La reMarkable est une tablette pour prendre des notes aussi splendide que parfaitement déconseillée

Résumé des épisodes précédents pour le contexte :

Hé ! Si j’ai tant de plaisir sur une machine à écrire sans distraction, peut-être fais-je fausse route depuis des années avec mes tablettes et mes montres connectées – je recommandais il y a six ans l’iPad pour prendre des notes manuscrites, mais la nouvelle mouvance des outils intentionnellement limités me convient-elle peut-être mieux aujourd’hui ? Si la Freewrite a été une telle révélation, peut-être son équivalent en prise de notes manuscrites me donnerait-il lui aussi joie et concentration. La tablette pouvant être retournée gratuitement au bout de trois mois en cas de déception, cela valait le coup d’essayer.

Spoiler alert : je vais la renvoyer au bout de trois semaines et retourner bercer mon iPad Pro adoré contre mon cœur. Là, là, Commerson1. La méchante tablette en noir et blanc va s’en aller. N’aie pas peur.

Qu’est-ce que la reMarkable ?

C’est une tablette destinée à la prise de notes avec, donc, un écran à encre électronique (comme les liseuses, ou la Freewrite). L’absence de rétroéclairage est censé être plus reposant pour les yeux ; la durée de vie de la batterie est d’autant plus considérable ; et le revêtement de l’écran est vendu comme étant le plus proche du papier possible. C’est très clairement un outil destiné à un seul et unique usage : écrire à la main, beaucoup, et lire éventuellement des PDF, que l’on peut annoter très facilement.

Je suis absolument le cœur de cible. Je ne réfléchis bien qu’en écrivant à la main, c’est pourquoi j’ai mis le doigt dans l’écosystème Apple en 2016 avec le tout premier iPad Pro et son Pencil, et que j’en suis venu à passer sous Mac. Quand je n’écris pas à la Freewrite, je passe littéralement le plus clair de mon temps avec un stylo ou un stylet à la main. Sachant que je me déplace beaucoup, je ne veux pas trimballer des kilos de notes sur tous mes projets en cours ; la prise de note numérique est idéale pour moi, me permettant d’emporter en toute sécurité plusieurs centaines de pages griffonnées de mon écriture repoussante rien que pour « Les Dieux sauvages ».

Bref, promettez-moi la Rolls des tablettes de prise de notes et je suis votre client. Un appareil que je peux saisir et sur lequel commencer à écrire aussi naturellement qu’avec un bloc-notes, sans une forêt d’applications m’incitant à la distraction (ce qui est la promesse marketing) ? Hell yeah. Je voulais absolument aimer la reMarkable.

Sauf que c’est un objet aussi magnifique qu’absurdement conçu.

Un objet splendide au toucher parfait… 

La version en ma possession, la reMarkable 2, est un appareil réellement saisissant. D’une finesse extrême (5 mm), elle ne pèse strictement rien et se révèle une vraie joie à manipuler et emporter. Quand je reprends mon iPad Pro, j’ai l’impression de manipuler une brique. Elle est réellement belle, dans le style minimaliste. D’autre part, le stylet se prend parfaitement bien en main. Et le toucher sur l’écran, ô, mes aïeux ! Orgasme manuscrit. (Ça existe, ça ?) La pointe est juste assez flexible, la réactivité parfaite, pour avoir l’impression d’écrire au feutre mince sur du papier. Le stylet n’a pas besoin de batterie, on peut écrire paume à plat sur la surface. Sur ce point, pas de mensonge. Meilleure expérience d’écriture numérique que j’aie jamais vécue. Rhaaa Lovely.

Mais dès l’utilisation, le rêve vole en éclats dans un bruit de porcelaine et de sanglots.

… à l’expérience utilisateur totalement ratée… 

Oh mes aïeux (bis), par où commencer ? Il y a tellement de trucs mal foutus, et pourtant si faciles à régler, que j’ai du mal à croire que le logiciel de la reMarkable soit conçu par des gens qui utilisent réellement leur appareil pour une prise de notes un tant soit peu sérieuse. Alors allons-y en mode liste à puces, sinon on y est encore demain.

La réactivité de l’interface est déplorable. L’encre électronique a toujours été moins réactive que les écrans, c’est une réalité. Impossible d’espérer de la reMarkable le même taux de rafraîchissement qu’un iPad avec ProMotion, on est d’accord. Mais même là, charger un document de seulement quelques pages prend au moins une seconde. Une fois ouvert, ça va, mais les innombrables ralentissements de l’interface, qui vont au-delà des rafraîchissements nécessaires de l’encre électronique, exaspèrent rapidement. Mort lente par une centaine de microsecondes d’attente.

La couche tactile de l’écran est dure de la feuille. La reMarkable peut se manipuler au stylet, qui fonctionne parfaitement, ou au doigt – et là, c’est le drame. Là où mon iPad repère sans problème des touches légères, la reMarkable rate mes entrées une fois sur deux pour sélectionner un document, tourner des pages, etc. Il faut appuyer, faire des gestes clairs, ce qui, là aussi, agace vite. Est-ce que m’entends, hé ho ?

La sélection des outils d’écriture est stupide. C’est là que j’affirme que les développeurs de la reMarkable ne s’en servent pas, c’est pas possible. Là, désolé, mais il faut que je fasse la démonstration.

Les outils d’écriture sur la tablette sont sélectionnés dans un premier menu. L’épaisseur et la couleur (qui apparaîtra sur les PDF exportés, puisque l’encre électronique apparaît en noir et blanc) figurent dans un menu à part. D’accord ?

Ce qui fait que si je suis en train d’écrire avec, mettons, le stylo, et que je veux surligner un titre (une opération que je fais constamment pour structurer mes notes), je dois : ouvrir le menu des crayons (tap) > sélectionner le surligneur (tap) > ouvrir le menu des couleurs (pour vérifier que j’ai la bonne (tap) > sélectionner la couleur (tap) > fermer le menu en tapant ailleurs avec mon doigt (tap) > recommencer une fois sur deux parce que l’appareil n’a pas entendu (retap) → soit cinq foutues entrées pour une sélection d’outil.

Sérieux ?!

Maintenant, comparons avec n’importe quelle app de notes sur un iPad :

Incroyable.

Elles ont toutes

UNE BARRE D’OUTILS FAVORIS

Pour, genre, sélectionner un outil en UN SEUL TAP et rester dans le flow (déjà que l’interface fait ce qu’elle peut pour suivre avec son encre électronique…)

Vous n’allez pas me dire que c’est difficile en deux mille vingt-deux de sacrenom de sac à papier ?

Vous êtes sûrs que vous avez déjà essayé de prendre deux pages complètes de notes avec votre engin, chez reMarkable ?

Enfin, impossible d’annoter des PDF avec des pages lignées. OK, on peut charger des PDF dans la reMarkable et les annoter au stylet, ce qui est chouette. (Je me voyais déjà corriger mes manuscrits comme ça au lieu de tuer à chaque fois une petite forêt en les imprimant.) On peut insérer des pages complémentaires dans le PDF pour prendre des notes plus étendues… mais là, houlàààà mon bon monsieur, faut pas compter sur le fait d’avoir des lignes sur ces pages, hein. Déjà qu’on a ajouté la fonctionnalité récemment. Les lignes, ce sera livré séparément. Peut-être.

Bon, vous n’allez pas me dire que c’est réellement pensé, cette affaire ?

