L’édition et l’imaginaire ne sont pas imperméables : à un moment, il faut se bouger

Au détour d’une conversation avec l’équipe d’Elbakin.net, j’apprends une nouvelle qui, comme disent les jeunes (ou peut-être déjà plus), me bute.

Leur podcast principal, qui a lancé des appels à candidatures il y a quelques mois (et vient de reprendre !), a reçu royalement le nombre suivant de candidatures :

Trois.

(J’écris cet article avec leur approbation pour communiquer le nombre, mais ils n’ont aucune idée de ce que j’écris et ne sont nullement associés à mes mots, même si, quand ils m’ont donné l’accord de donner le chiffre, j’ai senti de leur part un léger serrage de fesses, ayant probablement senti mes gros yeux à 17000 km de distance.)

Les gens, en fait les gens qui ne me lisent pas, donc c’est un peu ballot, mais bon, bref, les gens : il faut qu’on se parle. Cela fait à peu près une décennie, à la louche, que je lis des questions en ligne du genre : l’imaginaire c’est fermé on peut pas y rentrer, l’édition c’est super opaque, moi je veux bien faire du réseau mais comment je fais je connais personne, et d’ailleurs c’est la seule façon de publier hein, c’est connaître qui il faut –

Désolé, mais, à force

Mes amis, on le ressasse éternellement dans Procrastination, un auteur établi a été un jour un auteur débutant, tout le monde a fait le même parcours que vous, les temps changent mais pas tant que ça par certains côtés, et en plus, beaucoup (même si de moins en moins, le temps avance, tout ça) l’ont fait avant l’omniprésence d’Internet, soit sans le littéral débordement d’information qu’on y trouve (formations, articles, forums, des années de tables rondes captées entre autres par ActuSF, podcasts évidemment, etc.).

Mes amis, j’aurais donné très cher pour avoir accès à tout ça quand j’ai commencé et que – y a prescription, donc je l’avoue – j’imprimais des pages et des pages de ressources uniquement disponibles en anglais à la salle informatique de mon école à deux heures du matin en profitant qu’il n’y ait pas de quota.

Quand je lis ces bouteilles à la mer sur les réseaux et qu’en face, je vois que le podcast Elbakin.net, porté donc quand même par l’un des premiers sites de France, reçoit trois candidatures, j’ai vraiment du mal à comprendre. Okay, peut-être n’êtes-vous pas à l’aise avec le format (mais je vous dirais bien : dans mes années formatrices, j’avais envie de faire des trucs, d’écrire, d’apprendre, donc mon confort avec un format n’entrait pas en ligne de compte, ma réponse de base à « tu veux faire x ? » était : « oui » et je voyais après comment j’allais me tirer de ce guêpier), cependant ça n’est pas une occurrence isolée (voir l’anecdote avec mes étudiants citée dans l’article d’origine). Des occasions pour découvrir un métier et un milieu, des médias, il y en a plein d’autres (bénévolat en festival, blogging, revues amateur…)

Attention, je ne dis pas qu’il faut bosser gratuitement, le travail mérite rémunération ; mais quand on débute, qu’on est, par définition, un complet amateur, des occasions de faire des trucs chouettes au titre du loisir (on faisait des fanzines, autrefois, par exemple), ça existe, ce sont de super occasions d’apprendre, de faire, et c’est comme ça que les portes peuvent finir par s’ouvrir, juste parce que vous montrez enthousiasme, motivation et un début de compétence. (En parlant de portes, j’ai l’impression d’en avoir une énorme devant moi, totalement ouverte, et de l’avoir totalement défoncée, mais visiblement, ce n’est pas une évidence.)

Mes amis, s’investir et se construire, ça nécessite plus que poster une demi-question sur Threads et se réjouir de voir « ah ben je suis pas le seul à me demander ça, c’est quand même compliqué hein, emoji cœur sur toi avec les mains ». Bien sûr, la validation, c’est chouette, mais vous savez ce qui vous entraîne plus loin et vous permet d’atteindre vos buts et vos objectifs ?

L’absence de validation. Sortir de chez soi dans le vaste monde (qui n’est pas aussi dangereux qu’on l’imagine).

