Protection des données, la pomme de discorde des DRM (4)

Nous avons parlé des fonctionnalités, du débat liseuse ou tablette, vient maintenant le choix du fabricant et de la boutique. Or, choisir son modèle de liseuse ou de tablette, il me semble, est étroitement lié à une prise de position que chaque consommateur devrait adopter en son âme et conscience, et c’est pour cela que je ne peux recommander de modèle de précis. Cette prise de position est, j’ai nommé : confort contre ouverture, et c’est le débat des DRM (Digital Rights Management).

Qu’est-ce qu’un DRM ?

Internet a rendu l’échange de données quasi-instantané, le piratage de biens culturels est légion et taille des croupières dans l’économie de la création, entraînant quantité de répercussions néfastes pour la société, en particulier une réduction des prises de risque financiers et donc une contraction de la diversité de l’offre. Pour tenter de contrecarrer cela, les fabricants ont créé les DRM. Ceux-ci sont un excellent cas d’école d’enfer animé de bonnes intentions.

L’intention : faire en sorte que le seul le consommateur ayant légalement acheté un bien culturel puisse en profiter, ce qui va de soi dans le cas d’un support physique (si j’ai acheté un livre, mon voisin ne peut pas le lire en même temps que moi, ou alors nous sommes très très proches sur le canapé et dans ce cas il vaut mieux avoir une bouteille de champagne au frais et Norah Jones en fond sonore). L’enfer : il arrive tristement fréquemment que le consommateur légitime ne puisse tout simplement pas profiter de son achat tant les méthodes de protection sont compliquées ou même dysfonctionnelles (ce qui rend le piratage d’autant plus séduisant : non seulement on ne paie pas, mais ça marche…).

D’autre part, les DRM soulèvent tout un tas de problèmes de consommation débordant sur l’éthique.

  • Si je perds ma liseuse avec mes certificats de lecture dessus, il n’est pas garanti que je puisse re-télécharger mes fichiers sur la nouvelle et les faire fonctionner.
  • Si j’ai besoin du feu vert du fournisseur de contenu pour profiter de ma bibliothèque, que se passe-t-il si celui-ci fait faillite ? Cela signifie-t-il qu’en l’absence de fournisseur pour donner le feu vert, ma bibliothèque restera verrouillée à jamais ?
  • Que se passe-t-il si le fournisseur m’accuse à tort d’avoir violé ses conditions d’utilisation ? Les erreurs arrivent, et je peux me trouver avec un compte bloqué – donc pas d’accès à mes achats – sans moyen de recours. C’est arrivé récemment et les débuts du Kindle ont été rendus célèbres par le retrait des achats de 1984 (en plus !) des liseuses des acheteurs.
  • Quelqu’un, quelque part, sait ce que j’ai acheté, ce que je lis, ce qui est un peu inconfortable. Apple est connu pour appliquer une censure très bien-pensante sur son offre d’applications et de même de couvertures de livres ; censure et littérature vont très mal ensemble. Quis custodiet ipsos custodiet ?

Après, pour être juste, il convient d’ajouter deux points :

  • Si les DRM sont bien faits, ils sont transparents pour le consommateur et l’association à un compte nominatif permet de retrouver toute sa bibliothèque sans problème sur les terminaux compatibles, et de récupérer les fichiers si l’un d’eux est volé. J’ai testé chez Amazon, et ça marche très bien.
  • Un DRM, ça se, ahem, contourne. ATTENTION JUDGE DREDD a dit la loi c’est lui mais surtout contourner une mesure de protection est illégal et entraîner des amendes peines de prison poursuites à la Starsky et Hutch amputation des doigts de pied descente en enfer. Mais c’est possible de le faire si l’on n’a pas confiance envers le fournisseur de contenu. Un mot cependant : c’est contraignant, compliqué, et un pis-aller, car, pour 1 consommateur qui déplombe ses livres, 99 ne le font pas. Si vous êtes farouchement anti-DRM, acheter chez un fabricant qui s’en sert puis déverrouiller le contenu ensuite est contradictoire, car vous donnez quand même votre argent – et approuvez – ce mode de protection des données.

Ceci étant dit, nous pouvons arriver au choix de la machine. Et là, deux écoles s’affrontent, lesquelles découlent directement, à mon sens, de votre attitude vis-à-vis des DRM.

Un choix philosophique

Soit vous achetez la liseuse (ou la tablette) d’un fabricant possédant sa boutique en ligne. En gros, un iPad (Apple), un Kindle (Amazon), une Kobo (Fnac). Ces appareils sont souvent bon marché (sauf Apple, mais les zélotes d’Apple tirent une incompréhensible fierté du fait d’acheter plus cher), parce que derrière, implicitement, vous vous « enchaînez » à la boutique de ce fabricant, dont l’accès est facile et immédiat depuis votre terminal. On peut le voir comme un avantage (l’achat est d’une facilité déconcertante, testé chez Amazon), ou une restriction (et si je veux lire autre chose ?). Bien sûr, ces appareils « propriétaires » peuvent lire d’autres formats, comme le PDF ou le .doc mais l’achat chez un commerçant sera toujours plus facile en allant sur la boutique pour laquelle l’appareil est prévu. (Mentionnons le Kindle qui est curieusement incapable de lire nativement l’ePub, pourtant le format standard de livrels libres…)

Sinon, vous achetez une liseuse « autre » (Sony en fait d’excellentes). Celle-ci sera compatible et généralement optimisée pour les formats libres, mais vous risquez (à moins de déplomber les fichiers – ce qui est MAL, ne le faites pas OU VOUS BRÛLEREZ EN ENFER) d’avoir pas mal de soucis quand il s’agira d’acheter chez les commerçants qui verrouillent leurs fichiers avec des formats propriétaires (Amazon et Apple). Heureusement, de plus en plus de libraires indépendants proposent des solutions différentes et de plus en plus d’éditeurs travaillent avec eux en plus des géants de la grande distribution.

