Creating Flow with OmniFocus : le seul autre manuel de productivité nécessaire

La productivité, le lifehacking, c’est mon dada, mon plaisir coupable. Je suis toujours convaincu qu’il existe de meilleures manières de travailler, plus efficaces et plus agréables, et que les outils modernes permettent de supprimer au maximum les obstacles à la créativité, en donnant – faute d’interfaces neuronales, peut-être un jour – à l’esprit le moyen le plus direct d’exprimer ce qu’il a en tête. Je pourrais en parler à longueur d’articles ici, mais je sais bien que ça n’intéresse qu’une partie de toi, auguste lectorat, et je ne veux pas me transformer en consultant productivité à 100%. Ce n’est pas plus mal, cela me force à mûrir au maximum les notions et les flux de travail avant d’en parler.

Et donc, aujourd’hui, je veux te parler de l’autre livre qui m’a fait voir la lumière en terme d’organisation et de travail, Creating Flow with OmniFocus. Ne fuis pas, ce n’est pas parce que tu n’utilises pas OmniFocus que tu ne peux rien en retirer – même si, forcément, cela aide pour l’implémentation. Mais je dirai, sans hésiter, que CFwOF est le seul autre livre, à part Getting Things Done (rien que ça) qui a eu un tel impact sur ma façon de m’organiser pour arriver à jongler avec toutes mes casquettes.

CFwOF est rédigé par Kourosh Dini, psychiatre et musicien, qui s’est fait une spécialité d’étudier les mécanismes de la créativité sous l’angle pratique. Très influencé par le zen, il aspire, notamment à travers cet ouvrage, à étudier puis supprimer au maximum les barrières à l’état de flow – cet état de créativité maximal où le temps passe sans qu’on s’en aperçoive, où l’on avance semble-t-il sans effort, où le défi est merveilleusement accordé à la réalisation. Et pour cela, il s’appuie sur OmniFocus, qu’il définit comme le meilleur gestionnaire de productivité personnel – et je suis d’accord.

CFwOF peut se lire comme un manuel pour OmniFocus, un didacticiel qui part des bases les plus élémentaires pour aborder les fonctions les plus pointues qu’offre le logiciel dans ses recoins les plus cachés (subtilités sur les perspectives, automatisation, liens internes, etc.). Rien qu’à travers cela, il serait déjà très intéressant, car OmniFocus offre une quantité ahurissante de subtilités qui en font véritablement le Photoshop de la productivité, mais les cache à l’utilisateur débutant pour ne les révéler que si on les lui demande – un peu à la manière de Scrivener. Mais – et c’est là que le livre a été, pour moi, une révélation – Dini partage ses années d’expérience avec le logiciel et entre dans le plus grand détail dans son flux de travail, proposant des dizaines d’utilisations intelligentes et passionnantes du logiciel, le tout en situation.

Car, ainsi qu’on l’a vu en parlant d’OmniFocus, savoir utiliser son outil de gestion de projet n’est que la moitié du travail. L’autre moitié consiste à réfléchir à sa façon de travailler, à la cerner, puis à réussir à l’implémenter dans l’outil qu’on s’est choisi. Et c’est là que le livre s’avère une véritable bible pour le fidèle de GTD qui veut se construire un vrai système englobant sa vie entière. Débordant régulièrement sur des notions de psychologie, Dini explique pas à pas ses choix et ses propositions d’usage, jusqu’aux plus avancées, le faisant même fonctionner dans les derniers chapitres en coordination des outils comme TextExpander et Keyboard Maestro. Le livre est très, très abondamment illustré (il dépasse les mille pages) et accompagne l’utilisateur dans la structuration de ses espaces de travail jusqu’à atteindre le moment béni où son système commence à travailler pour lui au lieu de l’inverse.

© Kourosh Dini

Je crois avoir relu et fouillé Creating Flow with OmniFocus davantage encore que Getting Things Done, car c’est un livre pratique avant tout. En implémentant certaines de ses suggestions, en utilisant intelligemment les forces d’OmniFocus, j’ai clairement débloqué certaines zones de ma vie qui, avant, me causaient du stress.

Quelques exemples, parce que je sens bien que ça tourne à l’argumentaire commercial :

Terre et Mer. Parmi les usages avancés d’OmniFocus, Dini propose de réaliser un projet intitulé « Land & Sea » qui vise à inventorier, avec davantage de hauteur, tous les projets en cours, et de les placer dans des « canaux de travail » à répartir dans la journée. Ainsi, au lieu de se trouver noyé sous des dizaines, voire des centaines de tâches dépareillées, Terre et Mer permet de rassembler les projets globaux et d’articuler des espaces de travail dédiés, tout en acceptant – et c’est là que c’est beau – qu’il n’est pas nécessaire de tout toucher un jour donné ; il suffit d’y revenir régulièrement. Par exemple, mon Terre et Mer personnel contient seulement deux canaux ; l’un ne contient qu’un seul projet, mes corrections de Le Verrou du Fleuve – car c’est l’urgence du moment, et j’y travaille chaque jour –, l’autre contient en rotation : m’occuper du blog, gérer mes courriels, préparer mes prochaines masterclasses, produire Procrastination, etc. Des choses que je n’ai pas besoin de voir chaque jour, et je tourne au fil de la semaine et du besoin. Pour en savoir davantage sur cette idée, Dini développe sur son blog.

Passe et Classe. Vous voyez ces petites tâches administratives qui vous occupent l’esprit mais qu’il faut bien faire, comme préparer une courte lettre aux impôts, racheter des timbres, envoyer un mail urgent, imprimer un rapport pour un collègue ? Les mettre dans un gestionnaire de tâches aide déjà à se débarrasser la tête, mais ce qui devient agaçant, c’est qu’elles se retrouvent au même niveau que « écrire roman » et « nourrir blog » quand ce sont de petites choses. Or, quand j’ai du temps devant moi, je veux voir mes gros projets, pas « acheter timbres », qui m’accapare et me pollue. Eh bien, pourquoi ne pas basculer toutes ces tâches simples dans un seul contexte – « File & Flow » en anglais – et se noter simplement de le visiter tous les jours, et de voir ce qu’il est possible de faire, par exemple en fin de journée, quand le cerveau commence à couler par les oreilles ? Savoir qu’on verra chaque jour cet ensemble de tâches… et qu’on pourra choisir de l’envoyer balader si on le souhaite procure une grande sérénité.

De riches idées de ce genre, couplées à leur implémentation dans OmniFocus, il y en a donc des dizaines dans Creating Flow with OmniFocus. Ce sont à la fois des astuces futées qui s’ancrent dans la psychologie et des systèmes pour assurer, conformément à la promesse du logiciel, que l’utilisateur ne voie jamais sous les yeux que les tâches qu’il souhaite à un moment donné. Dini aborde toutes les embûches classiques de la vie moderne, notamment la gestion des communications et tout particulièrement des mails… Un sujet qui me tient à cœur car je rame toujours à rester à jour, même si, depuis mon application de GTD et mon passage dans l’écosystème Apple, je n’ai plus, à un moment donné, qu’une dizaine de courriers en souffrance (qui datent parfois, hélas, mais ce n’est rien en comparaison de la centaine que j’avais régulièrement voilà quelques années). L’ouvrage guide cette fameuse réflexion à laquelle OmniFocus présente l’utilisateur sans crier gare, le confrontant à l’angoisse existentielle de se dire : que veux-je faire exactement, et comment ?

À titre d’exemple – et pour bien montrer que j’applique ce que je prêche –, sur la droite se trouvent mes perspectives telles que conçues après ces lectures assidues de CFwOF, et qui m’aident à guider ma vie au quotidien (entre parenthèses, les noms d’origine de l’ouvrage, parfois poétiques, mais que j’ai traduites, parce qu’on ne se refait pas) :

  • Focus (Dashboard) : le tableau de bord central d’où je lance tout. C’est ma perspective de pilotage (synchronisée avec mon Apple Watch) où figure tout ce que je dois faire un jour donné, ainsi que les échéances proches. Idéalement, je dois pouvoir réduire le nombre de tâches à zéro chaque soir. Pas toujours facile ou faisable, mais j’en approche assez souvent.
  • Rester à flot (Treading water) : une perspective de sécurité pour m’assurer que je n’ai pas laissé passer des tâches que j’aurais aimé voir mais que j’ai pu louper parce que, pour une raison ou une autre (genre, parce que c’est le week-end !) je n’ai pas assidûment consulté OmniFocus pendant quelque temps.
  • Vite fait : des tâches à la durée inférieure à 15′, pour ne pas gâcher les petites fenêtres de temps qui apparaissent parfois entre deux portes ou rendez-vous, ou parce que l’on a fini son travail un peu plus tôt et que l’on veut rentabiliser le temps qui reste avant de passer à autre chose.
  • On retrouve également Terre et Mer (Land & Sea), Passe et Classe (File & Flow), et quelques perspectives personnalisées comme la planification du blog, mon projet personnel de revue hebdomadaire, j’en ai une plus bas pour la production de Procrastination, etc.

