Du travail et du fruit du travail dans l’écriture

Je sors souvent une référence à la Bhagavad-Gita ici et là et dans Procrastination, et quelques échanges de loin en loin m’ont laissé entendre que cela pouvait être un peu mal compris, du coup, archivons ici ce qu’il en est. Il s’agit du célébrissime verset 2.47, que je connais le mieux sous cette forme en traduction anglaise1 :

You are entitled to the labor, but not to the fruits of the labor.

On le trouve en traduction française par exemple sous cette forme :

Tu as le droit de remplir les devoirs qui t’échoient, mais pas de jouir du fruit de tes actes ; jamais ne crois être la cause des suites de tes actions, et à aucun moment ne cherche à fuir ton devoir.

Sur Wikisource

Mais que je résume ainsi pour mon usage personnel :

On peut prétendre au labeur, mais pas aux fruits du labeur.

Quel est le rapport avec l’écriture ?

La différence entre prendre du plaisir et péter un câble.

Les réseaux commerciaux sont submergés de questions, conseils, stratégies pour arriver à convaincre une maison d’édition et publier son livre ; et soyons clairs, oui, la plupart du temps, quand on écrit, on espère être lu – il y a là un effort (considérable) de communication et le but de la communication, c’est quand même d’avoir quelqu’un en face.

Cependant, l’effet délétère – qui est humain, compréhensible, mais délétère quand même –, c’est de considérer alors que la création est orientée vers le résultat, la production, l’édition, qui, en plus, peuvent former dans notre société autant de métriques de résultat, de succès, jusqu’à un effet extrêmement retors de validation individuelle. (C’est l’incompréhension qui guide les chantres de l’IA.)

Or, quand on crée, tout n’est pas entièrement maîtrisable, et c’est une angoisse de la chose, mais aussi, selon votre constitution, une joie.

On ne maîtrise pas le résultat produit

Même le plus obsessionnel-compulsif des architectes (hello) vous dira qu’il existe toujours un moment où le récit, les personnages prennent vie sur la page et révèlent d’eux-mêmes ou de l’intrigue des éléments complètement inattendus (mais souvent géniaux). Je raconte toujours cette histoire entre Laenus Corvath et Thelín de « Bataille pour un souvenir » à « Au-delà des murs » prouvant même que l’inconscient, la Muse, le Mystère, la communication avec les mondes parallèles opèrent par-delà les textes et les ans, bref : nous sommes les vecteurs de la création, mais il se passe quelque chose d’ineffable au cours du chemin. Et en plus, la valeur de la production nous échappe toujours un peu : une scène écrite dans le sang et les larmes peut se révéler bonne à jeter comme une autre écrite avec la facilité la plus déconcertante peut s’avérer fantastique – et inversement.

Bien sûr, on peut toujours corriger, mais je pense que même avec la plus haute technicité du monde, on ne peut qu’amener sa matière initiale à un certain plafond. Vient un moment où il faut potentiellement réécrire pour imposer un meilleur élan.

On fait de son mieux, mais on ne peut pas garantir le résultat.

On ne maîtrise surtout, surtout pas le succès

Oh ! combien d’écrivains, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des carrières lointaines,
Dans les réseaux sociaux se sont évanouis !

Si l’on connaissait la recette pour faire un best-seller, mes chers amis, tout le monde l’appliquerait, à commencer par les maisons d’édition. Certes, quand on fait ce métier, on espère que ça va marcher suffisamment pour payer sa prochaine facture de pâtes, mais c’est alors que démarre un dangereux raisonnement, celui d’associer la valeur du travail (et donc du chemin de la création) au succès, aux ventes, aux chroniques, aux commentaires sur les réseaux, aux prix littéraires, aux adaptations cinématographiques et – pire que tout ce qui précède – aux mêmes métriques chez les voisins.

Or, personne n’a de réel contrôle là-dessus ! Et attribuer le mérite de son travail à ces métriques extérieures – pire, à celles des copains, qui n’ont pas la même carrière, les mêmes vœux, les mêmes univers – peut peut-être soutenir une personnalité combattive pendant un temps, mais au bout du compte, comme tout élément de son identité dont on plaque la valeur sur une composante du monde extérieur, cela ne peut que rendre foncièrement malheureux.

On fait de son mieux, mais on ne peut pas garantir le succès.

On fait de son mieux, et c’est tout ce qu’on peut faire

Je ne suis absolument pas en train de prétendre qu’il faut atteindre une espèce d’horizon détaché de tout (cela annihile l’implication personnelle, et je pense résolument qu’il est vital de croire à ce qu’on fait, donc de lui attribuer un minimum d’importance), que je pratique parfaitement ce qui précède (certainement pas), ni même que toutes ces impulsions ne sont pas humaines ni compréhensibles.

En revanche, non conscientisées, laissées à proliférer, elles sont une voie sûre vers l’épuisement professionnel, le découragement, la frustration, notamment parce qu’elles se trompent sur ce qu’est l’essence du métier. Elles confondent le résultat final (sur lequel on n’a guère de prise) avec le processus créatif lui-même.

Or, notre métier, c’est créer, ce n’est pas vendre des bouquins. Oui, je répète : notre métier, c’est créer, ce n’est pas vendre des bouquins.

Vendre les bouquins, c’est le métier de la maison d’édition.

