C’est joli, épreindre

Ce que j’aime le plus dans Antidote, ce n’est pas ses modules de correction, mais la facilité avec laquelle on découvre des régionalismes oubliés ou des mots à l’étymologie surprenante (rappelez-vous « enfoiré ») (soit dit en passant, une nouvelle fois, on constate l’importance de la ponctuation à l’absence de virgule dans la parenthèse précédente, hein)

Aujourd’hui, je vous présente le mot « épreindre », qui à première vue semble une version accentuée d’étreindre, et qui, en un sens, n’en est pas si loin, quoique moins joli, et en fait, il vaut mieux ne pas épreindre les gens, sauf si vous un psychopathe, ou à la rigueur, si vous les connaissez super bien, ahem, bon, on laisse votre imagination faire le reste, CHUT IL Y A DES ENFANTS PAR ICI, et puis de toute façon on sait bien que qui trop embrasse mal épreint

Plus sérieusement. On note l’étymologie commune avec « exprimer », et combien, effectivement, il peut être nécessaire de s’essorer soi-même pour faire sortir des paroles difficiles. Amusant également, l’espagnol a parfaitement conservé « exprimir » pour presser un fruit, par exemple, verbe qui possède par ailleurs le sens figuré d' »exploiter » (tiens donc). On reste dans les mêmes voisinages, mais c’est rigolo de constater où les mots ont atterri, dans des connotations et des territoires différents en fonction des langues.

Quoi qu’il en soit, la prochaine fois dans un bar, plutôt qu’une orange pressée, demandez une orange épreinte : pour l’assurance totale de passer pour un péteux.

2022-06-03T21:33:30+02:00jeudi 9 juin 2022|Expériences en temps réel|2 Commentaires

Retour des Imaginales 2022

Un mot rapide de retour des Imaginales, avec le cerveau qui coule par les oreilles et un demi-siècle de sommeil en retard, mais avec plein de merveilleux souvenirs encore de cette édition.

Merci à toutes et tous d’être venu·es si nombreux sur le stand, de m’avoir couru après quand je ne pouvais pas être à ma table. Merci pour toutes les INCROYABLES attentions, les pensées et les cadeaux, les gentils mots, votre appréciation au long cours de mes projets fous. Vous êtes les meilleur·es. Je n’en reviens encore pas. J’en repars véritablement regonflé à bloc pour la dernière ligne droite de La Succession des Âges : vous voir suivre les livres, attendre la suite d’Évanégyre, est juste incroyable ! Il y a un étudiant de 21 ans qui bossait sur cet univers au lieu de rédiger son mémoire d’ingénieur (ahem) et qui n’aurait jamais imaginé que ça devienne tout ça… J’ai littéralement l’impression de vivre un miracle.

Merci également à toutes les équipes du festival qui travaillent inlassablement et font tenir la mécanique, aux équipes librairie et aux stagiaires au taquet, aux camarades de l’imaginaire avec qui on partage ces belles aventures d’année en année.

Mais le merci le plus important va à Stéphanie Nicot. Depuis 20 ans, elle incarne l’âme de ce festival, elle l’a créé, fait grandir et connaître, toujours très soucieuse qu’il reste convivial et ouvert.

Il doit tout à sa direction artistique.

2022-05-23T08:22:42+02:00lundi 23 mai 2022|Journal|Commentaires fermés sur Retour des Imaginales 2022

RÉVÉLATION : La Succession des Âges sera un haiku

Je travaille traditionnellement de façon secrète ; je peine à révéler des détails des projets en cours tant qu’ils n’approchent pas de leurs dernières étapes. Mais avec mon retour sur Twitter, je m’étais promis de lever un peu le voile sur la genèse de La Succession des Âges, l’ultime volume de « Les Dieux sauvages ».

Vous le savez, j’ai toujours cherché à adapter la forme d’un projet à son fond ; et tandis que nous approchons du printemps, il est temps de partager un peu plus la forme finale voulue pour ce livre. Avec tout l’élan acquis au cours des quatre – et épais – volumes précédents, il me semblait nécessaire de proposer une conclusion digne de ce nom – j’en ai parlé dans la feuille de route 2022 ; c’est le soin désiré pour cet ultime acte de la saga qui a dicté d’en repousser la publication, afin de le réaliser conformément à ma vision. Mais pourquoi, exactement ?