… et au modèle économique invraisemblable

Et maintenant, on entre dans le délire total : si vous voulez synchroniser vos notes dans le cloud avec Dropbox, Google Drive ou OneDrive, envoyer vos notes par mail, avoir la reconnaissance de l’écriture manuscrite, une synchronisation plus efficace (?!) et j’en passe, c’est un abonnement de SIX BALLES PAR MOIS

Notez bien. Je ne suis pas du tout contre payer un abonnement pour soutenir le développement d’un outil que j’utilise. La pilule avait un peu de mal à passer à la commande, mais si je retire des bénéfices réels d’un outil, qu’il me fait réellement gagner du temps et de la tranquillité d’esprit, je suis prêt à mettre la main au portefeuille. (Après tout, j’ai bien acheté une Freewrite pour deux fois le prix d’un iPad d’entrée de gamme.) Si la reMarkable s’était révélée transcendante, j’aurais pu accepter le ticket d’entrée. En grognant, mais OK. J’accepte le jeu.

Mais, heu, un appareil qui fait à peu près tout plus mal qu’un iPad (voir la démonstration ci-dessus), et sur lequel on trouve en plus toutes ces fonctionnalités à l’achat une fois pour toutes ? J’aimerais bien, je cherche, le souvenir velouté de la pointe de votre stylet outrageusement sensuel sur votre écran me fait me mordre la lèvre de désir avec un gémissement troublé, mais franchement, les mecs : faut pas déconner.

Tous les désavantages du papier, presque aucun avantage du numérique

Bon, bah voilà. Avec l’absence de réactivité de l’interface, sa lourdeur qui rend la sélection d’un outil aussi efficace que de prendre physiquement un autre stylo dans le pot à crayon (remarquez, c’était peut-être l’idée, émuler le monde analogique ?), l’abonnement par-dessus le marché, la reMarkable ne présente quasiment aucun des intérêts du numérique. À ce stade, vous savez ce qui ne présente aucune distraction, permet d’ajouter le cas échéant des feuilles lignées dans un document qu’on annote, propose toute une variété d’outils dont certains en couleur, tout en conservant le toucher du papier ?

LE FUCKING PAPIER !

Que faire si l’on veut prendre des notes en numérique

Ne prenez pas une reMarkable. Je reste sur ma recommandation de base : prenez un iPad (qui sont tous compatibles Pencil à présent, en plus). Prenez une heure pour la configurer de manière à éviter les distractions (ce qui reste beaucoup plus facile sur une tablette que sur un ordi) :

  • Organisez vos applications de manière à éviter les distractions sur l’écran d’accueil.
  • Coupez les notifications. (Vous devez couper les notifications.)
  • Achetez GoodNotes pour dix balles et mettez-le bien en évidence sur votre écran d’accueil.
  • Pour émuler le toucher du papier, achetez éventuellement un protège-écran destiné à cette fin (j’ai un iVisor de chez Moshi que je recommande, mais je crois qu’il ne se fait plus) : vingt balles.
  • C’est tout.

Vous aurez un appareil réactif, qui en plus permet de prendre des notes en couleur, ce qui est drôlement utile pour griffonner des plans ou surligner des PDF. Et qui en plus permet d’aller sur Wikipedia ou de lire des BD… en couleur, voire de mater Netflix, avec tout l’écosystème des applications de lecture de livres électroniques si le cœur vous en dit. D’accord, ce n’est pas de l’encre électronique, ça reste un écran. Mais à ce stade, la reMarkable n’offre strictement aucun avantage. Vraiment pas. Prenez plutôt une liseuse, si vous préférez.

Et je suis très triste, parce que le contact de ce feutre sur l’écran… Graou.

Mais le meilleur outil, c’est celui qu’on utilise.

  1. Oui, il s’appelle Commerson. Tous mes appareils ont des noms de cétacés. Ça vous étonne ?
2022-04-20T09:16:41+02:00mercredi 20 avril 2022|Best Of, Lifehacking|4 Commentaires

J’ai triplé ma vitesse d’écriture avec une machine à écrire ultra limitée (test de l’Astrohaus Freewrite)

Auguste lectorat, j’ai une confession à faire.

Cela commence à faire quelques années que je vois, lentement mais sûrement, s’éroder ma vitesse d’écriture en premier jet. Il y a plus de dix ans, à l’époque de Léviathan, je pouvais compter sans mal sur 5000 signes par heure ; j’ai écrit 40 000 signes de « L’Importance de ton regard » en une seule et unique journée fiévreuse, certes longue, mais quasiment sans pause, possédé par les ! démons de minuit ! (Vous l’avez dans la tête ? Super. De rien. C’est aussi ça, créer la surprise dans l’écriture.)

Aujourd’hui, et depuis « Les Dieux sauvages », je plafonne à 3000 ; je suis content quand j’atteins régulièrement la vitesse de croisière de 2500. Je pensais que c’était dû (et c’est quand même vrai) à la complexité inhérente à ce projet, à la multiplicité des points de vue, au nombre de pièces en mouvement les unes par rapport aux autres. Mais, avec le recul, j’ai fini par constater que j’étais en plus atteint d’un syndrome terrible et délétère, celui de la correctionnite.

C’est-à-dire qu’à force d’avoir quand même publié des machins, corrigé mes textes, ceux des autres et mes traductions depuis une petite vingtaine d’années, j’en suis arrivé à un stade où il m’est beaucoup trop facile de douter de mon premier jet. Dès que j’écris une phrase, l’éditeur interne bondit dans ma tête et murmure : « est-ce qu’on pourrait pas faire ça plus joli ? Mieux tourné ? Est-ce que l’information est au bon endroit ? Et ce terme, tu l’as utilisé une page plus haut, et si tu corrigeais la répétition tant que tu y es ? » Des étapes d’une simplicité enfantine à réaliser sur ordinateur.

Sauf que, une plus une plus une plus une… Une heure a passé et on a écrit seulement le début d’une scène en 500 signes.

Et ce n’est pas le rôle du premier jet. Il s’agit là de découvrir l’histoire à la vitesse de la pensée, de la noter aussi vite que possible, de suivre les divagations de l’envie et de l’exploration, de laisser les personnages vous surprendre. Ce que j’ai toujours prêché, et fait (pensais-je), sauf qu’à mesure que mon recul sur ma production augmentait, ma vitesse de production décroissait d’autant, sans même que je comprenne pourquoi.

Tout cela, je le rationalise après une petite semaine d’expérimentation avec un appareil dont j’étais certain qu’il n’était pas fait pour moi : la Freewrite, par une compagnie minuscule appelée Astrohaus.

C’est une machine à écrire à la fois intelligente et stupide. Intelligente parce qu’elle est connectée à Internet, et peut synchroniser vos textes sur le cloud (Dropbox, Google Drive, par mail). Stupide parce que… eh bien, c’est littéralement tout ce qu’elle fait. Et c’est volontaire.

  • L’écran (encre électronique) est minuscule. Le taux de rafraîchissement est dégueulasse.
  • Déplacer le curseur dans le texte est possible (sur la dernière génération) mais c’est aussi amusant que de corriger avec des moufles.
  • Aucune app, aucun choix de police (même si l’on peut formater très basiquement avec du Markdown), trois documents actifs en même temps maximum.

En plus, c’est vachement cher.

