Le rapport à la distance en Australie

Reçu cette semaine un mail tout à fait anodin du consulat, annonçant l’ouverture d’une nouvelle antenne à Melbourne permettant la réalisation d’un certain nombre de démarches. C’est bienvenu, car autrement, il faut les faire à Sydney ou attendre une tournée consulaire (le bureau se déplace au fil de l’an d’une capitale d’État à l’autre, tel un cirque itinérant du formulaire Cerfa).

Le message stipule en passant que, si c’est plus pratique, tu peux continuer à faire tes démarches à Adelaide… 

… à 750 km d’ici.

Ce n’est pas une blague ni une bêtise, c’est normal. On parle souvent du rapport aux grands espaces des États-Unis, combien il est possible de conduire des heures sans jamais rencontrer personne, que le pays est taillé pour la voiture ou les vols intérieurs… 

Cela n’a rien à voir avec l’Australie.

Les États-Unis font environ 9,8 millions de km2 pour une population d’environ 330 millions de personnes. Par comparaison, l’Australie a une superficie de 7,7 km2… pour 26 millions de personnes. La densité de population est dix fois moindre.

Par comparaison, la France mesure 670 000 km2… pour une densité de population TRENTE fois supérieure à celle de l’Australie (plus de 100 contre… 3 habitants au km2).

Melbourne skyline
Melbourne Central Business District, sur la Yarra.

Ça n’est pas seulement parce que l’Australie comporte un énorme désert au beau milieu et que les deux centres de population principaux sont Melbourne et Sydney ; ce qui surprend réellement un Européen, c’est combien, partout, il n’y a juste rien. On peut traverser des centaines de kilomètres à travers des forêts en Western Australia sans tomber sur quoi que ce soit, alors qu’en France, on trouve un bled et trois rond-points (surtout trois rond-points) toutes les trois bornes. (Le plus comparable à ma connaissance en Occident serait le Canada.)

Le rapport à la distance et donc au temps s’étirent. À moins d’habiter dans les environs proches de Melbourne ou sur une ligne de train, le moindre déplacement exige de prendre la voiture ; nous habitons déjà trop loin du bled pour que la Poste nous livre le courrier. (Un jour, avant d’avoir une voiture, et impatient d’avoir le colis qui était arrivé, je suis descendu à la Poste à pied depuis la maison : 1h30 aller-retour. Ce jour-là, quand L. m’a demandé ce que j’avais fait de ma journée, j’ai répondu : « je suis allé à la Poste. ») Aller au cinéma ? 30’ de route, voire 1h pour l’IMAX. Faire un bowling ? 40’ de route. Tout cela est normal et extrêmement courant ; mais replacé en France, cela revient à habiter à Rennes et aller faire un bowling… à St-Malo. Quand j’ai passé mes niveaux de plongée, le seul centre offrant la formation qui m’intéressait était à Granville – habiter à Rennes et aller se former à Granville ? Quelle idée ! Mais prenant ma persona australienne, c’est devenu « seulement » une heure de route, un déplacement qu’ici, je fais parfois plusieurs fois par semaine juste pour aller faire un truc.

Wallaby

L’étirement de la population entraîne nécessairement un étirement des infrastructures ; dans notre banlieue de Melbourne, la 5G vient seulement d’arriver ; la « fibre » à l’australienne (NBN) est en réalité un ADSL glorifié (la fibre arrive quelque part dans le coin et tout le monde tire dessus, parce que tout est tellement étendu que cela ne semblait pas pertinent de fibrer chaque baraque1). Et nous sommes bien servis, avec 90 mégas réguliers (ce qui fera glousser sans aucun doute les citadins parmi vous). Tout est adapté à cet étirement : les coupures de courant dans les banlieues de Melbourne sont légion, surtout en cas de tempête : un site web permet de pister en temps réel l’état du réseau et l’heure (ou la date…) de retour estimée. Le risque de feu de forêt en été est extrêmement important et là aussi, des applications permettent de suivre l’évolution des feux ou de recevoir des instructions d’urgence du gouvernement local. Je suis en train d’écrire cet article avec un câble USB de 5m pour attraper du réseau mobile dans la maison, notre Internet fixe étant en rade en raison des vents violents de cette semaine.

La photo satellite de Melbourne montre à quel point, très rapidement, il n’y a juste… plus rien.

Échelle en bas à droite. Photo Google Maps.

Alors on prend les réflexes, petit à petit, sans s’en apercevoir. On organise son temps différemment, voir un film ou un concert devient l’occupation de tout l’après-midi. On fait le plein de sa voiture largement avant d’approcher la réserve (les pompes automatiques 24/24 n’existent pas en-dehors des grands centres de population). On télécharge cartes routières et musique en avance parce qu’on ne peut pas compter sur le réseau cellulaire hors des villes. On s’assure de bien avoir un Melway (atlas routier de Melbourne) dans la voiture en cas d’urgence, si le réseau mobile devient indisponible.