Nous parlons fréquemment dans Procrastination de la concision et de la nécessité d’évoquer plutôt que de dire ; avec l’expérience acquise sur cette série, j’ai voulu appliquer à la lettre exacte ces préceptes pour boucler la saga. Poussant la perfection formelle jusqu’à ses derniers retranchements, je peux vous révéler aujourd’hui que La Succession des Âges sera un haiku, frappant directement au cœur (et par totale surprise, car mes éditeurs ne sont pas encore au courant, n’est-ce pas excitant ?).

Or, un haiku mesure en français environ 70 signes, et si vous suivez les barres de progrès, à ce stade, j’en suis à 58% du livre – j’en suis en fait à 40 signes, ce qui représente, pour tout dire, 7 mots. Mais l’écriture n’est pas que question de quota journalier, de pages remplies ni de volume, il s’agit avant tout de sens, et je peux vous dire que ces sept mots ont été dûment choisis au cours de l’année précédente. Certains, d’ailleurs, m’ont demandé trois mois entiers à plein temps, ce qui explique la lenteur de production sur ce roman.

À présent, cela peut poser un problème de support physique, tout comme un livre volumineux. Je sais que les bibliophiles ont à cœur d’avoir une collection esthétiquement cohérente sur une saga ; mais qu’ils et elles n’aient crainte, car j’ai pris la liberté, pour faciliter le travail de Critic, de rechercher des solutions graphiques permettant de conserver grosso modo la même épaisseur d’ouvrage. La Succession des Âges sera ainsi imprimé sur du carton plume d’un grammage de 1260 g/M2, portant un mot par face, ajoutant ainsi le bénéfice d’une lecture confortable même en cas de presbytie. La réalisation de la maquette est extrêmement prometteuse :

Je ne doute pas qu’en vertu du support seul, ce livre est appelé à faire un carton.

Par ailleurs, cela signifie que pour la première fois, La Succession des Âges sera disponible en audiolivre ! La production sera grandement facilitée par ce format, puisque je pourrai en faire la lecture moi-même. Bénéfice supplémentaire : sa version en mp3, peu gourmande en place, sera lisible même sur les anciens terminaux, comme les Thomson TO7/70 équipés de lecteurs de disquettes 5’1/4 ! Et bien sûr, de façon générale, il sera facile de lire et relire ce livre, plusieurs fois dans la même soirée même, si on le désire, ce qui représente un bénéfice indiscutable sur les romans précédents.

Je suis ravi de partager ces nouvelles perspectives avec vous et j’espère que vous m’accompagnerez dans cette exploration d’un format parfaitement inédit (et pour cause) dans le monde du roman ! Je vous donne rendez-vous en juin, en principe, pour le huitième mot de cette histoire complexe, qui ne peut être servie, justement, que par le non-dire.

À très bientôt !

2022-03-29T08:57:04+02:00vendredi 1 avril 2022|Expériences en temps réel|8 Commentaires

13 raisons pour lesquelles je déteste Microsoft Word comme outil romanesque

On m’a demandé de l’expliquer de loin en loin, genre, « oh, mais t’écris sous Scrivener, c’est tellement compliqué, Word fait bien le boulot » – NAN NAN NAN arrêtez vous me faites mal à la tête. Word est adéquat pour écrire une lettre. Mais écrire un rapport ou un roman sous Word, c’est comme écrire à la Remington avec des maniques de four – OKAY OUI tu peux faire le job et quelque part, maximum respect à toi d’y arriver. Mais franchement, est-ce que tu préfères faire une rando poursuivi par des hyènes affamées avec des chaussures remplies de verre pilé ou bien, heuuuu… rester chez toi à manger des chips ?

OKAY C’EST UNE COMPARAISON BIEN POURRIE mais je hais Word quand même et parce que :

1. Le ruban. Des années maintenant qu’on se tape cette interface, qu’on la hait collectivement, et que Microsoft, dans une parfaite attitude microsoftienne, continue à nous l’imposer.

2. Le chargement progressif des fichiers. Nous avons des machines qui ridiculisent d’un facteur mille ou dix mille les engins utilisés pour les premières missions lunaires, et Word n’est toujours pas foutu, sur mon Mac M1, de charger un tome entier de « Les Dieux sauvages » d’un million et demi de signes en un temps inférieur à PLUSIEURS FUCKING MINUTES.