Maintenant que tout cela est dit, comment choisir ? Ce sera la conclusion pour demain. Quant à toi, auguste lectorat, quelle est ton attitude vis-à-vis des DRM ? Mal nécessaire, avantage pratique, Grand Satan à brûler sur l’autel de l’EFF ? 

2012-12-17T09:01:04+01:00lundi 17 décembre 2012|Geekeries|15 Commentaires

Une liseuse ? Mais pourquoi, en fait ? (2)

Oh, mais comme c’est bien fait, c’est exactement la dernière phrase de l’article précédent ! On dirait qu’une intelligence supérieure est à l’œuvre.

Bon, OK. Tout le monde parle du livre électronique, vous vous dites « Ben faudrait p’tet que j’my mette, non ? Après y aura plus que ça et moi avec mes yeux et mes lunettes j’pourrai pu lire Guillaume Musso. » Qu’est-ce donc à dire que ce truc ?

Alors déjà, non, vous n’êtes pas obligé(e) de passer au livre électronique. (Serait temps que l’Académie Française nous ponde un terme bien laid pour remplacer ebook, tiens. Dans la veine de leurs créations précédentes, je suppose qu’ils instaureront ibouque. Par conséquent, j’instaure céans le terme livrel, par calque sur les excellents courriels et pourriels québecois, et parce que j’en ai marre de taper livre électronique.)

Donc. Non, vous n’êtes pas obligé(e) de passer au livrel. Le papier a encore de beaux jours devant lui et je doute qu’il soit remplacé un jour, ce qui est également l’avis d’Umberto Eco (c’est la classe). En revanche, c’est une nouvelle manière d’apprécier la lecture, d’en profiter partout, c’est drôlement pratique pour les ouvrages techniques.

Quels sont donc les avantages du livrel ? Faisons une liste à puce, Power Point-like.

  • Ultra léger et petit. Ca tient dans un sac féminin, une sacoche de cadre sup’, un baise en ville, une poche d’anorak. Alors qu’un bouquin est pesant et s’écorne (et donc, on le laisse à la maison), un livrel se fourre partout, s’oublie merveilleusement bien, ce qui permet de le ressortir dans un moment de creux pour croquer une ou deux pages. (D’ailleurs, je me demande si le fait que la lecture soit majoritairement féminine aujourd’hui a puisse être corrélé avec le fait que ces foutus grand formats de 3 kilos et demi ne peuvent rentrer que dans un sac à main.)
  • Toute une bibliothèque dans la poche. Conséquence de ce qui précède.
  • Confort de lecture. Que ce soit sur liseuse ou tablette, on a affaire à du caractère généré par l’électronique, donc « parfait », contrairement aux erreurs d’impression de poches de mauvaise qualité. Ecrit trop petit ? Augmentez la taille des caractères. La police vous déplaît ? Passez en Old English pour une petite touche gothique qui fera sensation (et vous niquera les yeux en deux heures.) (Le débat liseuse ou tablette fera l’objet d’une entrée à part, demain.)
  • Dictionnaires embarqués. Et ça, c’est le méga pied, encore plus si vous lisez en langue étrangère. Les livrels modernes sont fournis avec d’imposants dicos qui vous permettent d’obtenir la définition d’un mot d’un simple clic. Plus besoin de sortir l’Universalis de Papa.
  • Annotations et surlignements. Pour les fétichistes du livre (j’en fais partie) qui refusent ne serait-ce que de corner une page, c’est une merveille. Une citation vous a plu ? Surlignez-la et retrouvez-la d’un claquement de doigts. Le fichier n’aura pas mal.
  • Place gagnée. Ben ouais, mine de rien, quand on lit beaucoup, les bouquins, ça prend de la place. Si vous ne tenez pas spécialement à l’objet papier (roman de gare, livre de poche), le livrel est votre ami : zéro place, à part sur le disque dur.
  • Monstrueuse offre gratuite. Tout le domaine public, en gros, disponible sur des sites comme le Projet Gutenberg ou la BNF. Vous voulez relire Les Trois Mousquetaires ou tout Victor Hugo ? C’est là, votre seul investissement sera l’appareil.
  • Maintenant, tout de suite. Vive la culture de l’immédiat instaurée par le Net. Vous voulez un livre, là ? Achetez-le en ligne, cinq minutes plus tard, il est chez vous.
  • Périodiques et articles. La presse est disponible sur nombre de livrels. Cela permet de recevoir facilement, à moindre coût, vos supports préférés, ou même de vous faire votre propre revue de presse à partir d’articles glanés sur le Net ; tout cela sans encombrer les étagères de vos toilettes.

Maintenant, ce n’est pas magique non plus.

  • Ca ne se consulte pas pareil. Eh bien, oui. Le papier a un énorme avantage : c’est un objet mécanique sur lequel tout le contenu est disponible. C’est idiot, mais un livre, ça se feuillette. Un livrel, non. Parcourir un fichier et retrouver un passage qu’on n’a pas repéré au préalable, c’est la croix et la bannière. Difficile de picorer un extrait, mais surtout d’avoir une vision d’ensemble du volume que l’on a entre les mains. Pour de la fiction, c’est un moindre mal.
  • Pas de batterie, pas de gloire. Les batteries modernes tiennent bien la charge, mais quand même, c’est à signaler.
  • Pas sexy. Et c’est un geek qui le dit. Mais un livrel, qu’on le veuille ou non, qu’Apple brevette toutes les formes géométriques du monde pour faire la pige à Samsung, le livre est charnel, a été vivant, sent la vieille maison, a une jolie image parfois en relief en couverture, se range sur une étagère et s’admire. Le livrel, c’est juste un bout de plastique perfectionné qu’on changera dans deux ans parce qu’une nouvelle version sera sortie.
  • Offre incomplète. Vous n’aurez pas tous les livres de la Terre en électronique. Même dans dix ans, il va falloir un travail de numérisation titanesque (et qui constitue un colossal enjeu économique, n’est-ce pas, Google).
  • Facilité d’emploi sous réserve. Formats, Wi-Fi, connectivité, réseaux sociaux, incompatibilités, boutiques propriétaires, DRM, le monde du livrel a hérité des joies de l’informatique. Même si les concepteurs ont fait des prouesses d’ergonomie pour rendre ça utilisable par tata Cunégonde, le livrel instaure des soucis potentiels que le papier ne pose jamais.
  • La question des DRM. Parmi ces problèmes, celui-là mentionne un point à part. Pour limiter le piratage – et pour enchaîner le consommateur à un écosystème économique – les fichiers sont protégés contre la copie, mais parfois tellement bien qu’ils sont aussi protégés contre leur usage légitime… Le débat est si vaste qu’il méritera lui aussi son entrée.