Être validé, c’est confortable, et c’est une nécessité humaine. Mais ce qui nous fait progresser, apprendre, évoluer, c’est justement ce qui ne nous valide pas ; ce qui nous met en situation d’inconfort et nous oblige à agir. Bien sûr, les deux sont nécessaires à une existence, et on préférera certains dans certains contextes (le soutien dans son entourage proche, par exemple), et tout le monde va chercher un équilibre différent à des moments différents. Toutefois, si votre vie n’est faite que de validation ou que de défi, je suis navré, mais il y a un souci quelque part.

Mes amis, dans une vie qui se veut créatrice, la peur et l’immobilisme ne peuvent pas vous gouverner. Désolé, mais la peur est comprise dedans. Ça n’est pas négociable. Ce que vous en faites, comment vous apprenez à la gérer, c’est ce qui fera la différence, et la bonne nouvelle, c’est que ça se travaille ! La mauvaise, c’est que personne ne le fera à votre place. Il n’y a pas, dans la création, de dû, d’occasion qui viendra frapper à votre porte sans que vous n’alliez d’abord à la découverte du monde, ni de récompense en corrélation avec le travail investi. Si vous raisonnez en termes de justice ou de rétribution, je vous le dis tout de suite, c’est fondamentalement injuste ; donc, arrêtez de penser ainsi et pensez plutôt à l’épanouissement offert par le chemin.

Faites-le parce que ça vous nourrit. Ou ne le faites pas. Il n’y a, justement, que des essais.

Ou encore, dans les mots immortel du roi Arthur :

Emoji cœur sur vous avec les mains.

2024-10-06T01:59:34+02:00mardi 8 octobre 2024|Best Of, Humeurs aqueuses|17 Commentaires

Du travail et du fruit du travail dans l’écriture

Je sors souvent une référence à la Bhagavad-Gita ici et là et dans Procrastination, et quelques échanges de loin en loin m’ont laissé entendre que cela pouvait être un peu mal compris, du coup, archivons ici ce qu’il en est. Il s’agit du célébrissime verset 2.47, que je connais le mieux sous cette forme en traduction anglaise1 :

You are entitled to the labor, but not to the fruits of the labor.

On le trouve en traduction française par exemple sous cette forme :

Tu as le droit de remplir les devoirs qui t’échoient, mais pas de jouir du fruit de tes actes ; jamais ne crois être la cause des suites de tes actions, et à aucun moment ne cherche à fuir ton devoir.

Sur Wikisource

Mais que je résume ainsi pour mon usage personnel :

On peut prétendre au labeur, mais pas aux fruits du labeur.

Quel est le rapport avec l’écriture ?

La différence entre prendre du plaisir et péter un câble.

Les réseaux commerciaux sont submergés de questions, conseils, stratégies pour arriver à convaincre une maison d’édition et publier son livre ; et soyons clairs, oui, la plupart du temps, quand on écrit, on espère être lu – il y a là un effort (considérable) de communication et le but de la communication, c’est quand même d’avoir quelqu’un en face.

Cependant, l’effet délétère – qui est humain, compréhensible, mais délétère quand même –, c’est de considérer alors que la création est orientée vers le résultat, la production, l’édition, qui, en plus, peuvent former dans notre société autant de métriques de résultat, de succès, jusqu’à un effet extrêmement retors de validation individuelle. (C’est l’incompréhension qui guide les chantres de l’IA.)

Or, quand on crée, tout n’est pas entièrement maîtrisable, et c’est une angoisse de la chose, mais aussi, selon votre constitution, une joie.

On ne maîtrise pas le résultat produit

Même le plus obsessionnel-compulsif des architectes (hello) vous dira qu’il existe toujours un moment où le récit, les personnages prennent vie sur la page et révèlent d’eux-mêmes ou de l’intrigue des éléments complètement inattendus (mais souvent géniaux). Je raconte toujours cette histoire entre Laenus Corvath et Thelín de « Bataille pour un souvenir » à « Au-delà des murs » prouvant même que l’inconscient, la Muse, le Mystère, la communication avec les mondes parallèles opèrent par-delà les textes et les ans, bref : nous sommes les vecteurs de la création, mais il se passe quelque chose d’ineffable au cours du chemin. Et en plus, la valeur de la production nous échappe toujours un peu : une scène écrite dans le sang et les larmes peut se révéler bonne à jeter comme une autre écrite avec la facilité la plus déconcertante peut s’avérer fantastique – et inversement.