3. Il ne fonctionne pas avec la correction système de l’orthographe de macOS.

4. Pas de « bip » ou de message si aucun résultat de recherche n’est trouvé (du coup, t’es jamais sûr qu’il ne s’est pas endormi au volant).

5. Copier une quinzaine de pages, commande-N pour créer un nouveau fichier prend DIX SECONDES. On rappelle, avec une machine qui aurait pu gérer cent programmes Apollo.

6. Dis-moi, Word, tu es tellement mal codé que si j’ai copié quelques pages, tu dois me demander si tu veux garder le contenu dans le presse-papier à l’extinction ? Genre, ça va étouffer un téraoctet d’espace disque ?

7. Remplacer un mot surligné fait apparaître au hasard le surlignement dans le texte en mode suivi des modifications, notamment les caractères portant des accents circonflexes. POURQUOI ? PARCE QUE C’EST PLUS JOLI COMME ÇA ?

8. Cette façon atroce de dire « nous » (dans tous les programmes Microsoft récents). « Nous n’avons pas trouvé de résultats de recherche. » Je suis en train d’utiliser un logiciel, pas de recevoir un courrier de l’URSSAF Limousin.

(Ça m’évoque d’ailleurs cette vieille capture d’écran surréaliste de Windows.)

9. J’essayais juste de taper le caractère « û » dans « mûr », quand soudain :

Ça veut dire quoi ? Sous le pavé de texte, la plage ?

10. Quand tu échanges en suivi des modifications avec un Word étranger, il TE MET ÇA PARTOUT PARCE QUE TU AS VISIBLEMENT CHANGÉ DE LANGUE TROIS MILLIONS DE FOIS

12. Tu fais une simple recherche dans un texte, quand soudain

13. Cette purge coûte 70 balles par an dans l’abonnement Office, alors que Scrivener en coûte 50 une fois pour toutes.

Évidemment, l’honnêteté intellectuelle me pousse à rappeler cet épisode de Procrastination où Laurent Genefort explique travailler sous Word. J’ai aussi vu Brandon Sanderson travailler sous Word. Mais franchement ! Hein !

Et puis il faut dire aussi que le mode suivi des modifications est passable.

MAIS

FRANCHEMENT

HEIN.

2022-03-18T07:27:09+01:00mercredi 23 mars 2022|Humeurs aqueuses, Technique d'écriture|10 Commentaires

Cela nous concerne très directement

Toutes les horreurs que les écrivains croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité.

Balzac

À chaque fois que le monde part en vrille, je pense systématiquement à cette citation de Sartre à laquelle Ayerdhal tenait beaucoup : « La fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse s’en dire innocent. » Mais à chaque fois que le monde part en vrille, je m’interroge aussi en ces termes à peu près : « Qu’est-ce que je suis en train de foutre ? » C’est-à-dire : suis-je à la hauteur de cet aspect de la mission ? (Ne répondez pas, ce n’est pas une question à laquelle on répond, c’est un processus que l’on réfléchit à incarner.)

La littérature, l’art par extension, me semble toujours la chose la plus importante et la plus futile à la fois. L’art sauve, nous élève, nous incite à réfléchir et même, simplement, nous fait du bien. Oui, bien sûr. Mais quand le monde part en vrille et qu’on n’est qu’un humble pousse-curseur, il ne me semble pas complètement absurde de se demander : « Non mais là, en vrai, qu’est-ce que je suis en train de foutre ? »

Qu’est-ce qui me donne le droit et la volonté de croire que je fais un truc réellement important ? Personne, et c’est bien ça le truc : la création est toujours un processus imprévisible, quelle que soit la structure qu’on y injecte ; l’authenticité qu’on s’efforce d’y mettre ne parvient pas toujours à établir ce pont vaporeux avec l’esprit inconnu que l’on espère atteindre, et nul ne peut le savoir a priori. On ne peut qu’essayer, toujours, avec sincérité ; laquelle est la seule clé et la seule vraie raison de toute cette futilité.

Quand le monde part en vrille, que ce soit le monde en dehors ou au-dedans de moi (ce qui arrive aussi), je m’efforce toujours de revenir à ces paroles simples et ô combien fortes de Neil Gaiman : make good art. Le good est toujours une aspiration, une intention, un espoir. Aucun de nous ne sait si ça va marcher. Il n’est même pas un but réaliste. Il nous reste à make art, surtout ceux et celles d’entre nous, dont je fais absolument partie, qui ne savent pas faire grand-chose d’autre et en ont grande conscience. (À part aussi, bien sûr, faire des dons à La Croix Rouge, et à toutes les organisations humanitaires de réputation établie.)