Vendre des bouquins est une conséquence possible et merveilleuse de la création. On s’y implique, bien évidemment ! Mais tout ne se vend pas dans notre marché (qui est ce qu’il est), et se désoler, rager que ce qu’on fait ne vend pas dans cette situation revient à insulter le ciel pour le temps qu’il fait. Bien sûr, on peut être déçu ; il existe des accidents industriels (je raconterai un jour les vraies coulisses de Léviathan, près de quinze ans plus tard, il commence à y avoir prescription) ; on peut combattre, communiquer, élargir les horizons, se lancer avec courage, tenter le coup, et tout peut marcher, et on s’efforcera toujours de mettre un maximum de chances de son côté, mais au final, on prendra soin de se rappeler cette règle cardinale :

Le labeur ne nous doit aucune rétribution.

Il découle donc, logiquement, qu’il convient de concentrer son énergie sur le labeur lui-même – c’est la seule chose sur laquelle on peut influer – et, surtout, trouver dans celui-ci la toute première source de son plaisir. Un auteur qui écrit parce qu’il aime écrire sera toujours heureux (ou presque). Un auteur qui écrit parce qu’il veut vendre, être vu, reconnu, apprécié sera toujours malheureux (ou presque) parce qu’il n’aura, en définitive, jamais assez.

C’est pour ça que je trouve oiseuse et inutiles les conversations sur le « talent », « l’inspiration » et tous ces concepts qui ne nous aident à rien et sont même, si j’ose, un peu classistes : tu as le don ou tu l’as pas. En revanche, on peut tous travailler, et on peut tous trouver du sens dans ce qu’on fait. Sinon, autant ne pas le faire, hein ?

C’est aussi pour cette raison que je fais l’analogie entre l’écrivain et un DJ : le DJ est embauché pour faire danser la salle, mais il va le faire avec la musique qu’il aime (ou au moins qui ne lui écorche pas les esgourdes). Le cœur de métier, au sens de profession et de carrière, cette fois, est là : faire le travail avec cœur, sincérité et intégrité, en gardant la conscience d’essayer de s’adresser au plus grand nombre, de travailler sa technicité pour être le mieux reçu possible, mais l’un et l’autre doivent fonctionner ensemble.

Bien sûr qu’on fait notre travail du mieux possible, avec la visée raisonnée, intelligente et construite d’un public (on se rappelle, en gros, qu’on gagnera probablement mieux sa vie avec de la romance qu’avec un recueil de haikus en elfique dans le texte). Bien sûr qu’on espère rencontrer les lauriers de la victoire. On ne fait pas ça par-dessus la jambe, à balancer nos œuvres soigneusement assemblées dans le vide. On fait tout ce qu’il faut pour ça marche.

Mais, tels des généraux romains, nous devons conserver la voix perchée sur l’épaule qui nous répète que nous sommes mortels, qu’au final, tout cela est une vaste farce, que l’Univers ne nous doit rien, et que la seule validation solide vient d’abord de l’intérieur avant d’arriver d’ailleurs, et que la réalisation contient déjà en elle sa validation.

Nous pouvons prétendre au labeur, mais pas aux fruits du labeur.

  1. Il existe quantité de traductions, on préférera celle-ci ou celle-là pour quelque chose de moins lapidaire.
2024-09-09T03:02:10+02:00lundi 9 septembre 2024|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Du travail et du fruit du travail dans l’écriture

Procrastination podcast s08e20 – Identifier et connaître ses forces

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « s08e20 – Identifier et connaître ses forces« .

Question de long terme : on parle beaucoup du travail, mais quid des aspects de son écriture sur lesquels on peut s’appuyer ? Comment les cerner, et que cela signifie-t-il d’avoir des « forces » ? 

Estelle célèbre l’approche beaucoup plus professionnelle de l’écriture aujourd’hui, où il est communément admis qu’elle exige des corrections dans la majorité des cercles ; cependant, le revers de la médaille peut être une quête perfectionniste où l’on perd sa personnalité. Pour combattre ça, bien s’entourer ! Mélanie approuve, et ajoute que c’est la bêta-lecture qui lui a fait prendre conscience d’atouts qu’elle pouvait avoir sans s’en rendre compte, l’aidant à savoir où capitaliser. Pour terminer sur les vertus de la bêta-lecture, Lionel met l’emphase sur le fait d’en donner plutôt qu’en recevoir, toujours de manière à conscientiser son esthétique mais aussi pour apprendre à placer ses propres compétences littéraires et, au sens large, de se confronter au monde. 

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2024-09-16T08:31:01+02:00lundi 1 juillet 2024|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s08e20 – Identifier et connaître ses forces

La création se nourrit aussi de silence

Réflexion aléatoire parce qu’on en a parlé lors de la table ronde à Sirennes sur « Vivre de son écriture », ainsi, un peu plus avant, dans l’épisode de Procrastination sur le burn-out – à de très rares exceptions de constitution près, le cerveau se nourrit d’activité mais aussi de repos. Notre société ultra productiviste qui pousse à voir les êtres humains comme des machines – et donc à considérer la créativité comme un processus industrialisable – y laisse peu de place, mais : créer se nourrit de temps, d’attention, de mûrissement et de vagabondage.