Rentrer en France me montre combien le rapport à l’espace est, bien sûr, fonction du temps, mais aussi du médium de transport. La France est suprêmement bien desservie en train, mais la complexité nécessaire du réseau hyperlocal des transports (métro, bus) engloutit en même temps des parenthèses de temps vide en correspondances, attentes, changements qui deviennent ici plus rares. Impossible ici de se poser dans un train et bosser quelques heures pour aller quelque part, mais la quasi inexistence des autoroutes ou quatre voies rend le moindre déplacement d’envergure à la fois long et intéressant. La nature et la route sont omniprésentes, le moindre café te propose toujours de prendre ta commande « here or take away » parce que tout le monde peut être au milieu d’un road trip, même s’il s’agit juste d’un artisan faisant 30km pour son prochain chantier. Tu es en rade avec ta voiture planté sur le bord de la route, tout le monde s’arrêtera pour te proposer de l’aide, parce que, par défaut, tu es loin de tout, et ça peut vite devenir compliqué. Prendre un vol intérieur avec Qantas est à peine plus compliqué que le TGV en France. Alors que la Boîte à Pizza de Rennes Sud refusait de me livrer à Rennes Ouest parce que « j’étais beaucoup trop loin », la pizzeria du coin australienne, c’est la pizzeria qui se trouve à deux bleds de toi. Les supermarchés livrent à peu près partout, parce que si on ne livre pas partout, on ne livre personne2.

Et quand tu reviens à Roissy et que tu remets le pied dehors pour la première fois, il devient inévitable de penser : « waouh, les gens sont vénères, ici… »

Plus de photos australiennes sur Flickr.

Vanishing point
  1. Ce qui est en train de revenir mordre le pays, d’ailleurs – le déploiement du NBN est un désastre politique.
  2. Le rapport à l’espace doit quand même être modéré par rapport à une crise du logement absurde – avec tant de place, on ne devrait pas manquer à habiter – et pourtant, c’est le cas, pour des raisons trop complexes à détailler ici et que, pour être honnête, je ne crois pas maîtriser de toute façon.
2024-09-04T02:29:40+02:00mercredi 4 septembre 2024|Carnets de voyage|3 Commentaires

L’administratif des artistes-auteurs en France est d’une complexité scandaleusement absurde (ou : c’est infiniment plus facile d’être auteur francophone à l’étranger)

Je suis maintenant posé en Australie depuis un moment, j’ai effectué mon premier tax return, j’ai reçu mes droits d’auteur, j’ai facturé des interventions avec la France et le monde, et j’ai donc un peu de recul sur la manière dont ça fonctionne entre les deux pays.

Et la France est d’une complexité absurde qui touche au criminel. Je n’emploie pas ce mot à la légère : d’une part, une langue n’est aussi solide que la santé des industries culturelles correspondantes (regardez le rayonnement de l’anglais américain), d’autre part, l’immense majorité des artistes-auteurs touchent des clopinettes (41% d’entre eux ne dégagent pas un SMIC). En gros, on emmerde des gens qui galèrent déjà à se payer correctement avec des litiges sur des dizaines d’euros et un système d’une complexité abyssale qui ne les protège même pas correctement (l’AGESSA a, de triste mémoire, « perdu » les cotisations retraite de dizaines de milliers de personnes).

Le système français (beaucoup trop court résumé)

Dans le cas le plus général, être auteur en France implique des cotisations retenues à la source sur les droits d’auteur, revenus qu’il faut déclarer tous les ans avec ses revenus (OK). Mais aussi, il faut faire une seconde déclaration à l’URSSAF Limousin qui vérifie que tous les chiffres sont bons. Et quand ils ne le sont pas, va comprendre où ça coince.

Les interventions et les ateliers d’écriture se facturent avec un régime légèrement différent, nécessitant aujourd’hui un SIRET d’artiste-auteur, dont la déclaration est tellement compliquée que les organismes de défense des droits doivent publier des guides à suivre à la lettre. Mes droits d’auteur sont-ils des traitements et salaires ? Des bénéfices non commerciaux ? Dois-je retenir ou facturer la TVA ? Est-ce que la CSG déplafonnée est encore prise en charge par la SOFIA ? Et si je donne des ateliers d’écriture ? C’est une activité accessoire, dans la limite de 5 par an, donnés dans les locaux de l’auteur (!). Un sixième ? Ah non, c’est interdit.

Puis vient la retraite complémentaire obligatoire (ouais, je sais), ponctionnée à obligatoirement 8%, à moins que l’artiste-auteur ne décline ce prélèvement impérativement avant l’automne, à une hauteur corrélée aux droits qu’il a touchés, sinon il paie plein pot.

Tout ça, on le rappelle, pour une profession globalement précaire qui se bat de toute manière pour trois francs six sous.

Je veux dire, regardez la section fiches fiscales-comptabilité de la Ligue des Auteurs Professionnels (qu’elle soit mille fois bénie pour son travail). C’est beau comme du Lacan : je comprends les mots individuellement, mais la phrase entière échappe à tous sens intelligible :

Extrait choisi au hasard :

La partie versante est tenue de détenir et d’honorer la facture en bonne et due forme établie par l’artiste-auteur :

  • Si l’artiste-auteur facture avec TVA, le montant à régler est toute taxe comprise (TTC).
  • Si l’artiste-auteur est en franchise en base de TVA, le montant à régler correspond au montant sans TVA. Sa facture doit obligatoirement mentionner : « TVA non applicable article 293 B du code des impôts ».
https://ligue.auteurs.pro/fiches/7253/

Un interlude : une conversation avec ma banquière australienne

Conscient de la complexité française et avec ma naïveté, oserais-je dire, charmante, j’ai eu la conversation ci-dessous avec ma banquière australienne il y a quelques années maintenant tandis que son chef validait mon état-civil (puisque j’ouvrais un compte en tant qu’étranger, il fallait s’assurer que je n’étais pas un trafiquant de poneys magiques de contrebande).

