Écrire en musique : Ad Vitam

Ad Vitam, c’est une de ces rares séries de science-fiction française à exister, et en plus, elle n’est pas mal du tout. Sa bande originale, composée par HiTnRuN, lorgne clairement vers la synthwave tout en adoptant un son plus moderne et donc peut-être plus intemporel. Plutôt douce et atmosphérique par moments, elle peut apporter un fond agréable pour l’écriture, a fortiori évidemment quand on écrit de la dystopie ou du cyberpunk. Disponible sur YouTube ci-dessous et sinon sur tous les services de streaming (Apple Music / lien affilié). Morceaux recommandés : « Sunset » (le générique) et « Darius ».

2020-08-25T09:41:28+02:00jeudi 27 août 2020|Décibels, Technique d'écriture|7 Commentaires

Nouvel atelier d’écriture à distance : “Écrire une histoire grâce au conflit, notion fondamentale de la narration”

Je l’ai déjà dit en ces lieux : la notion de conflit en narration est le concept qui m’enthousiasme le plus à étudier et à transmettre. C’est bien loin de l’opposition binaire entre un “gentil et un méchant”, et même de la notion qu’il faut “un bon adversaire” dans une histoire – plutôt une “bonne adversité” ; la notion de conflit, bien comprise, s’applique à mon sens à toutes les histoires, de la fantasy épique au roman sentimental, jusqu’à l’autobiographie. Elle est la chair des histoires. Je ne cesse de la comprendre davantage, et elle m’apporte toujours davantage d’angles intéressants pour m’inspirer, raconter, comprendre les rythmes et les respirations de mes récits.

Je suis donc ravi d’annoncer qu’après avec conduit plusieurs ateliers en présentiel sur cette notion, je vous propose avec l’école Les Mots un atelier à distance proposant dix semaines d’écriture intensive, avec retours personnalisés :

Bien des écoles de création littéraire américaine résument la notion d’histoire à celle de conflit. Où est l’adversaire ? Qui les personnages doivent-ils vaincre ? Mais cette notion est souvent mal comprise, résumée à une opposition binaire entre deux camps et à une confrontation souvent fondée sur la violence. Or, dans le contexte de la création narrative, elle est bien plus vaste : elle représente l’énergie fondamentale de tout récit, tandis qu’elle exprime, de façon globale, la notion de difficulté et de tension, qui sous-tend toute intrigue romanesque. 

À la fois question préparatoire féconde et boussole pour s’extirper d’une impasse littéraire, la notion de conflit en narration forme un socle dont la compréhension profonde aide l’auteur à rendre ses récits plus efficaces, plus prenants, tout en simplifiant son travail en lui fournissant les questions cruciales qui l’aideront à progresser dans son histoire. Et, loin d’un affrontement binaire de film à grand spectacle hollywoodien, elle lui permettra au contraire, s’il le désire, de complexifier ses intrigues et ses personnages sans jamais sacrifier le suspense et l’intérêt du lecteur. 

Un atelier à distance, comment ça marche ?

C’est simple : chaque vendredi, vous recevez dans votre boite email un exercice d’écriture autour de la notion, suivant une progression pédagagique de semaine en semaine. L’exercice, portant sur la prose et la narration, est à faire chez soi. Il s’agit donc d’un atelier où l’on écrit quand on veut, dans le train, tard la nuit, tôt le matin… mais en solitaire.

Le vendredi suivant, vous envoyez votre texte et je vous propose un retour personnalisé sur les points forts et les points faibles du texte, en vous donnant des conseils pour la suite. L’idée étant bien sûr de progresser… 

Par ailleurs, à travers une adresse dédiée liée, vous avez la liberté de partager vos textes avec les autres participants de l’atelier, lire les leurs, et peut-être ainsi vous composer un début de petite communauté si vous le souhaitez !

L’atelier se déroulera du 28 août au 30 octobre. Les places sont limitées à 20, donc si vous êtes intéressé.e, ne tardez pas !

Inscriptions, informations et tarifs sur cette page.

2020-08-15T09:07:33+02:00mercredi 20 mai 2020|À ne pas manquer, Technique d'écriture|2 Commentaires

Du processus de construction de « Les Dieux sauvages »

Il m’arrive de recevoir des questions, tant sur l’écriture qu’en réaction à ce que je peux dire ici ou là, et c’est un plaisir, et je me dis souvent : “ah, ça nécessite une réponse un peu fouillée, pour rendre à la personne de la substance, afin de la remercier de l’attention qu’elle a prêté à ce que je peux écrire ou dire” – et puis, life happens, genre une main temporairement invalide, et je termine comme un gros naze à ne pas l’avoir fait.

Qu’il soit donc pris ici une résolution de nouvelle année en mai (ben quoi ? Si on n’avait pas introduit les années bissextiles, je suis sûr qu’on serait le 31 décembre quelque part, en tout cas ça l’est dans l’univers) : m’efforcer d’être bien meilleur là-dessus et donner à tes questions, auguste lectorat, la plus haute priorité ici. (Ceci ressemble dangereusement à une promesse électorale, mais comme vous n’avez pas à voter pour moi, on est en sécurité)

Couv. Alain Brion

Avanti. Pour commencer, un retour et des interrogations sur le processus de construction de « Les Dieux sauvages »1. Le tout garanti sans divulgâchage (donc en restant plutôt autour du tome 1).

Merci pour cette lecture et ces questions.

Dans quelle mesure tu avais prévu quels personnages seraient des personnages points de vue à l’avance et quels personnage le sont devenu au fil de l’écriture?

En gros, dans la manière dont j’approche les choses, il y a d’une part la trame de l’histoire (les événements) et de l’autre la manière de la raconter (le découpage scénique et les points de vue). La première concerne plutôt ce qui se passe, la seconde la façon de le faire vivre au lecteur de la façon la plus intéressante et efficace possible (et amusante à écrire, aussi !).

Du coup, il y a globalement dans « Les Dieux sauvages » deux types de personnages à la construction : ceux dont il était évident qu’ils ou elles seraient point de vue (Mériane, Erwel, Luhac, Ganner, plus tard Maragal…) parce qu’ils se trouvent au centre du maelström, et ceux qui se sont présentés sur la scène en disant “je figure dans cette histoire, et ça serait vachement plus intéressant que tu la racontes à travers moi” (Juhel, Izara, même Leopol…). C’est sans lien aucun avec la densité de chaque fil scénaristique, d’ailleurs. La preuve en est le cas de Chunsène, qui a failli ne jamais apparaître dans la série du tout. Mais elle m’a tiré la manche, tellement fort que j’ai dit “okay, on va faire un bout d’essai” et… elle s’est révélée l’un des personnages les plus importants et les plus intéressants de la saga.

La morale de ça ? La pensée consciente, c’est bien, mais toujours faire très, très attention à ses tripes et aux personnages qui s’imposent à vous.