Cela n’exclut pas l’application de la discipline, de prendre soin de toucher son manuscrit tous les jours, de s’efforcer de raffiner son approche pour créer plus facilement. Si l’on n’investit pas le temps qualifié en anglais de BICHOK – butt in chair, hands on keyboard (le cul sur la chaise, les mains sur le clavier), il ne se passe rien, et c’est là que bloquent 95% des aspirateurs écrivain·es. Mais il y a une raison pour laquelle le slogan de Getting Things Done est « la productivité sans stress » : s’organiser réduit le stress, ce qui permet de travailler plus facilement donc de façon plus productive, mais c’est une conséquence et non le but. Le but devrait toujours être un art de vivre qui permet de se rapprocher toujours davantage de ses vœux – en l’occurrence, écrire des récits dont l’on est content et avec le moins de difficulté possible. Produire des pages à la chaîne est très impressionnant, mais, si on y arrive, c’est une conséquence d’un épanouissement dont, je crois, la source est ailleurs (comme la vérité).

Le processus de création de la bande originale de Psycho Starship Rampage a été l’un des plus doux que j’aie connus, parce qu’un jeu vidéo, ça prend des années à se faire, alors qu’une production sonore, beaucoup moins. J’ai pu accompagner de loin en loin le développement et fournir des sons par étapes successives, permettant d’alterner les phases d’incubation / réflexion / fredonnements ridicules dans l’enregistreur de mon téléphone et de production concentrée devant Ableton. Quand j’ouvrais l’application, je savais parfaitement ce que j’allais faire, comment, ce qui m’a permis d’être comparativement très rapide dans l’exécution, mais cette vitesse n’a aucun sens : elle existait justement parce que, de loin en loin, j’avais réfléchi des semaines.

Il y a un moment où l’on a besoin de laisser reposer, et un moment où l’on a besoin de mettre un coup de collier et de s’autocoudepiéaucuter. On met souvent l’accent sur le second car il est, évidemment, plus difficile. L’action est infiniment (au sens très strictement mathématique) plus difficile que l’inaction. Mais l’inaction a sa valeur, au même titre que l’on insiste sur show, don’t tell, mais le tell a aussi sa valeur. Il est juste beaucoup plus facile, donc on met constamment l’accent sur le show.

Comment décider au moment où l’on passe de l’un à l’autre ? Ma foi, vous êtes de grandes personnes ; au final, celui ou celle qui crée, c’est vous ; celui ou celle qui sait ce dont il ou elle a besoin, c’est vous. Une part de la maturité de la création consiste à reconnaître le mode dont on a besoin à un moment donné. Et le professionnalisme à s’astreindre à observer celui que les obligations du moment dictent alors qu’on pencherait vers l’autre.

Tant que cela ne devient justement pas une habitude.

2024-04-14T15:50:14+02:00mercredi 17 avril 2024|Technique d'écriture|Commentaires fermés sur La création se nourrit aussi de silence

Procrastination podcast s08e09 – Parlons de l’IA générative

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « s08e09 – Parlons de l’IA générative« .

C’était la grande actualité du domaine technologique en 2023, la mise sur le marché des « Intelligences Artificielles », des algorithmes génératifs de texte type ChatGPT, et Procrastination ne peut pas faire l’économie d’en parler quinze minutes : où se situent ces outils, et peut-on en faire quelque chose pour l’écriture de fiction ?
Lionel rappelle la définition technique de ces « modèles de langage », en quoi ils ne sont pas des « intelligences » et en quoi le fantasme qu’ils représentent trahit un état d’esprit nocif pour la création. Estelle expose les problèmes éthiques, économiques et sociaux qu’ils soulèvent en termes de viabilité de la création et d’accès à l’expression publique, et met en avant l’importance de la résistance humaine face aux abus.

Références citées :

  • ChatGPT
  • Blake Lemoine et son entretien avec LaMDA (et non LLaMA, qui est un autre modèle) https://cajundiscordian.medium.com/is-lamda-sentient-an-interview-ea64d916d917
  • Stéphanie Le Cam et la Ligue des Auteurs Professionnels https://ligue.auteurs.pro
  • Blade Runner, film de Ridley Scott
  • Kelly McKernan
  • Le Monde
  • La Caisse d’Allocations Familiales française, qui doit se demander pourquoi elle est citée ici : ça n’est pas pour de bonnes raisons
  • La Charte des Auteurs et illustrateurs Jeunesse
  • Pierrick Marissal, L’Humanité
  • Microsoft
  • X
  • L’affaire du registre ReLIRE, déclaré illégal par la Cour de Justice de l’Union Européenne https://actualitte.com/article/30516/numerisation/l-europe-abat-la-loi-oeuvres-indisponibles-pour-avoir-meprise-les-auteurs
  • Amazon
  • Glaze https://glaze.cs.uchicago.edu/download.html
  • Interview de François Baranger dans Numerama https://www.numerama.com/tech/1221908-les-ia-generent-des-images-mais-pas-de-lart.html
  • Steven Pressfield

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2024-02-06T08:54:14+01:00lundi 15 janvier 2024|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s08e09 – Parlons de l’IA générative

Retour en ligne

Hé, auguste lectorat ! Tavu, j’ai pas disparu, j’ai promis que je reviendrais. Et, après un nombre certains de pérégrinations, me voici de retour à Melbourne, posé pour reprendre des activités (semi) normales, soit, typiquement, enquiller la longue et dernière ligne droite de « Les Dieux sauvages » V, La Succession des Âges.