Moi : Au fait, je me demandais, puisqu’on attend, je suis artiste-auteur, vous savez comment ça fonctionne en Australie, pour les revenus des droits d’auteur et des interventions ?

Elle : Vous les déclarez.

Moi : Ahaha, lol, oui, j’imagine, mais au niveau du régime, des facturations, des pourcentages, de la TVA, des activités autorisées, vous savez comment ça marche ?

Elle, me regardant comme un demeuré : Oui, vous les déclarez tous les ans dans votre tax return avec vos autres revenus, à partir de là on regarde combien vous avez gagné, et on vous impose en conséquence.

Moi : Euh, vous me décrivez le régime général de l’impôt sur le revenu, là. Mais, je veux dire, pour…

Elle : Ben oui, le régime général des impôts. Vous voudriez quoi d’autre ?

Moi, comprenant le fossé d’incompréhension culturelle qui vient de se former : Ahaha bis, c’est que je suis français, vous comprenez, chez nous c’est un peu plus compliqué… 

Elle, me lançant un regard en biais, ultra sérieuse : Ah, oui, j’ai eu quelqu’un comme vous il y a quelques années. Il paraît que chez vous, vous avez même l’impôt sur la télé.

… J’ai toujours été plutôt favorable à la redevance pour financer l’audiovisuel culturel national, mais je peux comprendre la vision des choses. L’impôt sur la télé. Wahou.

Comment ça se passe en Australie

Auguste lectorat, en tant que français d’origine, ayant effectué mon activité des années sur le sol français, je vais t’avouer un truc : je n’ai jamais entièrement pigé le système. J’avais la chance d’obtenir l’aide de ma chère maman experte comptable à la retraite qui, elle-même, se grattait parfois le scalp avec perplexité dans le but de comprendre quelque missive absconse de l’administration.

Par comparaison, j’ai pigé le système australien en un quart d’heure. En résumé :

  • Tout le monde a le même système.
  • Tout le monde est imposé sur la grille générale des impôts.

C’est tout. Je suis un artiste-auteur comme je serais un plombier, un charpentier, une infirmière à domicile ou un prof de yoga.

Tout le monde peut ouvrir un Australian Business Number (équivalent SIRET) sur n’importe quelle activité. La philosophie est : tu veux bosser, gagner des sous et les déclarer pour payer des impôts ? On ne va peut-être quand même pas te faire chier, non ? Ah OK, très bien.

En tant que sole trader, tu factures librement, sans obligation de tenir la moindre compta, de payer la moindre charge : tu déclares ça avec tes revenus de l’année, sur lesquels on t’impose, et tu peux décompter 30% de tous tes frais professionnels. Tu travailles de chez toi ? Tu peux déduire 67 cents de l’heure au titre d’Internet / électricité / chauffage. Et on t’impose sur l’ensemble de ce que tu as touché. Merci, bonsoir1. La plupart des gens (dont ma pomme) confient tout ça à un tax agent, dépense qui entre aussi dans mes frais pro, qui est l’interlocuteur avec l’Australian Taxation Office. J’ai juste à lui transmettre mes factures. Il fait tout.

Point. Barre.

Un ABN peut contenir jusqu’à trois objets (dans mon cas, auteur, musique et développement logiciel). Un peu inquiet de la complexité française, j’envoie un jour à mon tax agent une demande : je donne aussi parfois des des ateliers d’écriture, et à présent des conférences, comment ça s’organise avec l’objet « auteur » ? Je peux le faire aussi ?

Réponse : tu es auteur, évidemment qu’on se doute que tu as des activités annexes, évidemment que tu as des activités publiques, évidemment que c’est couvert dedans. Duh.

Ahaha, non mais vous voyez, l’impôt sur la télé… OK, je me tais.

Demander et obtenir mon ABN a juste pris le temps de remplir le formulaire. Je l’ai obtenu directement en ligne (au lieu de nécessiter un putain de courrier envoyé avec quinze jours de délai comme si on était encore en 1970).

Je donne maintenant des conférences et des ateliers avec les USA : alors qu’en France, je n’aurais eu aucune idée de la manière de facturer ça, je facture ici comme je facture tout le monde – sur mon ABN, et ça finit dans mes impôts. C’est tout. Je les paie avec joie, et je suis heureux de prendre tous les contrats qu’on me donne, même les petits, parce que je sais où ça va dans mon admin, la rédiger prend cinq minutes, envoi de mail inclus.