Du discours de Gaiman, on a surtout retenu le make good art, mais je trouve, tout particulièrement en ce moment, ce passage beaucoup plus important, qui nous concerne tous, c’est peut-être là que notre action individuelle commence réellement, en tant que citoyens du monde : être sages, et si nous ne le sommes pas, faire comme si nous étions quelqu’un de sage, et puis agir conformément à ce que cette personne ferait. Ce qui est une nécessité vitale en cette ère de surinformation, de désinformation et, forcément, d’angoisse :

Les Stoïciens plaçaient la vertu (et l’action qui en découle) au-dessus de toute considération, l’équivalant au bien ; deux millénaires plus tard, Gandhi disant be the change you want to see in the world.

Qu’est-ce que je suis donc en train de foutre ici, là, aujourd’hui ? Je vous parle, déjà, parce que j’ai la chance d’avoir une petite tribune, et que si, pour être totalement honnête, je ne sais pas depuis le début de cet article comment aborder un sujet bien trop brut pour avoir une réaction que j’espère intelligente (si j’écris de la fiction, c’est aussi parce qu’elle m’offre le bouclier du temps, de la réflexion et de la métaphore avec l’alibi du divertissement), je ne peux pas ne pas m’en servir alors qu’une histoire terrible est en train de s’écrire et que j’ai l’impression qu’on n’en prend pas trop la mesure. Ce n’est pas la première fois ni le premier endroit où ça arrive, je sais. Mais là, il faut vraiment prendre conscience de tous les parallèles historiques, et on ne rigole plus avec ça : on a déjà, réellement, vécu ça de très près.

Lors du défilé pour la paix samedi à Rennes, des personnes d’ascendance ukrainienne martelaient aux passants : « Arrêtez-vous, les Français. Cela vous concerne. » Fichtre oui. Cela nous concerne. Les habituelles récupérations politiques écœurantes ont lieu – elles ont toujours lieu ; les figures publiques démagogiques croient toujours pouvoir capitaliser sur les crises qu’elles s’imaginent lointaines et donc inoffensives. Mais ce n’est pas cela qui nous concerne, nous, en tant que citoyens et citoyennes du monde. La vérité brute, c’est qu’une puissance a envahi militairement une nation souveraine, bombarde des cibles civiles et que son allié proche prépare sa nucléarisation tandis que l’agresseur lui-même brandit la menace atomique.

Des imbéciles et des fantoches ânonnent un relativisme criminel et irresponsable, comme quoi la Russie aurait été poussée par l’expansion de l’OTAN à réagir de la sorte. L’Ukraine est une nation souveraine apte à choisir son destin ; la personne qui met le flingue sur la tempe de son gouvernement n’est pas l’Ouest. L’invasion russe est aussi un aveu criant d’échec de la proposition portée par son pouvoir. Quelle que soit la manière dont on regarde cette crise, on ne peut pas justifier, expliquer, comprendre cette invasion, quel que soit le contexte géopolitique. C’est une fucking invasion, avec des civils qu’on arme dans les rues, des immeubles d’habitation qu’on bombarde, et un pays auquel l’agresseur a refusé explicitement le droit d’exister.

C’est extrêmement grave, ça nous concerne, c’est littéralement à nos portes. Et j’avoue que je suis juste triste de voir réseaux et figures publiques s’exciter tellement fort dès qu’un président de droite est démocratiquement élu1, se drapant dans des proclamations de Résistance (une référence historique dont je n’oserais pas personnellement me réclamer : il fallait un courage et une vertu que la vaste majorité d’entre nous ne peut affirmer posséder en toute connaissance de cause, parce que nous avons eu la chance de ne jamais avoir été mis à l’épreuve) alors que là, j’ai quand même l’impression que les affaires continuent sans guère de vague. Alors certes, les affaires doivent évidemment continuer, car c’est déjà une façon d’affirmer la vie, et affirmer la vie, c’est résister (avec un petit « r »). Mais quand même. Nous rendons-nous bien compte de la chance que nous avons ?