Bien sûr, on peut toujours corriger, mais je pense que même avec la plus haute technicité du monde, on ne peut qu’amener sa matière initiale à un certain plafond. Vient un moment où il faut potentiellement réécrire pour imposer un meilleur élan.

On fait de son mieux, mais on ne peut pas garantir le résultat.

On ne maîtrise surtout, surtout pas le succès

Oh ! combien d’écrivains, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des carrières lointaines,
Dans les réseaux sociaux se sont évanouis !

Si l’on connaissait la recette pour faire un best-seller, mes chers amis, tout le monde l’appliquerait, à commencer par les maisons d’édition. Certes, quand on fait ce métier, on espère que ça va marcher suffisamment pour payer sa prochaine facture de pâtes, mais c’est alors que démarre un dangereux raisonnement, celui d’associer la valeur du travail (et donc du chemin de la création) au succès, aux ventes, aux chroniques, aux commentaires sur les réseaux, aux prix littéraires, aux adaptations cinématographiques et – pire que tout ce qui précède – aux mêmes métriques chez les voisins.

Or, personne n’a de réel contrôle là-dessus ! Et attribuer le mérite de son travail à ces métriques extérieures – pire, à celles des copains, qui n’ont pas la même carrière, les mêmes vœux, les mêmes univers – peut peut-être soutenir une personnalité combattive pendant un temps, mais au bout du compte, comme tout élément de son identité dont on plaque la valeur sur une composante du monde extérieur, cela ne peut que rendre foncièrement malheureux.

On fait de son mieux, mais on ne peut pas garantir le succès.

On fait de son mieux, et c’est tout ce qu’on peut faire

Je ne suis absolument pas en train de prétendre qu’il faut atteindre une espèce d’horizon détaché de tout (cela annihile l’implication personnelle, et je pense résolument qu’il est vital de croire à ce qu’on fait, donc de lui attribuer un minimum d’importance), que je pratique parfaitement ce qui précède (certainement pas), ni même que toutes ces impulsions ne sont pas humaines ni compréhensibles.

En revanche, non conscientisées, laissées à proliférer, elles sont une voie sûre vers l’épuisement professionnel, le découragement, la frustration, notamment parce qu’elles se trompent sur ce qu’est l’essence du métier. Elles confondent le résultat final (sur lequel on n’a guère de prise) avec le processus créatif lui-même.

Or, notre métier, c’est créer, ce n’est pas vendre des bouquins. Oui, je répète : notre métier, c’est créer, ce n’est pas vendre des bouquins.

Vendre les bouquins, c’est le métier de la maison d’édition.

Vendre des bouquins est une conséquence possible et merveilleuse de la création. On s’y implique, bien évidemment ! Mais tout ne se vend pas dans notre marché (qui est ce qu’il est), et se désoler, rager que ce qu’on fait ne vend pas dans cette situation revient à insulter le ciel pour le temps qu’il fait. Bien sûr, on peut être déçu ; il existe des accidents industriels (je raconterai un jour les vraies coulisses de Léviathan, près de quinze ans plus tard, il commence à y avoir prescription) ; on peut combattre, communiquer, élargir les horizons, se lancer avec courage, tenter le coup, et tout peut marcher, et on s’efforcera toujours de mettre un maximum de chances de son côté, mais au final, on prendra soin de se rappeler cette règle cardinale :

Le labeur ne nous doit aucune rétribution.

Il découle donc, logiquement, qu’il convient de concentrer son énergie sur le labeur lui-même – c’est la seule chose sur laquelle on peut influer – et, surtout, trouver dans celui-ci la toute première source de son plaisir. Un auteur qui écrit parce qu’il aime écrire sera toujours heureux (ou presque). Un auteur qui écrit parce qu’il veut vendre, être vu, reconnu, apprécié sera toujours malheureux (ou presque) parce qu’il n’aura, en définitive, jamais assez.

C’est pour ça que je trouve oiseuse et inutiles les conversations sur le « talent », « l’inspiration » et tous ces concepts qui ne nous aident à rien et sont même, si j’ose, un peu classistes : tu as le don ou tu l’as pas. En revanche, on peut tous travailler, et on peut tous trouver du sens dans ce qu’on fait. Sinon, autant ne pas le faire, hein ?

