucune idée de la manière de facturer ça, je facture ici comme je facture tout le monde – sur mon ABN, et ça finit dans mes impôts. C’est tout. Je les paie avec joie, et je suis heureux de prendre tous les contrats qu’on me donne, même les petits, parce que je sais où ça va dans mon admin, la rédiger prend cinq minutes, envoi de mail inclus.

OuI MaIs lE sSYtèME sOciAl FrAnçAIs

OK, c’est vrai que la France présente (encore pour l’instant) un système social qui demeure un modèle du genre, et ça exige des cotisations – la Sécurité Sociale en première ligne. Cependant, l’Australie n’est pas non plus les USA, et le système social français ne justifie pas toutes ces complications. Je dirais même qu’à ce stade, nous avons atteint un tel degré labyrinthique que la société française perd collectivement une énergie absurde qui serait mieux investie dans des activités réelles de production ou de service. (Bosser et/ou aider les gens au lieu de remplir des formulaires, puis de comprendre pourquoi ils ont été mal remplis.) Non, la complexité administrative n’est pas une exigence nécessaire à la présence d’un système social digne de ce nom, quoi qu’on en dise.

En Australie, tout citoyen et résident permanent bénéficie de Medicare (rien à voir avec la version américaine) qui, en résumé, prend en charge l’intégralité des frais de santé d’urgence et de long terme menaçant la vie de la personne (je résume). En gros, si tu te fais renverser dans la rue, tu iras à l’hôpital et on te traitera sans se préoccuper de ton assurance, et tu ne recevras pas une facture astronomique. C’est pris en charge, quelle que soit la dépense2.

Et la retraite ? C’est une retraite par cotisation, ce qui signifie que je dois cotiser à ma superannuation et que j’en suis responsable. C’est simplement obligatoire pour tout salarié (une retenue à la source avec les impôts). Pour moi, en tant qu’indépendant, puisque je touche directement mes revenus, personne ne peut me forcer à cotiser, mais c’est là que ça touche au génie : tous les ans, au lieu de payer les impôts que je dois, je peux simplement dire « en fait, vous savez quoi, cette somme, je la mets de côté sur mon plan épargne retraite à la place3« .

En conclusion

Le constat est clair : il m’est plus facile d’être auteur francophone vivant à l’étranger qu’en France. Et si je suis ravi d’être dans cette situation, je suis désolé, mais ça n’est pas du tout normal, surtout que le pays ne cesse de se regorger du rayonnement de la francophonie et de ses industries culturelles. Pardon, mais les industries culturelles, elles sont d’abord composées de gens extrêmement précaires qui ont besoin de vivre et de fonctionner.

Ignorer cette réalité la conduira, la conduit déjà, à une érosion constante et une disparition programmée (voir cet article). Que fait la Chine, quand elle pousse ses auteurs à l’international ? Elle travaille son soft power, ce que la France ne fait pas : elle reste, pour prendre cette merveilleuse expression québécoise, assise sur son steak, en s’imaginant que la réputation de Lavoisier est bien assez suffisante pour maintenir son influence à l’étranger. Je vois de plus en plus de jeunes auteurs faire le choix de l’anglais comme langue de travail, et ça me fend le cœur, mais putain, je les comprends. Un collègue lui aussi à l’étranger vient de me dire la semaine dernière : « c’est trop compliqué de bosser avec la France, je vais arrêter. » Soit : ça ne vaut pas le coup.

HELLOOOO IL FAUT FAIRE UN TRUC LÀÀÀÀÀ

  1. Tu es tenu de facturer la TVA à partir de 75 000 $ de CA annuel, mais si j’atteins ce chiffre, je serai ravi de la payer.
  2. Bien sûr, au quotidien c’est quand même moins bien qu’en France, le périmètre est plus faible, le remboursement des médicaments inférieur, mais je préfère la simplicité administrative qui va avec, parce que le temps et l’énergie, mes amis, c’est aussi un coût, cf plus haut.
  3. En toute rigueur, l’ATO prend quand même 15% au passage, mais ça signifie quand même que je paie seulement QUINZE POURCENT de mes impôts, le reste allant sur un plan d’épargne qui m’appartient et qui, dans l’intervalle, est quand même réinjecté dans l’économie.
2024-09-01T03:46:10+02:00lundi 2 septembre 2024|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

À nouveau la tempête, en images

De retour d’une petite escapade de vacances bien méritée, nous avons eu la chance de passer entre les gouttes – ou plus exactement avant les grêlons gros comme des balles de golf. Reprise du boulot en douceur forcée, du coup, sans courant à nouveau à la maison, mais ça devrait revenir d’ici la fin de journée (ce qui n’est pas si pire comparé à ce que ça peut être). On prend l’habitude, mais cette fois, de jolies images pour aller avec :

2024-08-26T06:37:56+02:00lundi 26 août 2024|Journal|Commentaires fermés sur À nouveau la tempête, en images
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