J’avoue qu’après plusieurs années à vivre entre deux hémisphères (Melbourne, c’est à 17000 km de Rennes, à la louche), la perspective de boucler enfin cette longue transition, retardée en outre par les deux ans de COVID, est un énorme soulagement. Le container transportant ma vie matérielle a quitté Singapour (jusqu’ici, tout va bien) pour arriver chez nous le 15 octobre, sauf attaque de megashark, ce qui marquera enfin mon établissement à demeure (son arrivée, pas le megashark), même si j’ai déjà quitté administrativement le sol français, et que je découvre avec ébahissement (non) combien en France, on complique de façon proprement criminelle la vie des auteurs (il est plus simple pour tous mes partenaires de me payer en tant qu’auteur « australien » plutôt que français, ce qui est quand même un colossal problème – je vous raconterais bien en détail la fluidité du système ici, mais j’ai peur que ma mère me déshérite) (Maman, si tu lis ça, je plaisante, tu sais comme je t’aime et comme je vénère Voltaire, Lavoisier et Francis Lefebvre)

Hémisphère sud oblige, l’air ici est au printemps ; le ciel est bleu (le temps est bon), les jours rallongent, notre morceau de colline est empreint d’un calme surréaliste, les routes australiennes s’ouvrent partout autour sur des milliers de kilomètres de verdure, d’océan et de bush. Posé à demeure, je vais pouvoir faire davantage connaissance avec mon pays d’adoption.

Et dans l’immédiat, en octobre, en profiter, ce sera l’occasion d’aller à ça :

(Vous avez vu ce magnifique design an 2000 vu depuis 1985 ?) C’est génial de pouvoir enfin voir une PAX en vrai après toutes ces années passées à suivre Penny Arcade, en y allant, en plus, costumés. Vous me verrez en photo si vous êtes sages !

Au revoir et bonjour, comme toujours.

2023-09-25T03:49:27+02:00lundi 25 septembre 2023|Dernières nouvelles|Commentaires fermés sur Retour en ligne

Évidemment qu’on peut donner des conseils d’écriture, enfin

C’est un serpent de mer qui ressort régulièrement (ou plutôt des cris d’orfraie, tandis que l’amadou desséché de l’Internet énervé passe une fraction de seconde dans la lumière du soleil et explose façon supernova) : non, on ne peut pas donner de conseils d’écriture. C’est un processus profondément personnel, lié à des manières intimes de se sonder, et chacun, chacune a une approche et des jugements esthétiques différents. Toute conversation sur le sujet de l’approche romanesque est nécessairement prescriptive, donc (je résume au terme d’échanges tout de suite très énervés) : ta gueule.

En termes châtiés, disons que je trouve cette attitude extrêmement mystérieuse (et mon mauvais fond a envie de dire que ça peut peut-être cacher une forme détournée de gatekeeping ; moi, j’ai trouvé, toi, tu dois en baver). Or, c’est spectaculaire comme l’écriture est le seul art où l’on retrouve à la fois ce discours et les réactions épidermiques qui vont avec. Ça n’existe littéralement pas ailleurs, que ce soit en musique, dans le dessin, le game design, la décoration de bullet journal, etc.

Ça ne choque personne de prendre des cours de guitare pour apprendre la guitare. Ça n’exclut pas non plus les génies intuitifs qui prennent une guitare à quinze ans, font dans leur cerveau « ah OK, ça marche comme ça » et deviennent Jimi Hendrix. Personne ne dit que tu dois faire comme Hendrix ; personne ne t’interdit non plus de prendre des cours de guitare. On te dit juste : si tu veux apprendre la guitare, l’étape logique, c’est prendre des cours. Pourquoi ? Ben pour apprendre, bon sang. C’est un peu plus facile d’avoir quelqu’un qui a l’expérience pour te montrer, c’est juste du bon sens. Mais ah, tu peux aussi apprendre en autodidacte comme Hendrix, absolument. En revanche, sache que tu vas y passer un sacré temps et que tu as intérêt à avoir une sacrée motivation. Tu veux pas te faciliter la vie et prendre des cours ? C’est toi qui vois.

Au final, si tu en sors et que tu es Hendrix, personne ne va te demander ton CV ; t’es Hendrix. On s’en fout de par où t’es passé ; ta réalisation est la preuve de ton expérience – et au final, c’est quand même tout le but de l’apprentissage : réaliser les choses que l’on veut. La technique n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen : en art, tout ce qui compte, c’est ce qu’on réalise (qu’on le diffuse ou pas – c’est une autre question).

Néanmoins, toute pratique soutenue d’un art passe par une pratique et un apprentissage dévoués et réguliers. On s’y prend bien comme on veut ; en narration, par exemple, on peut lire beaucoup, suivre des ateliers, méditer et expérimenter la technique, échanger, potasser des manuels, et évidemment rien de tout ça n’exclut le reste, et je trouve qu’idéalement, on essaie de faire tout ce qui précède. Le but, en tout cas l’idéal platonicien à mon sens, c’est de devenir Hendrix ; c’est de maîtriser son instrument (que ce soient la guitare ou les mots) au point qu’il s’exprime sans obstacle à travers soi, de la manière la plus distillée et aboutie pour être reçu de la manière la plus authentique, tout en ayant conscience (parce que Hendrix ne s’est pas arrêté de bosser, discutez avec n’importe quel musicien professionnel et il vous expliquera le temps constant de pratique qu’il investit chaque jour) que c’est un processus et non un but à atteindre (parce qu’il est inatteignable. C’est un idéal platonicien).