CFwOF est un ouvrage assurément spécialisé, qui intéressera avant tout celles et ceux qui ont déjà un bon pied dans la méthode GTD, qui en ont assimilé les principes de base et se heurtent à présent à l’implémentation de leurs envies dans un système intégré. Je n’hésite pas à considérer le livre de Dini comme un « GTD advanced« , qui met l’accent sur la libération de l’esprit pour les tâches créatives – un sujet qui touche forcément, mais qui concerne tous les knowledge workers. Bien sûr, cela aide d’utiliser OmniFocus, mais si vous êtes dans l’écosystème Apple, ce livre peut totalement justifier de basculer vers cet outil, car il vous montrera – comme aucun autre – comment en tirer le maximum, et pourquoi il demeure bel et bien le meilleur.

Et si vous n’êtes pas sous OmniFocus ni Apple… ça vous montrera tout ce que vous pourriez faire du côté en aluminium brossé de la force… et vous donnera envie. (Viendez. On fait tellement plus de trucs.)

L’ouvrage n’est disponible qu’en anglais et est diffusé de manière indépendante par Kourosh Dini à cette adresse (lien affilié, en savoir plus).

De manière générale, si l’envie d’acheter cet outil (ou l’un des autres présentés sur ce site vous vient, n’oubliez pas de passer par les liens proposés ici – vous contribuez à financer le temps passé à rédiger ces articles gratuitement. Merci ! 

2019-11-14T00:24:21+01:00jeudi 28 septembre 2017|Lifehacking|Commentaires fermés sur Creating Flow with OmniFocus : le seul autre manuel de productivité nécessaire

Il fabrique des archets, et ce qu’il a à dire concerne tous les créateurs

(C’est bon, j’ai mon diplôme en titre Internet… ?)

Blague à part, c’est vrai. Et c’est bien parce que les paroles d’Éric Grandchamp sur la création au sens large, sur la passion me semblent universelles que je voudrais les partager. Justine Carnec, étudiante en journalisme, m’avait déjà proposé un entretien en février, et elle a réalisé par la suite un entretien avec cet archetier (artisan qui fabrique des archets), Meilleur Ouvrier de France, lequel est passionnant, et dont la lecture me semble pouvoir profiter aux écrivains comme aux créateurs de tous horizons. J’avais donc envie qu’il puisse être disponible au moins quelque part plutôt que de disparaître, et je suis honoré de pouvoir le publier donc, avec l’autorisation de Justine (si tu préfères, auguste lectorat, voici le lien vers l’entretien direct en PDF).

Il habite la grande maison jaune qui donne sur la Baie de Morgat, en Presqu’île de Crozon. Vêtu d’un grand tablier, il ouvre sa porte, le sourire aux lèvres, et nous emmène au deuxième étage. C’est son atelier. Sous la charpente, des machines, des outils, des morceaux de bois… Et un petit établi, face à la fenêtre ouverte sur la mer. Ses mains reprenant vite la pièce qu’il réalisait avant d’être interrompu, Éric Grandchamp, un des meilleurs archetiers au monde après quarante ans de métier, raconte son histoire et son goût pour son métier ; la fabrication d’archets.

Où êtes-vous né ?

Je suis né en Bourgogne, à Alise Sainte Reine. C’est le nom du village où a eu lieu Alésia, la bataille avec Vercingétorix.

Que faisaient vos parents ?

Mon père était ouvrier dans une société métallurgique qui faisait des pièces de très haute précision. Ma mère était femme au foyer, mais elle avait fait un apprentissage de couture. Elle aussi était extrêmement habile manuellement. Comme ils travaillaient beaucoup de leurs mains, tous les vêtements étaient faits à la maison, et une partie des jouets aussi.

D’où vous est venue cette passion du travail manuel ?

Je bricolais souvent dans l’atelier de mon père, à la maison. Et puis, il y avait un ébéniste qui habitait juste en face de chez moi, et il m’arrivait très fréquemment de traverser la rue pour aller dans son atelier, jouer avec les chutes de bois qu’il jetait dans des grosses caisses. Et puis, un Noël, je devais avoir cinq ou six ans, on m’a offert toute une panoplie avec un marteau, une scie, un étau, etc. Je m’en suis énormément servi. Arrivé à l’âge de neuf ans, j’ai commencé à faire de la sculpture tout seul. Vers mes 12 ans, j’ai rencontré une artiste qui n’habitait pas très loin de chez moi. Je pouvais passer tout l’après-midi dans son atelier, à sculpter avec elle. Elle m’a appris les rudiments esthétiques et m’a donné une certaine culture artistique.

Comment vous est venue l’idée de vous lancer dans l’archeterie ?

Je savais déjà depuis tout petit que j’allais travailler dans le bois et de mes mains. C’est une nature, et c’est aussi vital pour moi de travailler de mes mains que de respirer. Je suis allé en colonie de vacances, où j’ai rencontré un violoncelliste, et je suis tombé sous le charme de ses instruments. Je ne connaissais pas du tout le milieu de la musique, mais, à partir de là, il m’est venu plein d’idées. Dès que je suis rentré de vacances, je suis allé à Dijon, rencontrer un luthier. Il m’a consacré un après-midi entier. Il m’a expliqué les métiers de luthier et d’archetier, et il m’a dit « Si tu veux revenir et avoir quelques explications supplémentaires, n’hésite pas à refrapper à ma porte. »

Et ensuite ?

J’étais plus intéressé par le métier d’archetier que de luthier, parce qu’il y a énormément de matériaux différents, un aspect mécanique, et puis un aspect esthétique et sonore qui en font un champ d’expression très large. Là, j’avais 14 ans seulement. J’ai passé ma troisième, et j’ai tenté le concours de l’école nationale de lutherie de Mirecourt. À l’époque, il y avait six cent candidatures pour trois places de luthier et trois places d’archetiers. Mais ça, je ne le savais pas quand je l’ai passé, j’y allais comme un gamin, la fleur au fusil. (rires) Et j’ai eu beaucoup de chance, car j’ai été intégré dès la première année.

Ce violoncelliste, ce luthier, tous ces ateliers, ça vous a donné envie ?

Oui. Je pense que si l’environnement ou les parents n’ont pas éveillé la curiosité chez l’enfant, c’est très compliqué pour lui d’aller se former. Ce qui est regrettable, c’est qu’aujourd’hui, il y a trop d’interdits. On ne devrait jamais hésiter à frapper à une porte et dire « Je suis curieux, est-ce-que je peux voir ? ». J’ai toujours accepté que ceux qui en avaient envie vienne voir mon atelier, même si ce n’est pas toujours évident de consacrer du temps à chacun. Parce que, si l’ébéniste en face de chez moi m’avait dit « Non, c’est interdit aux enfants », si mon père m’avait dit « L’atelier c’est trop dangereux », ou si le luthier m’avait dit « J’ai plein de travail je ne peux pas te recevoir », je n’aurais jamais fait ce métier. C’est très important d’offrir la possibilité à des gens curieux de découvrir d’autres choses.

Y a-t-il une relation, un lien particulier qui se crée entre l’archet et celui qui le fait ?

Complètement. En fait, la fabrication d’un archet, c’est un peu un ménage à trois. Il y a le musicien, l’archetier, et puis tous les matériaux. La baguette est la plus importante, elle a sa propre personnalité. La première chose que l’archetier doit faire, c’est comprendre son client. À partir de là, il choisit une baguette qui va vraiment se marier à la personnalité et aux exigences de ce client. Ça peut prendre deux ou trois jours pour seulement sélectionner un morceau de bois, parce qu’on veut trouver exactement la baguette qui correspond à ce qu’on s’imagine faire pour ce musicien. Chaque morceau de bois, chaque musicien est différent, et on est obligé de changer de stratégie à chaque fois.

Que ressentez-vous quand vous réalisez un archet ou une pièce ?

Comment dire… C’est un compromis. En fait, j’ai à l’esprit une certaine idée de ce que j’ai envie de faire. Mais il faut personnifier mon morceau de bois, en lui demandant ce qu’il a envie de faire, ce qu’il est capable de faire. Et on va essayer de trouver un compromis entre les deux. On ne peut pas aller contre la nature des matériaux, donc il faut bien sentir toutes ces choses. L’archet, c’est une personne à part entière.

Vous diriez que c’est plus un métier, un travail, ou une passion ?

