Protection des données, la pomme de discorde des DRM (4)
Nous avons parlé des fonctionnalités, du débat liseuse ou tablette, vient maintenant le choix du fabricant et de la boutique. Or, choisir son modèle de liseuse ou de tablette, il me semble, est étroitement lié à une prise de position que chaque consommateur devrait adopter en son âme et conscience, et c’est pour cela que je ne peux recommander de modèle de précis. Cette prise de position est, j’ai nommé : confort contre ouverture, et c’est le débat des DRM (Digital Rights Management).
Qu’est-ce qu’un DRM ?
Internet a rendu l’échange de données quasi-instantané, le piratage de biens culturels est légion et taille des croupières dans l’économie de la création, entraînant quantité de répercussions néfastes pour la société, en particulier une réduction des prises de risque financiers et donc une contraction de la diversité de l’offre. Pour tenter de contrecarrer cela, les fabricants ont créé les DRM. Ceux-ci sont un excellent cas d’école d’enfer animé de bonnes intentions.
L’intention : faire en sorte que le seul le consommateur ayant légalement acheté un bien culturel puisse en profiter, ce qui va de soi dans le cas d’un support physique (si j’ai acheté un livre, mon voisin ne peut pas le lire en même temps que moi, ou alors nous sommes très très proches sur le canapé et dans ce cas il vaut mieux avoir une bouteille de champagne au frais et Norah Jones en fond sonore). L’enfer : il arrive tristement fréquemment que le consommateur légitime ne puisse tout simplement pas profiter de son achat tant les méthodes de protection sont compliquées ou même dysfonctionnelles (ce qui rend le piratage d’autant plus séduisant : non seulement on ne paie pas, mais ça marche…).
D’autre part, les DRM soulèvent tout un tas de problèmes de consommation débordant sur l’éthique.
- Si je perds ma liseuse avec mes certificats de lecture dessus, il n’est pas garanti que je puisse re-télécharger mes fichiers sur la nouvelle et les faire fonctionner.
- Si j’ai besoin du feu vert du fournisseur de contenu pour profiter de ma bibliothèque, que se passe-t-il si celui-ci fait faillite ? Cela signifie-t-il qu’en l’absence de fournisseur pour donner le feu vert, ma bibliothèque restera verrouillée à jamais ?
- Que se passe-t-il si le fournisseur m’accuse à tort d’avoir violé ses conditions d’utilisation ? Les erreurs arrivent, et je peux me trouver avec un compte bloqué – donc pas d’accès à mes achats – sans moyen de recours. C’est arrivé récemment et les débuts du Kindle ont été rendus célèbres par le retrait des achats de 1984 (en plus !) des liseuses des acheteurs.
- Quelqu’un, quelque part, sait ce que j’ai acheté, ce que je lis, ce qui est un peu inconfortable. Apple est connu pour appliquer une censure très bien-pensante sur son offre d’applications et de même de couvertures de livres ; censure et littérature vont très mal ensemble. Quis custodiet ipsos custodiet ?
Après, pour être juste, il convient d’ajouter deux points :
- Si les DRM sont bien faits, ils sont transparents pour le consommateur et l’association à un compte nominatif permet de retrouver toute sa bibliothèque sans problème sur les terminaux compatibles, et de récupérer les fichiers si l’un d’eux est volé. J’ai testé chez Amazon, et ça marche très bien.
- Un DRM, ça se, ahem, contourne. ATTENTION JUDGE DREDD a dit la loi c’est lui mais surtout contourner une mesure de protection est illégal et entraîner des amendes peines de prison poursuites à la Starsky et Hutch amputation des doigts de pied descente en enfer. Mais c’est possible de le faire si l’on n’a pas confiance envers le fournisseur de contenu. Un mot cependant : c’est contraignant, compliqué, et un pis-aller, car, pour 1 consommateur qui déplombe ses livres, 99 ne le font pas. Si vous êtes farouchement anti-DRM, acheter chez un fabricant qui s’en sert puis déverrouiller le contenu ensuite est contradictoire, car vous donnez quand même votre argent – et approuvez – ce mode de protection des données.
Ceci étant dit, nous pouvons arriver au choix de la machine. Et là, deux écoles s’affrontent, lesquelles découlent directement, à mon sens, de votre attitude vis-à-vis des DRM.
Un choix philosophique
Soit vous achetez la liseuse (ou la tablette) d’un fabricant possédant sa boutique en ligne. En gros, un iPad (Apple), un Kindle (Amazon), une Kobo (Fnac). Ces appareils sont souvent bon marché (sauf Apple, mais les zélotes d’Apple tirent une incompréhensible fierté du fait d’acheter plus cher), parce que derrière, implicitement, vous vous « enchaînez » à la boutique de ce fabricant, dont l’accès est facile et immédiat depuis votre terminal. On peut le voir comme un avantage (l’achat est d’une facilité déconcertante, testé chez Amazon), ou une restriction (et si je veux lire autre chose ?). Bien sûr, ces appareils « propriétaires » peuvent lire d’autres formats, comme le PDF ou le .doc mais l’achat chez un commerçant sera toujours plus facile en allant sur la boutique pour laquelle l’appareil est prévu. (Mentionnons le Kindle qui est curieusement incapable de lire nativement l’ePub, pourtant le format standard de livrels libres…)
Sinon, vous achetez une liseuse « autre » (Sony en fait d’excellentes). Celle-ci sera compatible et généralement optimisée pour les formats libres, mais vous risquez (à moins de déplomber les fichiers – ce qui est MAL, ne le faites pas OU VOUS BRÛLEREZ EN ENFER) d’avoir pas mal de soucis quand il s’agira d’acheter chez les commerçants qui verrouillent leurs fichiers avec des formats propriétaires (Amazon et Apple). Heureusement, de plus en plus de libraires indépendants proposent des solutions différentes et de plus en plus d’éditeurs travaillent avec eux en plus des géants de la grande distribution.
Maintenant que tout cela est dit, comment choisir ? Ce sera la conclusion pour demain. Quant à toi, auguste lectorat, quelle est ton attitude vis-à-vis des DRM ? Mal nécessaire, avantage pratique, Grand Satan à brûler sur l’autel de l’EFF ?