Quand tu as écrit La Messagère du Ciel, dans quelle mesure ton histoire était proche des personnages, par rapport a une approche par événements ? En gros est ce que t’as travaillé l’histoire de Mériane, puis entremêlé celle de Juhel puis celle de Chunsène… ou alors tu as défini les événements majeurs de l’histoire (et l’implication des personnages dans ceux-ci) puis ajouté le liant pour que les personnages aient chacun des arcs intéressants ?

Un peu des deux. Comme je disais plus haut, il y a les grands événements, les grands temps de l’histoire (sachant que je sais très exactement où je vais et quel est le fin mot de tout ça). J’ai donc une vision “macro” de l’histoire, mais cela revient à préparer une rando pour un groupe en étudiant une carte. Tu te dis que tu vas passer par là, que tu vas t’arrêter pour la nuit ici, que tu vas montrer tel paysage à ton groupe, etc.

Et puis tu pars sur le terrain, et là y a un de tes touristes qui finalement n’a pas pu venir, remplacé par un autre ; le chemin que tu voulais prendre s’avère beaucoup plus escarpé parce que tu as mal lu les courbes de niveau ; tel camp a été ravagé par une inondation et tu ne peux pas t’arrêter là ; le paysage que tu voulais montrer à ton groupe (tes personnages) est finalement naze parce qu’il y a de la brume par contre tel autre champ de fleurs s’avère magnifique par total hasard et tu décides de rester plutôt là pour la journée… 

Il y a les intentions, la direction, le cap, l’impulsion, et il y a la réalité de ce que vivent les personnages et ce qu’ils vont vivre, désirer, accomplir dans la réalité de l’écriture, d’une phrase à l’autre. Et à un moment, quelle que soit ta préparation, tu dois descendre sur le terrain aux côtés des personnages et découvrir le voyage. Il est vital, à mon sens, de savoir les accompagner là dans ce qu’ils te servent, parce que c’est là que se trouve la vie, l’inconscient, le mystère créatif. (C’est comme ça qu’une trilogie devient une pentalogie, aussi…)

Donc : dans la grande trame, j’avais forcément l’histoire de Mériane autour de qui tout tourne, celle de Ganner, les coulisses politiques donc Juhel, Luhac, Izara, mais chacun.e m’a aussi apporté sa vision, en particulier Juhel. Chunsène a fait son truc, rencontré des gens intéressants (ahem), et m’a montré tout ce qu’elle était. Dans pas mal de cas, dans ma vision macro, j’ai le “quoi” (il se passe tel événement, par exemple le premier chapitre de La Fureur de la Terre a toujours été prévu de très longue date) mais pas forcément le “comment”. Mon boulot consiste beaucoup à voir ce que l’inconscient / la Muse / le mystère m’a “servi” comme images, comme visions, comme impulsions, et à comprendre consciemment comment les pièces sont déjà en place et comment elles s’emboîtent vraiment (Chunsène et tout ce qu’elle vit s’est avéré absolument fondamental à l’équilibre de la série – je ne sais pas comment j’aurais fait sans elle – mais il se serait peut-être passé autre chose). Tout Évanégyre est comme ça, d’ailleurs : une recherche archéologique pour révéler ce qui veut exister.

Alors parfois, effectivement, il faut creuser un peu plus un arc narratif pour comprendre comment le personnage se rattache individuellement à la grande histoire, et cela veut dire l’étudier, mais souvent, cela revient toujours à la question “okay, où en es-tu, et qu’est-ce que tu veux maintenant et comment vas-tu t’y prendre ?”

Et après, mais c’est plus une discussion qu’une question, je conseille souvent « Les Dieux sauvages » avec beaucoup d’entrain, et les gens sont heurtés par le premier chapitre de La Messagère du Ciel. Moi j’ai trouvé ça très cohérent avec ce qu’il s’y passe, mais ya des gens que ça rebute assez fortement et je les pousse à lire la suite parce que c’est génial. Moi dans ce premier chapitre j’ai vu un parlé divin, qui était du coup onirique et supérieur dans le ton, parce que c’est des dieux et que c’est normal, ça me parait opportun et juste comme style pour ce chapitre. Je suppose que des gens ont déjà dû te parler de ce premier chapitre, et je me demandais comment tu les a reçu, ce que tu a pu en tirer comme conclusions, et quelle avait été ton intention réelle sur ce départ.

Aha.

D’abord, merci beaucoup pour ta recommandation et ton enthousiasme pour la série. Et content que tu aies marché.

On a un peu discuté de ce premier chapitre (pour mémoire : deux pages et demi un peu ésotériques et conceptuelles de débat entre deux divinités) avec Critic, et la question m’a été posée : “tu es sûr que tu veux commencer comme ça ?” J’ai dit “oui” – et le débat s’est arrêté là, parce que chez Critic, ils sont super, ils me font confiance.

Sur le moment : je le sentais absolument comme ça. Parce que je voulais que dès la toute première page de cette saga, les réponses soient déjà présentes, dissimulées, mais capables de prendre tout leur sens quand tu as enfin trouvé les clés en faisant le voyage avec les personnages. C’est pour moi un plaisir de lecteur de voir tout ce qu’un auteur a semé sur son chemin et de voir la signification me sauter au visage quand je sais enfin, alors forcément, c’est une chose que j’aime faire aussi.

Après, oui, ce passage est un peu nébuleux – mais c’est le jeu. Je suis toujours le premier à dire que notre travail doit être accessible – qu’il doit emporter le lecteur dans l’histoire. Je suis aussi le premier à critiquer l’interminable prologue de Tolkien dans Le Seigneur des anneaux. Mais “le lecteur” n’est pas un absolu. « Les Dieux sauvages » est une saga complexe, avec beaucoup de personnages (six à huit points de vue par tome), de la stratégie militaire, de la politique, des alliances, dans un univers sombre et dur. (Et beaucoup de révolte contre celui-ci, du coup.) Il y a de l’humour, mais c’est un humour plutôt noir, celui avec lequel on se défend face à une opposition qui semble irrépressible à première vue.

Et donc ce que je vais dire est une analyse a posteriori, mais : ces premières pages forment aussi une sorte de promesse narrative, d’avertissement. En gros, ça dit : ça va être complexe, il va falloir faire un peu gaffe, et surtout, je vous invite à faire gaffe, justement, parce qu’il y a des miettes dans tous les coins, et si vous voulez jouer à essayer de piger le fin mot de l’histoire, ça promet d’être rigolo, parce que je vais quelque part. Voilà peut-être la promesse narrative importante des chapitres “Ailleurs” dans La Messagère du Ciel : accrochez-vous à votre siège, parce qu’on va quelque part. Il y a une vraie fin qui viendra justifier tout le voyage (et qui est, pour moi, la raison d’être de cette saga). Je pense que le pari était le bon, parce que par la suite, aucun lecteur n’a critiqué ces pages en me disant qu’elles étaient superfétatoires ; on les a trouvé parfois complexes, c’est vrai, mais toujours intrigantes, ce qui est le but.