Il me semble que deux fondements pour cela, c’est la curiosité et la conversation. La curiosité pour son art, pour ce qui a été fait, comment on le fait, comment ça fonctionne, sans cesse ; c’est pour cela qu’affirmer qu’un auteur peut se permettre de passer de lire… me semble avoir autant de sens qu’un peintre qui prend soin de marcher dans la rue les yeux baissés « par peur que le réel l’influence ». (seriously?) Et ce qui va de pair avec la curiosité, c’est la conversation, portant sur l’art et sa pratique ; quant à ses résonances, ses courants, mais aussi les approches, les mécanismes qui peuvent être, quand même dans une certaine mesure, disséqués et analysés de façon raisonnée. Des phrases courtes servent généralement mieux une scène d’action. Sauf si l’on cherche à établir un ralentissement artificiel, par exemple pour induire un sentiment d’horreur ou d’inéluctable. Dès lors, quel est le projet ? Quelle est l’intention ? Quel outil vais-je utiliser pour m’efforcer de transmettre au mieux mes intentions, parce que je fais la démarche d’écrire pour être reçu·e par des gens avec qui je voudrais idéalement établir une connivence ? Voilà les questions intéressantes : qu’est-ce qui tend à créer quel effet ? Quel est l’effet que je recherche ? Niveau advanced : comment puis-je tordre l’attente pour créer quelque chose d’entièrement différent en prenant une technique à contre-pied ? Et il y a bien sûr une progression dans toutes ces étapes.

Opinion non populaire : dans certains discours très énervés qu’il m’a été donné de voir passer sur l’inutilité de la technique (et sur l’inutilité de lire), je lis le désir non pas d’écrire, mais d’être écrivain. De pouvoir se réclamer auteur, si possible en évitant le boulot qui va avec. Parce que c’est crevant, ça oui (demandez à Hendrix et à tout artiste pro). Et ça fait peur, aussi – croyez-moi, je sais. Mais il s’agit là de vouloir un prétendu statut, un fantasme, alors que la réalité du job, c’est le job lui-même. Et qu’on se fait beaucoup de bien en comprenant ça et en lâchant prise sur des choses sur lesquelles, en plus, on n’a guère de prise.

Je ne jette la pierre à personne. Tout le monde a le droit d’avoir ses rêves ; par contre, d’une, il faut avoir conscience que les rêves, ça se nourrit et ça se travaille, ça n’arrive pas tout cuit dans la bouche (enfin, ça peut, mais c’est quand même toujours plus sûr de bouger ses fesses, vous savez, dans le doute) ; de deux, on court toujours le risque de tomber de haut et il faut de la bravoure ; de trois, avoir des rêves, des angoisses, des douleurs même que sais-je, ne donne pas pour autant le droit de proférer des âneries qui perpétuent l’image dommageable que tout le monde est le Jimi Hendrix de la littérature dès sa première phrase parce que « ça se juge pas, y a pas de vérité objective ».

Il n’y a pas de vérité scientifique objective en art, certes. Mais entre ça et le grand globiboulga qui voudrait que tout le monde soit Marcel Proust au premier roman parce qu’on ne peut pas juger, il y a une sacrée marge. Il serait tout de même étrange que dans un métier on ne puisse pas parler de technique et de fiabilité d’approche. L’ignorance n’est pas une vertu, ne pas être curieux de son processus (ou de ceux des autres) non plus. Et s’il n’y a pas de règles absolues, si chacun doit apprendre à se connaître pour trouver sa voie, il y a aussi des codes, qui sont des chemins de moindre résistance parce que faisant appel à un ensemble de représentations mentales à peu près communes. Connaître les codes, c’est comme connaître par exemple les lois de la perspective en dessin : d’une, cela ne fera pas forcément de toi quelqu’un de génial, de deux, personne ne t’oblige à t’en servir. En revanche, si tu les ignores (quelle que soit la manière dont tu voudrais les apprendre), il est probable que tu te compliques la vie bêtement. « C’est bien beau de vouloir faire sauter la maison mais il faut connaître le plan pour savoir où placer les charges », disait Elisabeth Vonarburg lors d’une masterclass que nous avions animée à trois avec Jean-Claude Dunyach.