Mais que peut-on faire ? Pas grand-chose de concret, certes, mais commencer par refuser, protester vocalement et continuellement, car c’est aussi une guerre d’influence et de propagande (les médias russes ont interdiction de parler d’invasion, Twitter et Facebook sont coupés là-bas depuis quelques jours, les manifestations anti-guerre sont passibles d’arrestation) ; et à notre humble échelon, à chaque instant, s’efforcer (et je reviens à Gaiman) de faire preuve de sagesse dans nos actions, quelles qu’elles soient, dans notre partage de l’information, dans notre compréhension du sujet, dans nos conversations. Refuser, comme nous avons encore la chance merveilleuse de ne pas être appelés à résister. Nous montrer peut-être à la hauteur des valeurs que nous prônons porter et incarner, alors qu’elles sont justement mises à l’épreuve. En tant que citoyens, en tant qu’êtres humains.

Et le plus important, bien sûr, exprimer notre solidarité avec le peuple ukrainien qui se bat en ce moment même dans les rues de ses villes, et Résiste, lui, avec un grand « R ».

2022-02-27T16:38:58+01:00dimanche 27 février 2022|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Cela nous concerne très directement

Champagne

C’est important, les bonnes nouvelles. Pour la première fois de son histoire, Facebook a perdu en utilisateurs quotidiens sur le dernier trimestre. La perte en bourse a fait s’évaporer 200 milliards de dollars. Comme quoi, au bout d’un moment, être une entreprise toxique pour le monde entier, ça finit par se voir. Et comme personne ou presque ne veut du métavers tel que le propose Zuckerberg (ou pourquoi pas, mais pas créé par lui), je sens flotter comme une belle et douce odeur de résineux.

Trois pensées griffonnées sur un coin de table :

Tous les réseaux généralistes ont peut-être leur époque, et elle est limitée dans le temps. Fut un temps où MySpace était considéré comme indétrônable (un temps où Internet était beaucoup plus petit, avant les terminaux mobiles, certes), et voyez où nous en s AHAHAHA non pardon c’est pas possible. Pardon.

Pour se pérenniser, un réseau doit peut-être apporter une spécificité propre qui lui donne une vraie valeur aux yeux de son public, au-delà de « y a tout le monde alors j’y vais ». C’est un argument extrêmement fragile, sujet à l’Impermanence de l’Existence™. De plus, l’idée de rassembler absolument tout le monde sur la même plate-forme n’est peut-être ni jouable, ni souhaitable, en tout en l’état actuel de la planète. Twitter, Snapchat, TikTok fournissent quant à eux des propositions et des approches clairement identifiées qui leur permet d’être rentables, voire florissants. Si tu n’aimes pas, ce n’est pas ton outil, et c’est très bien. Dans un monde capitaliste et marchand, c’est peut-être juste ça, le but d’une telle entreprise, pas de connecter le monde entier au mépris de l’éthique avec les catastrophes que l’on sait. Twitter, par exemple, pour toutes ses erreurs et sa toxicité, est un outil très précieux pour les journalistes, et on peut arguer en faveur de son intérêt en tant qu’outil professionnel de veille et d’information.

Avec la prise de conscience collective du mal que ces réseaux non régulés commettent et de leur mépris pour la vie privée, nous commençons peut-être (je croise les doigts) à voir arriver le plafond du capitalisme de surveillance. Voici une autre idée en l’air : à mesure que la technologie se répand, petit à petit, la maîtrise de ses outils percole à travers la population. Même si la majorité des gens ne gérera absolument jamais un serveur personnel, tout bonnement parce que ça ne les intéresse pas, les prises de conscience et les outils simples de protection (adblockers, messageries chiffrées type Signal, VPNs…) ne deviennent plus des affaires de spécialistes mais des questions grand public, très faciles d’emploi. Snapchat, qui a anticipé les mesures anti-pistage inclus par Apple dans la dernière version d’iOS, a commencé à adopter une stratégie publicitaire différente, qui s’avère payante. Oui, on peut faire de l’argent sans piétiner la vie privée. De là à dire que Facebook ferait mieux de réfléchir à assainir sa culture d’entreprise vérolée (mission impossible ?) au lieu de payer pour publier des chouineries sponsorisées dans le New York Times, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement, et puis je repasse en arrière et je le refranchis une seconde fois, histoire que ce soit bien clair.