Maintenant, note bien que quand on m’a proposé de publier le premier chapitre en ligne pour donner envie, j’ai expressément dit de ne pas commencer par les premières pages mais de démarrer directement sur le “vrai” chapitre 1, où l’on découvre Mériane dans la forêt relevant ses collets et se confrontant aux dangers de la zone instable – la narration plus classique. Les premières pages n’ont de sens que si tu as acheté le livre et donc décidé, au moins pour un temps, de faire l’effort de t’investir dans la saga. Donc, s’il s’agit de donner envie rapidement entre deux portes, ignorer ces premières pages n’est pas une mauvaise idée. Par contre, si l’on fait le choix de faire ce voyage, de s’y investir, alors elles prennent tout leur sens.

Et puis, franchement, ce n’est que deux pages et demie. Je sais que nous vivons dans une époque d’immédiateté absolue, mais justement, j’ai envie d’espérer qu’on peut encore survivre à seulement deux pages et demi un peu nébuleuses, qui suscitent le mystère, sans avoir la moindre réponse servie prémâchée tout de suite, surtout si elles servent une finalité narrative !

Merci pour tes questions et ta lecture !

  1. Par défaut, je conserve l’anonymat de ceux et celles qui s’interrogent, ce n’est pas un oubli
2020-05-08T10:56:19+02:00jeudi 7 mai 2020|Best Of, Entretiens, Technique d'écriture|2 Commentaires

Procrastination podcast S04e13 – L’identification du lecteur au personnage

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “S04e13 – L’identification du lecteur au personnage“.

… est un conseil fréquemment mis en avant, parfois au point d’être affirmé comme une nécessité pour parvenir à intéresser le lecteur à l’histoire. Qu’en est-il ? Mélanie commence par rappeler que le projet de beaucoup de livres c’est qu’on s’identifie pas, justement. Estelle entre en détail dans le sujet la présence de l’identification dans la littérature jeunesse, à la fois dans son rôle d’inspiration mais aussi de validation de la diversité. La notion d’identification apparaît ainsi sous deux facettes sur lesquelles conclut Lionel : la neutralité d’un personnage censément servir de support de projection, et la représentation par l’exemple de toute la diversité de l’expérience humaine.

Références citées
– American Psycho, Bret Easton Ellis,
– Voyage au centre de la Terre, Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne
– Doctor Who, série dirigée en 2020 par Chris Chiball
– Dexter, série créée par James Manos Jr. (Adaptée de Jeff Lindsay)
– Alexandre Astier chez Jean-Marc Morandini https://www.youtube.com/watch?v=pdREfg7ZXIM
– Bruce Holland Rogers

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2020-10-19T11:35:18+02:00mercredi 15 avril 2020|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S04e13 – L’identification du lecteur au personnage

Une liste de lecture pour Léviathan (“La Voie de la Main Gauche”)

J’en avais proposé une pour « Les Dieux sauvages », une liste de lecture (oui, bon, une playlist) d’inspirations musicales-slash-bande originale fantasmée si j’avais tout le budget de la défense américaine et que tout le monde veuille bien travailler avec moi, y compris des gens qui ne sont plus de ce monde, bref, vous voyez l’idée. Bien sûr, je suis peut-être le seul à y voir (entendre) ce que j’y entends (vois), mais avec l’existence des services de streaming, je trouve sympa de pouvoir partager les morceaux qui ont pu spécialement influencer la genèse d’un travail.

Il en existe à présent une pour tout l’univers de « La Voie de la Main Gauche » (la trilogie « Léviathan » et le recueil numérique Quatre voies de la Main Gauche). C’est écoutable librement sur Apple Music ou ci-dessous (ou directement sur mon profil, ici). Je les étoffe régulièrement.

<iframe allow="autoplay *; encrypted-media *;" frameborder="0" height="450" style="width:100%;max-width:660px;overflow:hidden;background:transparent;" sandbox="allow-forms allow-popups allow-same-origin allow-scripts allow-storage-access-by-user-activation allow-top-navigation-by-user-activation" src="https://embed.music.apple.com/fr/playlist/la-voie-de-la-main-gauche/pl.5090fecaad0042bfb539d327e6ebe0ac"></iframe>

Rappelons aussi qu’il existe une véritable bande originale inspirée par la saga “Léviathan”, composée par Jérôme Marie et disponible en CD et en ligne ici !

2019-11-14T02:11:09+01:00jeudi 21 novembre 2019|Juste parce que c'est cool|Commentaires fermés sur Une liste de lecture pour Léviathan (“La Voie de la Main Gauche”)

Vous devez lire La Guerre de l’Art

Je suis sérieux, et en plus, c’est pas un gros bouquin (190 pages en anglais, version que j’ai lue, soit The War of Art ; je ne sais pas exactement où trouver la VF, qui semble étonnamment rare en ligne, mais bon, vous savez qu’il existe en français).

C’est un bouquin plutôt connu dans le monde anglophone, de Steven Pressfield, largement cité dans cette vidéo que j’ai déjà largement fait circuler, et peut-être l’ai-je lu au bon moment, dans le marathon qui m’amenait à la ligne d’arrivée de La Fureur de la Terre ; toujours est-il que j’aurais voulu le lire bien plus tôt.

Genre, vingt ans plus tôt.

Le texte est court, incisif, simple. Pas de fioritures ni d’effets de manche1. Chaque phrase sert. La thèse est simple : toute tâche d’importance, en particulier un projet créatif, se heurte à un ennemi que Pressfield personnifie résolument, la Résistance. La Résistance est l’ennemie de la réalisation (tout particulièrement artistique) : elle vous emmène vous engueuler sur Facebook au lieu d’écrire, suscite syndrome de l’imposteur et vous paralyse au moment de travailler, nourrit la jalousie envers vos pairs tout en vous glissant à l’oreille que vous êtes un naze. La Résistance, avance Pressfield, est un adversaire retors qu’il faut vaincre résolument, tous les jours, toute sa vie, si l’on souhaite se mettre en contact avec ces forces intangibles qui président à la création authentique.

Pressfield avance carrément que la Résistance est l’une des causes premières du malheur dans le monde, alors que tant de personnes souffrent de succomber à cet ennemi qui les sépare de leurs aspirations véritables, de la vie qu’ils rêvent (quel que soit le rêve, bien sûr ; tout le monde ne veut pas être auteur, ni même artiste – mais la Résistance, elle, se dresse toujours). Et franchement, considérant de plus en plus qu’une personne en colère est souvent une personne qui souffre inconsciemment, j’adhère au discours.