Je vais sauter au-devant de la réplique facile qu’on pourrait me faire : « Hé, Davoust, tu prêches pour ta paroisse, tu donnes des ateliers, des masterclasses et t’as écrit un bouquin d’écriture, évidemment que tu protèges ton fond de commerce. » Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. Je ne me suis pas mis à le faire sorti du bleu sans avoir d’abord testé, dans l’activité et en conditions réelles, ce que je pouvais commencer à comprendre. (On ne fait jamais que commencer à comprendre.) L’activité sur laquelle je prends toujours soin de placer l’accent est l’écriture romanesque, et s’il m’arrive de le transmettre, c’est parce que je suis au front, tous les jours, à m’imposer à moi-même ce que je prêche, et que je m’efforce d’avoir derrière moi des réalisations pour le prouver. Ce que je raconte ne vous convient peut-être pas – c’est tout à fait légitime –, mais vous pouvez au moins être sûr·e d’une chose, je n’ai pas inventé ça le matin même au petit-déj, c’est parce que j’avais besoin d’outils, d’apprendre, que j’ai fait ce parcours, et je me dis aujourd’hui : hé, cela peut peut-être servir à d’autres. Je ne sais pas si mes romans resteront (et pour être honnête, je ne le crois pas ; mais peu m’importe, je recherche la plénitude dans la réalisation elle-même, non dans la postérité, à laquelle par définition personne d’entre nous n’assiste), mais peut-être ma mission en ce bas monde consiste-t-elle à l’apprendre pour moi-même afin d’arriver à le transmettre, pour que d’autres aient à leur tour les outils pour donner forme à leurs propres rêves. Hé, finalement, si j’arrive à faire ne serait-ce que ça, ce serait une vie pas si malhonnête.

Et ces traces, un jour, un autre être affligé,

Voguant sur l’Océan solennel de la vie,

Pauvre frère en misère, et seul et naufragé,

En les voyant, Peut-être aura plus d’énergie.

– Le Psaume de la vie, Henry Wadsworth Longfellow, trad. de sir Tollemache Sinclair.

Et si vous vous posez la question : dans toute l’équation, je ne suis évidemment pas Hendrix non plus. Dans l’équation, mes Hendrix, ce sont mes idoles, Vian, Zelazny, Le Guin, Danielewski, etc. En comparaison, disons que je suis l’équivalent d’un guitariste de métal qui sort des albums et tourne régulièrement : c’est-à-dire un acteur d’une scène underground, et ne vous méprenez pas, je suis incroyablement reconnaissant (et toujours un peu éberlué) d’avoir l’occasion de continuer à tourner et sortir des albums (heu, tout ça devient confus, mais vous suivez). Mais devant la page, chaque jour, il n’y a qu’une seule vérité : mon clavier, moi, et l’attitude que je vais avoir. Personne ne sait s’il ou elle sera Hendrix. Et au final, ça n’a aucune importance. On est uniquement ce qu’on est au moment d’écrire la phrase qui vient.

Et oui, bien sûr qu’on peut discuter de comment l’écrire du mieux possible. Et bien sûr qu’on peut s’écouter ensemble, réfléchir, expérimenter – et, au final, décider.

2022-02-24T10:42:26+01:00jeudi 24 février 2022|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

La naissance de Comment écrire de la fiction ? et l’existence des codes [entretien sur Elbakin.net]

Encore aujourd’hui, il est question des règles qu’il faudrait, ou pas, savoir maîtriser pour réussir à « transformer l’essai » et on rencontre toujours une certaine résistance, comme quoi, écrire, ça ne s’apprend pas. Est-ce un débat sans fin ?

Ce sera un débat sans fin tant qu’il y aura des gens pour générer de la controverse sur les réseaux commerciaux dans le seul but de se faire mousser. (J’imagine que ça veut dire oui ?) Oui, l’écriture s’apprend, la preuve : je sais d’où je viens, et j’affirme que j’ai appris.

Hou. Commencerais-je à être un peu vénère ? Mais gentiment. Pour votre bien. Tout ça. (Maman m’a dit, fais du buzz, mon fils, tu verras Montmartre.) (J’ai répondu : je veux pas voir Montmartre, maman. Le Café de Flore, ça paraît pas super bon, j’ai pas envie de boire du café fait avec des fleurs.) (Là, elle m’a collé un taquet, mais seulement parce que c’est pas au même endroit, et que ma mère est une farouche parisienne.)

Brefffff

Elbakin.net m’a tendu le crachoir à doigts (le clavier, hein) pour qu’on discute de Comment écrire de la fiction ?, d’où ça vient et pourquoi : c’est disponible ici.

2021-06-23T10:47:35+02:00mercredi 30 juin 2021|Entretiens|Commentaires fermés sur La naissance de Comment écrire de la fiction ? et l’existence des codes [entretien sur Elbakin.net]

Comment écrire de la fiction ? Ouvrage à paraître aux éditions Argyll au printemps

Okayyyy on arrête le teasing et… 

… voilààààà. Le fameux projet de non-fiction, c’est ça. Avec une splendide couverture de Xavier Collette !

De la non-fiction, mais avec quand même un peu de la fiction dedans, forcément, en tout cas, en théorie. Un livre donc avec des italiques pour mettre l’accent, du gras pour vraiment marteler les trucs, des schémas avec des flèches, des émojis (gasp), de multiples citations de prénoms francs, un soupçon d’Alain-Robbe-Grillet-bashing et surtout, surtout, beaucoup (enfin, j’espère) de densité et de méthode sur l’écriture d’histoires.