OuI MaIs lE sSYtèME sOciAl FrAnçAIs

OK, c’est vrai que la France présente (encore pour l’instant) un système social qui demeure un modèle du genre, et ça exige des cotisations – la Sécurité Sociale en première ligne. Cependant, l’Australie n’est pas non plus les USA, et le système social français ne justifie pas toutes ces complications. Je dirais même qu’à ce stade, nous avons atteint un tel degré labyrinthique que la société française perd collectivement une énergie absurde qui serait mieux investie dans des activités réelles de production ou de service. (Bosser et/ou aider les gens au lieu de remplir des formulaires, puis de comprendre pourquoi ils ont été mal remplis.) Non, la complexité administrative n’est pas une exigence nécessaire à la présence d’un système social digne de ce nom, quoi qu’on en dise.

En Australie, tout citoyen et résident permanent bénéficie de Medicare (rien à voir avec la version américaine) qui, en résumé, prend en charge l’intégralité des frais de santé d’urgence et de long terme menaçant la vie de la personne (je résume). En gros, si tu te fais renverser dans la rue, tu iras à l’hôpital et on te traitera sans se préoccuper de ton assurance, et tu ne recevras pas une facture astronomique. C’est pris en charge, quelle que soit la dépense2.

Et la retraite ? C’est une retraite par cotisation, ce qui signifie que je dois cotiser à ma superannuation et que j’en suis responsable. C’est simplement obligatoire pour tout salarié (une retenue à la source avec les impôts). Pour moi, en tant qu’indépendant, puisque je touche directement mes revenus, personne ne peut me forcer à cotiser, mais c’est là que ça touche au génie : tous les ans, au lieu de payer les impôts que je dois, je peux simplement dire « en fait, vous savez quoi, cette somme, je la mets de côté sur mon plan épargne retraite à la place3« .

En conclusion

Le constat est clair : il m’est plus facile d’être auteur francophone vivant à l’étranger qu’en France. Et si je suis ravi d’être dans cette situation, je suis désolé, mais ça n’est pas du tout normal, surtout que le pays ne cesse de se regorger du rayonnement de la francophonie et de ses industries culturelles. Pardon, mais les industries culturelles, elles sont d’abord composées de gens extrêmement précaires qui ont besoin de vivre et de fonctionner.

Ignorer cette réalité la conduira, la conduit déjà, à une érosion constante et une disparition programmée (voir cet article). Que fait la Chine, quand elle pousse ses auteurs à l’international ? Elle travaille son soft power, ce que la France ne fait pas : elle reste, pour prendre cette merveilleuse expression québécoise, assise sur son steak, en s’imaginant que la réputation de Lavoisier est bien assez suffisante pour maintenir son influence à l’étranger. Je vois de plus en plus de jeunes auteurs faire le choix de l’anglais comme langue de travail, et ça me fend le cœur, mais putain, je les comprends. Un collègue lui aussi à l’étranger vient de me dire la semaine dernière : « c’est trop compliqué de bosser avec la France, je vais arrêter. » Soit : ça ne vaut pas le coup.

HELLOOOO IL FAUT FAIRE UN TRUC LÀÀÀÀÀ

  1. Tu es tenu de facturer la TVA à partir de 75 000 $ de CA annuel, mais si j’atteins ce chiffre, je serai ravi de la payer.
  2. Bien sûr, au quotidien c’est quand même moins bien qu’en France, le périmètre est plus faible, le remboursement des médicaments inférieur, mais je préfère la simplicité administrative qui va avec, parce que le temps et l’énergie, mes amis, c’est aussi un coût, cf plus haut.
  3. En toute rigueur, l’ATO prend quand même 15% au passage, mais ça signifie quand même que je paie seulement QUINZE POURCENT de mes impôts, le reste allant sur un plan d’épargne qui m’appartient et qui, dans l’intervalle, est quand même réinjecté dans l’économie.
2024-09-01T03:46:10+02:00lundi 2 septembre 2024|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

À nouveau la tempête, en images

De retour d’une petite escapade de vacances bien méritée, nous avons eu la chance de passer entre les gouttes – ou plus exactement avant les grêlons gros comme des balles de golf. Reprise du boulot en douceur forcée, du coup, sans courant à nouveau à la maison, mais ça devrait revenir d’ici la fin de journée (ce qui n’est pas si pire comparé à ce que ça peut être). On prend l’habitude, mais cette fois, de jolies images pour aller avec :

2024-08-26T06:37:56+02:00lundi 26 août 2024|Journal|Commentaires fermés sur À nouveau la tempête, en images

Parce que ce n’était pas assez compliqué, l’URSSAF Limousin refuse à présent les connexions de l’étranger et recommande… un VPN

J’ai attendu un petit moment en me disant, ah, ils vont revenir à leurs sens, ça ne peut pas être aussi ridicule, mais testé la semaine dernière, et c’est toujours le cas.

Retour rapide : parti vivre en Australie, sorti du système administratif français, il me reste évidemment quelques obligations à solder, dont la redoutée déclaration artiste-auteur URSSAF Limousin (j’ai fait la dernière cette année, hosanna sur terre et dans les cieux). Si vous ne savez pas de quoi il s’agit, vous avez bien de la chance :

  • On écrit un livre, publié par une maison d’édition.
  • La maison d’édition verse des droits d’auteur usuellement annuels, sur lesquels sont retenues diverses cotisations, et fournit un justificatif de ce précompte.
  • On déclare évidemment ces revenus dans sa déclaration de revenus habituelle.
  • Mais on doit en plus remplir une autre déclaration trois mois plus tard, ladite déclaration URSSAF Limousin, où l’on répète les mêmes chiffres, et où l’administration compare avec ce qu’elle a reçu des maisons d’édition pour vérifier que tout colle.