J’avoue, j’ai cédé aux sirènes du marketing et parce que je trouvais l’engin délicieusement rétro. Mais surtout, tout l’argumentaire de vente d’Astrohaus gravite autour de miracles prétendus d’écrivain·es qui ont débloqué leur créativité, triplé leur vitesse d’écriture, retrouvé la joie de raconter, terminé des romans en un temps record, et j’en passe. Ha, ha, pensais-je. Vous êtes mignons, mais faut quand même pas déconner. Vos vitesses d’écriture, là, personne ne tape aussi vite, de toute façon. J’y crois pas. Mais bon, faut pas mourir idiot, et puis j’aime bien expérimenter avec des nouveaux outils. Avanti.

Heu… 

… eh bien, c’est le meilleur investissement que j’ai fait pour mon écriture depuis Scrivener. La Freewrite est une machine à produire du premier jet, point barre. Et une fois devant, il se passe un truc que je ne m’explique pas vraiment, à part par l’analyse après coup de la correctionnite proposée ci-dessous, mais qui ne justifie pas tout : le jugement et les doutes s’envolent, le silence se fait, il ne reste plus qu’à écrire et en plus, bon dieu ! C’est amusant en diable !

Vous vous rappelez les 3000 signes que j’atteignais seulement en vitesse de pointe actuellement ? Eh bien, j’en ai rentré 8000 en une heure un matin sans m’en apercevoir. Mes sessions de travail dépassent à présent en moyenne sans problème les 5000 de manière fiable. Je n’ai jamais fait ça, et surtout pas de façon régulière. C’est jouissif. C’est génial. C’est de la sorcellerie.

Mais pas vraiment ; ça s’explique. La Freewrite est vendue comme une machine « sans distraction », mais on ne comprend souvent à ce descriptif que la moitié de l’équation : oui, ça ne va pas sur Internet, il n’y a pas Facebook ni Angry Birds, mais le problème de la distraction n’est pas seulement externe. Il est aussi, et c’est beaucoup plus difficile à reconnaître, interne. Le fait de ne pas pouvoir corriger facilement, de ne pas pouvoir naviguer dans son texte, de n’en voir qu’une toute petite partie est une bénédiction. Impossible de malaxer la matière (ce qu’on devrait plutôt réserver à l’étape de relecture et correction dans l’absolu). Au bout d’un moment, même un esprit perfectionniste et obtus comme le mien comprend qu’il n’y a rien à faire, on ne pourra pas revenir en arrière. Faut arrêter de lutter. Alors on écrit. Et on relève le nez, et on a rentré 15 000 signes sans même s’en rendre compte, et sans fatigue, en plus.

Sorcellerie, je vous dis.

Alors évidemment, il faut avoir préparé un minimum sa scène avant d’écrire pour savoir où aller. Bien sûr, le texte produit est bourré de fautes et de répétitions, de phrases qui ne tiennent pas debout, mais le temps supplémentaire à passer en correction est très, très amplement compensé par la vitesse et le plaisir. (Les textes ainsi produits sont intégrés par la suite à mon projet Scrivener sous Mac.) Surtout, si le premier jet est le lieu de l’expérimentation et que l’on prend une heure pour fignoler 2500 signes, l’expérimentation devient coûteuse. Cela ne fait qu’alimenter le doute et la crainte de se tromper, et détruit toute la joie de découvrir son histoire et de laisser vivre ses personnages comme ils veulent. Un travail de détail qui peut en plus s’avérer inutile par la suite, car le cap adopté sera peut-être invalidé par une scène ultérieure, et il faudra tout réécrire.

Alors que quand on en crache plus du double du volume dans le même temps, l’expérimentation ne coûte pas cher du tout. Il sera toujours possible de revenir en arrière, d’écrire joli, quand on aura le recul sur l’histoire qui assurera que ce travail est bien pertinent. Honnêtement, c’est quand même une manière de travailler beaucoup plus intelligente.

Alors maintenant, est-ce qu’on peut émuler les bons aspects de la Freewrite avec d’autres outils ? Absolument, il y a notamment le célèbre Write or Die qui efface votre texte si vous restez trop longtemps sans écrire. Vous pouvez ôter les touches flèches d’un clavier d’ordinateur réservé à l’écriture et planquer votre souris. Vous pouvez, comme je l’ai lu, mettre votre texte en blanc sur blanc (impossible de vous relire, donc de vous questionner).

Mais je préfère avoir l’outil prévu pour. Il y a bien sûr un plaisir dans le fait d’avoir une machine dédiée, mais aussi la création d’un petit rituel bienvenu : Internet et l’informatique ont été consciemment mis de côté, je fais le vide, j’accueille le Mystère. Vous pouvez considérer que c’est un truc de hipster (voire de hippie) et vous avez peut-être bien raison. Mais écrire est mon métier, et je prends sans discuter tout ce qui peut me permettre de travailler plus vite et de façon plus heureuse. Pour ma part, le choix est fait : je suis devenu angoissé à l’idée de revenir écrire un premier jet de fiction sur un ordinateur. La Freewrite porte parfaitement son nom : écrire librement. Tout ça dans un emballage psychique et matériel difficile à expliquer, mais qui fonctionne de manière ahurissante alors que j’aurais juré mes grands dieux, non, cela n’est absolument pas fait pour moi.

J’ai d’ores et déjà commandé le modèle de voyage et j’ai hâte de le trimballer partout avec moi.

➡️ Le site officiel des machines Freewrite

2022-04-20T09:17:30+02:00lundi 11 avril 2022|Best Of, Lifehacking, Technique d'écriture|2 Commentaires

Évidemment qu’on peut donner des conseils d’écriture, enfin

C’est un serpent de mer qui ressort régulièrement (ou plutôt des cris d’orfraie, tandis que l’amadou desséché de l’Internet énervé passe une fraction de seconde dans la lumière du soleil et explose façon supernova) : non, on ne peut pas donner de conseils d’écriture. C’est un processus profondément personnel, lié à des manières intimes de se sonder, et chacun, chacune a une approche et des jugements esthétiques différents. Toute conversation sur le sujet de l’approche romanesque est nécessairement prescriptive, donc (je résume au terme d’échanges tout de suite très énervés) : ta gueule.

En termes châtiés, disons que je trouve cette attitude extrêmement mystérieuse (et mon mauvais fond a envie de dire que ça peut peut-être cacher une forme détournée de gatekeeping ; moi, j’ai trouvé, toi, tu dois en baver). Or, c’est spectaculaire comme l’écriture est le seul art où l’on retrouve à la fois ce discours et les réactions épidermiques qui vont avec. Ça n’existe littéralement pas ailleurs, que ce soit en musique, dans le dessin, le game design, la décoration de bullet journal, etc.

Ça ne choque personne de prendre des cours de guitare pour apprendre la guitare. Ça n’exclut pas non plus les génies intuitifs qui prennent une guitare à quinze ans, font dans leur cerveau « ah OK, ça marche comme ça » et deviennent Jimi Hendrix. Personne ne dit que tu dois faire comme Hendrix ; personne ne t’interdit non plus de prendre des cours de guitare. On te dit juste : si tu veux apprendre la guitare, l’étape logique, c’est prendre des cours. Pourquoi ? Ben pour apprendre, bon sang. C’est un peu plus facile d’avoir quelqu’un qui a l’expérience pour te montrer, c’est juste du bon sens. Mais ah, tu peux aussi apprendre en autodidacte comme Hendrix, absolument. En revanche, sache que tu vas y passer un sacré temps et que tu as intérêt à avoir une sacrée motivation. Tu veux pas te faciliter la vie et prendre des cours ? C’est toi qui vois.