Comment écrire de la fiction ?, c’est le bouquin que j’aurais voulu lire quand j’ai commencé ce métier. J’en ai lu plein d’autres qui m’ont appris des tas de choses et dont j’ai dit du bien ici, je continue à me nourrir régulièrement parce que l’écriture, c’est comme la mécanique quantique, ça s’étudie sans fin, mais je n’ai jamais vraiment trouvé un ouvrage qui me démonte, précisément, ce qui fait le tissu d’une histoire et comment ça peut se construire d’une manière fiable, mais qui laisse une vraie latitude à la créativité de s’exprimer. Cela, je l’ai appris à la dure depuis bientôt vingt ans, en tâtonnant à la recherche de ce que je voulais vraiment comprendre, en commettant des erreurs, des maladresses, et en saisissant pourquoi c’en étaient. (Et on en commet toujours.) Il y a dedans de la méthode, mais pas une méthode ; il y a de grands principes, mais pas de cadre définitif qui vous promette amour, gloire et beauté. Écrire, c’est un sacré boulot, mais si l’on pouvait appréhender ce sacré boulot avec des bases théoriques saines et une direction productive au lieu de ramer dans le désert (et essayez donc de ramer dans le désert ; c’est pas fait pour), ça serait pas plus mal.

C’est un livre étonnamment court par rapport à ce que je fais d’habitude (320 000 signes) mais il n’avait pas besoin d’être plus long pour couvrir ces grands principes qui sont en définitive assez simples. Il est nourri évidemment de mon expérience, de nos échanges dans Procrastination, de plus de dix ans (fichtre) de blogging ici, mais aussi des stagiaires qui sont passés par mes ateliers et que je remercie, grâce à qui j’ai pu cerner et voir les difficultés les plus fréquentes rencontrées par les jeunes auteurs.

Le plan est très simple, il suit les trois étapes mentionnées en couverture, plus une :

  • Rêver (le processus d’idéation, notamment à travers l’émergence et la gestion de l’incertitude)
  • Les techniques fondamentales (le socle minimal de codes littéraires à travailler)
  • Construire (qu’est-ce qu’une histoire, comment ça marche vraiment et comment ça se nourrit)
  • Terminer (de la discipline aux corrections)

Tout cela avec cet humour consternant et irrévérencieux dont vous avez l’habitude ici, parce qu’écrire des histoires, cela a une valeur fondamentale de plaisir, et surtout de cheminement personnel : mon but, avec ce bouquin, c’est de donner des briques théoriques solides, que l’on est ensuite appelé·e à démonter, manipuler, revisiter pour nourrir sa propre approche artistique.

À mesure que la date précise de publication approche, je pense qu’on partagera quelques petits bouts et une table des matières détaillée.

J’espère que cet ouvrage stimulera réflexion et envies, et que, si vous appréciez les diverses initiatives réalisées ici, cela vous donnera envie de les retrouver sous une forme synthétique et aboutie (du moins… à l’heure actuelle).

➡️ Les éditions Argyll sur Twitter

2021-05-21T16:39:53+02:00lundi 21 décembre 2020|À ne pas manquer|18 Commentaires

Au travail ! (Pep talk NaNoWriMo)

Par un étrange concours de circonstances sanitaire, le NaNoWriMo (ou DRoMA en bon français – bravo pour cette initiative, à suivre ici !) se déroule donc en confinement, ce qui s’y prête donc peut-être bien (fonction de votre situation précise). En 2013 (gloups) on m’avait demandé un pep talk – soit un discours de motivation ? De sergent instructeur ? Un massage de dos ? – pour le NaNo, justement, mais le site concerné a depuis disparu. Donc : revoici.

Au travail !

Vous l’avez peut-être déjà entendu : il n’y a pas de vérité absolue en art, il n’y a donc pas de méthode en création. Pas d’autre méthode que la vôtre, qui sera le fruit de vos expérimentations, de vos aventures et surtout de ce que vous goûterez, et de la façon dont cela vous fera mûrir. La seule façon d’apprendre à écrire consiste à vous connaître ; la seule façon d’apprendre à vous connaître consiste à écrire.

Il existe en revanche une vérité cardinale. C’est la persévérance. Bossez comme vous l’entendez. Mais BOSSEZ.

Bossez dans un café bondé ou isolé(e) chez vous dans le silence. Bossez dans la sérénité ou en vous tapant la tête contre les murs. Bossez dans les interstices de votre vie, bossez en vous ménageant de grandes plages de temps, bossez sur un smartphone ou un cahier relié de cuir, avec un synopsis, sans synopsis, en vous octroyant une pause au calme, en écrivant pendant un forcené douze heures d’affilée.

Mais, quoi qu’il arrive : BOSSEZ, sans relâche, de la manière qui vous ressemble aujourd’hui (qui ne sera peut-être pas la même demain).

Réfléchissez à ce dont vous avez besoin, mettez-vous en accord avec vous-même, écrivez, raffinez la formule, recommencez.

Créer, c’est dur. Écrire, c’est de la folie. Mais c’est de la magie, et c’est pour ça que vous êtes là. Pour faire naître votre histoire, pour vous immerger dans la vie de personnages et, peut-être, jouer des émotions de vos futurs lecteurs en virtuose, les faire passer par le rire et l’angoisse, par la peine et le triomphe.

Toutefois, nul autre que vous n’a décidé de se lancer dans cette galère, celle de la littérature en général et celle du NaNo en particulier. Et, plus important, nul autre que vous, si vous êtes honnête avec vous-même, si vous allez chercher au fond de vous la vérité qui n’appartient qu’à vous, ne peut dire ce que vous avez à dire. Si vous laissez vos histoires au fond de vous-même, nul ne les racontera pour vous.