Que retenir de tout ça ? En gros, qu’un livrel est un complément du papier, mais un sacré complément, immédiat, léger, documenté et disponible un peu partout. Personnellement, je m’en sers pour lire des articles récupérés un peu partout, des textes quand je fais de la direction d’ouvrage, des essais en anglais dont je ne veux pas qu’ils m’encombrent et, question fiction, pour lire du domaine public et en langue étrangère (les tarifs étant très intéressants, puisque libérés des frais de port et souvent inférieurs au poche).

Voilà donc pourquoi. Te sens-tu concerné par ces usages, ô auguste lectorat, ou bien voues-tu le livrel aux gémonies ? (Ca doit pas être un nom facile à porter. Vous imaginez, dans la rue ? « Hé, Gémonie ! »)

(Demain, nous parlerons machine : liseuse, tablette, quoi t’est-ce, que prends-je ?)

2012-12-13T10:20:50+01:00jeudi 13 décembre 2012|Geekeries|40 Commentaires

Noël arrive, paix heureuse, achetons tous des liseuses (1)

Nous nous levons à l’heure où l’aube blanchit la campagne et rougit les pommettes, de suspects personnages avinés et victimes d’obésité morbide secouent des cloches en faisant ho ho ho, bref c’est l’époque du chiffre d’affaires : Nowel. Et j’ai reçu en rapide succession des messages de camarades et proches formulant tous la même question : « toi qui as forcément étudié la question, j’offre quelle liseuse à Noël ? »

Ahem.

Non, j’ai pas étudié la question. Du moins, pas en mode guide d’achat pour éliminer scrupuleusement un à un tous les modèles candidats jusqu’à brandir le LD Seal of Approval sur ce modèle, c’est çui-là qu’il faut, la quadrature du cercle. En revanche, j’ai étudié comment ça marche, je m’en sers, j’essaie de suivre à quelle sauce les commerçants veulent manger les auteurs et donc les lecteurs. Je voudrais également en profiter pour établir quelques notions de base sur le sujet, faire des articles qui pourront servir de référence plus tard.

Donc, pour cinq articles (ouais, cinq !), on va causer livre électronique et aide à l’achat, mais pas comme un guide Fnac : on va parler principes et fonctionnement, les points auxquels prendre garde. Et après, auguste lectorat, comme tu es la Communauté la Plus Cool du Net (vainqueur du prix Lionel Davoust 2012 de la Communauté la Plus Cool du Net), tu feras ton choix comme tu l’entends, en fonction de ce qui se sera dit. Par ailleurs, ce qui se reflète ici est le résultat de mon expérience et ma vision (voir les caveats d’usage).

Un fil de discussion est déjà né sur mon mur Facebook autour de la question ; pour cette série d’articles, je te demande, auguste lectorat, de t’aider toi-même. Vous avez certainement des bonnes ou mauvaises expériences, des réactions à ce qui se dira : donnez-vous vos bons plans, vos recommandations, de manière à ce qu’on en sorte tous grandis (enlarge your IQ).

Demain, on lance les hostilités avec la question fondamentale : une liseuse ? Mais pourquoi, en fait ? 

2012-12-08T16:00:06+01:00mercredi 12 décembre 2012|Geekeries|13 Commentaires

Google+ vous laisse le pouvoir, Facebook vous demande de le prendre

L’article sur la promotion de Facebook continue à générer quelques centaines de lectures par jour, soit largement plus que la suite, malheureusement, qui donnait les chiffres et s’efforçait de donner de premiers éléments d’analyse concernant les retombées numériques de ce hold-up. De façon fort intéressante, Google+, le seul véritable rival de Facebook sur le créneau du réseau social semi-volatile, a déployé une nouveauté d’une simplicité et d’une élégance telle qu’elle continue à enfoncer le désastreux choix du géant bleu.

Dans un réseau social tel que FB ou G+ (même Twitter), le problème est simple : dans le flux d’informations, il s’agit de trier le bon grain (une nouveauté d’un auteur, groupe, cinéaste que vous aimez ; la nouvelle que votre neveu a eu son bac, que la compétition de Magic Scrabble organisée par votre mère s’est bien déroulée) de l’ivraie (au hasard, 2×10^15 annonces Farmville). Facebook et Google+ ont deux philosophies différentes ; l’un vous demande d’aller faire les réglages vous-même et introduit l’idée de promotion payante pour réparer un système bancal par essence, l’autre s’efforce d’introduire des réponses au problème dans la manière même dont le réseau fonctionne. Je pense qu’il est intéressant de connaître ces réglages pour reprendre la main sur le contenu qu’on cherche véritablement à voir, d’où ce petit didacticiel. (Un shout à Mlle Gima qui m’a aiguillé pour Facebook.)

Trier votre flux d’information avec Facebook

Facebook vous demande d’aller chercher des réglages ésotériques et peu ergonomiques pour personnaliser votre flux d’informations. La dernière fois, nous avons évoqué l’idée de liste d’intérêt et parlé d’Edgerank ; concernant les pages, le réseau vient d’introduire une fonctionnalité vous permettant de recevoir toutes les notifications. Il faut encore une fois une manipulation un peu fastidieuse et presque cachée, mais c’est possible : pointez sur le bouton « J’aime » de la page en question, puis sélectionnez l’option de recevoir les notifications, de voir la page dans votre flux d’actu ou de l’ajouter à une liste d’intérêt. Faites ça… pour toutes les pages. Eh ouais.