C’est aussi pour cette raison que je fais l’analogie entre l’écrivain et un DJ : le DJ est embauché pour faire danser la salle, mais il va le faire avec la musique qu’il aime (ou au moins qui ne lui écorche pas les esgourdes). Le cœur de métier, au sens de profession et de carrière, cette fois, est là : faire le travail avec cœur, sincérité et intégrité, en gardant la conscience d’essayer de s’adresser au plus grand nombre, de travailler sa technicité pour être le mieux reçu possible, mais l’un et l’autre doivent fonctionner ensemble.

Bien sûr qu’on fait notre travail du mieux possible, avec la visée raisonnée, intelligente et construite d’un public (on se rappelle, en gros, qu’on gagnera probablement mieux sa vie avec de la romance qu’avec un recueil de haikus en elfique dans le texte). Bien sûr qu’on espère rencontrer les lauriers de la victoire. On ne fait pas ça par-dessus la jambe, à balancer nos œuvres soigneusement assemblées dans le vide. On fait tout ce qu’il faut pour ça marche.

Mais, tels des généraux romains, nous devons conserver la voix perchée sur l’épaule qui nous répète que nous sommes mortels, qu’au final, tout cela est une vaste farce, que l’Univers ne nous doit rien, et que la seule validation solide vient d’abord de l’intérieur avant d’arriver d’ailleurs, et que la réalisation contient déjà en elle sa validation.

Nous pouvons prétendre au labeur, mais pas aux fruits du labeur.

  1. Il existe quantité de traductions, on préférera celle-ci ou celle-là pour quelque chose de moins lapidaire.
2024-09-09T03:02:10+02:00lundi 9 septembre 2024|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Du travail et du fruit du travail dans l’écriture

Retomber sur des joies musicales totalement obscures des années 90 (demoscene, tracking et modules)

Quand on déménage, en général, on en profite pour faire un grand tri ; quand on déménage à l’autre bout du monde, on le fait d’autant plus (… en principe. Don’t ask.) Mais si on a une tendance à l’accumulation (qui ? naaan) et qu’on est passé d’un ordinateur à l’autre au fil des ans en étant, disons, pas très rigoureux ni organisé sur les sauvegardes (« j’ai un plus gros disque dur, je colle tout ça là, je ferai le tri plus tard, je récupère seulement ce dont j’ai besoin »), on peut se trouver assis sur des téraoctets de sédiments relatifs à une existence entière qui n’occupent, pour ainsi dire, aucune place (et une charge mentale minime).

Une pile parmi beaucoup d’autres retrouvées à la cave

Est-ce que j’analyse en ce moment tout ça ? Ahahah, non, j’ai autre chose à faire, et puis je ne vais pas déroger à la noble tradition consistant à coller tout ça dans un coin pour plus tard, la version 2024 étant mon serveur domestique. Néanmoins, au passage, certains trucs attirent l’œil, et l’on se retrouve à plonger dans de réelles capsules temporelles. Un vieil installeur de Netscape qui ne doit plus fonctionner sur rien, les drivers mis à jour de mon modem Olitec compatible Minitel. Wahou. Visiblement, je prenais aussi grand soin de conserver mes sauvegardes de ce petit match-3 qui occupait mes pauses en pensant que j’allais y rejouer. Moi, vingt ans plus tard : mec, j’ai un Mac maintenant. On retrouve des souvenirs de vie au passage, des atmosphères d’une époque, de relations passées, de logements anciens, de préoccupations déchues.

Mais on va conserver quand même, hein.

Bref. Par contre, je suis enchanté d’avoir retrouvé un véritable trésor d’où j’avais presque oublié l’existence, et où, classée avec soin et amour, m’attendait figée dans l’ambre la bande-son de mes années 90, bien avant la musique numérique moderne telle qu’on la connaît (mp3 et iPods). C’est simple : soit vous n’avez strictement jamais entendu parler de ça, soit vous connaissez et vous êtes un spécialiste obsessionnel. Pas de juste milieu.