EDIT du 10 mai 2019 : Emporté par l’enthousiasme, j’ai occulté que dans ses premiers chapitres, Pressfield tient un discours que l’on peut juger validiste en considérant les maux comme l’ADHD, etc. comme des fables. Je pense résolument qu’il n’en nie pas la réalité mais pointe du doigt les hypochondriaques qui s’en servent comme excuse (et qui, soit dit en passant, font du mal aux personnes qui souffrent véritablement). (Son discours sur la Seconde Guerre mondiale peut aussi susciter l’ire, et c’est probablement un truc dont Pressfield aurait pu s’abstenir dans son bouquin.) Comme toujours dans un ouvrage, ou dans ce qu’on lit sur Internet, il est salutaire de ne pas se considérer personnellement accusé.e par des mots qui ne s’adressent pas directement à vous (soit l’immense majorité des mots, d’ailleurs), mais d’en tirer ce que l’on peut. Et si, contrairement à ce que le titre de cet article proclame (vous savez que la vérité absolue n’existe pas, hein ?), vous constatez dans votre cas qu’il ne faut pas lire La Guerre de l’Art, tirez-en la bonne leçon – à savoir, ce que cela vous apprend sur votre propre manière de fonctionner et en quoi cela vous fait avancer. Le fond, globalement, est : comme le disait Nietzsche, rien de ce qui important ne vient sans surmonter quelque chose.

(Reprenons.) Pas de techniques ni de stratégies appliquées dans ce bouquin pour la vaincre, juste un discours de sergent instructeur bienveillant. Juste la répétition, encore et encore, que la Résistance est un adversaire terrible qu’il ne faut jamais sous-estimer. Et que, tous, nous l’affrontons. Et que, toutes et tous, nous devons la vaincre pour faire quoi que ce soit qui nous tienne à cœur.

Le syndrome de l’imposteur est un mal largement répandu de nos jours, et La Guerre de l’Art y répond avec brio, non pas d’une tape de commisération dans le dos et d’un bisou sur le front, mais d’un discours à la fois simple et efficace : 1) oui, je sais, c’est dur, je comprends ; 2) bouge ton cul, parce que c’est la seule solution véritable – aiguiser ta volonté. Tel le guerrier de Sun Tzu, fourbis tes armes, traque la Résistance, deviens plus fort qu’elle, et terrasse la Résistance, chaque jour.

Rien qu’en cela, ce serait un ouvrage déjà salutaire, mais il y a plus. Pressfield dit ouvertement en introduction qu’il croit en dieu ; la dernière partie du livre est clairement spiritualiste, mais fait appel à la psychologie de l’inconscient (on retrouve C. G. Jung) et le discours déborde très largement de toute doctrine judéo-chrétienne, et pourra trouver son écho dans les conceptions bouddhistes ou new age. (Vers lesquelles, honnêteté nécessaire, je tends davantage.)

Appelez ces forces mystérieuses qui président parfois à la création l’inspiration, la Muse (comme Pressfield), les anges (comme Pressfield), l’inconscient, ou un parcours chamanique (ce que j’ai tendance à faire). Le « higher self » cher à Jung et qu’on retrouve dans les spiritualités modernes sous le nom générique de « cœur ». Dans ce cas, la Résistance vient de l’ego – au sens là aussi spiritualiste du terme : cette force d’immobilisme en soi, de possession peut-être, qui s’attache au monde extérieur pour valider son existence. La Résistance n’aime pas la création, car la création défriche l’inconnu, par définition. La création bouleverse le statu quo, à commencer par celui de l’individu.

La création est donc dangereuse pour l’ego, et j’arguerais en outre qu’elle n’est jamais aussi bonne que quand l’ego s’en efface, pour laisser librement cours à ce qui veut s’exprimer à travers soi.

Je divague. Bref, il faut lire La Guerre de l’Art. C’est une bouée de sauvetage lancée à tous les créateurs qui doutent (termes parfois synonymes). Et puis il faut le relire, dès qu’on en a besoin. Nous affrontons tous la Résistance dans tous les aspects de nos vies. Et face à elle, nous avons deux choix : lui céder, ou bien tenir bon. Pressfield nous y exhorte, et montre la voie.

  1. Ce qui le rend, soit dit en passant, très accessible en anglais même si votre niveau est hésitant, et que la VF s’avère difficile à trouver.
2019-05-13T16:22:40+02:00jeudi 9 mai 2019|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

Une liste de lecture musicale pour « Les Dieux sauvages »

Couv. Alain Brion

J’ai toujours le projet de proposer ici des portails un peu plus développés sur les univers, évidemment Évanégyre et La Voie de la Main Gauche (« Léviathan »), mais je n’ai pas encore trouvé la bonne forme. (Et puis, accessoirement, j’ai un gros bouquin à boucler, donc c’est pas trop le moment de me lancer là-dedans – mais en 2019, qui sait… ?)

Cependant, la musique est toujours importante pour moi ; autrefois, je proposais une petite sélection de morceaux d’inspiration (pompeusement appelée “bande originale”, mais bon, faute d’avoir tous les orchestres symphoniques et groupes du monde à ma disposition, j’fais c’que j’peux madame) pour « Léviathan ». (Rappelons en passant que le compositeur Jérôme Marie a réalisé une vraie bande originale pour la série, disponible ici !)

Joie du nuage et des services de diffusion de musique en continu (ouais, le streaming, quoi), je me suis mis à ressusciter cette chouette pratique pour constituer au fur et à mesure une liste de lecture / playlist / bande originale / sélection de morceaux d’inspiration / appelez ça comme vous voulez pour « Les Dieux sauvages ». Il s’agit de morceaux qui m’inspirent dans l’écriture, qui évoquent pour moi des ambiances particulières collant particulièrement bien à certains passages des livres. Cela reflète simplement ma façon de voir – ou d’entendre – les choses ; évidemment, il ne s’agit aucunement d’une appropriation de ma part et les compositeurs en question n’ont rien à voir avec cette proposition.

Mais pour moi, par exemple, Beyond the Veil et Black Hole pourraient coller aux pérégrinations de Mériane en zone instable dans le premier chapitre de La Messagère du Ciel ; Republic, de Ninja Tracks, pourrait représenter la conquête d’un ciel pur par l’Éternel Crépuscule ; Beautiful Lie de Hans Zimmer refléterait musicalement toute l’implacabilité inhumaine de Ganner…

Mais je préfère ne pas trop en dire et vous laisser faire, si le jeu vous amuse, vos propres images. La liste de lecture est disponible sur Apple Music ; vous pouvez l’ajouter à votre bibliothèque ci-dessous. Elle sera mise à jour au fur et à mesure de l’écriture de la série jusqu’à sa forme finale.

Elle se trouve également sur mon profil Apple Music, où j’ajouterai peu à peu d’autres listes de lecture relatives aux autres romans et univers. (N’hésitez pas à me suivre si ce genre de chose vous amuse, ici.)

2018-12-10T18:46:24+01:00jeudi 6 décembre 2018|Dernières nouvelles|1 Commentaire

Parlons de femmes guerrières dans la fantasy (et dans « Les Dieux sauvages »)

Couv. Alain Brion

(Rappel : je suis hors ligne cette semaine en train de batifoler avec les dingos et les wallabys.) 