Au final, si tu en sors et que tu es Hendrix, personne ne va te demander ton CV ; t’es Hendrix. On s’en fout de par où t’es passé ; ta réalisation est la preuve de ton expérience – et au final, c’est quand même tout le but de l’apprentissage : réaliser les choses que l’on veut. La technique n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen : en art, tout ce qui compte, c’est ce qu’on réalise (qu’on le diffuse ou pas – c’est une autre question).

Néanmoins, toute pratique soutenue d’un art passe par une pratique et un apprentissage dévoués et réguliers. On s’y prend bien comme on veut ; en narration, par exemple, on peut lire beaucoup, suivre des ateliers, méditer et expérimenter la technique, échanger, potasser des manuels, et évidemment rien de tout ça n’exclut le reste, et je trouve qu’idéalement, on essaie de faire tout ce qui précède. Le but, en tout cas l’idéal platonicien à mon sens, c’est de devenir Hendrix ; c’est de maîtriser son instrument (que ce soient la guitare ou les mots) au point qu’il s’exprime sans obstacle à travers soi, de la manière la plus distillée et aboutie pour être reçu de la manière la plus authentique, tout en ayant conscience (parce que Hendrix ne s’est pas arrêté de bosser, discutez avec n’importe quel musicien professionnel et il vous expliquera le temps constant de pratique qu’il investit chaque jour) que c’est un processus et non un but à atteindre (parce qu’il est inatteignable. C’est un idéal platonicien).

Il me semble que deux fondements pour cela, c’est la curiosité et la conversation. La curiosité pour son art, pour ce qui a été fait, comment on le fait, comment ça fonctionne, sans cesse ; c’est pour cela qu’affirmer qu’un auteur peut se permettre de passer de lire… me semble avoir autant de sens qu’un peintre qui prend soin de marcher dans la rue les yeux baissés « par peur que le réel l’influence ». (seriously?) Et ce qui va de pair avec la curiosité, c’est la conversation, portant sur l’art et sa pratique ; quant à ses résonances, ses courants, mais aussi les approches, les mécanismes qui peuvent être, quand même dans une certaine mesure, disséqués et analysés de façon raisonnée. Des phrases courtes servent généralement mieux une scène d’action. Sauf si l’on cherche à établir un ralentissement artificiel, par exemple pour induire un sentiment d’horreur ou d’inéluctable. Dès lors, quel est le projet ? Quelle est l’intention ? Quel outil vais-je utiliser pour m’efforcer de transmettre au mieux mes intentions, parce que je fais la démarche d’écrire pour être reçu·e par des gens avec qui je voudrais idéalement établir une connivence ? Voilà les questions intéressantes : qu’est-ce qui tend à créer quel effet ? Quel est l’effet que je recherche ? Niveau advanced : comment puis-je tordre l’attente pour créer quelque chose d’entièrement différent en prenant une technique à contre-pied ? Et il y a bien sûr une progression dans toutes ces étapes.

Opinion non populaire : dans certains discours très énervés qu’il m’a été donné de voir passer sur l’inutilité de la technique (et sur l’inutilité de lire), je lis le désir non pas d’écrire, mais d’être écrivain. De pouvoir se réclamer auteur, si possible en évitant le boulot qui va avec. Parce que c’est crevant, ça oui (demandez à Hendrix et à tout artiste pro). Et ça fait peur, aussi – croyez-moi, je sais. Mais il s’agit là de vouloir un prétendu statut, un fantasme, alors que la réalité du job, c’est le job lui-même. Et qu’on se fait beaucoup de bien en comprenant ça et en lâchant prise sur des choses sur lesquelles, en plus, on n’a guère de prise.

Je ne jette la pierre à personne. Tout le monde a le droit d’avoir ses rêves ; par contre, d’une, il faut avoir conscience que les rêves, ça se nourrit et ça se travaille, ça n’arrive pas tout cuit dans la bouche (enfin, ça peut, mais c’est quand même toujours plus sûr de bouger ses fesses, vous savez, dans le doute) ; de deux, on court toujours le risque de tomber de haut et il faut de la bravoure ; de trois, avoir des rêves, des angoisses, des douleurs même que sais-je, ne donne pas pour autant le droit de proférer des âneries qui perpétuent l’image dommageable que tout le monde est le Jimi Hendrix de la littérature dès sa première phrase parce que « ça se juge pas, y a pas de vérité objective ».

Il n’y a pas de vérité scientifique objective en art, certes. Mais entre ça et le grand globiboulga qui voudrait que tout le monde soit Marcel Proust au premier roman parce qu’on ne peut pas juger, il y a une sacrée marge. Il serait tout de même étrange que dans un métier on ne puisse pas parler de technique et de fiabilité d’approche. L’ignorance n’est pas une vertu, ne pas être curieux de son processus (ou de ceux des autres) non plus. Et s’il n’y a pas de règles absolues, si chacun doit apprendre à se connaître pour trouver sa voie, il y a aussi des codes, qui sont des chemins de moindre résistance parce que faisant appel à un ensemble de représentations mentales à peu près communes. Connaître les codes, c’est comme connaître par exemple les lois de la perspective en dessin : d’une, cela ne fera pas forcément de toi quelqu’un de génial, de deux, personne ne t’oblige à t’en servir. En revanche, si tu les ignores (quelle que soit la manière dont tu voudrais les apprendre), il est probable que tu te compliques la vie bêtement. « C’est bien beau de vouloir faire sauter la maison mais il faut connaître le plan pour savoir où placer les charges », disait Elisabeth Vonarburg lors d’une masterclass que nous avions animée à trois avec Jean-Claude Dunyach.

Je vais sauter au-devant de la réplique facile qu’on pourrait me faire : « Hé, Davoust, tu prêches pour ta paroisse, tu donnes des ateliers, des masterclasses et t’as écrit un bouquin d’écriture, évidemment que tu protèges ton fond de commerce. » Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. Je ne me suis pas mis à le faire sorti du bleu sans avoir d’abord testé, dans l’activité et en conditions réelles, ce que je pouvais commencer à comprendre. (On ne fait jamais que commencer à comprendre.) L’activité sur laquelle je prends toujours soin de placer l’accent est l’écriture romanesque, et s’il m’arrive de le transmettre, c’est parce que je suis au front, tous les jours, à m’imposer à moi-même ce que je prêche, et que je m’efforce d’avoir derrière moi des réalisations pour le prouver. Ce que je raconte ne vous convient peut-être pas – c’est tout à fait légitime –, mais vous pouvez au moins être sûr·e d’une chose, je n’ai pas inventé ça le matin même au petit-déj, c’est parce que j’avais besoin d’outils, d’apprendre, que j’ai fait ce parcours, et je me dis aujourd’hui : hé, cela peut peut-être servir à d’autres. Je ne sais pas si mes romans resteront (et pour être honnête, je ne le crois pas ; mais peu m’importe, je recherche la plénitude dans la réalisation elle-même, non dans la postérité, à laquelle par définition personne d’entre nous n’assiste), mais peut-être ma mission en ce bas monde consiste-t-elle à l’apprendre pour moi-même afin d’arriver à le transmettre, pour que d’autres aient à leur tour les outils pour donner forme à leurs propres rêves. Hé, finalement, si j’arrive à faire ne serait-ce que ça, ce serait une vie pas si malhonnête.

Et ces traces, un jour, un autre être affligé,

Voguant sur l’Océan solennel de la vie,

Pauvre frère en misère, et seul et naufragé,

En les voyant, Peut-être aura plus d’énergie.

– Le Psaume de la vie, Henry Wadsworth Longfellow, trad. de sir Tollemache Sinclair.