Ah, ce n’est pas un travail, parce que je ne suis jamais allé au travail. (rires) C’est un métier ; ça, c’est sûr. Une passion, aussi. Mais on peut souffrir, même dans une passion. Quand on a la page blanche, ou quand on a le doute, par exemple.

Ça vous arrive ?

Ça doit arriver à tout le monde. Si on est exigeant, on doit avoir cette page blanche de temps en temps. Il y a très longtemps, j’ai eu une période de doute. Je me disais que ce que je faisais n’avait aucune personnalité. Donc, je suis allé voir un très bon ami, et je lui ai dit : « Il y a un problème, j’ai l’impression que ce que je fais ne ressemble à rien. », et il m’a répondu qu’en fait, ce que je faisais était quelque chose de complètement neuf, ça ne ressemblait à rien de ce qui avait été fait jusqu’alors. Et c’est à ce moment-là que je me suis aperçu que j’avais arrêté de chercher l’originalité, pour uniquement chercher l’honnêteté. Et j’ai compris que le chemin était le bon. Il faut se laisser aller, il ne faut pas essayer de plaire ou de se plaire. Il faut être le plus honnête possible. Ça n’est pas évident d’être juste soi-même, ou d’accepter quasiment la laideur plutôt que la copie.

Dans l’art, l’inspiration, c’est très important. D’où vient la vôtre ?

De la vie. Quand on veut trouver l’inspiration, il faut se trouver des belles choses dans la vie. On peut aussi tirer des belles choses de moments qui ne sont pas nécessairement très beaux. Lorsque je vais à la pêche, en fait, je n’y vais pas réellement, je travaille. Il faut se créer un cadre, car l’inspiration vient de l’extérieur. Elle vient aussi de soi, mais si on ne se crée pas un univers tout autour, elle ne viendra pas. Ça peut être la pêche, la sculpture, la bijouterie, la rencontre avec des amis. Comme je disais, je ne suis jamais allé au travail. Ça fait partie d’une vie, quoi.

Jouez-vous d’un instrument ?

J’ai joué du violon, mais je suis un très mauvais violoniste. C’est sans doute un grand avantage.

Pourquoi ?

Parce que, quand j’essaye un de mes archets, si c’est absolument catastrophique, je vais essayer de le régler jusqu’à temps que ma pauvre technique arrive à passer certains caps. Je vais donc sans doute voir des défauts que des bons instrumentistes ne verraient pas. Je n’ai pas envie d’apprendre. Je passe déjà tellement de temps sur mes archets… Je préfère en savoir davantage sur la sculpture, la fonderie, l’art, la culture en général.

Quelles ont été les rencontres déterminantes dans votre parcours ?

Il y a une femme qui était exceptionnelle. J’étais très jeune archetier, j’avais une vingtaine d’années. C’était une Japonaise. C’est la première personne qui a eu vraiment une grande confiance en moi, et c’est elle qui m’a ouvert le marché japonais. C’est une chance inouïe. Elle fait du négoce de violon et d’archets, c’est une personne très importante au Japon.

Comment l’avez-vous rencontrée ?

C’est une histoire à la fois triste et gaie. C’était une période difficile où je n’avais plus de commandes. C’est difficile d’être installé très loin des agglomérations. C’était le mois de mai, et avant d’espérer vendre des archets, il fallait attendre la rentrée des Conservatoires, au mois de novembre. J’avais fait une exposition qui n’avait pas du tout marché dans l’hiver, et c’était la seule adresse que j’avais. Alors, je me suis décidé à la contacter, pour savoir si elle était intéressée pour voir mes archets. Et elle m’a dit oui. Je suis allé à Paris, et, pendant 20 minutes, elle n’a pas prononcé un seul mot, elle a juste regardé mes archets très méticuleusement. Enfin, elle a sorti trois d’entre eux, et m’a dit « Je vous dois combien ? ». (rires) Et elle a ajouté « Bon, c’est très bien, mais il faudrait que tu changes ceci, ceci et ceci. Dans un mois, je repasse à Paris. Tu peux me préparer trois archets comme je t’ai suggéré ? » Alors j’ai dit oui, bien sûr, et c’est comme ça qu’a commencé cette histoire avec le Japon.

Le succès, ça monte à la tête ?

Non. L’humilité est pour moi une des pièces maîtresses parmi les qualités qu’il faut avoir, dans tous les domaines. Il faut mériter tous les jours ce qu’on a acquis. J’ai accroché un seul de mes prix au mur, celui du Meilleur Ouvrier de France. Tous les autres sont dans des cartons. J’ai juste celui-là, parce que ce concours n’est pas un concours contre les autres. C’est un concours contre soi-même. On peut être trois ou quatre à se présenter, et trois ou quatre à avoir la médaille d’or. Ce prix au mur, c’est un peu comme le juge de paix, tu es obligé de le mériter tous les jours. Et en plus, la grosse tête, ça voudrait dire qu’on pose ses valises et qu’on s’arrête, qu’on ne veut plus du tout avancer. Ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est d’aller toujours plus loin.

2019-06-04T20:31:36+02:00mercredi 24 mai 2017|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

Considérations lexicales oisives dans le cadre d’Évanégyre

Illus. Fred Navez

Une fois n’est pas coutume, mais cela peut le devenir. Évanégyre prenant de l’essor avec la publication prochaine de La Messagère du Ciel (18 mai, pour mémoire), le portail univers dédié commençant à se préciser un peu et étant invité au congrès Boréal pour parler spécifiquement de construction d’univers de fantasy, je pensais commencer à discourir peut-être un peu plus en profondeur de cet aspect-là du travail.

Dire qu’un auteur se préoccupe du sens des mots et de leur justesse est un truisme (gruiiik), mais pour un auteur d’imaginaire, la difficulté est peut-être double. En effet, non seulement il faut se préoccuper de leur justesse, mais il convient de se soucier de leur adéquation à un contexte fictif pour lequel, par définition, les règles sont celles établies par le récit.

Et, dès lors que l’on cherche à proposer un univers fictif imaginaire cohérent et auto-suffisant, on se heurte à quantité de questions passionnantes, mais qui peuvent rapidement parasiter le travail principal – la narration d’une bonne histoire. Après tout, pourquoi les années devraient-elles être découpées en mois, semaines de sept jours, rythmées par des saisons semblables aux nôtres ? Pourquoi, la réponse est relativement immédiate : pour apporter une forme de familiarité au lecteur dans un contexte caractérisé par la différence, et que si, pour arriver à suivre une chronologie, il faut réapprendre les mois de l’année, les noms des jours, et s’habituer à des heures durant 172 minutes qui ne font pas elles-mêmes 60 secondes, le lecteur risque fortement d’abandonner avant que l’histoire n’ait accompli son premier pas.

Tolkien a immensément défriché le champ de la création lexicale et linguistique dans le contexte de la création d’un univers imaginaire. (Il l’a même tellement défriché qu’il a piqué la moissonneuse-batteuse, l’a conduite jusqu’à l’autre bout de la commune et se prépare à attaquer les champs du département d’à-côté tandis que le reste d’entre nous est encore en train de se demander par quel bout tenir la faux sans se blesser.) Une notion, dans la création de la Terre du Milieu, m’a toujours semblé apporter une élégante solution à ce problème. Le Seigneur des Anneaux est censé être une traduction (par Tolkien lui-même) d’un récit historique, Le Livre rouge de la Marche de l’Ouest, rédigé par Frodo et Bilbo. Cela donne une justification à l’emploi de référents « terrestres » : on ignore peut-être ce qu’étaient unités, noms à l’origine ; mais le « traducteur » aura obligeamment fait tout le travail pour rendre le récit compatible avec le monde du lecteur. D’ailleurs, Tolkien avait fourni des directives à ses traducteurs (en d’autres langues terrestres) expliquant quels noms étaient « signifiants » en anglais et nécessitaient donc une adaptation (Baggins devenant Sacquet ou Bessac par exemple) et lesquels ne l’étaient pas (parce que dérivant typiquement d’une autre toponymie ou étymologie que celle de l’anglais, comme les langues elfiques).

Forcément, étant traducteur par ailleurs, cette approche ne peut que me ravir, et j’avoue l’avoir adoptée dans le for intérieur de moi-même dans la création et la rédaction d’Évanégyre. Certaines langues fictives du monde existent à des niveaux de développements plus ou moins poussées – tout particulièrement celle de l’Empire d’Asreth. (On m’a parfois demandé s’il y avait une erreur ou un repentir avec les deux graphies du nom : Asreth dans La Volonté du Dragon, Asrethia dans Port d’Âmes, changements de l’un à l’autre au fil de La Route de la Conquête. C’est au contraire parfaitement volontaire et cette simple syllabe a une signification énorme, qui sera expliquée un jour, lors d’une visite ultérieure à la période concernée.) Il existe au minimum, pour la plus infime ethnie d’Évanégyre, des syllabaires pour la simple cohérence des noms et sonorités.