Un des grands honneurs de ce métier et que des gens semblent se soucier des raisons pour lesquelles vous faites et écrivez des trucs, et vont jusqu’à vous demander votre avis là-dessus. Là, vous priez pour en avoir un, d’avis, et qu’il ne soit pas trop bête, parce que c’est dans ces moments-là que vous levez la tête du guidon et que vous vous dites : fichtre, je participe à ma modeste échelle à une culture, et cette culture m’accueille avec amitié. Alors déjà : merci. C’est une sensation assez vertigineuse et, ben, on espère y contribuer, au final, des choses positives, malgré toute sa terrible imperfection humaine.

Angélique Salaun est actuellement en deuxième année de thèse. Elle dit :

Je travaille sur la figure de la femme guerrière/femme en guerre dans la fantasy épique francophone et anglophone. Afin de nourrir mon étude je souhaite recueillir les témoignages des auteurs et autrices composant mon corpus d’étude.

Avec sa permission, je retranscris ici ses questions et mes réponses sur le thème de la femme guerrière en fantasy, notamment dans le contexte de la série « Les Dieux sauvages ». Je l’en remercie grandement, tout comme je la remercie d’avoir voulu se pencher sur mon travail (et sur ce que je pouvais avoir à raconter dessus).

Dans au moins un de vos romans de fantasy vous avez choisi de mettre en scène comme personnage principal une femme guerrière. Pouvez-vous m’en dire davantage sur ce choix ?

En fait, en toute honnêteté… Difficilement. Je sais bien que c’est une figure assez rare ou inhabituelle dans la fiction, mais, pour ma part, ce choix ne s’est pas fait avec cette notion présente à l’esprit. Il s’est simplement présenté naturellement. La série « Les Dieux sauvages » s’inspire en filigrane de l’épopée de Jeanne d’Arc donc j’étais forcémentobligé d’avoir au moins une femme guerrière, mais au-delà de cela, la présence de Nehyr ou même de Chunsène, que l’on peut également considérer comme des femmes guerrières, n’est pas spécialement née de considérations sur leur genre. Ce sont des personnes avec des objectifs, des buts, un passé plus ou moins trouble ou difficile, des méthodes particulières pour parvenir à leurs fins, et il se trouve, simplement, que ce sont des femmes. Certes, cela va informer leur vision du monde et parfois leurs méthodes d’action dans la société patriarcale où elles évoluent, mais c’est une facette de leur humanité – qu’elles vivent, en plus, toutes différemment.

Votre personnage de femme guerrière est-elle inspirée d’autres figures de combattantes ?

L’épopée de Mériane dans « Les Dieux sauvages » reprend certains grands motifs de celle de Jeanne d’Arc, et surtout des mythes auxquels elle a donné naissance, en effet. Pour Nehyr et Chunsène, il n’en est rien (en tout cas, rien de conscient).

Dans le cas d’une réécriture de l’histoire d’une guerrière préexistante, pouvez-vous expliquer le choix de cette figure plutôt qu’une autre ?

Jeanne d’Arc représente un paradoxe qui m’a toujours semblé ironiquement savoureux. Nous avons là une jeune femme qui se présente comme envoyée de Dieu, sauveuse de son monde ; ce à quoi elle parvient. En conséquence de quoi, elle finit brûlée sur le bûcher par l’Église représentant ce même Dieu. (Oui, elle est rapidement réhabilitée, mais post-mortem.) Il me semblait là y avoir un terreau extrêmement riche à explorer sur la place des femmes dans les sociétés médiévales, sur le trajet d’une figure qui devient une légende plus ou moins malgré elle, ainsi que sur le traitement réservé aux femmes par les religions dogmatiques.

On dit souvent que la fantasy est affaire de garçons. Qu’en pensez-vous ?

Les expressions à l’emporte-pièce disant que x ou y est affaire de garçons / filles tombent directement dans mon filtre anti-spam mental. Les généralisations de ce genre n’expriment pour moi qu’une chose : l’insécurité de celui / celle qui les prononce, et qui cherche désespérément à catégoriser un monde dont l’infinie et splendide subtilité lui échappe.

Le lectorat est aujourd’hui majoritairement féminin, et la fantasy ne s’est jamais aussi bien portée. Il suffit de se rendre dans n’importe quel festival ou événement relatif à l’imaginaire pour constater que les femmes aiment et s’investissent dans la fantasy comme les hommes.

Il me faut cependant être juste et mentionner que le genre n’a pas toujours convenablement traité les femmes – on pourra se souvenir de couvertures dénudées qui n’avaient rien à voir avec le contenu des livres, ou de certaines « œuvres » qui ne voyaient les femmes que comme des faire-valoir ou des récompenses dans la chambre pour de preux tueurs de dragon. La fantasy n’est néanmoins pas la seule coupable, tous les genres ont été plus ou moins touchés par ces stéréotypes – et les mœurs progressent avec les années, bien heureusement.

Comment envisagez-vous la création d’une femme guerrière comme personnage principal ?

Une femme guerrière est un être humain qui se trouve être une femme et un guerrier. Je n’envisage absolument pas ce genre de personnage différemment des hommes ou de tout autre archétype. Ce personnage a des caractéristiques et des origines qui vont influencer ses modes d’action et son rapport aux autres notamment à travers la société qui l’a formé, mais le fait d’être une femme n’est pas obligatoirement plus déterminant que d’être guerrier, ou religieux, ou grand, ou timide, ou séduisant, ou révolté, etc. Tout le monde vit ses convictions, ses origines, son apparence, son genre, son passé, ses aspirations différemment et, en outre, avec plus ou moins d’intensité. Tout cela forme un tout unique qui compose l’alchimie d’un être humain donné avec ce qu’il ou elle est, ses relations, sa sensibilité, ses aspirations, ses révoltes, ce qui tracera son voyage, son histoire, ses rêves, ses réussites et ses tragédies.

Pour vous quelle est la représentation la plus juste d’une guerrière en fantasy ?

Les seuls personnages qui m’intéressent sont les êtres humains et, pour moi, la représentation juste d’un être humain est simplement celle qui s’efforcera de le montrer dans toute l’envergure de ce qu’il ou elle est. Encore une fois, que ce soit une femme guerrière n’est qu’un épiphénomène. On parle d’un être humain dans toute sa complexité et le traitement du personnage doit simplement bénéficier du même soin que tous les autres (modulo leur importance narrative).

En créant votre femme guerrière vous êtes-vous posé la question de la vraisemblance ?

Par rapport à quoi ? Écrivant de la fantasy, je conçois en grande partie mon monde, mon univers, pour servir de décor aux histoires que je désire raconter. C’est cela qui dicte la vraisemblance : la cohérence narrative interne. La seule loi de vraisemblance en fiction consiste à maintenir son lecteur dans le flux du récit. Dans « Les Dieux sauvages », j’ai des femmes guerrières dans une société patriarcale, et cette société considère qu’une femme guerrière, ce n’est pas très vraisemblable. C’est un jeu avec le lecteur, un questionnement sur nos a priori. Pendant ce temps, mes personnages de femmes guerrières s’en tapent royalement que la société ne soit pas d’accord avec elles. Elles sont là. Ce monde va devoir faire avec.