Trier votre flux d’informations avec Google+

Google+ a introduit l’idée de cercles (piquée à Diaspora et à ses aspects, d’ailleurs, ce que FB s’est maladroitement efforcé d’émuler), ce qui permet un classement a priori de vos centres d’intérêt, de vos amis et contacts, de la famille proche aux marques et artistes qui vous intéressent. Et, tout simplement, depuis le début de la semaine, vous pouvez moduler la fréquence et la quantité des informations que vous recevez concernant chaque cercle. Une règle est affichée bien en évidence en haut de chaque onglet de votre flux d’actualité, et vous permet de moduler finement la quantité d’informations que vous recevez dans chaque cercle. Simple et élégant !

Une différence de philosophie ?

Il est un peu malaisé de déduire de ces deux optiques opposées une différence de philosophie entre les deux entreprises, surtout que l’un est en position d’outsider qui tout intérêt à séduire de nouveaux utilisateurs et que l’autre se débat avec son introduction en Bourse décevante, mais force est de constater qu’actuellement, Facebook est un système compliqué qui tire régulièrement le tapis sous les pieds de l’utilisateur en le forçant à adopter des changements de conditions d’utilisation et qui dissimule des réglages utiles, alors que Google+ cultive la bonne idée et le système fonctionnel (si seulement G+ pouvait ouvrir son API, FFS !!). Quoi qu’il en soit, tout cela ne fait que remettre en évidence un point crucial de ces réseaux sociaux commerciaux : en en faisant le centre de votre écosystème numérique, que vous soyez utilisateur ou créateur, vous n’êtes plus maître de votre contenu et remettez ce contrôle à une tierce partie qui peut, à tout moment, changer les règles de votre propre jeu. 

2012-11-15T10:16:42+01:00jeudi 15 novembre 2012|Geekeries|8 Commentaires

Live report : Therion + Elyose + Antalgia à l’Antipode, 2 octobre

Therion de passage dans la petite (et donc très chaleureuse) salle de l’Antipode à Rennes, ça ne se rate pas – il n’y a pas mieux, à mon humble avis, pour vivre le spectacle avec une vraie proximité avec les musiciens. De plus, le groupe a récemment annoncé sur son site officiel un probable hiatus dans les tournées, le temps que Christofer Johnsson, maître d’oeuvre de Therion, s’attelle à l’oeuvre qu’il désire accomplir depuis des années, composer le premier véritable opéra métal, et propose donc de longs concerts, plus démesurés encore musicalement qu’à l’habitude, avec le projet de jouer parmi leurs morceaux les plus longs.

En avant donc pour le show du seul groupe à avoir réussi à la véritable fusion entre symphonique et métal et dont l’inventivité, au cours de ses 25 ans de carrière, ne s’est jamais démentie.

Antalgia

Venus d’Espagne, les musiciens d’Antalgia affrontent une salle un peu vide en début de soirée, et une timidité visible qui, loin de les desservir, contribuera au contraire à donner à leur performance une authenticité très sympathique. Sur une base qu’on craindrait classique – chant féminin, gros riffs et textures au clavier – Antalgia propose des plans qui sortent de l’ordinaire sans oublier l’efficacité. Si certaines sections mélodiques semblent parfois un peu raccordées sans réelle unité, le groupe montre déjà une créativité dans une niche pourtant très bouchée et promet, s’il a la place et le temps d’évoluer, de grandir de manière très intéressante. En clair, c’est le même genre de line-up qu’un Sirenia, sans la répétitivité et la facilité dans laquelle ces groupes tombent régulièrement, et rien que pour ça, ça fait pousser un « aaah » de satisfaction.

Elyose

Ça partait pas mal : une intro qui rappelle le grégorien, une chanteuse au registre atmosphérique qui promet de former un magnifique contrepoint à des gros riffs. Sauf que. Un concert, c’est la musique, mais c’est aussi la performance scénique, et si la chanteuse ne ménage pas ses efforts, je n’ai pas du tout adhéré à son attitude glamour. Pas été convaincu non plus par la musique, dont les éléments électros m’ont parus plaqués sur le reste pour sacrifier à la mode actuelle, sans réelle complémentarité. Mais mettons ça sur le compte de l’inexpérience ; Kells m’avait un peu fait la même impression lors d’un de leurs premiers concerts et ils s’en sont plutôt bien tirés par la suite, apparemment. Voyons ce qu’Elyose donnera avec un peu plus de bouteille et d’aisance.

Therion

Bon, que dire, à part que je suis un fan absolu ? Il y a cinq ans, lors de leur 20e anniversaire, je proposais déjà un article rétrospectif sur leur carrière sur MySpace, alors je ne vais pas prétendre à l’objectivité, plutôt l’inverse – mais j’en attendais beaucoup.

Therion avait promis un grand show, et ils l’ont donné. Non contents de jouer leurs plus grands titres dans des versions époustouflantes qui vous prennent aux tripes et vous peignent un grand sourire sur la figure (To Mega Therion, Wine of Aluqah, Rise of Sodom and Gomorrah, Son of the Staves of Time, Lemuria…), ils ont pris un risque non négligeable en proposant des morceaux longs, véritables morceaux de bravoure pour un public rennais qui a tendance à pogoter plus qu’écouter, tels que Via Nocturna. Exécution parfaite bien sûr, portée par un guitariste solo ahurissant et trois chanteurs rock et lyrique qui font passer Tony Kakko et Tarja Turunen pour des amateurs de groupe de lycée, avec une démesure et une absurdité décadente (la passion de Johnsson en ce moment) totalement réjouissantes. Et c’était aussi l’occasion pour eux de présenter des morceaux de leur dernier album, Les Fleurs du Mal, un ensemble de reprises du répertoire français parfaitement improbable mais qui donne un coup de fouet à des compositions riches et qui font partie de notre patrimoine culturel. Voir un concert de Therion attaquer par les premières mesures de Carmina Burana et enchaîner sur Poupée de Cire, Poupée de Son en version décoiffante, dit comme ça, ça paraît bizarre voire un peu naze, mais c’est tout le contraire : ça envoie du bois, en plus d’être particulièrement rigolo. D’ailleurs, j’écoute Les Fleurs du Mal en boucle depuis ce matin, et cela sonne parfaitement comme le Therion qu’on aime, au service d’un répertoire que nous délaissons et méconnaissons même, traité avec respect et surréalisme. Particulièrement disponible, Johnsson est venu se mêler au public après le concert pour échanger quelques mots, une bouteille de vin à la main qu’il sifflait tranquillement dans la bonne humeur et la gentillesse. Encore une fois, après 25 ans de carrière, loin des modes et des tendances, Therion trace sa route et se montre capable de continuer à surprendre, en studio comme sur scène, sans jamais se prendre totalement au sérieux. Happy anniversary !