Et si vous vous posez la question : dans toute l’équation, je ne suis évidemment pas Hendrix non plus. Dans l’équation, mes Hendrix, ce sont mes idoles, Vian, Zelazny, Le Guin, Danielewski, etc. En comparaison, disons que je suis l’équivalent d’un guitariste de métal qui sort des albums et tourne régulièrement : c’est-à-dire un acteur d’une scène underground, et ne vous méprenez pas, je suis incroyablement reconnaissant (et toujours un peu éberlué) d’avoir l’occasion de continuer à tourner et sortir des albums (heu, tout ça devient confus, mais vous suivez). Mais devant la page, chaque jour, il n’y a qu’une seule vérité : mon clavier, moi, et l’attitude que je vais avoir. Personne ne sait s’il ou elle sera Hendrix. Et au final, ça n’a aucune importance. On est uniquement ce qu’on est au moment d’écrire la phrase qui vient.

Et oui, bien sûr qu’on peut discuter de comment l’écrire du mieux possible. Et bien sûr qu’on peut s’écouter ensemble, réfléchir, expérimenter – et, au final, décider.

2022-02-24T10:42:26+01:00jeudi 24 février 2022|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

On ne peut pas vraiment vous recommander une maison d’édition

Petite réflexion aléatoire qui m’est venue à l’issue de quelques conversations avec des auteurs et autrices à leur premier (ou peu s’en faut) manuscrit achevé, et qui cherchent, étape évidemment logique, à le placer. La question fréquente qui vient ensuite est : « vers quelle maison d’édition devrais-je me tourner ? Peux-tu recommander quelqu’un ? »

Et je suis toujours fort dépourvu comme quand la bise fut venue, ou plutôt ma réponse est toujours la même : en fait, je ne peux pas. Et je crois que personne ne peut recommander une maison d’édition comme ça, en tout cas pas sans avoir lu le manuscrit en détail (et je suis forcé de dire tout de suite que je ne peux pas le faire), ainsi que conversé avec la personne de son projet artistique et de son éventuelle stratégie quant à ce qu’elle désire accomplir. Et à ce stade, en laissant de côté l’aspect thérapeutique de la verbalisation, la personne retirerait beaucoup plus de ce temps et de cette énergie à faire le travail de recherche elle-même.

Le choix d’une maison d’édition est quelque chose d’éminemment personnel, qui concerne bien sûr une entente autour d’un projet, mais aussi une compatibilité professionnelle et de caractères. Et ça, personne à part l’auteur ou autrice ne sait mieux qu’iel ce qu’iel cherche, désire, et personne d’autre ne connaît mieux son projet pour chercher où le placer. (Et puis aussi, apprendre à connaître un paysage éditorial me semble une curiosité professionnelle satisfaisante, mais également fondamentale et salutaire.)

Bien évidemment, en revanche, il est tout à fait possible de converser de maisons spécifiques, d’approches de travail, de retours d’expérience pour voir si les compatibilités esthétiques et professionnelles pourraient s’annoncer favorables. Mais, sans placer d’abord la relation éditoriale sur le plan affectif – car c’est pour commencer une relation d’affaires –, demander qu’on vous recommande une maison d’édition me semble fonctionner aussi bien, en un sens, que de demander : « tu aurais des amis à me conseiller ? » Ben… c’est pas la manière la plus pertinente de procéder, quoi.

Je pose un dernier truc là, qui en vous dira peut-être beaucoup plus sur moi que sur l’édition en soi, mais bon : il y a plus de vingt ans, quand j’épluchais l’Internet balbutiant pour comprendre le fonctionnement du monde éditorial, je suis tombé sur le conseil suivant : « ne vous saoulez jamais avec un éditeur ». J’ai trouvé cela évidemment tout à fait pertinent – risquer de se ridiculiser ou de vomir ses margaritas sur les chaussures de quelqu’un qui pourrait vous faire signer un contrat est évidemment une très mauvaise idée. Mais aujourd’hui, j’en suis venu à penser différemment : il faut travailler avec les éditeurs avec qui on peut se saouler. (Et y aller mollo sur les margaritas.)

Ce n’est évidemment pas une relation qui se construit du jour au lendemain, de la même façon que le trajet de chaque créateur et créatrice se forge résolument autant qu’il le ou la forge.

2021-12-13T17:37:10+01:00lundi 13 décembre 2021|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

L’originalité en fiction : grand concept et grand traitement

Dans le sillage de nos réflexions collectives dans Procrastination autour de l’originalité en fiction qui infuse à travers la personnalité de l’auteur ou autrice (sujet qu’on a notamment traité dans l’épisode 403), j’en suis parvenu à cerner potentiellement deux axes autour desquels « l’originalité », la nouveauté, peuvent s’articuler dans les littératures de l’imaginaire. Et pour tester la pertinence d’un concept, rien de tel que de s’astreindre à l’énoncer clairement et de le livrer en pâture au vaste monde. Faites-en ce que vous voulez – et voyez ce que vous pensez. Personnellement, ce que je pense aujourd’hui est plus intelligent qu’hier, et plus stupide que demain, YEAH.

L’originalité en SF&F (et le désir, louable, des jeunes auteurs et autrices de celle-ci) est presque toujours associée au poids des géants du domaine, ledit « âge d’or » où quantité de concepts se sont développés voire sont apparus : par exemple en SF, les tropes du voyage dans le temps, du voyage interstellaire, du premier contact alien et j’en passe ; en fantasy, l’essor du médiéval-fantastique, la réinvention des bestiaires, le héros maudit surpuissant, le multivers et tant d’autres. On peut avoir la sensation qu’à l’époque, par rapport à maintenant, tout restait à inventer et découvrir, et si on peut attribuer une prudente part de mérite à l’argument (plus facile d’inventer des trucs quand on est au début d’un genre) – comme nous l’avons avancé dans Procrastination, l’originalité se niche dans des dimensions plus vastes, qui viennent s’enraciner dans la personnalité même du créateur ou créatrice. (C’est même une des composantes philosophiques fondamentales du droit d’auteur, venue de Kant, à travers la théorie de la personnalité – l’œuvre est le reflet direct et unique de la personnalité de celui ou celle qui crée, déterminant donc son ascendant sur son travail.)

Mais cette conception de l’originalité – la « bonne idée » – n’est qu’une partie de l’équation, et elle n’est absolument pas indispensable pour construire une œuvre notable et majeure. Quantité de travaux d’envergure ne reposent pas sur des idées bouleversantes, mais sur une approche travaillée et réfléchie d’un environnement, de thèmes, de personnages, et c’est par la finesse narrative, la personnalité de l’auteur ou autrice, la qualité du traitement que l’œuvre ressort. Avec tout l’immense respect et le goût que j’ai pour un récit comme, par exemple, « Game of Thrones », on n’y trouve – qu’on me pardonne – aucune « grande idée ». Dragons, Marcheurs blancs (= fléau zombie), rivalités politiques, worldbuilding, tout cela sont des éléments et des tropes déjà connus ; ce qui fait la force de l’œuvre, c’est la galerie des personnages, la puissance du traitement, le souffle épique, l’inventivité narrative, bref, tout ce qu’on raconte.