Si oui sur quels types de documents avez-vous pu vous appuyer pour vos recherches ?

Je ne me documente pas tant sur le fond historique que sur les légendes et les mythes qu’il engendre – c’est le terreau qui m’intéresse principalement. Me documentant sur Jeanne d’Arc (articles en ligne, quelques livres), je n’ai pas tant cherché le détail historique et sa vraisemblance dans l’épopée que j’allais raconter, mais ce qui a enflammé l’histoire et les imaginations, à commencer par la mienne. J’écris de la fantasy et je considère qu’à ce titre, mon substrat n’est pas l’histoire, mais l’imagination enflammée par l’histoire. Bien sûr, quand je décris un siège dans un contexte médiéval, par exemple, je dois m’assurer que les techniques présentées soient cohérentes et logiques ; mais le déroulé des événements plus vaste sera dicté par le monde que j’ai mis en place et par les trajectoires que mes personnages désirent, plutôt que par mes recherches. Tant que mon histoire conserve une cohérence interne, et que je m’efforce à mon tour de m’adresser aux imaginations des lecteurs et lectrices, ma mission est accomplie. Le reste ne m’appartient pas.

Avez-vous noté des réactions de vos lecteurs par rapport à vos personnages de femmes guerrières ? Si oui, lesquelles ?

Elles ont été bien reçues, ce qui me fait très plaisir et m’honore énormément, car je suis un homme dépeignant certains personnages d’un point de vue que je ne peux connaître intimement, et si je m’efforce de le faire avec toute l’empathie dont je suis capable, les intentions ne garantissent pas la réussite !

Propos recueillis par Angélique Salaun. 

2018-08-30T09:31:58+02:00mercredi 5 septembre 2018|Entretiens|1 Commentaire

Des réponses à vos questions sur La Messagère du Ciel et « Les Dieux sauvages »

Couv. Alain Brion

Hey ! Il y a quelques semaines (je suis en retard, un peu comme toujours, pardon…) j’ai reçu un message très sympa autour de La Messagère du Ciel (me faisant part de son plaisir de lecture : merci !) avec quelques questions attenantes. Suivant toujours l’adage, quel que soit le domaine – si une personne ose poser une question, trois de plus se les posent peut-être en silence – et puis pour discuter davantage publiquement autour de la série, parce que c’est sympa, quoi, je pensais y répondre publiquement. Si d’aventure vous en avez d’autres, des questions, et si ce format d’échange vous plaît, n’hésitez pas à les poser en commentaires, c’est tout à fait une formule que je pourrais revisiter, et sinon, j’ai plein d’articles sur l’écriture et la productivité en stock, donc pas de problème.

Une lecture bien agréable ! Aux personnages bien posés. J’ai surtout apprécié le “duo” Mériane/Dieu, le caractère bouillant de celle-ci et la patience parfois exaspérée de Wer, ainsi que ses nombreux moments de sagesse (mais c’est Dieu, après tout !). Je lirai la suite avec plaisir. Si tu permets, j’ai quelques questions :

1) Concernant les Enfants d’Aska, je ne serais pas particulièrement surpris si tu me disais que ton inspiration est à chercher du côté de Warhammer ? ???? En lisant certains passages, j’avais l’impression de revivre quelques moments sur Warhammer online avec mon gros Élu de Tzeentch.

Alors, je suis content que cette question revienne, parce qu’elle fait surface de loin en loin, souvent en salon autour de la couverture de La Route de la Conquête. Du coup, cela me permet de pouvoir dire qu’il n’en est rien. Je connais extrêmement mal l’univers de Warhammer Fantasy (même si j’ai eu une boîte quand j’étais ado, mais j’ai dû faire trois parties à tout casser – je n’avais pas la patience pour peindre les figurines) et j’ai encore plus longtemps tout ignoré de 40k. (À force qu’on m’en parle, je m’y suis intéressé, et j’avoue que le douzième degré bourrin m’amuse bien.) J’ignore précisément qui est Tzeentch, par exemple, à part que c’est un des dieux du chaos. Pour les enfants d’Aska, l’inspiration se trouve avant toute chose dans l’esthétique biomécanique (employée dans le tatouage, par exemple) mais en version cauchemardesque. Je me suis aussi énormément nourri de Lovecraft à un âge probablement trop tendre (je considère qu’il a capturé l’essence de la terreur existentielle de l’homme, teintée de sublime, d’une manière peut-être indépassable) et cela irrigue pas mal mon approche de la fascination et de l’inhumain, à travers « Les Dieux sauvages » mais aussi “Léviathan” (Andrew León le cite, d’ailleurs, à la fin de Léviathan : la Nuit). Je pense que beaucoup de visions de l’horreur modernes remontent à lui : du coup, j’ai peut-être cette inspiration là en commun avec d’autres.

2) Est-ce que tu prévois d’en dire plus au sujet du Vagabond ? À moins que ce ne soit un personnage qui se retrouve dans La Volonté du Dragon (que je n’ai pas encore lu) ? Voire dans La Route de la Conquête (que j’aurais oublié) ?

Je crois qu’on a à peu près tous les éléments dans La Messagère du Ciel pour suivre les enjeux du passage en question (en tout cas c’était l’intention), mais si l’on veut en savoir plus, l’histoire de Mandre et de la cause de la chute des Mortes-couronnes est traitée dans « Quelques grammes d’oubli sur la neige », le dernier texte de La Route de la Conquête. Mettre en rapport cette histoire et La Messagère du Ciel les éclaire en principe tous les deux d’une façon nouvelle (même si ça n’est pas nécessaire pour suivre l’un et l’autre !).

3) On te l’a sûrement déjà demandé, mais peut-on s’attendre à un bouquin qui concernera la chute de l’Empire ? J’imagine déjà connaître la réponse (un truc pareil doit être tellement fun à raconter !), mais je n’ai rien contre une confirmation, huhu.

Ouiiiiiiii ! (voix emplie de frustration et d’envie à parts égales) Mais c’est probablement le projet le plus ambitieux d’Évanégyre. Genre encore plus que « Les Dieux sauvages ». Il y a donc deux aspects à prendre en compte avant de se lancer là-dedans : d’une part, une question de compétence personnelle (que je dois encore développer, à mon sens, avant d’avoir la hauteur de vision pour aborder un truc aussi vaste), de l’autre, une question toute bête de viabilité économique. Si je me lance dans, mettons (ce n’est pas une promesse, c’est un chiffre en l’air) une série de 10 bouquins d’un million de signes pièce, il faut que l’éditeur comme moi nous assurions de pouvoir la conduire à son terme, et cela implique notamment d’avoir assez de lecteurs pour. Donc, il faut que l’univers continue à s’implanter, à fédérer l’intérêt, et cela se joue à la fois à mon niveau (en proposant les meilleurs récits possibles) et à celui du temps (avec un effort pour faire connaître l’univers et, espérons-le, susciter l’envie auprès de plus de monde, en montrant – c’est important – qu’on peut faire confiance : l’auteur ne va pas s’évaporer en laissant la série en plan). En tout cas ta question est un encouragement très net et très agréable à faire ce projet un jour : merci !