2017-08-07T14:19:50+02:00mercredi 3 octobre 2012|Décibels|10 Commentaires

Space Battleship : l’Ultime espoir

Ou comment faire le titre de SF le plus générique et cliché de l’histoire.

Sorti l’été dernier directement en DVD, ce Space Battleship est l’adaptation en film live de Space Battleship Yamato, manga du célébrissime Leiji Mastumoto, créateur d’Albator et Galaxy Express 999. Il y a donc de quoi s’attendre à quelque chose d’assez graphique et nerveux, et le film ne déçoit pas.

Résumé : c’est bien simple, la Terre est fichue, voilà. Space Battleship dépeint une humanité désespérée, en train de perdre une guerre contre les vicieux Gamilas, et notre planète n’est plus qu’un désert radioactif à la surface inhabitable. Même Battlestar Galactica est plus riant.

Susumu Kodai est une tête brûlée, un ancien pilote qui a quitté l’armée, et se trouve réduit à récupérer divers déchets dans le désert en scaphandre anti-radiations pour gagner sa croûte. Quand une ogive extraterrestre percute la surface juste à côté de lui, endommageant son scaphandre, il croit sa dernière heure arrivée… sauf qu’un miracle se produit. La radioactivité redescend à des niveaux normaux autour de lui. Qui plus est, l’ogive transporte les plans d’un moteur supraluminique et d’une arme nouvelle. Ainsi qu’un message : quelque part dans les étoiles, il y a du secours. Les habitants de la planète Iskandar invitent l’humanité : ils disposent de la technologie nécessaire pour soigner la planète.

La Terre lance alors un ultime effort de guerre pour construire le Yamato, le croiseur de la dernière chance, embarquant cette technologie extraterrestre mal connue afin de rallier Iskandar. Kodai reprend du service, mais il a plus d’un compte à régler, non seulement avec le capitaine du Yamato, mais aussi avec ses anciens équipiers. Talentueux mais indiscipliné, Kodai va devoir assumer son rôle de meneur pour conduire la mission du dernier espoir à bien.

La parenté entre Yamato et Battlestar Galactica est évidente, sans qu’il soit possible de dire qui a influencé qui (le manga et la série originale datant tous deux de 1978). En tout cas, le fan de BSG retrouvera sans mal un ton qu’il affectionne : Kodai ressemble à une Starbuck en plus positive et moins suicidaire, mais avec tout autant de problèmes envers la hiérarchie. Ici aussi, il est question d’avenir de l’espèce humaine, de sacrifices pour le bien commun, de reconstruction. Mais, et c’est très certainement ce qui a rebuté le public français, il y a une épaisse couche d’imagerie manga et de mélodrame à la japonaise par-dessus. Il n’y a pas de place pour la modération dans Yamato : tout le monde est toujours très énervé, très triste, très rancunier ou très discipliné – mais surtout , surtout très énervé, notamment Kodai qui a de gros problèmes de nerfs et va nous claquer un AVC à 50 piges s’il ne lève pas le pied sur la caféine (ou la coke).

Et là, forcément, comme dans nombre d’adaptations de manga (pensons à Crying Freeman), c’est simple : soit on adhère, on rentre dans le trip grandiloquent à la japonais, soit on décroche en refusant de bouger de l’esthétique occidentale. La plupart des spectateurs décrochent (Space Battleship reçoit une note moyenne de 2,1/5 chez Allociné, totalement imméritée à mon avis, même si elle s’explique). Personnellement, j’adhère à fond – VO sous-titrée obligatoire, bien sûr.

Alors oui, l’arme ultime gros canon de la mort du Yamato est manipulée sur la passerelle avec… un flingue et il convient de viser. Oui, les uniformes de vol ont l’air d’une démonstration en vinyle pour une palette Pantone. Oui, ça crie beaucoup, ça en a gros sur la patate, ça brandit le devoir et la patrie (ici, la Terre) dans tous les sens. Mais bon, je ne sais pas vous, mais si j’étais à bord du seul vaisseau à pouvoir sauver la planète traversant la galaxie vers l’inconnu, moi aussi j’aurais besoin d’un câlin.

Bret, tout ça, ça fait partie du truc, c’est le jeu : c’est une adaptation de manga. Et surtout, c’est un blockbuster qui s’assume, une sorte de transposition des grosses productions hollywoodiennes remixées par un oeil japonais.

Et c’est probablement là que réside la meilleure surprise de ce Yamato : c’est du grand spectacle, alors on s’attend à connaître le déroulé de l’intrigue, la fin, les rapports entre personnages. Sauf que non. Ce n’est pas un film américain, ça n’en a que l’emballage. Sans vendre la mèche, les relations, les coups de théâtre appartiennent à une logique narrative légèrement différente de ce dont on a l’habitude, qui s’adapte très bien à cet univers, et c’est grâce à cela que ce film parvient à créer quelques surprises et une impression durable.