L’originalité, donc, a pour moi deux dimensions en imaginaire qui peuvent se mêler à des degrés divers :

Le grand concept. C’est ce à quoi on pense souvent, comme exposé plus haut, quand on pense « originalité » : c’est « l’idée » peu explorée, voire totalement novatrice, sur laquelle on va faire reposer une histoire, voire un univers. Le paradoxe du grand-père. L’épée buveuse d’âmes. La Force. Je crois qu’on a un peu toutes et tous envie de trouver de grands concepts, car je pense qu’ils forment fréquemment nos premiers vertiges SF&F, et allument en nous le désir de la même inventivité. Cependant, comme dit précédemment, ce n’est nullement obligatoire. Car il existe aussi :

Le grand traitement. Cela rejoint l’idée selon laquelle la personnalité et l’originalité de chaque personne apportera, si elle est sincère, une vision unique et novatrice de thèmes parfois ancestraux (G. R. R. Martin produit, selon cette définition, un « grand traitement » avec « Game of Thrones »). Le grand traitement n’est absolument pas moins noble que le grand concept, et peut même se montrer parfois plus accessible (car il repose sur une plus vaste communauté d’expérience) : vous savez quel genre indémodable repose presque exclusivement sur du grand traitement ? Le roman sentimental. On réinvente le thème de l’amour depuis que notre espèce à se raconte des histoires et on trouve constamment de nouvelles choses pertinentes à dire sur le sujet. Et ça n’est absolument pas moins noble.

Évidemment, ça n’est pas une dichotomie, et ça ne s’oppose pas du tout. Un twist fameux d’un trope connu peut devenir un grand concept pour un point précis d’un univers à l’intérieur d’un grand traitement ; inversement, un grand concept qui n’est pas traité avec la finesse et l’intelligence d’un grand traitement tombera à plat. De la rencontre de tropes archi-connus peut éclore un fantastique grand concept (je pense par exemple à l’épisode Heaven Sent de Doctor Who, le fantastique épisode du confession dial1 qui, en mélangeant quantité de concepts classiques, crée quelque chose d’unique). J’ai récemment chroniqué Outer Wilds – grand concept impeccablement traité – et Grisgrand traitement (car en son cœur, ce n’est « que » un jeu de plate-forme, mais quel jeu de plate-forme). Ce sont tous deux des chefs-d’œuvre à mes yeux.

Si je vous raconte ça, c’est pour relativiser une fois de plus, suite à une conversation échangée aux Imaginales2, la pression de l’originalité, surtout dans nos genres, et l’angoisse de se dire « tout a déjà été écrit, que puis-je donc ajouter ? » L’originalité est bien des choses, et elle s’enracine dans la passion, la peur, les questionnements de la personne, qui seront ensuite servis par la technique littéraire. Un grand traitement, par sa puissance et son envergure, peut devenir un grand concept à part entière à travers sa seule existence – peut-être pourrait-on dire cela du Seigneur des Anneaux quand on connaît l’envergure de l’inspiration mythique de Tolkien. Et ma foi, il y a pire ascendance.

  1. Meilleur de Peter Capaldi, et chant du cygne de Steven Moffat, qui était décidément à bout de souffle sur cette saison.
  2. Salut à toi, je sais que tu traînes ici 😉
2021-10-23T15:57:33+02:00mercredi 27 octobre 2021|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

Vous voulez écrire de la SF ou de la Fantasy ? Attention à ces pièges

… est le titre de l’article réalisé par Marcus Dupont-Besnard pour Numerama, qui synthétise (car je parle beaucoup trop si on me laisse faire) un très long et chouette entretien autour de Comment écrire de la fiction ? et des particularités de l’écriture d’imaginaire :

Ces genres ont-ils une particularité dans le domaine narratif ? « On ne peut pas imaginer un bon roman d’imaginaire qui ne soit pas un bon roman tout court  », prévient Lionel Davoust. « Mais l’imaginaire ajoute des difficultés techniques supplémentaires. » Nous lui avons demandé s’il existait des pièges et idées reçues spécifiques à ces genres, que les jeunes auteurs et autrices devraient soigneusement éviter dans l’écriture d’un manuscrit.

Merci à Marcus et à Numerama pour leur intérêt envers ce livre, et envers ce que je crois avoir appris au bout de beaucoup trop de temps passé à faire ce métier forcément malhonnête.

➡️ Lire l’article – entretien de Numerama sur Comment écrire de la fiction ?

2021-08-26T16:35:30+02:00lundi 30 août 2021|Best Of, Entretiens, Technique d'écriture|6 Commentaires

Création produit > identité de marque

Histoire d’être plus rigolo et parce que cela rejoint ce dont on a déjà parlé sur le mythe des réseaux pour se faire connaître où j’ai pu constater des opinions divergentes, je vais commencer par vous en raconter une (d’histoire).

C’est (donc) l’histoire (ben oui, suivez) de quatre-cinq gugusses (et à un moment, une gugussette) de 20 ans fraîchement inaugurés qui se mettent dans la tronche qu’ils vont devenir le nouveau Nightwish / Dream Theater / Cradle of Filth / Muse (il y a un intrus dans cette liste, sauras-tu le retrouver ?) selon leurs fantasmes personnels (et on voit tout de suite que ça va déconner, mais un peu de clémence, les gugusse·ette·s – orthographe inclusive FTW – n’avaient donc que 20 ans tout mouillés, donc). Donc ils font des répétitions, commencent à composer, à un moment quand même boivent plus de bière au bar que composer, mais ils sont des pros, tu comprends, donc ils savent ce qu’ils font – ouais, c’est l’équivalent métal du type à cheveux longs qui glande au Starbucks avec un MacBook Air couvert d’autocollants qui va écrire le prochain grand roman social, promis juré, mais demain.

Bon, alors, avant que ça râle, au cas où ça n’aurait pas suivi, j’étais évidemment un des gugusses en question, hein, avec mes cheveux longs et mes doigts gras sur mes synthétiseurs (sachant qu’il aurait parfois mieux valu que je laisse jouer les arpégiateurs, c’est pas par hasard que je produis depuis en différé), et j’étais pas le dernier quand il s’agissait d’imaginer les concerts de cent mille personnes où même le tout-Paris s’étonne en pensant qu’il existait une alchimie secrète convertissant la bière en bonne musique. (Résistance, quand tu nous tiens.) Donc, je dis ça avec la tendresse qu’il faut avoir envers les ambitions qu’on a à vingt piges (à cet âge-là, j’ai aussi fantasmé un monde imaginaire qui se déclinerait en nouvelles et sagas sur des années de création avec un énorme plan maître et on va dire que ça s’est beaucoup mieux passé, donc bon, faut surtout pas avoir peur de rêver). (Incidemment, tout ça pour dire : être wannabe, je sais ce que c’est, j’en rigole ou cringe selon les jours et quand je parle de la quantité de boulot à investir dans son art, c’est pas pour emmerder le monde, c’est que je sais beaucoup trop bien.)

Tout ça pour en arriver à une certaine anecdote saillante (c’est de saison, l’escalade sportive était aux JO) résumant tout le bouzin : à un moment, lesdits gugusses + gugussette se sont dits, avec probablement une compo et demie dans l’escarcelle à ce stade : « hé, les gens, il faut absolument qu’on fasse un logo, et un site web pour se promouvoir ». (Il est très possible que je sois moi-même le responsable de cette connerie.)

Bon. Eh ben non, hein ? On continue à bosser, peut-être, d’abord.

Je parle de ça parce que ça m’est revenu après quelques écoutes de podcasts disparates sur l’écriture et les réseaux, et que certaines stratégies employées par des jeunes auteurs m’ont frappé comme étant, eh bien, l’équivalent 2021 du groupe des gentils couillons pensant au management avant le cœur du métier. Qui est : créer des choses de qualité, donc apprendre et améliorer son art, le travailler diligemment (et il y a fichtre de choses à apprendre, toute sa vie mais encore plus au début, forcément). Au lieu de cela, j’entends parler de « stratégies contenu » entre blog, newsletter, formations qu’on donne, comptes Instagram, communautés Discord, tweets, pages Facebook et évidemment, tout ça en parallèle12.