Ça me rappelle quand j’ai arrêté World of Warcraft : je me souviens très nettement de ce loot bleu chopé dans un énième donjon de levelling à Cataclysm. Le voile s’est déchiré d’un coup devant mes yeux : « mais en fait, c’est toujours pareil, et cela le sera toujours ». C’était fini d’un coup, le désir (le besoin ?) de jouer était rompu. J’ai annulé mon abonnement dans les 24h et ça ne m’a jamais vraiment manqué. Des anciens fumeurs décrivent parfois la même épiphanie, et arrêtent la cigarette du jour au lendemain. J’ai vécu un peu la même chose en arrêtant Facebook, comme je l’ai fait il y a maintenant un an et demi. Je n’éprouve aucun manque1 et, au contraire, une liberté retrouvée et, pour tout dire, une terrifiante légèreté d’esprit.

  1. Twitter, c’est autre chose, mais malgré sa toxicité, Twitter garde une impermanence, une spontanéité et une accessibilité qui me laisse aussi de très beaux souvenirs.
2022-02-08T11:35:27+01:00mercredi 9 février 2022|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Champagne

Research mode

Petit teaser : documentation (partielle) pour un des textes de science-fiction évoqués la semaine dernière et qui devraient sortir cette année. C’est un des aspects du métier que j’aime le plus : la chance de pouvoir parler à absolument tout le monde de tous les sujets imaginables et d’apprendre sans cesse. En fin d’année dernière, j’ai également eu le privilège de m’entretenir quatre heures par Zoom avec un ethnologue de l’université de Pretoria avec qui nous étions mutuellement fascinés par les univers de l’autre ; une des plus belles et émouvantes rencontres que j’ai pu faire de récente mémoire, et qui me rendent reconnaissant à l’univers de toutes les portes que mon humble clavier dresse devant moi.

2022-01-26T12:06:33+01:00lundi 31 janvier 2022|Juste parce que c'est cool|4 Commentaires

Triple vacciné

Sachant que nous résidons dans un pays où nous avons la chance d’avoir des doses, et gratuites en plus ; que se vacciner soi-même protège des formes graves et réduit les chances de contamination autour de soi ; que les effets secondaires sont absolument minimes, il n’y a strictement aucune, mais aucune raison de ne pas aller se faire vacciner – ou plus exactement, les raisons données contre la campagne en Europe n’ont souvent strictement rien à voir avec la pandémie, voire avec la réalité.

Mon rappel est donc fait pour ma part avec enthousiasme ; et il n’y a rien d’étrange à ce que des rappels rapprochés soient nécessaires – c’est très fréquent pour les vaccinations infantiles et personne ne le relève. On entend aussi parfois dire que le vaccin contre le Covid ne sert à rien parce qu’il n’empêche pas la transmission du virus ; on rappellera à toutes fins utiles que le vaccin contre la poliomyélite ne l’empêche pas non plus, mais qu’il a pourtant constitué une arme majeure dans l’éradication de la maladie.

Donc, faut arrêter un petit peu les conneries.

J’entends parfois les antivax dire « ha ! nous verrons où vous en serez dans cinq ans avec vos trucs à ARN alors que nous, nous conservons la pureté de nos organismes ! » Eh bien, donnons-nous rendez-vous dans cinq ans, oui, avec plaisir. J’ai hâte d’entendre ce que seront devenus ces arguments quand le temps aura démontré leur ineptie.

Enfin. C’est-à-dire que moi, je sais que je serai toujours là pour en parler, hein.

Vaccinez-vous, bordel.

2021-12-11T17:11:28+01:00mardi 14 décembre 2021|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Triple vacciné

Cette publicité est un scandale

Et ce tite putàclic aussi mais hé, bon, c’est le Black Friday ou les French Days ou Christmas je ne sais même plus moi avec tout cet anglais mais bon mais qu’est-ce que vous voulez :

ALORS LÀ JE SUIS CHOQUAY.

Je dénonce instamment un complot des éditions Argyll. Il est bien entendu que jamais je n’aurais pu avoir l’idée d’une blague aussi consternante. J’en suis parfaitement incapable.