Je vais m’efforcer de résumer rapidement : dans les années 80-90, avec le développement de l’informatique personnelle, on s’est évidemment mis à se servir des ordinateurs pour faire de la musique. Mais à l’époque, un studio nécessitait toute une batterie de synthés et sampleurs externes, où l’ordinateur servait de pilote (c’était la force de l’Atari ST). On était encore très loin de disposer d’assez de puissance pour générer les sons directement dans la station de travail (ce qui est la norme aujourd’hui depuis une grosse quinzaine d’années).

Je résume grossièrement, mais le concurrent de l’Atari, l’Amiga (la seule vraie machine de cette époque, les vrais savent1) employait son architecture différente pour faire un truc rusé : découpler la « partition » d’un morceau des sons correspondants (samples). Il suffisait d’empaqueter les sons samplés avec les instructions pour les jouer, de demander à la machine de lire la partition, et hop, on avait une musique de qualité bluffante pour l’époque. Imaginez un orgue de barbarie mais qui jouerait des samples aux hauteurs exigées par le rouleau de papier perforé. On composait ça (on compose encore ça à l’heure actuelle) avec des soundtrackers, et les fichiers générés d’une extrême légèreté (quelques centaines de Ko) s’appellent des modules.

La scène du tracking est intimement lié à un autre phénomène des pionniers de l’informatique grand public, c’est la demoscene. Très rapidement là encore : les jeux vidéo des années 80 ont été rapidement piratés en masse ; les éditeurs ont mis des mesures de protection ; des groupes de crackers (hackers visant à cracker les protections) sont apparus en réponse, et pour signer leurs méfaits / prodiges techniques en déplombant les protections, ils ajoutaient de petites intros graphiques, sorte de voisin numérique, si on me permet la comparaison audacieuse, du street art.

Ces intros sont vite devenues un phénomène à part entière, la demoscene : indépendamment du cracking, il s’agit à présent de repousser les limites d’une machine (nécessitant donc une grande habileté ) pour proposer un spectacle visuel et sonore – on dirait aujourd’hui une « installation virtuelle » – démontrant la virtuosité graphique, technique et musicale du groupe, juste pour le plaisir des yeux et des oreilles. Ado, j’ai passé des heures chez mon pote Nono (merci, Nono) à mater des démos sur l’Amiga de son grand frère, complètement transcendé, avant d’avoir le mien.

La plus célèbre, peut-être, de toutes les démos est Second Reality de FutureCrew (j’y étais !). Dites-vous que ça tourne sur un PC de 1994 :

Et souvent, les morceaux étaient accessibles directement dans l’archive de la démo, et si vous aviez le tracker correspondant, les lire était entièrement possible (je me suis fait quantité de mixtapes en collant la sortie de ma carte son sur un magnéto ; j’ai commencé l’électro avec le tracking avant le MIDI, et tout mon apprentissage musical du genre s’est fait à travers cette lentille, quand les gens normaux de ma génération passaient en général par la house). Soit dit en passant, à mes yeux, c’est de cette mouvance que naît le chiptune moderne et ses dérivés en dance (je pense notamment à No Mana). Bien des artistes actuels sont passés par cette école (dont deadmau5).

Récupérer le son de modules en 2024

Évidemment, retombé sur ce trésor, j’ai tout de suite voulu en sauvegarder les plus belles pièces pour les remettre dans ma bibliothèque musicale. Certains artistes de premier plan (Purple Motion, LizardKing, Allister Brimble, Rob Hubbard2, Chris Huelsbeck…) ont placé leurs anciens travaux sur les services de streaming, parfois en remasters conservant le grain de l’original, mais j’ai des tas de trucs trop obscurs (récupérés à droite et à gauche, parfois dans les tréfonds de CD de Joystick…).

Heureusement, époque moderne oblige, deux ressources centrales archivent ces bijoux : Pouet.net pour la demoscene et ModArchive pour la musique pure. (Tous les modules ne sont pas nécessairement adossés à une démo, loin de là ; la musique existait en releases indépendantes, parfois même sous forme de Music Disks, très difficiles à se procurer avant Internet, équivalent tracker d’un album, parfois distribués même sous forme d’applications3).

Maintenant, il faut lire ça. Vous ne le savez pas, mais tous les lecteurs de média modernes (VLC en tête) sont compatibles avec tous les formats de modules (mod, it, s3m, xm etc.). Par contre, cela ne veut pas dire qu’ils les jouent correctement et sachent retranscrire les subtilités des instructions de certains morceaux comme les changements de rythme, les volumes des pistes et les glissando ; on n’aura pas toujours la vraie expérience voulue par le compositeur·ice4.