4) Concernant Chunsène, est-ce que ça t’a ennuyé de la désigner comme l'”adolescente” pour être à même de la distinguer de Nehyr aux yeux du lecteur ? Sachant que ton histoire est d’inspiration médiévale et qu’au Moyen Âge, on passait plus ou moins de l’enfance à l’âge adulte ? Ou bien t’en avais rien à cirer et cette question est débile ? ???? (Je la pose parce que je sais que, moi, ça m’aurait ennuyé).

Bonne question. Alors, déjà, je triche un peu : « Les Dieux sauvages » est certes d’inspiration médiévale, mais pas entièrement. L’Empire d’Asreth/ia était bien plus proche de nos sociétés, il y a donc un passé moderne à ce monde médiéval, comme on a pu le voir dans La Volonté du Dragon et La Route de la Conquête. Certains termes employés le trahissent : on parle par exemple de “citoyens” des royaumes, ce qui est anachronique, en fait (mais volontaire de ma part). Mais ça, c’est la réponse facile : de manière plus intéressante, ta question pose le rapport dialectique de la fantasy avec la contemporanéité du lecteur. Même si l’on admettait que « Les Dieux sauvages » se déroulaient dans un monde purement médiéval, la fantasy dépeint rarement un Moyen-âge entièrement authentique, et fait toujours quelques petites entorses de bon aloi pour rendre l’histoire plus intéressante et/ou digeste (c’est aussi pour cela qu’on écrit de la fantasy et pas du roman historique – lequel, d’ailleurs, triche aussi : c’est du roman). Quand je parle d’adolescente dans le cas de Chunsène, clairement, je me place dans le référentiel du lecteur au XXIe siècle ; c’est à lui/elle que ma narration s’adresse. Mon devoir d’auteur (et le devoir de la littérature en général) consiste à créer une illusion de réalité, quelque chose auquel on puisse croire et qu’on vive avec plaisir, d’accès aussi aisé que possible. Parler de Chunsène comme d’une adolescente est une entorse en toute rigueur, mais elle rend la narration suffisamment efficace à mon sens pour valoir le coup, et de toute façon, son comportement rend tout ambiguïté impossible : elle est clairement plus adulte que quelques adultes de l’histoire. Et on pourrait même dire que même aujourd’hui, y a plus de jeunesse, mon bon monsieur, alors…

5) Que penses-tu de l’Église de Wer ? (dans sa forme actuelle en tout cas, quelque chose me dit qu’elle est appelée à évoluer) Est-ce que tout est à jeter selon toi, ou est-ce qu’il y a des éléments que tu apprécies ?

Je pourrais te dire que ma voix n’a aucun intérêt, que ce qui compte, c’est ce que l’histoire raconte (et je le pense), mais je ne vais pas esquiver ta question : dans la réalité, je ne pourrais absolument pas cautionner quoi que ce soit dedans à cause de son traitement des femmes. Mais c’est aussi pour ça que je l’explore : pour chercher et essayer de comprendre où peut bien se trouver l’humanité, malgré l’hostilité viscérale que me cause ce genre d’intégrisme, lequel existe et a existé hélas (dans la fiction comme dans le réel ; mes années de catéchisme m’ont bien servi pour « Les Dieux sauvages »…). Et ce qu’on peut “sauver” de cette humanité au-delà des ravages du patriarcat. Les morales dogmatiques et leur rôle social sont des questions d’une immense complexité qu’il est impossible de dissocier du contexte qui leur a donné naissance. J’espère m’approcher un peu de ces questions à travers « Les Dieux sauvages », et ce que je peux dire, c’est que je vais m’attacher à refléter cette complexité, justement, à travers les différents points de vue (ne serait-ce qu’entre Leopol et Maragal, on a deux conceptions assez différentes du werisme). Pour partager avec le lecteur toutes les questions que ces sujets m’évoquent, et non des réponses (ce qui n’est pas le rôle de la fiction). Bref, j’espère donc que les facettes du récit traiteront de la complexité du sujet mieux que moi en tant qu’individu limité.

6) Au sujet de la ponctuation des dialogues. L’utilisation des guillemets est plus avantageuse selon toi (et pourquoi), ou c’est uniquement par goût esthétique ?

Je crois résolument que les guillemets offrent infiniment plus de flexibilité dans la gestion du rythme, oui, au point que j’aurais du mal à travailler avec un éditeur qui m’impose les tirets seuls. Tu peux faire des incises claires dans ta narration sans introduire de confusion, par exemple :

« Vous êtes très belle ce soir, Anita », dit Bob. Il s’accouda au piano. « Martini ? »

Avec des tirets, tu es obligé de rajouter une précision, sinon on ne sait plus qui cause, ça casse le flux, et sinon tu colles tes didascalies entre parenthèses, bref, c’est super moche à mon goût et vachement plus contraignant alors que les guillemets résolvent tous ces problèmes avec élégance. J’en ai parlé en détail ici.

7) est-ce qu’on peut considérer que les Enfants d’Aska sont les vrais metalleux d’Evanégyre ?

Nan. Bien des métalleux sont en réalité de vrais gentils. :p

2018-07-05T21:03:37+02:00mercredi 11 juillet 2018|Entretiens|6 Commentaires

L’auteur, chaman moderne ? (à l’heure où l’on veut détruire son statut)

Wesh. 

Le statut des auteurs et artistes est en danger de disparition pure et simple : à l’heure où j’écris ces octets, dans deux jours, le 21 juin, aura lieu une réunion pour définir ce qui succédera aux piliers de leur régime social. Pour l’instant, rien ne se profile ; or nos activités sont déjà puissamment précaires : rentrées d’argent très aléatoires et espacées, obligeant la quasi-totalité de la profession à exercer une autre activité pour survivre… Durcir la situation (ne serait-ce que par un vide) ne peut que nuire encore davantage aux créateurs, donc à la création, donc à notre culture, notre langue, notre rayonnement – sans faire du chauvinisme primaire, je n’ai pas tellement envie d’un monde uniformisé par Netflix (même si Jessica Jones, c’est vachement bien).

Je pourrais faire un long post avec des chiffres pour vous expliquer en quoi et dégainer de la fiscalité, mais des tas de gens font déjà vachement ça mieux que moi sur la toile, alors j’ai plutôt envie de faire ce que je sais faire : vous raconter une histoire pour vous montrer en quoi la création remplit un rôle fondamental dans la société.