La traduction de l’imaginaire offre son lot de défis uniques au domaine (ce sera une histoire pour un autre jour). L’un d’eux, en particulier, concerne le rapport de la langue cible (celle vers laquelle on traduit) à sa propre étymologie. (La traduction – et l’écriture – de romans historiques présente le même défi.) Pour faire simple, si je traduis un nom commun dans un contexte historique, il faut que je m’assure de ne pas employer de termes modernes. Ce qui paraît une évidence. « Je vous recontacte » (en plus d’être un anglicisme moche) fera très bizarre à la cour de Louis XIV. Alors, bien sûr, on ne parlait pas exactement le même français à la cour de Louis XIV qu’au XXIe siècle, et un style romanesque relativement simple aujourd’hui constitue déjà un anachronisme, mais c’est là l’effet de réalité qu’on vise. Et donc, il s’agit, dans l’exercice de la traduction, mais aussi de l’écriture, de ne pas employer de termes trop modernes. Typiquement, de jeter un œil à leur étymologie et de voir si c’est cohérent avec la période dépeinte (ou qui semble dépeinte dans le cas d’une inspiration fantasy).

Le défi se retrouve dans l’écriture, bien évidemment. Dans un cadre de fantasy – plus spécifiquement la société post-apocalyptique revenue à l’époque médiévale de la trilogie « Les Dieux sauvages » – puis-je dire « être au courant » ? Que dire de l’expression « autant / au temps pour moi » ? Quid de la connotation moderne potentiellement malheureuse du verbe « afficher », comme « afficher une expression », qui peut faire penser à nos écrans ?

Auguste lectorat, critique potentiel, sache que les mots et expressions ont été pesés au mieux de ma compétence, et que les éventuels anachronismes n’en sont pas nécessairement.

Que parler de « citoyen » ou de « nation » dans le cadre de la Rhovelle des Âges sombres (des notions qui évoqueraient plutôt chez nous l’après Révolution française et non l’Ancien régime) n’est pas une erreur mais un reflet d’un monde qui fut jadis unifié par un Empire dont il ne reste que des bribes.

Que, oui, j’ai écrit dans La Messagère du Ciel « autant pour moi » et non « au temps » à dessein. La sagesse répandue veut qu’on privilégie « au temps » car ce serait une expression d’origine militaire (pour désigner celui qui ne suit pas le rythme du pas du régiment : on le reprend, « au temps pour lui »). Sauf que les étymologues diffèrent sur ce point et que certains pointent « autant » comme une possibilité viable, surtout en la rapprochant de l’anglais curieusement semblable « so much for ». Le personnage employant cette expression dans La Messagère du Ciel n’ayant aucune expérience militaire, cette histoire de pas n’ayant pas cours en Rhovelle, employer la graphie contestée ne devient pas une erreur, mais un point signifiant.

« Être au courant » date d’avant la généralisation de l’électricité. Ce « courant »-là représente ce qui est en cours ; ce sont les « affaires courantes » – et être au courant, c’est donc avoir la connaissance de ce qui est en cours. « Afficher » est évidemment bien antérieur aux écrans. Cependant, dans ces deux derniers cas, il peut exister malgré l’étymologie un potentiel parasitisme de l’esprit du lecteur moderne qui peut être gênant dans le cadre d’une société qui a perdu sa technologie – je ne les ai pas bannis, mais je les ai maniés avec précaution.

De la même façon, cela fait longtemps que j’ai banni dans la plupart de ma fiction l’emploi du subjonctif passé. Personne (à part les correcteurs – et ils ont raison !) ne m’en a fait la remarque, mais c’est un autre point sur lequel il faudra que je m’explique. Ce sera une histoire pour un autre jour. Dans l’intervalle, bonne nuit, les petits.

2019-06-04T20:31:15+02:00mercredi 12 avril 2017|Best Of, Expériences en temps réel|4 Commentaires

L’inconscient, cette machine à régler des problèmes

C’est un peu mon fil personnel dans l’écriture en ce moment : je creuse les mécanismes curieux et inconscients qui président à l’écriture (et toute forme de création). Restant structurel (et m’appuyant donc fortement sur des plans et la préparation de mes récits à l’avance), j’explore néanmoins davantage les aspects du lâcher-prise : c’est une notion que nous avons pas mal abordé avec Mélanie Fazi et Laurent Genefort dans le podcast Procrastination (entre autres avec le double épisode sur le rêve et la création).

Sur le sujet, j’ai raconté une petite anecdote il y dix jours à Decitre Grenoble qui semble avoir bien plu, du coup, la revoici, en version un peu plus étoffée.

L’inconscient est une fantastique machine à résoudre des problèmes : c’est une notion assez bien connue des neurosciences, mais il vient un moment où cette notion passerait presque dans le mystique (je ne dis pas que ça l’est ; mais on peut s’interroger). Un certain nombre d’auteurs décrivent parfois leur travail de création de mondes imaginaires, pas tant comme une invention, mais comme une forme de « souvenir », une recherche du sens « logique », qui s’emboîte avec le reste, avec le projet désiré. Insérez là-dessus l’explication spirituelle ou psychanalytique de votre choix ; je n’en plaque aucune, pour ma part, je constate simplement le mécanisme, à savoir que, concernant Évanégyre, j’ai parfois davantage l’impression d’agir en archéologue qu’en démiurge.

Entre l’anecdote.

Dans Évanégyre, il y a deux nouvelles qui agissent en quasi-miroir l’une de l’autre : « Bataille pour un souvenir » et « Au-delà des murs » (reprises toutes deux dans La Route de la Conquête). Sans spoiler (divulgâcher), « Bataille pour un souvenir » raconte, surprise, une bataille selon le point de vue d’un des camps. « Au-delà des murs » relate le point de vue du camp opposé, après la bataille.

« Bataille pour un souvenir » a été écrite aux alentours de 2007 (de mémoire) puis publiée en 2009 dans l’anthologie Identités dirigée par Lucie Chenu chez Glyphe (le tout premier récit d’Évanégyre à être publié, d’ailleurs, et merci à Lucie à qui je devrai toujours cette première possibilité de présenter cette brique de l’univers au public). À l’origine, la nouvelle était donc parfaitement indépendante ; c’est une règle de l’univers que je me suis fixé peu de temps après, soit l’indépendance des ensembles narratifs. Une nouvelle (comme « Bataille pour un souvenir »), un roman (comme Port d’Âmes), une trilogie (comme « Les Dieux sauvages »), tout cela doit pouvoir se lire parfaitement indépendamment du reste et dans n’importe quel ordre, car chaque récit doit se suffire à lui-même (même si l’on retrouve parfois des lieux, des personnages, voire l’évocation d’événements différents sous des éclairages nouveaux, mais il s’agit du petit bonus pour le lecteur fidèle de l’univers, lequel peut voir, par transparence, émerger un autre récit sous-jacent avec le recul – ce qui est visible notamment sur La Route de la Conquête).

Donc. Avance rapide deux ans plus tard : Stéphanie Nicot m’invite à participer à l’anthologie Victimes & Bourreaux. Une « suite » ou du moins une reprise des guerriers-mémoire de « Bataille pour un souvenir » m’ayant été fréquemment demandée, et le thème de l’anthologie s’y prêtant bien, il me vient l’idée de revisiter la bataille des Brisants. Mais je reste fidèle à mon précepte d’indépendance absolue des ensembles narratifs, et l’écriture de ce qui deviendra « Au-delà des murs » se présente alors comme un défi personnel à relever : reparler d’un événement qui a plu aux lecteurs d’Évanégyre, dans un texte qui pourra les satisfaire, tout en satisfaisant aussi les lecteurs qui découvriraient le monde via cette nouvelle. (Ce n’est pas à moi de dire si ça fonctionne ou pas, mais le blog IfIsDead, à l’époque, n’avait pas du tout vu que le récit participait d’un univers plus vaste, ce qui est pour moi une marque de succès.)

Au moment de l’écriture de « Bataille pour un souvenir », je n’avais donc aucune idée ni perspective de revenir à cet événement ni à ce peuple. Construisant « Au-delà des murs », je suis donc lié par l’écriture de « Bataille pour un souvenir », les événements tels qu’ils y sont décrits, et si l’on pourrait considérer que Thelín Curmerial, le narrateur de ce texte, n’est pas fiable et donc ment, je préfère ne pas abuser de cet artifice narratif et me lier très fermement, au contraire, à sa description de la bataille des Brisants. Laenus Corvath, le vétéran protagoniste d’« Au-delà des murs », s’y trouvait lui aussi ; construisant cette deuxième nouvelle, je dois donc trouver à insérer son propre destin dans le déroulé de l’affrontement. Pas difficile à première vue, après tout, un champ de bataille, c’est vaste, et Thelín et Laenus ne se sont pas forcément croisés.