En résumé, il faut voir ce Yamato en s’attendant à un film à grand spectacle et en garant à l’esprit qu’il s’agit d’une adaptation moderne d’un manga de la fin des années 70. Dans ce cas, excellent moment garanti, encore plus pour les fans de space op’. Par contre, si vous n’adhérez pas au trip et gloussez bêtement chaque fois que vous entendez une phrase en japonais, faites une faveur à tout le monde, à vous comme aux autres : passez votre chemin. Sérieusement. Et laissez les gens que ça émeut sincèrement en profiter tranquilles.

Non mais.

2012-09-13T11:35:21+02:00jeudi 13 septembre 2012|Fiction|8 Commentaires

Le Diablo est dans les détails

Il y a dix jours, c’était la beta ouverte d’un des jeux les plus attendus de dix dernières années, le messie des nuits blanches et du « allez, je finis juste cet étage, et après je vais me coucher » avant la généralisation des MMORPG et de World of Warcraft : l’arlésienne Diablo 3. Après des annonces en grande pompe et en accords de guitare éthérés (votre humble serviteur se trouvait au Worldwide Invitational de Paris en 2007 au moment de l’annonce de la sortie du jeu quand à l’époque, tout ce qu’il voulait, c’est une date de sortie pour Wrath of the Lich King), tout détenteur d’un compte Battle.net a pu accomplir une portion de l’Acte I du nouvel opus.

Cette petite virée au monde de Sanctuary suscite a priori très, très positif. L’ambiance sombre des précédents opus (surtout du premier, disons-le) est respectée : décors brumeux, crânes et possessions démoniaques dans tous les coins, corbeaux et villages souffreteux, tout l’attirail du médiéval tirant sur l’horrifique est présent, loin du côté un peu chatoyant et coloré de Diablo II. Heureusement, parce que le passage à un moteur 3D et le traitement correspondant des lumières donne un aspect un peu lisse au graphisme, débordant sur le son et lumière en cas d’utilisation intensive des pouvoirs qui donne à l’ensemble un côté Jean-Michel Jarre live à R’lyeh un poil surréaliste. Mais je chipote, et nous n’avons vu qu’une portion infime du jeu.

Surtout, le jeu fourmille d’une attention aux détails, d’optimisations du gameplay au poil de rat pestiféré, qui est la patte Blizzard. Les changements vivement critiqués par la communauté paraissent, à l’usage, réfléchis avec attention pour fournir une expérience de jeu épurée, concentrée sur l’essentiel : tuer du monstre, faire du pex, gagner du loot. Ce Diablo 3, dans les faits, se rapprocherait presque d’un shoot-them-up à l’ancienne, surtout en incarnant un tueur de démons, spécialisé dans le combat à distance. Plus de parchemins de Town Portal? Parce que ça vous amusait, vous, d’en empiler 12 dans l’inventaire par crainte d’en oublier ? Plus de jauge de course ? Le premier Diablo s’en passait très bien, et les pas lents de l’aventurier imprimaient justement une atmosphère oppressante aux catacombes abandonnées. Des orbes de santé pour se régénérer après les combats ? Excellente idée : utiliser une potion devient un acte rare qui signifie l’urgence, au lieu d’en siphonner toutes les dix secondes pour se remettre à neuf.

Tout dans le jeu pousse à la performance, à réussir de plus grosses tueries de démons de façon créative : on a pu voir l’introduction (un peu timide, certes) d’éléments de décor à faire tomber sur les adversaires, et le jeu note les records du joueur (le plus d’objets détruits à la fois, de monstres tués en un coup, etc.) en lui octroyant un petit bonus d’expérience à chaque fois qu’il se surpasse. Du coup, même détruire des tonneaux vire au défi. Et le générateur aléatoire de niveaux propose parfois de petits événements ponctuels (survivre une minute dans une salle infestée de squelettes, par exemple) avec bonus d’expérience et équipement à la clé. Le rythme de l’aventure est mené avec précision, et le jeu se paie même le luxe d’un scénario qui arrive à susciter l’intérêt : une mystérieuse météorite tombe sur l’ancienne cathédrale maudite de Tristram, ce qui pourrait être le premier signe de la fin des temps annoncée par les anciennes prophéties. Ce retour aux sources est l’occasion de retrouver des noms bien connus des vieux joueurs à avoir parcouru les couloirs sombres du premier épisode : Lazarus, Léoric, et bien d’autres.

La facilité de cet aperçu a été critiquée ; c’est vrai que je ne me suis pas réellement senti en danger comme cela pouvait être le cas sur les opus précédents, où des passages intenses obligeaient à préparer ses stratégies, voire à utiliser des méthodes mange-caillou pour attirer les monstres un par un, même en mode facile. Mais ce n’est que le début, et dans la difficulté de base. Par l’épure de son gameplay, ce Diablo 3 promet d’ores et déjà une rejouabilité supérieure à ses ancêtres.

C’est avec une certaine sérénité que l’on peut attendre le 15 mai, date de sortie du jeu : comme tous les jeux Blizzard (et comme on a tendance à l’oublier avec le temps…), Diablo 3 ne réinvente pas la roue, mais il lui colle des jantes chromées, des pneus inusables et des amortisseurs hydrauliques. Comme ses prédécesseurs, il ne sera pas follement original, mais il sera mitonné aux petits oignons, extrêmement amusant, et promet d’engourdir de longues heures à tuer des boutons de souris pour récupérer encore une ceinture +2 en puissance d’attaque et après promis juré je me couche.

2012-05-02T11:12:24+02:00mercredi 2 mai 2012|Geekeries|6 Commentaires

Retour au Source (Code)

Il y a à peu près onze ans et demi, je mentionnais Source Code aux côtés de L’Agence comme les deux films dickiens sortis en 2011 à peu près à la même période, et après avoir débiné le second, je promettais de parler du premier. Auguste lectorat, ce blog a une loi : dès que je dis publiquement que je vais faire un article sur quelque chose, il se passe onze ans et demi avant que je le fasse. À peu près. Il faut donc, suivant le conseil donné par Arthur à Perceval, que j’arrête de dire des trucs.