2021-11-23T18:23:27+01:00jeudi 2 décembre 2021|Juste parce que c'est cool|10 Commentaires

Twitter fait des trucs intéressants en ce moment

L’équation du Mal qui régit toute entreprise de réseau social (donc commercial) est la suivante :

  • Un réseau est attractif dès lors qu’il fédère un nombre d’utilisateurs suffisant pour lui donner de l’intérêt ;
  • Sachant que les gens ne sont pas dans l’ensemble prêts à payer pour un tel produit, cela pousse à le rendre gratuit ;
  • Sauf que ces serveurs pour héberger statuts, photos et vidéos et ne se paient pas d’amour et d’eau fraîche ;
  • Il faut donc rentabiliser (et faire croître) l’entreprise par de la pub, ce qui ouvre la porte à
    • tous les abus possibles concernant la vie privée pour cibler les utilisateurs ;
    • toutes les techniques les plus nocives pour les conserver sur la plate-forme en stimulant l’engagement (soit : le stress né de la captivité).

Exhibit A : Facebook. (Sérieusement, jetez un œil à cette page Wikipédia, ça vaut son pesant de likes.)

La capitalisation boursière et le fonctionnement de ces entreprises les rendent par-dessus tout captives de l’engagement. Je n’exonère personne, Hannibal Lecter aussi pourrait plaider qu’après tout, il avait seulement faim (juste, change de régime, mec ?), c’est seulement ce qui se trouve au cœur de toute cette toxicité.

C’est pour ça que je trouve que Twitter, après de longues années de complète apathie, tente en ce moment des trucs intéressants. Twitter Blue propose un abonnement optionnel (encore à l’état d’expérience) : puisque si c’est gratuit, c’est vous le produit, alors si c’est payant, c’est peut-être moins méchant (euh, j’improvise). Mon indécrottable optimisme me fait dire qu’il y a peut-être dans les hautes sphères de la boîte un constat productif :

  • Twitter sera toujours plus petit, car plus volatile que Facebook, donc un éternel second ;
  • Il faut donc cesser d’essayer de rivaliser sur le modèle économique et se différencier (timidement) sur le plan du modèle économique même (lequel va bien finir par péter, que ce soit à coups de lois ou de ras-le-bol des utilisateurs) (c’est entre autres pour ça que Mark Zuckerberg veut se racheter une virginité à coup de métavers et de rebranding) (jamais, Mark, jamais, tu m’entends ?)

Par conséquent, on pourrait voir dans Twitter Blue une tentative de s’extraire du marais puant de l’engagement ; si assez de gens paient, peut-être que l’entreprise pourrait s’arracher un peu au diktat du financement publicitaire, et donc proposer un fonctionnement d’un peu plus vertueux. (Maintenant, comme je l’ai lu, qui diantre accepterait de payer pour se faire agonir d’injures H24 ? Parce que Twitter, c’est aussi ça, et c’est une excellente question, mais c’est aussi une autre question.) (On pourrait aussi dire que rien ne changera et que ce sera juste une manière supplémentaire d’engranger du CA. Oui.)

Il y a aussi dans les cartons de Twitter l’initiative Bluesky, dont on ne sait à peu près rien, si ce n’est la promesse d’outils décentralisés revenant peut-être aux idéaux ouverts du web d’origine, ce qui est forcément sympathique. En tout cas davantage que ce qu’envisageait Facebook dans le même temps, entre autres un Instagram pour enfants (toi aussi, construis ton malheur dès le primaire). Le réseau a aussi reconstruit tout son écosystème programmatique pour que des applications tierces puissent proposer des expériences alternatives à la plate-forme officielle. En clair, vous pouvez utiliser Twitter avec d’autres clients que l’officiel : Twitterrific et Tweetbot, par exemple, pour personnaliser votre expérience. C’est totalement impossible avec Facebook.

Le problème avec Twitter, c’est que ça reste quand même géré avec davantage d’inertie et d’incompétence que de réelle volonté, mais dans le monde des réseaux, c’est toujours mieux qu’une volonté maléfique délibérée, hein. (Mon dieu, la barre est tellement basse.) Tout ça peut donc parfaitement n’aboutir nulle part, mais même en termes purement économiques, chercher à se désolidariser des mécanismes mêmes dans lesquels le principal concurrent s’est pris les pieds a un réel sens.

J’aimerais donc bien que ça donne quelque chose, parce que ce monde en a terriblement besoin.

2021-11-23T18:23:03+01:00lundi 29 novembre 2021|Humeurs aqueuses|2 Commentaires
Aller en haut