Sauf que si ; il apparaît très vite que Laenus et Thelín doivent être tous les deux présents au cœur de l’affrontement qui décidera plus ou moins du sort du conflit, l’un dans le rôle du témoin (Laenus, « Au-delà des murs »), l’autre dans le rôle d’acteur (Thelín, « Bataille pour un souvenir »). Là, je me dis que ça va forcément coincer. Au moment d’écrire « Bataille pour un souvenir » par les yeux de Thelín, je n’envisageais absolument pas d’écrire un autre récit autour de cet événement ; ce n’est que trois à quatre années plus tard (en temps d’écriture) que l’idée d’« Au-delà des murs » se présente. Quand je décris la bataille des Brisants du point de vue de Thelín, Laenus n’existe pas encore.

Songeant que cette scène-là sera donc, finalement, impossible, je reprends quand même attentivement le passage concerné de « Bataille pour un souvenir » par acquit de conscience, pour voir si je ne peux pas caser Laenus dans les non-dits de Thelín.

Et là, je tombe – avec un certain vertige cognitif, je dois l’avouer – sur ce passage, décrit par Thelín, au moment de l’affrontement :

Je grimace de dégoût. [L’adversaire de Thelín] tend la main dans le dos et dégaine son arme inhumaine. Je raffermis ma prise sur mon sabre. Derrière Erdani, à moitié dissimulé par le char, un soldat en armure rouge se tient prêt à dégainer.

Et là, comme on dit au Café de Flore, OMG.

Laenus Corvath a toujours été là. Il était là depuis le début, depuis l’écriture, trois-quatre années plus tôt, de « Bataille pour un souvenir ». Je connais suffisamment mes mécanismes internes : ce petit morceau de phrase n’a pas grand-chose à faire là, il ne sert guère de finalité (hormis peut-être l’atmosphère) : j’ai juste suivi l’envie du moment. Surtout, ce soldat n’est pas seulement présent : il est « à moitié dissimulé », signifiant qu’il n’est pas tant un intervenant de la bataille qu’un témoin discret, voire qui ne se trouve pas tout à fait là où il de faudrait (les autres gardes d’élite présents dans la scène – qui sont, eux, à leur place – portent une armure vermeille, comme tous les Valedànay ; celui-là est en armure rouge, c’est un soldat du rang).

J’ai écrit Laenus Corvath dans la scène à une époque où je n’imaginais même pas son existence. Je – le moi conscient, qui croit maîtriser ce qu’il écrit et les histoires qu’il construit – n’y suis absolument pour rien ; cela fait partie des bonheurs ? vertiges ? miracles ? de l’inconscient et de l’écriture. Cela m’a été servi par autre chose.

Je n’ai aucune idée de ce que c’est, mais j’en suis reconnaissant, et je « le » laisse faire. Il y a un côté assez réjouissant et qui rend humble en même temps à comprendre que, malgré toute la préparation et la technique (que je ne désavoue absolument pas), on reste le vecteur de… trucs… qui nous échappent.

La technique en art est indispensable. Mais j’ai toujours pensé qu’elle devait seulement être le support qui donne les outils au créateur de laisser transparaître sa création de la manière la plus limpide qui soit, tant pour le lecteur qui la reçoit, que pour lui-même, en ôtant le maximum d’obstacles dans la réalisation entre le média qu’on s’est choisi et la création brute, ce qui émerge à travers la conscience et qui, pour ce que j’en sais, représente peut-être une transmission extra-terrestre en provenance d’Alpha du Centaure.

2019-06-04T20:29:19+02:00lundi 6 février 2017|Best Of, Technique d'écriture|7 Commentaires

Procrastination podcast ép. 10 : « La place du rêve dans la création (2) »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « La place du rêve dans la création (2)« .

Après une tentative de définition de l’inspiration et du processus du rêve dans la création, Mélanie Fazi, Laurent Genefort et Lionel Davoust partagent leur expérience et proposent des encouragements ainsi que des techniques pour nourrir l’inspiration. Et il ne s’agit pas que d’exercices d’écriture, mais au contraire de prendre conscience de ses rythmes personnels !

Références citées :
– Stephen King, Écriture
– Elisabeth Vonarburg, Comment écrire des histoires, guide de l’explorateur

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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Bonne écoute !

2019-05-04T18:48:39+02:00mercredi 1 février 2017|Non classé, Procrastination podcast|2 Commentaires

Procrastination podcast ép. 9 : « La place du rêve dans la création (1) »

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : « La place du rêve dans la création (1)« .

Travailler l’inspiration : un paradoxe ? Dans la première partie de cet épisode en deux volets, Mélanie Fazi, Laurent Genefort et Lionel Davoust entrent dans les méandres du rêve et de la réflexion dans le processus créatif, partant de l’idée initiale, de sa croissance, jusqu’à sa réalisation. Comment s’organise l’équilibre entre contrôle et lâcher-prise de l’auteur ? Prendre conscience de cette mécanique peut-il aider à nourrir l’écriture, et si oui comment ?

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2019-05-04T18:48:39+02:00lundi 16 janvier 2017|Procrastination podcast, Technique d'écriture|8 Commentaires

Je passe à l’ennemi (l’Apple de Cthulhu)

Okay__yeah__well__you_can_laugh_at_me.__ipadpro__apple__conversion__changeBon, voici un petit coming out (caveat : post à haute teneur personnelle, passez votre chemin si ma vie ne vous semble pas trépidante – vous avez tort – je trépide beaucoup – à vous de voir) : je me suis trompé.

Ou alors, je vieillis. Bientôt, je me mettrai des écarteurs dans les oreilles, je ressortirai mes chemises de bûcheron (j’en portais dans les années 90 before it was cool), j’irai chez Starbuck et…

Non, en fait, c’est surtout que la technologie a évolué conformément à mes attentes et a atteint la maturité que je commençais à désespérer de lui voir atteindre.

Plus, Windows 10 me rend dépressif.

Auguste lectorat, tu m’as entendu le dire, je me moquais plus ou moins gentiment d’Apple et de son design Gucci, de ses machines hors de prix, de son interface mignonnette, de son manque d’extensibilité, du culte absurde que la marque génère, de son écosystème fermé, de son manque relatif d’innovation… Je me fondais pour cela sur un iPad 4 que j’ai conservé quatre semaines avant de criser sur l’incapacité de faire quoi que ce soit de vaguement productif (du genre partager une page web de Chrome à un service du type Buffer), et de le revendre illico. Et puis les années ont passé.

J’ai une exigence bien particulière : je suis souvent en déplacement et je ne réfléchis bien qu’avec un stylo en main. L’écriture génère une quantité considérable de notes (surtout pour l’écriture d’une trilogie – Léviathan représente une chemise à sangles entière rien qu’en réflexions papier) – et il est hors de question de me trimballer tout ça en voyage. Du coup, je recherche depuis plusieurs années une solution de rédaction numérique idéale qui me permette de transporter et d’ordonner mes idées manuscrites dans le poids d’un seul appareil.

J’ai essayé les Galaxy Note grand format chez Samsung. Moyennant un stylet de meilleure qualité acheté directement chez Wacom, c’était pas mal.

J’ai placé beaucoup d’espoir dans la Surface Pro. Sur le papier, une machine géniale. Dans les faits, une qualité d’écriture dégueulasse (et une chauffe inconfortable). Un super PC miniaturisé, mais : inutilisable pour cette exigence précise.

En désespoir de cause, « foutu pour foutu », j’ai essayé l’iPad Pro et son stylet.

Ça défonce tout. Je suis tombé amoureux. J’ai revendu tout le reste. (Je proposerai probablement un petit test plus détaillé sur le sujet des tablettes, d’ailleurs : ayant à peu près tout eu et tout revendu, je crois pouvoir faire autorité.)

J’ai redécouvert iOS et, moi qui ne jurais que par Android, j’ai trouvé, avec le passage des ans, que tous les obstacles techniques que je déplorais sur l’iPad 4 ont été levés. Les applications communiquent entre elles. On peut réellement contrôler sa machine en profondeur. Le système respecte l’utilisateur (par exemple en demandant l’autorisation de poster des notifications au lieu de les ajouter d’office comme sous Android). Des dizaines d’applications uniques, d’astuces et de hacks donnent à l’ensemble une puissance proprement hallucinante (avec des bijoux tels que Workflow, Dispatch, évidemment Omnifocus et j’en passe). J’ai pu constater, à présent, que la promesse d’Apple (« c’est fait pour bosser, c’est bien conçu, et ça marche ») était remplie au-delà de mes espérances.