Elle demande alors ce qui manque le cas échéant, ou rembourse le trop-perçu s’il y a lieu. Sur le papier, ça semble pas mal, mais on peut quand même s’interroger fortement sur la pertinence d’un système qui nécessite une double vérification de la sorte1.

Bref. La semaine dernière, je reçois un rappel de cotisation de la retraite complémentaire obligatoire (je sais, c’est concept) des artistes-auteurs (l’IRCEC, qui a l’une des plus mauvaises réputations possibles, mais expliquer pourquoi nous emmènerait beaucoup trop loin) me traitant à moitié de criminel échappé aux Galapagos parce que j’ai un arriéré non-versé correspondant à 2022 (sauf que c’est l’URSSAF Limousin qui transmet les chiffres et qu’il y avait eu désaccord dessus, j’y peux pas grand-chose si la déclaration a mis du temps à être validée de leur côté).

Ils me demandent une somme colossale et donc suspecte, mais comme ça remonte pas mal, je me dis, c’est peut-être legit, j’avais fait quelques très bonnes années en droits d’auteur, merci « Les Dieux sauvages », je vais vérifier mon assiette fiscale sur le site de l’URSSAF Limousin2

Ah ben non.

Depuis des mois, mystérieusement, le site de l’URSSAF Limousin est injoignable depuis Melbourne. J’avais fini par les joindre via… Instagram (c’est possible) et je vous le donne en mille :

(En passant, ça m’énerve toujours quand on me dit « votre URSSAF ». C’est pas mon URSSAF, je l’ai pas choisi, c’est l’URSSAF de personne, c’est l’URSSAF que nous subissons tous, c’est l’URSSAF du Léviathan de Hobbes.)

Donc voilà. L’IRCEC n’a pas cette mesure, impots.gouv.fr n’a pas cette mesure, aucun service administratif australien n’a cette mesure mais pour une raison obscure connue seulement d’un responsable tech abyssalement nullard, l’URSSAF Limousin t’empêche de remplir tes obligations administratives si tu n’as pas un VPN ?! Parce que c’est pas gratuit, et il faut savoir s’en servir, hein.

En même temps, que voulez-vous que je vous dise ? Je pense qu’il y a là une opportunité de partenariat qui n’a pas encore été explorée.

Parce que ça n’est pas comme si les mauvais acteurs qui pourraient éventuellement s’en prendre à l’institution (on se demande bien pourquoi) allaient utiliser leur propre IP, hein ? Ce sont probablement ceux qui savent le mieux utiliser des VPN, mes lapins, et du coup, qu’est-ce qui les empêche de tous se mettre sur des IP françaises ?

À part emmerder la vie des honnêtes gens, et requérir donc des compétences d’informaticien en plus des compétences d’expert-comptable, je ne vois pas.

  1. Comme toujours ici, je m’en prends à la machine et non aux personnels qui, globalement, s’efforcent au maximum de corriger les absurdités de ladite machine ; qu’ils soient remerciés. J’en profite aussi pour remercier publiquement au passage ma chère maman expert comptable à la retraite qui m’a filé un coup de main maîtresse absolument colossal là-dessus pendant des années – constatez quand même qu’il faut une experte comptable pour démêler ce bazar.
  2. Pour la petite histoire : le courrier simple – arrivé avec quatre mois de décalage, Australie oblige, quand un mail aurait été tellement plus direct, mais bon, ne chamboulons pas l’attachement de la France à ses courriers papier – me demandait deux fois trop. On peut choisir un régime de cotisation réduit avec l’IRCEC – ce que j’ai toujours fait, d’autant plus sachant que je partais –, or le site de l’IRCEC me demandait justement deux fois moins, soit la bonne somme, mais que s’est-il passé entre l’envoi du courrier et la mise à disposition de l’avis sur le site web ? C’est quand même dommage que le réflexe, quand je reçois des courriers des organismes sus-cités, soit la suspicion d’une erreur ?
2024-08-13T02:21:03+02:00lundi 19 août 2024|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

Créer n’équivaut pas à produire. Les chantres de l’IA ne pigeront jamais (ou : pourquoi on joue à Demon’s Souls)

Il ne se passe guère de semaine en ce moment sans qu’un énième chantre de l’IA vous explique combien ceux qui refusent de s’en servir sont des néo-luddites, que le basculement est inévitable, et rendez-vous compte ! Grâce à ça, ils ont pu produire cent cinquante morceaux de musique dont ils ont inondé les services de streaming, c’est le futur, imaginez tout ce qu’on peut produire qui est à la portée de tout le monde.

L’IA génère un tas de confusions en mélangeant des tas de sujets (souvent par des gens qui les maîtrisent mal), mais ici, et dans une grande partie des discours concernant la création artistique, on trouve une ignorance qui consiste à équivaloir créer avec produire. C’est-à-dire équivaloir le résultat (et souvent les fantasmes de célébrité, de statut et d’identité qui vont avec : moi, j’ai produit une symphonie, moi, j’ai produit un livre) avec le processus.