On évitera donc VLC pour se tourner vers un « vrai » lecteur. OpenMPT est la référence sous Windows, et permet même un export automatique du son (pratique). Sous Mac, c’est un peu plus compliqué, mais j’ai déniché le vieux Foobar 2000 qui est fidèle aux sons d’origine, j’en atteste. Il restera à capter la sortie de l’application avec une app comme Piezo ou même Audio Hijack.

Une rapide initiation au genre

Vous êtes encore là ? Wahou. Dans ce cas, et si vous êtes curieux·se de ce son qui, à mon sens, ne ressemble à rien d’autre (ça n’est pas vraiment du chiptune, ça n’est pas non plus de la house rétro, c’est… la musique de jeu vidéo des années 90 est probablement ce qui s’en rapproche le plus, mais avec une qualité de production sans rapport), vous avez bien mérité quelques morceaux, parmi mes favoris absolus depuis trente ans :

Libertine par Zodiak, pour Hex Appeal par Cascada (1993) :

Necros, Point of Departure5. Profitez de l’aperçu d’Impulse Tracker au passage… C’est autre chose qu’Ableton, hein ?

Laxity, Desert Dream trilogy (pour la démo du même nom par Kefrens) :

Eon par Hoffman, pour la démo éponyme par The Black Lotus. Là, ça nécessite une mention spéciale, parce que c’est une démo contemporaine (2019) qui tourne… sur un Amiga d’époque !

Je finis peut-être par le plus grand maître, Purple Motion, dont l’album Tracked (1991-2000) est disponible sur tous les services de streaming (préférez-le à MusicDisk, ces versions conservent la couleur de l’original, mais avec une qualité maximale) :

Et si vous êtes vraiment arrivé·e jusque là, et que vous avez envie de creuser :

C’était censé être un article court. Ah. Vous me connaissez.

  1. Depuis trente ans, je m’efforce de ressusciter cette guerre de tranchées, sans succès.
  2. Non, c’est pas le même.
  3. J’en ai retrouvé dans mes archives, mais pour faire tourner ça, va me falloir fourrager dans DOSBox.
  4. Libertine de Zodiak, bande originale de Hex Appeal par Cascada, sonne par exemple faux dans la plupart des lecteurs modernes – j’avais la démo d’origine, je sais à quoi elle ressemble. Même les compilations comme Retrovibes ne proposent pas la « bonne » version.
  5. J’ai littéralement découvert l’existence d’Orbital à travers son remix de Girl with the Sun in her Head, intitulé Shadow Caster, c’est vous dire si j’étais complètement immergé là-dedans, et comme souvent dans ces cas-là, cela reste sa version que je préfère.
2024-08-16T03:35:47+02:00mercredi 21 août 2024|Best Of, Décibels|3 Commentaires

La boîte à outils de l’écrivain : ce minuteur (et un dé à 4 faces)

Je suis un fervent pratiquant de la méthode Pomodoro (adaptée à la création) et si j’aime mes applications, mes bidules et mes machins qui soutiennent un mode de vie relativement nomade, il y a un plaisir à manipuler du matériel. (C’est peut-être mes envies de musique électronique qui parlent aussi en ce moment.) Plus que ça : manipuler un objet signale plus concrètement au cerveau l’intention qu’un clic dans une application perdue au milieu d’une forêt de fenêtres. Et donc, je trouve qu’il y a un intérêt notable, et un bénéfice clair, à employer un minuteur physique pour ses pomodoros plutôt qu’une application : le fait de retourner le sablier / tourner le bouton1 lance une session de travail avec satisfaction.

D’accord, mais lequel ? La moindre boutique en ligne est remplie de bidules en plastique à deux balles ou de machins ultra fancy connectés avec affichage digital Bluetooth multimédia. En fait, c’est étonnamment difficile de trouver un minuteur adapté à l’usage, parce qu’ils essaient tous d’être trop intelligents pour leur bien et ça défait le marsouin – pardon, defeats the purpose.