J’ai ensuite testé un tout petit Macbook Air, et là aussi, l’expérience a dépassé mes espérances. J’ai jeté au visage du système tout ce que j’ai pu : émulation de machine virtuelle Windows, grosses applications gourmandes, navigateur avec une pelletée d’onglets (en mode : « vas-y, crashe, montre-moi que t’es pourri »), mais l’engin – s’il a ralenti, ce qui est normal – n’a pas planté. D’expérience, je sais que la Surface Pro 3 – pourtant plus puissante – m’aurait claqué dans les doigts avec deux fois moins – pas d’écran bleu, mais un système devenu moisi et nécessitant un redémarrage. Les outils système d’optimisation pour power users sous OS X (Alfred, TextExpander, Hazel, Keyboard Maestro… voir cet article) ridiculisent littéralement les tentatives mal foutues d’émuler le même genre de fonctionnalités sous Windows.

Je me rends compte d’à quel point l’expérience Windows, bien qu’ayant progressé d’année en année, manque de cohérence, de direction, de finition. Passer sous Win10 a nécessité de réinstaller tous mes logiciels musicaux. Depuis quelques mois, ma machine de travail refuse de s’allumer si le clavier USB est branché (WTF ?). L’interface Modern UI avec ses lignes droites, ses angles carrés et ses icônes ultra-simplifiées nous ramènent à une époque où le monochrome n’était pas un choix, comme si trente ans de réflexion sur le langage des interfaces graphiques s’était évanoui, comme si, quelque part chez Microsoft, on avait oublié que l’être humain aime la couleur, les courbes, la douceur. (C’est réellement une doctrine de design : lisez cet article de Steve Clayton exposant les principes actuels gouvernant les interfaces chez Microsoft, les bras m’en tombent – ils ne voient pas combien c’est moche ? Ne fait pas du Bauhaus qui veut…) Sérieusement, auguste lectorat, je déprime de bosser sur un truc pareil à longueur de journée, à tel point qu’installer WindowBlinds est devenu une nécessité vitale, ou bien je me pendais.

La tristitude.

La tristitude.

Oui, Windows marche. Oui, Win10 marche mieux que pas mal de ses ancêtres (avec la possible exception de Seven, certainement la meilleure incarnation). Mais je m’aperçois à quel point un Mac, ça marche tellement mieux. À quel point tout est concentré pour l’usage et l’amélioration desdits usages (même remarque pour iOS), quand Windows et Android fournissent le minimum et à chacun de construire sa solution dessus. C’est la rançon de l’ouverture, bien sûr ; Apple ferme ses systèmes à mort et il est difficile de sortir des sentiers battus, d’où l’impératif d’un système bien développé comme fondation (et ma crise sur l’iPad 4).

Mais en somme, avec les produits Windows et Google, je me bats pour que ça marche exactement comme je voudrais, et je me sens intelligent quand j’ai réussi à faire que tout fonctionne comme je le veux. Mais chez Apple, je découvre que ça fait déjà ce que je veux et que, si je suis malin, je peux faire encore mieux. Je pars de plus haut. Le temps passé à traficoter entraîne une optimisation, pas une pure maintenance pour s’assurer que ça ne va pas me claquer dans les doigts. C’est la promesse d’Apple, et, à ce que j’en vois, l’entreprise la tient d’une façon qui, aujourd’hui, me comble.

Je n’ai plus quinze ans, quand je passais le plus clair de mon temps à jouer à X-Wing sur mon 486. (Je voulais jouer, il fallait un PC ; j’étais sous Mac, avant… un vieux LC avec – luxe ! – 80 Mo de disque dur, sous Système 7 – j’ai évidemment pris une claque en mettant mes doigts sur El Capitan aujourd’hui, tout en retrouvant curieusement mes marques…). Aujourd’hui et depuis des années, j’ai une machine pour jouer, une machine pour travailler, et la machine de travail doit me permettre de produire vite, bien, efficacement et sans erreur. J’accepte de bidouiller une machine de jeu pour l’optimiser. Pas une machine de travail. Tout temps passé à optimiser / réparer / débugger une machine de travail est du temps perdu. Je suis prêt à payer plus cher pour m’éviter cela, parce qu’au final, je m’y retrouve sur l’investissement. 

Et puis oui, après tout, nous passons le plus clair de notre temps sur nos appareils, ordinateurs, téléphones, tablettes. Le design est important, car il dicte en partie l’usage, et donc la fonction de l’objet. S’il y a des gens qui veulent des paillettes sur leur iPhone, chacun son truc – pour ma part, je me satisfais seulement des proportions d’écran de l’iPad, qui sont, à l’usage, parfaites pour un usage professionnel, et c’est ce que je demande.

Donc, je me suis trompé. C’était prévisible, quand on voit le nombre de pros, dans le domaine de l’écriture et de la musique, qui tournent sous Mac ; mais que serait l’informatique sans une bonne petite guéguerre Amiga / Atari ? Même si Windows, je le répète, reste très fonctionnel – mais j’en ai marre du purement fonctionnel ; j’ai envie d’avoir envie. J’aime l’informatique et je passe ma vie dessus pour le boulot ; le confort et l’optimisation sont des exigences non négligeables. J’en ai marre de me faire le malin à économiser 400 euros sur un nouvel ordinateur pour me retrouver à le dépanner 15 minutes par semaine et à me stresser à me demander s’il va retomber en marche. Je suis entré dans un Apple Store avec la timidité d’un adolescent rentrant dans un sex shop, en me demandant si ce serait sale et si mes parents risquaient de me gauler. Si mon âme irait en enfer. Et en fait, c’était bien. C’était douillet, agréable, je me rends compte que ce n’est pas répréhensible, qu’il n’y a pas de honte à ça et même que d’autres partagent la même déviance, avec qui on peut discuter à voix basse. J’embrasse le clan des hipsters. J’assume mon côté fashion victim. De MS-Dos 6.0 à Windows 10, d’Android 2.3 à Mashmallow, après plus de vingt ans de bricolage, de tripatouillage de CONFIG.SYS et d’AUTOEXEC.BAT, d’installations religieuses du Service Pack 1 sur Windows XP pour éviter que l’installation n’explose après cinq minutes de connexion à Internet, je jette l’éponge. Je couve d’un oeil nostalgique mon vieux Mac LC qui trône encore sur une vieille desserte dans l’appartement paternel et j’adresse une tendre pensée à mon vieil Apple //c perdu dans les déménagements, sur lequel j’ai découvert l’informatique à l’âge de six ans, codant ensuite en BASIC sur des disquettes 5  » 1/4.

Je rentre à la maison. Adieu Windows.

2016-04-12T13:07:43+02:00jeudi 14 avril 2016|Journal|106 Commentaires

Vous montez une plate-forme et voulez attirer des créateurs pros ? Ayez conscience de ce qui suit

Sérieusement, cette photo, quoi. (Source)

Sérieusement, cette photo, quoi. (Source)

Synchronicité ou signe des temps (ce qui signifie potentiellement la même chose), je vis à peu près trois expériences convergentes en ce moment : des plate-formes logicielles à composante sociale se montent avec l’espoir de devenir, peut-être, un point d’eau d’importance voire de référence, souvent centré autour de la création. Deux d’entre elles m’ont invité à leur bêta, la troisième m’a demandé mon avis, et, synchronicité ou signe des temps (yadda yadda), je constate que toutes, à peu près, présentent des défauts de réflexion voisins et plus ou moins prononcés qui me semblent, hélas, dangereux.

Okay. Vous montez un SaaS (software as a service) / plate-forme sociale autour de la création – et vous avez envie d’attirer des pros intéressés par la technologie, voire qui emploient celle-ci de manière régulière, afin d’amorcer votre communauté. Voici, en toute humilité et dans l’espoir que cela puisse servir au plus grand nombre, les questions que je me pose aussitôt quand je découvre ce genre de projet, et certains impératifs qui gouvernent ma réflexion quand il s’agit d’adopter ce genre d’outil ou pas. Vue la quantité de contenu que je m’enfile en terme de lifehacking, de productivité et de technicité des knowledge workers, je vous fiche mon billet (de blog) que je suis loin d’être le seul à penser comme ça.

Ça promet d’être un peu rude, mais c’est pour votre bien.