Source Code est sorti il y a une dizaine de mois, mais vaut la peine d’être sauvé de la masse des productions à moyen budget vite oubliées. Colter Stevens est un pilote d’hélicoptère revenu d’Afghanistan qui se réveille dans un train de banlieue à Chicago avec le visage d’un autre homme, en compagnie d’une femme qu’il ne connaît pas, jusqu’à ce que bam, le train explose.

Sacré lundi matin.

Il se réveille dans un cockpit qui est peut-être le sien, peut-être pas. Il apprend qu’il participe à un programme secret de l’armée appelé le « code source » qui lui permet, par inférence informatique, de revivre les huit dernières minutes précédant la mort d’un homme. Sean Fentress, l’homme dont il avait pris la place à bord du train, est mort dans l’attentat d’un forcené qui promet de récidiver. À l’aide du code source (nom qui fait genre, mais qui n’a rien à voir avec ce qu’est un vrai code source, nous sommes bien d’accord) Colter doit trouver le mode opératoire et le coupable du premier attentat dans l’espoir de sauver les passagers d’un deuxième train.

Il replonge ainsi d’innombrables fois dans cette réalité virtuelle, qui présente certains parallèles avec Un Jour sans fin, progressant à chaque fois d’un pas de fourmi vers l’auteur des crimes, recoupant les indices, mais apprenant aussi peu à peu ce qui lui est vraiment arrivé avant le code source. Pour tout arranger, Colter acquiert au fur et à mesure de l’empathie pour les passagers – qui, lui explique-t-on, ne sont que des simulations de personnes déjà mortes – et chacun de ses décès constitue une expérience traumatique qui vient ébranler un esprit déjà très inquiet de sa situation. Dans la plus pure tradition dickienne, les frontières entre réalité et simulation se brouillent à mesure que l’on s’interroge sur la vraie nature du code source.

Impossible d’aller plus loin sans vendre la mèche, bien sûr, mais Source Code remplit toutes ses promesses et répond à toutes ses questions d’une façon qui n’est pas toujours d’une grande originalité, mais efficace et bien présentée. Il se paie même le luxe de proposer quelques coups de théâtre concernant les règles de l’univers, posant des interrogations plus vastes sur la perception de la réalité – on n’est pas à la hauteur, intellectuelle ou visuelle, d’un Inception ni d’un Dark City, mais l’ouverture est plutôt intelligente et bienvenue. Même la petite dose obligatoire de patriotisme et de bons sentiments passe sans douleur, pour un final qui ne sombre pas entièrement dans la facilité à laquelle on s’attendait.

Bref, Source Code n’est pas un chef-d’oeuvre, mais c’est un bon film parfaitement conscient de ses ambitions et qui les remplit avec brio, pour un divertissement bien ficelé, très satisfaisant, avec le soupçon de bouleversement des repères qui convient au genre – sa seule faute de goût étant peut-être son titre. Contrairement à L’Agence, ce thriller dickien vaut amplement le visionnage.

2012-02-17T20:19:33+01:00vendredi 17 février 2012|Fiction|6 Commentaires

La contagion ne prend pas

Contagion. Un casting de malade : Marion Cotillard, Matt Damon, Laurence Fishburne, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Kate Winslet. Steven Soderbergh aux commandes. La menace d’un virus qui décime la planète, la promesse d’une tourmente humaine, de sentiments forts, de désespoir, de fraternité, peut-être d’une rédemption. Panique, angoisse. La perspective de se faire peur, d’être ému, choqué, bref de vibrer au premier degré de façon très assumée, et peut-être au second si le film le permet.

Sauf que non.

Contagion, c’est simple. C’est l’histoire de types, y a un virus, et puis ils meurent.

Et on s’en fout.

Le scénario tente le pari des récits croisés, chacun explorant un fil de la confrontation face à un fléau médical d’une rare violence, qu’il s’agisse du médecin confronté à sa propre déchéance, de l’OMS s’efforçant de réagir au plus vite, du père de famille mystérieusement épargné par la maladie qui décime les siens, du blogueur activiste un peu ripou sur les bords qui oppose à la voix des spécialistes celle de la multitude désinformée d’Internet. Chacun réagit à sa manière face à la menace, à la peur, à la désagrégation de la société confrontée à sa possible extinction. Le lecteur de bon goût est ramené par exemple à Spin de Robert Charles Wilson dans le traitement de cette thématique. Et Contagion propose des points de vue intéressants et d’une modernité plutôt bien trouvée, sans compter que – pour une fois – l’aspect scientifique est traité plutôt correctement.

Sauf que jamais, la mayonnaise ne prend, ne restant qu’un empilement de fils narratifs à peine ébauchés, où l’investissement ne naît jamais, où les problématiques pourtant prometteuses demeurent égratignées, et où les tentatives de tirer sur les cordes émotionnelles du spectateur résonnent à vide. Kate Winslet est evoyée évaluer la maladie sur le terrain, on la suit dans ses déplacements, et puis à un moment, elle tombe malade. Elle a très très peur, et on la comprend. Mais on s’en balance total. Marion Cotillard, autre experte, est prise en otage pour que l’acheminement d’un possible remède devienne prioritaire vers un village de la campagne chinoise. Elle s’attache aux villageois. D’otage, elle devient pilier de la communauté. Mais on n’en voit rien, on n’en sait rien, et le verdict devient en conséquence le même : on s’en balance. Comme de ses villageois, probablement très sympathiques, mais inconnus au bataillon scénaristique. Pourquoi, demande-t-on à la narration, dois-je me soucier de tout cela ? Parce qu’ils sont en danger ? Ça ne suffit pas. Les personnages sont en carton-pâte, sans attaches – ou éventuellement stéréotypées – ce qui suscite rarement plus qu’un « ah ben c’est quand même moche » quand les victimes commencent à s’entasser.