Les Pomodoros adaptés à la création sont légèrement différents de la méthode classique en ce sens que finir un créneau de temps ne bascule pas nécessairement sur la pause, elle autorise la pause à la première occasion qu’on souhaite. Si on est en état de flow, on veut généralement y rester. Par conséquent, le bon minuteur :

  • Ne bascule pas automatiquement sur la pause au bout de 25 minutes. C’est ahurissant le nombre de bidules qui pensent que c’est une bonne idée, mais c’est complètement con, pardonnez-moi. Et si j’ai pas envie à cet instant, moi ?
  • Est silencieux, que ce soit quand il décompte (pas de tic-tac, pitié) ou quand il parvient au bout de son créneau. Idéalement, une loupiote s’allumera discrètement et l’engin attendra sagement qu’on décide quoi faire ensuite, pour lancer manuellement la pause (signifiant là aussi une intention, un contrat avec soi).
  • Est visuel (montrant le décompte d’un coup d’œil, ça motive).
  • N’est pas bloqué sur des durées fixes de 25/5 (parfois, on veut faire davantage ; en ce moment, je fais 30/5, j’ai aussi joué avec 52/17).
  • Bonus : une action physique permet de lancer son créneau d’un tour de main rapide.

Vous n’imaginez pas le nombre de minuteurs qui ne répondent pas à ces critères pourtant simples. J’en ai commandé et retourné un paquet avant de me fixer sur un clone chinois probablement vendu sous douze marques différentes, mais qui fait parfaitement le boulot :

Un tour de clé et boum, un disque coloré apparaît ; quand c’est fini, la loupiote en haut à droite clignote trois fois, c’est tout. Souvent, je la rate, mais c’est une qualité : je continue ce que je fais et je lève souvent le nez plus tard quand je commence à fatiguer, constatant que, ah oui, j’ai le droit de penser à autre chose deux minutes.

Ça coûte entre 15 et 20 balles, allez sur n’importe quelle boutique en ligne et vous en trouverez pléthore, mais faites vraiment gaffe aux critères mentionnés ci-dessus : plus le minuteur promet des fonctions avancées et plus il est probablement stupide en réalité (évitez notamment le Minee Timer, magnifique et superbement construit, mais qui déclenche la pause tout seul, ce qui est, répétez avec moi : complètement con). Il existe des versions avec affichage numérique (j’en ai un en France de la marque Yunbaoit qui représente un relatif équivalent, beaucoup plus joli, mais je préfère manipuler le bouton en façade).

Bref, quoi que vous commandiez, lisez les commentaires pour vous assurer que ça ne cache pas un loup genre un tic-tac insupportable, et assurez-vous de pouvoir le renvoyer sans problème si vous découvrez une stupidité de conception.

Associez à ça un D4 de jeu de rôle, un peu joli tant qu’à faire. La méthode Pomodoro classique propose quatre intervalles de travail soutenu puis une pause plus longue de 15-20 minutes ; je ne la faisais pas, mais j’ai récemment découvert un vrai bénéfice à ça (le petit singe dans mon cerveau se tient beaucoup plus tranquille s’il sait qu’il aura un vrai quart d’heure à un moment pour se distraire – et le moment arrivé, il tombe souvent à court d’idée, d’ailleurs).

Et puis, qui n’a pas envie d’utiliser un dé de jeu de rôle comme accessoire professionnel ?

EDIT 2024-08-12 : On me signale que le Time Timer pourrait être la version originale de ce minuteur, à potentiellement préférer, donc. Voir cet article.

  1. Le bouton tout rond, qui chante des chansons, bien sûr.
2024-08-10T10:22:35+02:00mercredi 7 août 2024|Best Of, Lifehacking, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur La boîte à outils de l’écrivain : ce minuteur (et un dé à 4 faces)

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’écriture sans jamais oser le demander (table ronde aux Imaginales 2024)

Conformément à la tradition, le podcast ActuSF a mis en ligne les tables rondes et les conférences des Imaginales 2024 – merci à toute l’équipe (soit dit en passant, le site est une mine d’or avec des captations remontant à des années). J’ai eu le plaisir de partager un plateau avec Julia Richard et Pascal Godbillon sur les questions / réponses aux jeunes auteur·ices en 2024, où l’on parle de formations, d’édition, de patience et d’artisanat. Merci à Jolan C. Bertrand pour la super modération ! C’est écoutable dans votre lecteur préféré, sur cette page ou même juste ci-dessous :

2024-08-02T02:33:38+02:00lundi 5 août 2024|Best Of, Entretiens, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’écriture sans jamais oser le demander (table ronde aux Imaginales 2024)

Quelle app pour ses notes (PKM) en 2024 ? Bear notes ou Obsidian.