Il se trouve que créer, en effet, vise souvent la production d’un résultat, et c’est la motivation première, mais ça n’est pas le processus. Le processus, et l’immense récompense de la création, j’oserais dire sa raison même, c’est le chemin. C’est tout ce qu’on apprend et réalise au fil des difficultés successives ; c’est presque une initiation à chaque fois.

Holà, Davoust, t’es vraiment un néo-luddite pour tenir un discours pareil, en plus t’es new age maintenant – 

Tut tut. Pourquoi vous jouez à Demon’s Souls ? Pourquoi ce jeu, initialement destiné à un public restreint au Japon, a fini par devenir un succès planétaire, fondant un genre à part entière jusqu’à engendrer l’un des titres les plus marquants de la décennie, Elden Ring ?

Le plaisir de l’accomplissement. Le plaisir de faire, de réaliser quelque chose. Le plaisir du parcours.

Cet exemple, ce monstrueux succès commercial, prouve magnifiquement pourquoi il est crétin d’équivaloir création (accomplissement, chemin) et résultat (j’ai fini le jeu).

Les techbros chantres de l’IA s’imaginent que la difficulté de créer représente un ennemi à abattre ; j’adhère entièrement au discours consistant à accélérer les apprentissages, donner les outils, mais ça ne signifie pas détruire le chemin au passage.

Selon cette logique, toujours plus facile à comprendre dans le cadre de la musique, il n’y aurait aucun plaisir, aucune finalité à jouer d’un instrument, à chanter, à danser ; seul le résultat, la production comptent. Quelle vision de la vie asséchée et stérile. Selon cette logique, pourquoi chanterais-je sous la douche, puisque Hatsune Miku le fait à ma place ?

Parce que, je ne sais pas, c’est nourrissant ?

Cette vision est plus que stupide, cela témoigne d’une ignorance fondamentale de la création : c’est le chemin qui constitue la finalité, pas le résultat. Le résultat est l’outil qui motive à élaborer une forme aussi achevée que possible de ce chemin.

L’IA n’est pas un outil créatif au même titre que l’est, par exemple, un sampleur qui fournira une matière sonore qu’on manipulera au-delà du reconnaissable (comme avec la synthèse granulaire). J’ai joué avec des outils de création musicale et textuelle ; on va beaucoup plus vite droit au résultat voulu en faisant le boulot soi-même pourvu qu’on accepte de prendre un temps minime d’apprentissage. Et surtout, telle qu’elle est vendue, promise, cette IA voudrait ôter l’étape de création artistique qui représente le but même de toute l’entreprise.

Les techbros vendent la promesse d’un mensonge à des gens qui veulent se déclarer musiciens, écrivains, peintres, mais ne veulent surtout pas l’être – c’est-à-dire accepter l’effort, mais aussi les récompenses qui l’accompagnent (cf Demon’s Souls). L’ado qui écrit des poèmes maladroits avec son cœur pour le seul bénéfice de son tiroir sera toujours mille fois plus créatif que le producteur de hits de pop à la chaîne qui demandera à une quelconque IA musicale future de lui sortir à la chaîne des resucées de recettes qui marchent.

Et surtout, l’ado vivra cent fois plus dans ce processus émotionnel que le producteur, et personnellement, je trouve que l’intérêt de la création réside avant tout dans la vibration émotionnelle fondamentale qu’elle procure. Je n’ai pas envie que ChatGPT écrive à la ma place ; pas envie qu’un algorithme compose ou code pour moi ; je veux comprendre, apprendre, et faire moi-même. C’est tout le fucking intérêt.

Dans les mots de Zach Weinersmith, de Saturday Morning Breakfast Cereal :

Et là aussi, quantité d’amoureux de la discipline (et de professionnels) pourront répondre qu’ils ne veulent pas non plus qu’on automatise leur plomberie, et more power to them. Pourquoi les cours de bricolage du dimanche ont-ils tant de succès, si ce n’est pour s’approprier un savoir-faire ?

2024-08-15T01:18:21+02:00mercredi 14 août 2024|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Le 7 juillet

Je sais pas quoi vous dire, parce qu’honnêtement, there’s a lot going on on my end. J’ai aussi trop de réflexions malformées sur le rôle collectif que nous jouons dans les intolérances et comment elles nourrissent les radicalisations pour que nous en soyons arrivés là, mais je ne vais pas prétendre que j’ai assez de cerveau là maintenant pour tenir un discours subtil et intelligent sur un blog alors que ça serait probablement un essai de sociologie à documenter vraiment ou un roman super réfléchi et choral et de toute façon j’ai peut-être tort donc bon.

Bref, je réitère les mots de la dernière fois. Je vis à 17000 km, loin de ce qui se passe en France – ce qui ne m’empêche pas de voter, par Internet cette fois, alleluia ! – avec la sécurité d’être bientôt binational. Mais à ma minuscule échelle, si cela peut nourrir votre réflexion, rappelons par exemple, qu’entre moult autre choses, le RN veut interdire la double nationalité (et potentiellement forcer les Français de l’étranger à choisir entre leurs deux patries). À l’échelle de mon microcosme, cela signifierait donc que moi, auteur français vivant à l’étranger, écrivant de la fantasy sur un jalon important du patrimoine français (Jeanne, hein ?), défendant l’imaginaire français et ayant résolument choisi la langue française pour mon travail alors que je pourrais écrire en anglais (avec le marché qui va avec, hein), portant un nom on ne peut plus franchouillard1, investiguant les potentielles ouvertures pour l’imaginaire français à l’étranger, me trouverais forcé de choisir entre la nationalité française et l’australienne2.