En fait, à son corps défendant, Contagion est une parfaite démonstration d’un travers honteux mais réel de la nature humaine, exprimé avec une clairvoyance d’une cruauté glaciale par Staline : un mort, c’est une tragédie, un million, c’est une statistique. C’est scandaleux, c’est détestable, mais c’est vrai. Et la fiction porte des drames, pas des statistiques. Sans personnages, sans discours, sans fils narratifs forts, Contagion échoue là où un film comme Collision réussit magnifiquement avec une envergure bien moindre dans les enjeux. Le récit de Soderbergh aurait mérité une ou deux trames narratives de moins, un parti pris clair sur les thèmes à traiter, un choix, pour sensibiliser le lecteur au propos qu’il voudrait tenir. Si seulement il en avait un.

Mais à vouloir être partout, Contagion n’est nulle part. On n’en ressort pas scandalisé, mais pas ravi non plus. On se dit qu’on a vu un récit sans âme, pas tellement creux, mais pas tellement consistant quand même. Contagion, finalement, c’est ça : pas tellement grand-chose.

2011-11-23T12:13:35+01:00mercredi 23 novembre 2011|Fiction|Commentaires fermés sur La contagion ne prend pas

L’Agence ment

J’ai récemment eu la chance de faire deux vols longs courrier, et c’est l’occasion idéale pour rattraper les films qui vous faisaient de l’œil à la bande-annonce, mais sur lesquels vous n’avez pas reçu suffisamment de retours – ou éprouvé assez de motivation – pour faire l’effort d’aller les voir. Parmi ceux-là, et sortis à un mois d’intervalle en début d’année, L’Agence et Code Source, deux longs-métrages à l’argument dickien (le premier est adapté de la nouvelle « Rajustement » du maître, le réalisateur du second déclare clairement ses influences), mais avec un habillage relativement grand public. Alors c’est du réchauffé, je sais, mais c’est aussi l’occasion de revenir sur des récits qui ont pu passer inaperçus, à tort.

Ou, dans le cas de L’Agence, à raison.

David Norris a tout pour être heureux. Le plus jeune sénateur de l’état de New York brigue un poste de sénateur ; enfant des quartiers pauvres, impulsif et bagarreur mais aussi droit et franc, c’est le chéri de l’opinion publique. Rien ne semble arrêter son ascension.

Un soir, par un concours de circonstances, il rencontre Elise, une jeune femme dont l’humour à froid le séduit aussitôt. Le coup de foudre est immédiat et mutuel. Mais une mystérieuse faction, constituée d’hommes en costumes neutres, aux chapeaux un peu surannés, se ligue pour empêcher leur histoire. Car celle-ci dévie du « plan » établi pour l’humanité par un certain « Grand Patron » dans le plus grand secret.

L’esthétique un peu décalée des drôles de représentants de cette « agence » et l’usage du célèbre effet papillon appliqué aux actes du quotidien – par une succession de coïncidences, David et Elise pourraient devenir des acteurs majeurs de l’histoire de leur pays – laissaient promettre une atmosphère oppressante, un combat désespéré pour le libre arbitre avec, au passage, quelques ouvertures semi-philosophiques ou quelques jeux amusants sur l’identité de ce fameux « Grand Patron ». Après tout, Matt Damon avait déjà joué un Jason Bourne sévèrement bourné (pardon) avec une thématique semblable : l’homme seul contre un pouvoir qui le dépasse dans la conquête de sa liberté. C’était du thriller pur, ça tirait davantage que ça ne discourait mais c’était bien fichu, et Bourne, cible des agences du monde entier, parvenait à générer la sympathie.

Mais L’Agence ne décolle jamais. Au contraire, le scénario semble scrupuleusement éviter toute réflexion – et même tout jeu – dépassant le manichéisme gentillet du « j’aime la fille, mais les méchants, y veulent pas ». Cette belle idée de ces agents influant discrètement sur l’histoire humaine ne sert que de toile de fond à une histoire d’amour finalement dénuée d’enjeu, parce que se déroulant entre deux personnages bidimensionnels. Il y avait pourtant une ouverture sur le confort qu’apporte un couple contre la réalisation personnelle qu’on lutte pour atteindre dans la solitude, mais c’est abordé comme une simple péripétie.

L’univers proposé – l’hypothèse imaginaire – ne rattrape pas cette absence de profondeur : les agents présentent des pouvoirs tour à tour surpuissants (laver le cerveau des humains, ajuster leurs émotions, une télékinésie à rendre jaloux David Copperfield et j’en passe) et se montrent d’une ineptie surprenante dans certaines prises de décision, ou bien incapables de rattraper un type à pied alors qu’ils peuvent cavaler derrière un bus sur plusieurs pâtés de maisons. Le Grand Patron ne sera jamais explicité, pas plus que cette société d’agents séculaires fatigués dont certains doutent de leur mission.

J’avoue n’avoir pas lu « Rajustement » et j’ignore si ces défauts sont présents dans la nouvelle d’origine – malgré tout le respect et l’admiration que j’éprouve pour Dick, il faut convenir que certains de ses textes courts ne vont pas au-delà de l’idée géniale et manquent d’une vraie histoire pour la porter. Quoi qu’il en soit, L’Agence aurait pu élargir son propos sans aucune difficulté, le placer dans un contexte plus vaste et, par retour, donner du poids à la romance contrariée au centre de l’histoire ; mais le film s’y refuse très scrupuleusement. En conséquence, le sort de cette relation reste parfaitement anecdotique et ne suscite pas d’intérêt.

L’ennui s’installe donc et ce n’est pas le twist final – visible à trois kilomètres – ni le discours convenu qui l’accompagne qui rattraperont la sauce. On ne passe pas forcément un mauvais moment, mais on ne vibre pas, ne s’inquiète pas, ne réfléchit pas. C’est un film inodore et sans saveur, facilement digeste, loin des atmosphères anxiogènes teintées d’absurdité qui font la patte de Dick ; il roule sur des rails convenus, ce qui ne manque pas d’ironie. Sur une thématique proche, il y aura potentiellement mieux à faire de deux heures de son temps, par exemple tenter Code Source (chronique à venir).

2011-12-17T10:32:13+01:00lundi 24 octobre 2011|Fiction|6 Commentaires
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