Bon. Heu. À ce stade, j’ai juste envie de poser une question, gentiment hein, mais le cœur du métier, c’est community manager ou écrivain·e ? Sérieusement, où diable trouvez-vous le temps d’écrire ? (J’écris à plein temps depuis plusieurs années et je n’en ai déjà fucking pas assez ! J’ai plutôt fait l’inverse : j’ai quitté tous les réseaux et tout récemment, la majorité des forums que je fréquentais aussi parce que, qui a le temps et la bande passante mentale pour ça ?)

Encore une fois, comme me le disait un de mes MJ de Donjons et Dragons dans une incarnation immortelle de tous les aubergistes du monde qui n’ont pas envie de répondre aux questions des joueurs : « chacun fait ce qu’il veut » mais j’interroge, juste, la pertinence de développer la stratégie média de la Lyonnaise des Eaux quand on n’a peut-être que quelques nouvelles publiées ici et là (ce qui est bien, hein ! on parle des à-côtés).

Ce n’est pas votre présence en ligne qui vous fera connaître, ce sont de bons textes. Mireille Rivalland l’a dit dans Procrastination, spoiler : Pascal Godbillon le dira aussi à la saison 6, et je vous invite, pour l’exercice, à aller regarder exactement combien d’auteurs et d’autrices découvert·es ou qui publient de premiers romans chez de grandes maisons ont une présence en ligne d’envergure sur les cinq dernières années. Personnellement, j’ai plutôt l’impression de constater (au doigt mouillé) une relation proportionnelle inverse entre les démarrages de carrières prometteuses et le plan média personnel de ces auteurs. Évidemment, un canal, un point d’eau (disons un site, peut-être un blog et/ou une newsletter), c’est nécessaire aujourd’hui ne serait-ce que pour qu’on sache où vous trouver et créer du lien avec votre communauté naissante (ce qui est chouette !), mais je pense que l’idée d’une galaxie média est une vache de fausse route quand on en est encore à faire ses gammes…

Alors, comme toujours, si ça vous amuse, c’est cool, et c’est autre chose. Il peut y avoir un plaisir sincère à rester sur Twitter (j’ai joué hardcore à WoW, qui suis-je pour juger des addictions des autres ?), et il y a un réel bénéfice à l’entraide des communautés en ligne. Et puis même, fantasmer sur le logo de son groupe qu’on aura en grand derrière soi sur la scène du Zénith, ce n’est pas interdit, ça fait rêver, et les rêves, c’est chouette, les accomplissements commencent toujours par là.

Mais on est d’accord, hein ? Ce n’est pas du boulot. Le boulot, c’est la création, la production. C’est là qu’on apprend et c’est là qu’on crée des choses à montrer et qu’on progresse. Le groupe de métal devra se soucier de son logo et de son site, bien sûr, mais ça vient quand on a déjà 10-15 compositions qu’on peut jouer sans pain de façon fiable et régulière (et ça n’est pas donné à tout le monde) (et non, effectivement, on n’est jamais arrivé à ce stade, vous l’aviez deviné, hein ?).

Et c’est là-dessus qu’il faut bosser, le reste viendra quand il devra venir. That’s all I’m sayin’.

  1. Je laisse de côté l’autoédition, que je connais beaucoup trop mal et qui peut nécessiter ce genre de chose, mais cela me semble ajouter à une charge de travail déjà considérable, ce qui constitue un solide argument en faveur de l’édition traditionnelle.
  2. Je laisse aussi de côté les gens qui ont des équipes pour les épauler et gérer ça pour eux.
2021-08-08T11:03:24+02:00mardi 10 août 2021|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

Taper des émojis au clavier sans effort (et pourquoi diantre vouloir faire un truc pareil)

Ouaiiiiis alors moi aussi le jour où j’ai eu un smartphone un peu moderne et que j’ai vu ces petites icônes colorées un peu idiotes, je les ai dédaignées comme un homme de goût, un vrai, du genre à avoir connu les smileys de la grande époque, m’sieur-dame, à l’époque où on leur mettait même le nez comme ça 🙂 parce que 🙂 c’était encore trop cryptique, et je ne vous parle même pas de l’invasion de la kawaiitude quand c’est devenu ^^, on était déjà à l’époque au moins, holà, en 2005. Enfin, je dis « aussi », si ça se trouve je suis juste un vieux con et vous êtes parvenu·e beaucoup plus vite que moi à la conclusion suivante :

C’est que c’est drôlement pratique en fait.

Je ne parle même pas des nuances 😃 à donner 😉 aux conversations 😆 évitant globalement 🤔 les erreurs d’interprétation 😱 des smileys classiques1, mais comme il commence à y avoir un émoji pour à peu près n’importe quoi (c’est comme les GIF), objets, véhicules, animaux, lieux, symboles, cela peut former, dans des notes d’écriture (je me demande vraiment pourquoi j’ai pris cet exemple-là au complet hasard) des repères visuels extrêmement pratiques, symboliques et colorés. L’équivalent du petit dessin genre ⚠️ ou de la puce de la liste, mais toujours parfaitement lisible, et réplicable à l’infini.

Il faut savoir que sur le plan technique, les émojis n’ont rien d’une facétie graphique propre à un système : il s’agit de caractères à part entière, validés et décidés par le très sérieux consortium Unicode, l’organisation qui se charge de définir les codes correspondant à tous les caractères du monde, de l’alphabet latin aux idéogrammes chinois. En d’autres termes, employer un émoji est aussi fiable qu’une lettre de base – à condition que le système chargé de le représenter soit à jour ; comme des émojis sont ajoutés tous les trimestres environ, le système doit suivre (sinon, il représentera juste un carré ou une séquence de points d’interrogation). Mais cela signifie que sur un système compatible, on peut utiliser des émojis où l’on veut, notamment dans le corps d’un texte, voire dans le nom d’un fichier – cela ne pose pas plus de problèmes que d’écrire 月牙天衝2.

Par conséquent : prudence dans l’emploi des communications, mais si c’est pour vous-même, par définition, vous voyez ce que vous voyez. (D’ailleurs, petit aparté concernant la représentation graphique des émojis : le symbole est standard, mais la représentation ne l’est pas ; il peut y avoir des nuances entre constructeurs, pouvant mener à des malentendus – bref, évitez de rédiger un traité bilatéral diplomato-commercial en émojis.)

L’article sur les émojis servant à signaler les degrés de certitude dans l’écriture n’avait pas l’air de grand-chose, mais il représente l’une de mes plus grandes percées personnelles sur l’organisation de mes notes. Si vous avez vu la vidéo sur l’organisation des notes d’écriture, c’est devenu un pilier fondamental de mon organisation (et on en reparle en détail dans Comment écrire de la fiction ?).

Alors, bien entendu, c’est raisonnablement facile de chercher un émoji sur un smartphone où c’est prévu pour, mais taper un émoji sur un vrai ordinateur de grande personne, c’est autrement plus galère – s’il faut aller le piocher dans un sélecteur et que ça prend cinq secondes, c’est beaucoup trop, ça brise le flow, le jeu n’en vaut pas la chandelle parfumée. C’est là qu’intervient l’expansion de texte, l’aide technique la plus bête qui soit à installer sur son ordinateur et aussi la plus dramatiquement sous-estimée (si j’en juge par ton dédain collectif envers la chose, auguste lectorat – mais je comprends, moi aussi, je dédaignais jadis). Que ce soit avec TextExpander, Typinator ou même Alfred, n’importe quelle app permet de convertir une chaîne de caractères en émoji, ce qui permet de les « taper » comme n’importe quel mot et là ça change tout.