Que puis-je vous dire ? Ma foi, si la France ne veut plus de moi avec tout ça, je ne vais pas la forcer, hein. Je vais la laisser avec ses décisions. Le monde est vaste et j’ai la chance d’en voir un autre bout. Et je suis pas mal fatigué.

Humeurs du moment :

Et surtout ça :

Auguste lectorat, on est dans la merde. Va voter, s’il te plaît.

  1. Davoust, c’est mayennais et sarthois ; d’après des études généalogiques réalisées par un cousin, il semblerait que nous remontions à une longue lignée de chaudronniers, ce qui me permet de clamer que je descends d’une longue lignée de métalleux.
  2. Que je n’ai pas encore, je suis actuellement résident permanent, mais les dernières démarches nécessitent surtout d’avoir passé un temps de séjour sur le territoire.
2024-07-08T00:17:47+02:00mardi 2 juillet 2024|À ne pas manquer, Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Le 7 juillet

À la comic-con de Melbourne le week-end dernier

Regardez ! Je vis dans le turfu : je suis entré de plain-pied dans les années 2015 ! Je sais enfin à quoi sert ces téléphones intelligents dont tout le monde parle.

En vrai, donc, ça se confirme : Insta va être la plate-forme de choix pour de petites vidéo que j’avais envie de faire depuis très longtemps. Okay, c’est ballot, j’avais acheté et appris à utiliser Final Cut l’année dernière, mais comme on dit, la réponse était sous notre nez depuis le début, le One Piece c’est le trésor de l’amitié.

Anyway : enjoy. (Ou pas, si vous êtes pas rigolo, mais je juge pas, je vous assure)

2024-06-12T02:29:01+02:00mercredi 12 juin 2024|Juste parce que c'est cool|Commentaires fermés sur À la comic-con de Melbourne le week-end dernier

La combinatoire des « Intelligences Artificielles » et la création artistique humaine n’ont rien à voir (et il faut arrêter avec ça)

Les grands modèles de langage (LLMs), appelés communément Intelligences Artificielles, véhiculent évidemment un certain nombre de fantasmes (récemment, dans la série de télé-réalité The Circle, l’un des « candidats » était en fait une IA – et je trouve vertigineux d’être seulement en train d’écrire cette phrase tranquillou bilou), mais aussi de notions qu’on va poliment appeler des conneries, véhiculées par des techbros et reprises aveuglément par des nigauds, que désamorcer prendra(it) plusieurs articles, et si j’ai le courage j’irai, mais pour l’instant, aujourd’hui :

Cette idée répandue que, au bout du compte, la création artistique humaine n’aurait rien de spécial, car l’inspiration venue des œuvres rencontrées au cours de la vie et les entrants d’un modèle de langage sont finalement de même nature : la recombinatoire.

Fucking bullshit.

D’abord, un rappel extrêmement rapide de la manière dont fonctionne un LLM : après avoir été nourri d’une colossale quantité de textes, le modèle apprend statistiquement à enchaîner les mots selon des probabilités correspondant à ce qu’il a vu dans son dataset. Par exemple, après un sujet tend à venir un verbe, puis tend à venir un complément (je schématise). La question qu’on pose au modèle, plus le contexte éventuel qu’on lui donne (le prompt) va pondérer le modèle de manière à orienter sa réponse de façon cohérente avec la demande de l’utilisateur·ice. Il ne s’agit pas d’écrire quelque chose de vrai, mais quelque chose qui soit statistiquement vraisemblable dans le contexte donné (d’où les hallucinations et inventions).

De façon fondamentale, il fait de la combinatoire à partir de ce qu’il a reçu, un peu à la manière de « La bibliothèque de Babel » de Borges. Il ne peut rien sortir qu’il ne lui ait été entré.

De ce fonctionnement, les techbros assènent qu’au final, la création artistique est identique : un humain reçoit un certain nombre d’inspirations dans sa vie, il est exposé à des œuvres, et recompose la sienne à partir de ce qui est venu avant lui. C’est la vieille idée (tout aussi fallacieuse, tout cas dans son application étroite, mais un seul combat à la fois) que « tout est remix ». Donc, la création humaine n’a rien d’original, les LLMs feront aussi bien, et l’activité créatrice en soi n’est pas originale non plus. (Venez greffer par-dessus le discours ahurissant que les créateur·ices sont des « privilégiés » et vous avez le tableau complet de la bêtise technique tonneau 2024.)

Again, fucking bullshit, et voici pourquoi.