Mon attention et mon temps sont comptés

C’est une réalité des choses, je suis seul et mon travail, aussi étonnant que cela paraisse, ne consiste pas prioritairement à faire le zigue sur Facebook (même si je le fais avec plaisir et que maintenir le lien avec la communauté est important à mes yeux), mais à produire des choses nouvelles, du contenu, livres, musique, etc. Les plate-formes que je vois se créer proposent tout un tas de fonctionnalités, ce qui est très bien, mais oublient un aspect fondamental du public qu’elles visent souvent : le temps et l’attention d’un créateur solo – a fortiori professionnel – sont diablement comptés. Dans un monde idéal, on pourrait maintenir une présence sur Facebook, Twitter, Google+, LinkedIn, Viadeo, Diaspora, WordPress et Tumblr, pour ne citer que des réseaux / moteurs de (micro)blogging généralistes (et sans même parler du courriel), et construire une chouette communauté sur tous. C’est parfaitement impossible (et c’est bien pour cela que le métier de community manager existe pour les entreprises).

Créer une nouvelle plate-forme suscite automatiquement la réaction : « Pff, encore un autre endroit ». Ce qui signifie : encore d’autres notifications, encore un éclatement communautaire, encore un outil dont il faut apprendre les idiosyncrasies. Sans compter que ces nouvelles plate-formes ne s’interfacent généralement avec rien (on ne peut pas rapatrier / rediffuser le contenu sur les réseaux classiques où se situent la communauté préexistante, sans parler d’une présence dans des outils de veille type HootSuite).

Il y a deux raisons pour laquelle Facebook et Twitter sont les leaders de facto des réseaux sociaux : 1. Tout le monde est déjà là et 2. Tout le monde est déjà là.

1. Tout le monde est déjà là : la communauté préexistante est là. Pour parler aux gens qui nous suivent, nous leur parlons là où nous les avons déjà retrouvés. Fragmenter la communauté implique des messages croisés (« J’ai publié une nouvelle photo sur Flickr / un nouveau morceau sur Soundcloud ») – chaque nouveau réseau augmente l’effectif de la combinatoire entre tous les messages croisés. Sans automatisation, ça devient parfaitement ingérable (et c’est pour ça que j’ai déserté Google+ qui ne propose pas d’automatisation agnostique).

2. Tout le monde est déjà là : c’est là que se trouve le public potentiel le plus large, car non trié sur les biais de la plate-forme. Sur Flickr, il n’y a que des gens qui s’intéressent à la photo et sont photographes eux-mêmes. Sur Facebook, il y a ta soeur et ma grand-mère. Tout créateur aspire à une certaine forme d’universalité (tout en ayant conscience de la futilité de l’idéal) – plus prosaïquement, si je veux toucher le plus grand nombre, je vais aller là où le plus grand nombre se trouve déjà, dans l’espoir de faire connaître mon travail (ou mes jeux de mots laids) à de nouvelles personnes.

Je vais être très honnête, pour ces raisons, la réponse qui suit fréquemment l’annonce d’un projet de plate-forme est un « non, je n’irai pas » quasi-automatique.

À moins de prendre ce qui précède en compte. Et donc que vous sachiez accrocher vos prospects avec la réflexion suivante :

Que faites-vous que personne ne fait ?

having-businessSi c’est pour proposer un réseau de portfolios d’images au sens large, j’ai une mauvaise nouvelle, vous êtes déjà en compétition avec Flickr, 500px, Behance et DeviantArt, au bas mot. La tactique pour attirer un professionnel (je parle bien d’un pro, hein, pas du lycéen qui ne terminera jamais sa fanfic furry Ken le Survivant sur Wattpad – là, je ne suis pas compétent en la matière – ni en lycéens, ni en furry, quoique en Ken le Survivant, on peut peut-être discuter) devient donc :

Pour quelle raison un professionnel délaisserait-il les réseaux et outils qu’il a déjà réfléchis, construits, pour dégager une part du temps incompressible qu’il peut dégager à la communication et aller chez vous ? 

Ce qui implique un certain nombre de points-clés :

En quoi êtes-vous différent ? Quelle est LA (ou, si vous avez de la chance, LES) vraie bonne idée de votre projet que personne ne réalise avant vous ? Vous voulez mettre des gens en contact ? Facebook et LinkedIn le font déjà. Vous voulez permettre aux gens de vendre leurs oeuvres ? DeviantArt, Behance, Zenfolio… le font déjà. Si vous ne comptez rien offrir de plus, ou, du moins, si vous ne le faites pas 2×10^15 fois mieux (et attention à ne pas vous bercer d’illusions dans ce domaine, vous êtes selon toute logique une start-up quand vous affrontez des entreprises brassant jusqu’à des milliards de dollars en R&D et développement), vous allez, je crois dans le mur. Donc : quelles sont vos killer features Vous n’y avez pas réfléchi ? Uh-oh.

Que m’apportez-vous que je ne sache pas faire seul ? De la visibilité ? Non, vous vous leurrez. Surtout dans le cas d’un pro, qui par définition a déjà construit un bout de carrière, vous ne pouvez par définition pas apporter une visibilité qu’il n’a pas déjà avec une plate-forme qui se lance tout juste. La visibilité se construit sur le temps, et par le créateur lui-même – vous lui fournissez peut-être un meilleur canal pour ce faire, mais rien n’est fait encore, ni par vous ni par lui – ne gobez pas la rhétorique des marketeux 2.0 à deux balles, la bulle Internet a éclaté depuis quinze ans. Pourquoi prendre un compte supplémentaire, voire payer des fonctionnalités, quand tout le monde peut construire en trois clics un site WordPress dont il est maître sans rien demander à personne ? Donc : en quoi promettez-vous de réellement faciliter la vie et faire réellement gagner du temps ? 

Comment vous insérez-vous dans les écosystèmes existants ? Vous m’offrez encore un tableau de bord, encore un espace à gérer ? Trop de boulot. Ouais mais le vôtre il est plus mieux ? Rappelez-vous que les cassettes Betamax ont perdu la guerre commerciale face aux VHS. À moins d’avoir une vraie solution incroyablement performante (et voir la remarque précédente sur les milliards de dollars), vous êtes plus probablement en version bêta avec un truc mal fini (ce qui est normal). Grands dieux, ne forcez pas les gens, à l’heure actuelle, à vous insérer dans votre mode de pensée, soyez humbles, considérez que Facebook et Twitter vous dominent et intégrez-les dans votre solution sans broncher (et idéalement, intégrez deux ou trois fois plus de réseaux en réfléchissant à votre cible). Ma théorie personnelle sur le naufrage de Google+ est l’obstination du réseau à garder son API fermée sur les profils personnels, empêchant les utilisateurs un peu démerdards (notamment les influenceurs) d’employer leurs outils de veille préférés et à la communauté de développer des extensions tierces. À tout vouloir centraliser et à se la jouer fermé, Google s’est tiré un coup de shotgun dans le peton, parce que : pourquoi quitter Facebook, où j’ai Candy Crush ? Facebook se permet d’imposer Messenger, oui, mais c’est Facebook ! Donc : pensez au minimum à une API ouverte, facilitez au maximum l’intégration de votre produit aux écosystèmes préexistants.

Quand on construit une plate-forme sociale, un SaaS, je crois qu’une bonne perspective consiste à se considérer entre le fabricant d’outils et l’assistant de direction. Ce n’est absolument pas le même mode de pensée qu’un informaticien qui se concentre en général sur les fonctionnalités – mais un vrai entrepreneur, tels que les Américains les forment, se demande : en quoi ceci est utile ? En quoi cela améliore la vie des gens en leur faisant gagner du temps et de l’argent (pour qu’ils aient envie d’investir dans un abonnement) ? Et surtout – et c’est là le talent d’un bon assistant – en quoi puis-je devancer leurs désirs avant même qu’ils ne s’aperçoivent qu’ils ont envie de mon produit ?

C’est comme ça qu’Apple révolutionna le marché de l’assistant numérique en inventant l’iPhone. Le reste appartient à l’histoire.

2016-02-24T11:45:03+01:00jeudi 25 février 2016|Le monde du livre|3 Commentaires

Uber, et le monde découvre brutalement le statut du créateur

La fureur du conflit taxis / Uber est retombée et tout le monde s’accorde à peu près pour dire que personne ne sort vraiment gagnant de cette affaire ; les taxis dont le comportement violent et honteux n’a fait que salir une profession à l’image ternie, les chauffeurs en situation de précarité qui comptaient sur ce revenu, les clients qui trouvaient ce service bien pratique. En somme, la grande économie du « partage » ne revient qu’à une paupérisation / précarisation des travailleurs de tous bords, à un morcellement des activités, et à une concentration des revenus et du pouvoir dans les mains d’un petit nombre de gros acteurs (Amazon, Uber, etc.) Voir cet article court et bien résumé.