À vrai dire, ce sont des réflexions qui me trottent dans la tête depuis un moment, et donc le contexte semble synchrone pour en parler. Tout est parti de quelques échanges avec des camarades développant et nourrissant des univers imaginaires (comme je le fais moi-même avec Évanégyre). En ce qui me concerne, j’ai toujours eu la sensation d’avoir un processus bizarre : je n’ai pas tant l’impression d’inventer ce qui m’amuse que de creuser mon esprit à la recherche de ce qui “fait sens”, de ce qui sonne juste, de ce qui doit ou devait être. En un mot, et c’est là que c’est curieux, de fouiller ma mémoire plus que de créer. (C’était aussi l’argument principal de « Une Forme de démence ».)

Voilà l’histoire : à chaque fois que j’ai eu cette conversation avec un ou une collègue1, non seulement on ne m’a pas pris pour un gros dingue, mais le regard s’est allumé avec des étoiles dans les yeux : “Oui ! Mais oui, complètement ! Moi aussi !” En fait, je n’ai pas encore trouvé quelqu’un qui ne partage PAS cette impression, et ce à tous les niveaux, jusqu’au sommet américain des ventes internationales.

Une autrice2 me disait, au cours de tels échanges, que les mondes que nous construisons ne sont peut-être pas tant nos inventions que les souvenirs de vies précédentes (si l’on accorde du crédit au concept, évidemment), d’endroits autres dont nous pourrions venir, où nous aurions pu vivre. (Je me demande un peu ce qu’Évanégyre dit de moi, du coup.) La recherche Google la plus basique montre encore des dizaines d’écrivains de tous horizons partageant cette impression, jusqu’à rien moins que Victor Hugo : “créer, c’est se souvenir”3.

Est-il vrai que les histoires viennent d’ailleurs, que nos cerveaux se branchent d’une manière ou d’une autre sur des réalités parallèles pour traquer les créations que nous rapportons dans ce monde ?  Insérez ici votre version new age de l’interprétation des mondes multiples de la mécanique quantique ou du temps du rêve aborigène. Plus prosaïquement, on peut affirmer que l’inconscient est une puissante machine à chercher et créer des significations ; ce travail apparent de mémoire consisterait alors seulement à entrer en contact avec ce qui rôde dans les profondeurs de la psyché pour le rendre apparent. C’est une hypothèse avec laquelle il est assurément plus facile de travailler au quotidien. Cependant, il y a quand même cette histoire extrêmement troublante que j’ai déjà relatée ici, sur l’apparition des années à l’avance d’un personnage que je n’avais jamais envisagé dans un récit qui ne devait pas connaître de suite. Bah. Dans un monde post-moderne, on peut tout à fait conceptualiser le mysticisme, mais agir avec de la psychologie.

Surtout, au fond, quelle importance ? 

En partageant ces expériences au fil du temps, en y réfléchissant et surtout en les vivant depuis maintenant des années, difficile de ne pas penser à un moment aux chamans des peuples premiers. Le chaman part (métaphoriquement, spirituellement ou physiquement, voire les trois) dans “le monde des esprits” (sens large). Il est peut-être un peu allumé, peut-être défoncé au peyotl, peut-être n’est-il qu’un grand orateur ; peu importe – son rôle consiste à créer du sens pour la tribu avec les histoires, contes, présages qu’il rapporte. Là où il va tirer ses mensonges distrayants, peu importe en définitive ; ce qui compte, c’est ce qu’il transmet, communique, offre, c’est l’impact qu’il procure et le lien qu’il crée.

Peu importe où les auteurs vont chercher leurs histoires, leurs mondes imaginaires, leurs personnages, qu’il s’agisse d’individus rencontrés dans un autre temps / autre lieu indéfinissable et de toute manière inaccessible, ou seulement de processus psychologiques profonds, d’une grande moulinette d’assimilation culturelle reliée au Zeitgeist, l’esprit du temps. Là aussi, ce qui compte, c’est l’impact, le sens, le lien. C’est ce qu’il rapporte et propose à sa tribu (qu’elle soit réduite ou vaste – qu’importe), comment il la fait rêver, réfléchir, voire protester à son tour ; le bien qu’il lui fait, en lui montrant le monde, dans ce qu’il a de beau ou d’injuste, et ce qu’il évoque de poétique ou de changement. C’est un grand rapporteur de Lego ; il va “ailleurs”, dans le monde, en lui-même, les deux ensemble, il ramasse les pièces qu’il trouve et dit au monde : “hé, les gens, j’ai trouvé ça ; voyons ensemble le sens qu’on peut faire avec”. Je crois que c’est un travail qui s’envisage avec une immense humilité ; les peuples premiers font de lui un homme ou femme sainte, mais en réalité il espère juste – surtout en notre époque – qu’on lui file vaguement un verre de lait pour qu’il puisse continuer à partager ses visions qu’il doit absolument transmettre. Je suis aujourd’hui convaincu que c’est mon inconscient qui travaille et pas moi ; tout mon apprentissage de l’écriture consiste à lui donner les meilleures outils pour s’exprimer, puis à faire mon possible pour le cajoler pour qu’il accepte de bosser, puis m’effacer et le laisser faire.

Personnellement, c’est aujourd’hui dans ce rôle de rapporteur d’histoires venues d’ailleurs – quel que soit cet ailleurs –, de vision pour ma tribu – “ma” tribu étant tous ceux et celles qui auront envie de les partager avec moi – que j’ai trouvé ma mission et ma raison d’écrire, une question épineuse déjà abordée ici. Quel que soit le média, le mode de création, l’écrit ou le son, je sais que je le ferai toujours, parce que je ne peux pas ne pas le faire (et c’est pour ça que ramer me frustre tellement). Il y a des choses qui me supplient d’être recherchées, et même si je me retrouve avec les doigts en sang dans le désert et une insolation, il faut que j’aille déterrer Babylone tout seul (et c’est du taf, bordel).

Je ne compte pas à travers cette expérience éminemment personnelle plaider ma petite cause ; un créateur est un arbre ; la création est une forêt. Elle existera sans moi personnellement, mais elle a quand même besoin d’arbres pour exister. La question du statut des auteurs se résume simplement à une interrogation simple : veut-on d’une société sans rêveurs pour rapporter des rêves à partager, pour inspirer ? Veut-on d’une société sans chamans ? 

  1. Je ne cite pas de noms dans cet article, car j’ignore si les intéressé.es ont envie d’être cités, mais si vous vous reconnaissez et que vous voulez être crédité.e, n’hésitez pas à me balancer une bafouille, hein.
  2. Voir note précédente, hein.
  3. OK, lui je le cite, mais il m’a pas offert de bière, c’est pour me venger.
2019-06-01T14:55:41+02:00mardi 19 juin 2018|Best Of, Le monde du livre, Technique d'écriture|1 Commentaire

Titre

Aller en haut