Les gens ne recrachent pas, ni ne recombinent les entrants, ils les métabolisent. Ils les évaluent en permanence et les digèrent à l’aune de leur propre vie, et c’est ce regard qui préside à la composition d’une création. Et c’est ça qui compte. Même si l’on prend l’approche la plus réductionniste du cerveau et de l’existence (un point de vue bien triste, mais admettons ici), en postulant que nous fonctionnons exactement comme des LLMs (notre vision se construit strictement sur des entrants, sans réflexion intrinsèque, ce qui est sans aucun doute faux), nous avons une vie entière où puiser. Les LLM n’ont rien de cela. Nous vivons constamment des expériences, à chaque instant, qui nous nourrissent consciemment et inconsciemment, qui interagissent avec nos ambitions, rêves, peines et traumas – avec notre chair même –, ce qui alimente notre point de vue et, au final, se retrouve injecté dans notre travail, en partie à notre insu, d’ailleurs – et diffracté, en outre, par le prisme d’un autre personnage dans le cas de la fiction.

Tout ça, ça s’appelle bêtement vivre.

Parce que, ce qui compte dans une œuvre, ce n’est pas l’idée, c’est l’exécution. Prenez l’intrigue la plus vieille du monde – « le garçon rencontre la fille, la fille meurt » – et vous faites Tristan et Yseult jusqu’à West Side Story ainsi que les variations inverses comme Titanic. Personne n’achète une idée. Les idées, tout le monde s’en fout. C’est l’exécution sincère et personnelle d’une idée qui compose une œuvre. Et elle est nécessairement unique car elle s’enracine dans la personnalité du créateur·ice1, et donc elle est nécessairement originale.

Comme on dit dans l’écriture : « peut-être que tout a déjà été écrit, mais pas par toi. » Dans la création, c’est la réelle chose qui compte. C’est cette personnalité du regard qui va toucher le public. Malgré les aspects fondamentaux communs de l’expérience humaine, personne n’a la même vie, personne n’a le même regard. (On en parle tout le temps dans Procrastination.)

Plus un film est japonais, plus il est universel.

Akira Kurosawa

Par contraste, les LLMs ne peuvent recomposer que ce qu’on leur donne, sans recul, sans introspection, sans expérience – sans cœur.

Donc, réveillez-moi quand on leur filera un corps faillible et qu’il traverseront deuils, ruptures, vieillissement, euphories, extases, plaisirs à l’échelle d’une existence entière, et que cela informe leur vision2. Mais dans l’intervalle, ça n’a bon dieu de rien à voir et faut arrêter avec ces conneries.

Bref. Si l’aspect technique vous intéresse, je pose au passage cette vidéo de Bertrand Serlet (ancien VP d’Apple), assez ardue mais qui entre dans le détail technique du fonctionnement des LLMs, et qui montre la fondamentale différence avec l’expérience humaine.

  1. Soit dit en passant, c’est l’un des piliers philosophiques du droit d’auteur à l’Européenne, qui remonte à Kant et sa théorie de la personnalité.
  2. Soit, au rythme où vont les choses, quelque part comme le 25 septembre prochain, j’imagine.
2024-04-26T18:08:28+02:00lundi 6 mai 2024|Best Of, Humeurs aqueuses, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur La combinatoire des « Intelligences Artificielles » et la création artistique humaine n’ont rien à voir (et il faut arrêter avec ça)

Vous ne verrez jamais les scènes coupées

Excellente question qui revient de loin en loin, et récemment à l’annonce que j’ai tronçonné sauvagement l’équivalent en longueur de La Volonté du Dragon dans le manuscrit de La Succession des Âges : est-ce qu’on verra un jour les scènes coupées en mode bonus ?

Eh bien : mes excuses, mais non.

Deux raisons à cela : déjà, je ne coupe en réalité quasiment jamais de scènes à proprement parler, je remanie, je réécris, je condense, je réorganise, ce qui conduit parfois à dégraisser la moitié du matériel, mais les réelles coupes franches sont devenues très rares. Je n’ai pas de scènes supprimées, donc, à montrer… Il m’arrive en revanche de les réécrire de zéro quand je suis totalement passé à côté de leur angle (c’est justement le cas en ce moment où la v1 de la scène sur laquelle je travaille semblait tout droit sortie de Kaamelott – après un long moment très lourd dans l’histoire, je crois que j’avais besoin de légèreté, mais c’est totalement hors propos dans « Les Dieux sauvages »…), mais la fonction dans l’histoire reste. Je dois juste entièrement réécrire avec une mise en scène, un discours, une couleur différentes.

Ensuite, si ça a dégagé, c’est qu’il y a une raison. C’est que ça n’avait pas d’intérêt pour l’histoire, et, au final, c’est cela que je vise. On attribue à Bismarck que, pour continuer à respecter la loi et les saucisses, il ne faut pas voir comment on les fabrique ; je crois qu’on peut dire la même chose des romans… Si c’était pertinent, ça serait resté dans le bouquin. Comme ça ne l’est pas, je ne crois pas que ça le soit davantage en-dehors, et je trouve l’exercice, pour tout dire, un peu vain.

La seule exception que je ferais à cette règle serait pédagogique. Il pourrait y avoir de la valeur à montrer d’où l’on part et où l’on arrive, en étudiant presque phrase par phrase le raisonnement et les choix conduisant au résultat.

Mais en-dehors de ça, donc, je crains de devoir garder pour moi la scène à la Kaamelott des fromages bénis de Korig le fermier.

2024-04-07T20:09:03+02:00lundi 8 avril 2024|Journal, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Vous ne verrez jamais les scènes coupées
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