L’affaire Uber n’est que la partie émergée d’une mutation déjà bien amorcée dans d’autres secteurs d’activité. Amazon (et autres grosses plate-formes) centralise les offres des vendeurs d’occasion et ne fait que de la mise en relation. Graphistes, codeurs, webdesigners, traducteurs se font payer à la parcelle de contrat au bénéfice des plate-formes sur lesquelles ils sont inscrits. Ils sont presque reconnaissants : après tout, ils trouvent du travail.

Ce que tout le monde voit se dessiner, mais que personne n’ose s’avouer, c’est que la tendance ne va aller qu’en s’accélérant et en touchant des secteurs d’activité de plus en plus vastes et inattendus. Dans les années 2000 circulait une blague parmi les fervents défenseurs du piratage des échanges non-marchands :

Les ventes de voitures ont baissé de 20% cette année. Fichus pirates qui téléchargent des voitures !

C’était drôle parce qu’absurde, c’était un peu rebelle aussi, bref c’était très dans le coup.

Dans quelques années, avec le développement des imprimantes 3D, la blague va devenir une réalité. On peut imaginer un Renault du futur, qui concevra ses véhicules en les sourçant collectivement sur des plate-formes de travail à distance, au design établi par concours ouvert, dont la fabrication se fera partiellement chez le client pièce à pièce, et dont la durée de vie n’excédera par un ou deux ans, pour un prix égal au dixième du cours actuel. Et le client final, qui paiera moins cher, trouvera ça parfait, jusqu’au moment où sa propre profession se verra touchée par cette uberisation – peut-être même sera-t-il capable de trouver ce système idéal tant qu’il est client, tout en se révoltant quand on l’applique à lui, sans même voir la contradiction.

Pour que même Jaron Lanier, un des activistes et penseurs historiques de l’Internet libre, considère qu’un problème se dessine, on est en droit de se poser des questions. (Si le sujet vous intéresse, l’article ici vaut largement l’euro qu’il coûte.)

Cela dit, je ne porte pas de jugement de valeur. Peut-être est-ce l’évolution de la société. Peut-être que le système actuel sera jugé archaïque dans trente ans ; peut-être ne le comprendra-t-on pas. L’éthique est un choix de société ; à voir ce qu’elle choisit. 

Mais, du haut de ma lorgnette, tu sais à quoi je pense depuis plusieurs mois, auguste lectorat ?

Aux donneurs de leçons. 

Je pense aux donneurs de leçons du début des années 2000 – et à ceux qui existent encore maintenant, qui prônent une libération sauvage de la culture avec des expressions de novlangue telles que « échange non-marchand » – qui, voyant émerger Napster, eDonkey et les réseaux p2p, n’avaient qu’un seul mot à la bouche : « L’économie change. Le monde change. Vous n’avez qu’à vous adapter. À vous de trouver de nouvelles solutions. Le progrès n’attend pas ! » Ceci de la part de professions bien établies, sûres à l’époque : cadre de grande industrie, commercial de grand groupe.

Eh bien, soit. Nous avons serré les dents, râlé, tempêté contre notre situation déjà difficile en train de s’effriter davantage, pensé que, peut-être, oui, nous étions des dinosaures, peut-être, oui, il fallait trouver de nouvelles façons de commercer. Ce qui, pour être juste, n’est pas entièrement faux : certaines pratiques doivent changer à l’ère du numérique, la création nécessite davantage de réactivité et d’agilité qu’autrefois. L’auteur et compositeur que je suis a appris le métier de webdesigner, a touché à celui d’attaché de presse, de commercial. Par chance, j’aime apprendre de nouvelles choses ; cela ne m’a pas tant coûté.

Mais je vois aujourd’hui monter la marée vers toutes ces professions jadis bien sûres et bien établies et je les entends crier d’ici au secours, que l’eau est froide. Vous savez, cela ne me fait pas plaisir de vous voir aujourd’hui confrontés à ces mêmes problématiques. Le monde était plus simple pour tout le monde quand seuls les créateurs et les indépendants étaient confrontés à ces problématiques – trouver des contrats d’un an à l’autre, apprendre à se placer, savoir promouvoir un projet et le vendre.

Mais vous savez, il m’est vraiment très difficile de ne pas vous rétorquer aujourd’hui : « L’économie change. Le monde change. Vous n’avez qu’à vous adapter. À vous de trouver de nouvelles solutions. Le progrès n’attend pas ! »

J’essaie d’être un homme meilleur. Alors je m’abstiens. Parce qu’au-delà de nos cas individuels, nous y perdons tous, je pense. Mais je suis quand même navré de constater à quel point les leçons sont beaucoup plus amères quand c’est directement vous que le progrès concerne, qu’il rend votre façon de travailler obsolète, vous pousse à des bouleversements d’envergure pour ne pas couler, pour juste survivre. Adapt or die. (Motherfucker.) 

Quelque part, nous avons déjà amorcé notre transition, dans les métiers de la création. Nous y travaillons depuis dix à quinze ans. Par nature, nous défrichons, nous explorons. Il va y avoir encore bien des difficultés, mais nous sommes finalement plus en avance que tout le monde sur ce point. Je n’envie pas ceux qui découvrent aujourd’hui ces réalités-là et n’ont pas la disposition pour explorer – tout le monde n’a pas envie de ne pas savoir ce qu’il va faire dans un ou deux ans, ce qui est tout à fait légitime.

Oui, j’essaie d’être un homme meilleur. Alors je m’abstiens d’une disposition d’esprit revancharde sur le monde. Mais, vraiment, il m’est très difficile de ne pas avoir une pensée spéciale pour tous les donneurs de leçons, confortablement tapis derrière leurs écrans, confits dans leur assurance et leur bon droit, avec qui j’ai pu croiser le fer sur ces sujets au fil des ans. Vraiment, il m’est très difficile de ne pas souhaiter avec ferveur que l’Uber de votre secteur vienne frapper à votre porte.

Parce que vous chantiez. Et que, comme nous tous, il va vous falloir danser, maintenant.

2015-08-05T15:45:25+02:00mercredi 5 août 2015|Humeurs aqueuses|8 Commentaires

La marche des auteurs pour leurs droits : pourquoi, et ce qu’ils veulent vraiment

thomas_cadeneJe n’étais pas dimanche à Angoulême. Néanmoins, le statut préoccupant des auteurs (de BD, mais cela touche tout le monde) et la réduction toujours progressive de leurs marges est une réalité, résumée par Thomas Cadène sur Twitter, et que je prends la liberté de compiler ici, parce que c’est concis, limpide et qu’il faut que ça circule :

Quand la presse se fait l’écho des malheurs des auteurs de BD, ses lecteurs expliquent qu’il faut changer-de-métier-si-t-es-pas-content. Nous avons peut-être manqué de pédagogie mais c’est précisément le problème. L’enjeu que défendent les auteurs de BD n’a rien à voir avec un quelconque «donnez nous du boulot pour qu’on vive comme des artistes» (sous entendu « et vivre comme un millionnaire, quand l’avion se pose sur la piiiste ») Nous avons intégré il y a très longtemps, quand nous avons accepté de faire ce boulot absurde que si nous n’avions pas de contrats, il faudrait faire autre chose. Un auteur sait bien que s’il ne signe rien, il n’en vivra pas. Une lucidité qui demande un certain courage. La plupart d’entre nous a appris à jongler avec les activités annexes, nous sommes une version assez avancé d’un idéal libéral. Nous n’avons pas de congés payés, nous n’avons pas d’intermittence, nous n’avons pas grand chose en fait… Alors, quand le salarié qui part en vacances avec un salaire qui tombe sur sa plage et un chômage qui le protège, nous explique d’un ton docte que « tout le monde cotise » il a bien raison et d’ailleurs nous le faisons déjà. La différence c’est que nous n’en voyons que peu les bénéfices, ça signifie pour nous une paperasse de dingue sur notre temps de travail. Notre propos n’est pas de faire un concours du malheur, nous avons choisi notre voie, ns l’assumons et nous savons que tout le monde rame. Nous ne disons pas « pleurez sur nous pauvres précaires », en réalité nous ne demandons pas grand chose. Nous aimerions simplement qu’on nous consulte ou qu’on empêche certains de faire n’importe quoi. Comme décider de nous priver d’un mois de nos ridicules revenus annuels pour une retraite que nous ne prendrons (probablement) pas. Nous rappelons que nous sommes à l’origine d’une chaine qui fait vivre des milliers de personnes, et de nombreuses entreprises… Que si nous changeons tous de métier, alors nous changerons le visage de la création. Nous rappelons que dans cette chaine nous sommes les moins bien traités. C’est peut-être un peu confus mais merci de votre attention.

Tout est dit.

2015-02-01T15:25:22+01:00mercredi 4 février 2015|Le monde du livre|1 Commentaire
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