J’utilise pour ma part le préfixe em et une séquence de 1 à 3 caractères derrière pour désigner l’émoji dont je parle. Par exemple, pour reprendre les degrés de certitude :

em?(question bloquante)
em!❗️ (nécessité)
emcan📚 (canon)
emid💡 (idée)
em>>➡️ (hypothèse)

Évidemment, le ciel est la limite ; rien n’empêche de faciliter aussi la rédaction de ses mails, de ses SMS au clavier avec toutes les variations possibles… 

emyea😃
em;)😉
emxd😆
em))😊
em:)🙂
… et j’en passe.

Ajouter un nouvel émoji à une liste d’expansion textuelle prend à peu près dix secondes pour grandement faciliter la vie par la suite. L’habitude de « baliser » ainsi la moindre idée par son niveau de certitude avec juste une poignée de caractères déverrouille l’esprit qui ne redoute plus de devoir « filtrer » a priori ses inspirations ; si c’est étiqueté ❗️, c’est important ; si c’est ❓, il faudra y revenir, mais ce n’est pas obligatoire maintenant ; si c’est ➡️, cela commence à former un repère, une ancre rassurante pour le projet en devenir, une étendue de sol vaguement ferme que l’on pourra étendre à mesure de la recherche et de la découverte. Mais il suffit de réfléchir librement avec les mains qui volent sur le clavier, et c’est dans le processus que les idées naissent et s’affinent. Il s’agit comme toujours de libérer l’esprit pour lui donner les conditions de livrer ce qu’il a de meilleur.

  1. Maintenant imaginez le premier chapitre de Des Fleurs pour Algernon réécrit avec des émojis à la place de la ponctuation.
  2. Évitez par contre dans les noms de dossiers synchronisés avec Dropbox. Il ne les voit pas.
2021-03-07T12:25:33+01:00mercredi 10 mars 2021|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Comment j’organise mes notes d’écriture (Zettelkasten + Linking Your Thinking)

Avec Geekriture, l’idée est de partager explorations et propositions concernant la productivité (qui est, rappelons-le, arriver plus vite et avec plaisir à ses buts) dans le cadre de l’écriture, parce qu’au-delà de l’organisation personnelle, il se tient en ce moment environ une véritable révolution (encore confidentielle) concernant la gestion de la connaissance. Ce qui est parfait en ce qui me concerne, parce que mener des projets pharaoniques comme « Les Dieux sauvages » et même l’univers d’Évanégyre tout entier implique des exigences proprement industrielles de traçage des détails, des intentions, jusqu’aux schémas d’ensemble, et je suis, eh bien, toujours à l’affût de meilleures méthodes.

Je me suis plongé depuis deux ans ce territoire, à la fois d’avant-garde (parce que les outils numériques, notamment l’hypertexte, transforment le savoir à l’échelon individuel) et ancestral (parce que gérer du savoir, ça remonte au bas mot à la bibliothèque d’Alexandrie, et le principe du Zettelkasten a été inventé par un sociologue dans les années 1960, soit avant l’informatique). Je parlerai de toutes ces méthodes dans Geekriture au fil des mois et surtout en quoi et comment on peut les adapter pour la fiction romanesque. Cependant, dans ce cadre, j’ai cassé ma tirelire cochon rose et suivi la formation Linking Your Thinking de Nick Milo (juste avant que le prix n’augmente cette année) dans l’espoir d’apprendre toujours plus de trucs.

Cela paraît peut-être encore un peu abscons, il y a pas mal de théorie derrière tout ce mouvement qui rappelle le lifehacking et l’essor de GTD dans les années 2000 (les principes sont très simples, mais nécessitent une pratique assidue pour en faire des réflexes). Ce qui est important ici est : à la fin de la formation, comme tous les stagiaires, j’ai proposé un exposé sur les systèmes qu’elle m’a permis de bâtir. Mon but d’origine était très clair : arriver à organiser mes idées avec plus d’aisance pour maintenir autant que possible l’état de flow.

Dans cette vidéo, je vous propose donc un tour d’horizon de mon organisation interne de notes de narration, que ce soit pour Évanégyre ou La Succession des Âges (« Les Dieux sauvages » V). (En anglais.) Le concept du « problème du tesseract » que j’aborde rapidement sera développé en détail dans Comment écrire de la fiction ?, tout comme le spectre de l’idée, de l’hypothèse et de la certitude en fiction, qui a été exposé ici avec le système d’émojis correspondant.

2021-01-23T12:27:08+01:00mardi 26 janvier 2021|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Écriture et polygone de contraintes

On appelle polygone de contraintes la forme géométrique délimitée dans un plan cartésien par la rencontre des diverses régions-solutions au système d’inéquations donné.

Alloprof.qc.ca

Ouuuuh yeah, tu aimes le doux fumet des mots qui t’ont peut-être fait fuir les cours de maths en hurlant ? Hé, c’est dommage, parce qu’il y a beaucoup de notions finalement assez simples que tout le monde devrait apprendre à maîtriser pour son bien, disait mon banquier avec un sourire pensif en rassemblant les documents du crédit immobilier que je venais de signer.

Un polygone de contraintes, ce n’est pas compliqué ; c’est la zone délimitée par un certain nombre d’exigences. Un peu comme un diagramme de Venn, si l’on veut simplifier :

La phrase se situe à l’intersection des deux, et si vous êtes malin·gne, vous reconnaîtrez que ce n’est pas le meilleur exemple du monde, parce que ce ne sont pas des exigences mais des analyses après coup MAIS BREF

Si votre idéal romantique :

  • Est pâle
  • Immortel
  • Scintille au soleil

Le polygone de contraintes décrit Edward Cullen. Remplaçons la première par « a la méga classe » et la troisième par « porte des trenchcoats dissimulant visiblement des replis de l’espace-temps pour planquer des épées trop grandes » et la réponse devient Duncan McLeod.

Je vous avais dit que ça n’était pas compliqué.

Le rapport avec l’écriture ?

C’est que la réponse à un point épineux de scénario ou à un pan de création peut être étudiée de la même manière. Quand on n’a pas de préconception arrêtée sur quelque chose, mais que c’est important et qu’on veut bien le réfléchir, inventorier le polygone de contraintes peut former un point de départ fructueux (en utilisant des émojis pour indiquer les degrés de certitude).

Ça peut ressembler à ça par exemple, pris de mes notes de construction sur La Succession des Âges : je récapitule ici un certain nombre de choses établies, prévues, désirées et nécessaires par rapport à un certain mécanisme narratif important qui se dévoilera vers les 3/4 du bouquin. J’ai toujours su le « quoi » ; je travaille ici en détail le « comment ».

Plutôt que de tourner en rond à chercher l’inspiration, je trouve que la meilleure question à se poser est toujours : « que veux-je accomplir ici ? » On ne peut pas claquer des doigts et espérer avoir des idées chouettes sur commande, mais on peut partir à la pêche en commençant par mettre sur la table les pièces du puzzle et voir comment elles s’imbriquent.

2021-01-09T17:29:17+01:00lundi 11 janvier 2021|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Écriture et polygone de contraintes
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