Vous êtes seul(e) redevable de votre engagement envers vous-même. Vous vous êtes fait cette promesse. Et pour y parvenir, au fond, il n’y a pas de recette, pas de miracle : il y a de l’effort, de l’entêtement, du serrage de dents, quelques pétages de plombs, de la déprime et de l’extase.

Mais j’ai une bonne nouvelle : c’est normal. C’est le métier. Rassurez-vous. Est-ce que ça ira mieux avec le temps ? Probablement pas. Mais vous saurez une chose : que vous en êtes passé(e) par là, que vous avez survécu, fini, et continué.

Et c’est pourquoi, ce que vous ne devez pas faire, c’est baisser les bras. Vous dire que vous n’y arriverez jamais. (Ou alors, juste un peu. Mais pas longtemps. Prenez un chocolat chaud. Pleurez sur l’épaule de votre mère. Soufflez un peu. Jouez à Mario Kart. Mais ensuite : retournez dans l’arène, le couteau entre les dents, et faites rendre ses chapitres à votre histoire.) Ce que vous devez faire, c’est toujours remonter en selle. C’est insister. Ne vous arrêtez pas. Parce qu’au cœur de l’écriture, il n’y a jamais que cela : l’acte d’écrire, de rester devant la page, et d’aligner les mots. Derrière toute la théorie littéraire du monde – qui a son utilité et fait gagner des années de réflexion, ne vous y méprenez pas – il n’y a toujours qu’une personne, face à la page, qui écrit, sans s’arrêter, et qui, un jour, finit son livre.

Nul ne vous regarde. Nul ne vous relira si vous ne le souhaitez pas. Vous pourrez toujours retravailler plus tard. Alors, laissez-vous aller. Tentez, osez vous planter. Persévérez, même et surtout si ça vous paraît nul, incohérent, plat, pas crédible. Ne revenez pas en arrière. Ne corrigez pas. Notez peut-être sur une feuille à part ce qu’il faudra rattraper ; mais, pour l’heure, avancez.

Pour corriger, il faut avoir une base de travail, et c’est exactement ce que vous êtes en train de construire : ramer, grogner, défricher dans la sueur et une possible consternation le territoire vierge de votre histoire, pour disposer ensuite de matière. Mais vous ne pourrez rectifier le voyage qu’en l’ayant déjà accompli. Ce premier trajet n’est pas parfait. Mais ce n’est pas le but. Le but, c’est savoir les questions que votre histoire pose pour réfléchir ensuite aux meilleures réponses à leur apporter.

Alors, par tout ce qui est juste et bon, ne visez pas la perfection. Avancez, c’est tout. Insistez, toujours. Terminez ce fichu premier jet. Ne lâchez pas ; soyez celui ou celle qui tient bon quand tous les autres abandonnent. Ayez ce courage. Lâchez Facebook, laissez tomber la vaisselle, cloîtrez-vous et ne répondez plus au téléphone s’il le faut. Mettez des mots sur la page. Au bout du compte, malgré toute la technique narrative amassée – qui a sa valeur –, c’est cette persévérance qui est la seule à pouvoir vous conduire au bout de la route. C’est la règle de l’écriture n°1 de Robert Heinlein :
« Tu dois écrire. »

S’il n’y a vraiment qu’une seule chose à savoir, c’est celle-là.

PS : Si vous ne rencontrez aucune des difficultés susnommées, félicitations ! Bravo, et bon NaNo ! Par ailleurs, sachez que je vous hais. Gros bisous.

2020-11-02T12:41:12+01:00mardi 10 novembre 2020|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Au travail ! (Pep talk NaNoWriMo)

Procrastination podcast S04e03 – Faire original

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « Faire original« .

Une question fréquente (voire une angoisse) des auteurs, jeunes et parfois moins jeunes : si tout a (paraît-il) déjà été dit, fait, écrit, comment faire pour être original dans sa création ? Mélanie confirme que la question de l’originalité des idées était très importante pour elle au début, mais s’est vite rendue compte que ce n’était pas ce qui restait des textes ; et surtout, que beaucoup de thèmes, idées et images étaient traités depuis la nuit des temps. Estelle renchérit en abordant le piège fréquent de ne pas vouloir se constituer une culture, surtout dans les genres, pour « ne pas subir d’influence » ; alors qu’en vérité, on s’inscrit plutôt dans une lignée de créateurs. Lionel renchérit sur l’intérêt de connaître les tropes, à la fois dans son genre mais aussi à l’extérieur, pour voir quelle exploitation personnelle, authentique, en faire, car l’originalité connaît bien des facettes en réalité, y compris dans le traitement.

Reférences citées
– Frankenstein, Mary Shelley
– Orson Scott Card
– Alien, film de Ridley Scott
– H. R. Giger
– Alejandro Jodorowsky 
– Philip K. Dick
– Troma Entertainment
– Fabrice Colin
– Vladimir Nabokov
– Catherine Dufour
– Marguerite Yourcenar
– Francis Berthelot
– Le Seigneur des Anneaux, J. R. R. Tolkien
– Harry Potter, J. K. Rowling
– Game of Thrones, G. R. R. Martin
– John Cleese on Creativity In Management, https://www.youtube.com/watch?v=Pb5oIIPO62g

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2020-10-19T11:35:24+02:00vendredi 15 novembre 2019|Procrastination podcast|2 Commentaires
Aller en haut