Okay, ça fait une éternité absolue (par opposition à l’éternité relative) que je promets de parler d’applications de notes, pour construire sa base de connaissances, son journal, ses illuminations sur la vie, l’univers et le reste, j’ai longtemps été un utilisateur acharné d’Evernote mais l’application s’est perdue (en plus de ne pas offrir de chiffrement de bout en bout, ce qui me semble impensable en 2024), j’ai exploré le sujet de long en large, ouvert des comptes d’essai et de bêta-test chez absolument tout le monde (Notion, Onenote, Roam, Tana, Standard Notes, Craft, The Archive, Capacities, Reflect, Logseq, Anytype, Amplenote et j’en passe, j’ai tout, je dis bien tout essayé) et il est venu, le temps des cathédrales.

Qu’est-ce qu’on utilise comme app pour noter ses idées, les construire et les conserver ?

Avec un pareil sujet, j’ai fini par me faire une raison : il est impossible de recommander une application ultime qui convienne à tout le monde, à la fois en raison des différences de mode de travail et des plate-formes. Il va donc être question de deux, les meilleures dans leurs genres respectifs, couvrant le meilleur des fonctionnalités que l’on recherche.

Les fonctionnalités nécessaires

À mon sens, une application de gestion de la connaissance (PKM, comme on dit dans les cercles initiés, pour Personal Knowledge Management) doit présenter a minima les fonctionnalités suivantes :

Une expérience utilisateur (UX) réfléchie et fluide pour permettre de penser rapidement et efficacement. Cela inclut entre autres : des raccourcis clavier nombreux, une interface minimisant le nombre d’interactions pour arriver à la commande désirée, la possibilité de travailler simplement sur plusieurs documents en parallèle. Pouvoir automatiser des tâches est un bonus.

Une application « local first« . On veut pouvoir travailler dans n’importe quelle condition avec l’Internet qu’on a (ou qu’on n’a pas), que ce soit sur ses notes ou ses attachements. (Cela exclut notoirement Notion et Craft.)

Une application soucieuse de la vie privée. Une solution de synchronisation chiffrée de bout en bout est idéale.

La possibilité de relier ses notes entre elles. Les liens entre fiches et documents sont indispensables pour construire une base de connaissances puissante (voir la série Geekriture) et l’on veut pouvoir inventorier les liens pointant vers un document donné (backlinks).

Des options de formatage avancées, notamment les tableaux.

Un format de document ouvert ou au moins une facilité d’export de ses données, on rédigera idéalement en Markdown, ou au moins, il sera possible d’extraire ses données sous ce format. Les applications vont et viennent ; on parle de gérer une base de savoir censée durer sa vie entière, ce qui dépasse la longévité moyenne des outils informatiques.

Une application fonctionnelle sur mobile. Les idées frappent à tout moment et généralement quand on n’a que son téléphone avec soi : il faut pouvoir au minimum capturer ses idées sur mobile.

Ne pas casser le compte en banque.

Bear et Obsidian

Bear et Obsidian sont les deux applications qui recoupent au maximum ces fonctions de façon la mieux fichue avec le moins de désagréments dans les autres domaines, mais elles s’inscrivent dans deux philosophies relativement opposées, en plus de ne pas forcément être disponible partout.

Bear est l’application des minimalistes (ou des personnes faciles à distraire) dans l’écosystème Apple

Si vous êtes sous Windows et/ou Android, arrêtez-vous là, prenez Obsidian.

Bear est une application puissante mais avec une idée très claire de ce qu’elle est, et n’est pas. Vous obtenez un jeu de fonctionnalités abouti, mais rien de plus. N’espérez pas avoir de dossiers, tout fonctionne par tags ; ne cherchez pas de représentation visible de vos liens ou de géolocalisation de vos notes, ça ne sera jamais dedans. Dans Bear, on note vite (une des meilleurs UX du marché), joliment (l’app est une joie à utiliser) et on se réjouit de la myriade de petits détails bien pensés qui en font un bonheur à l’emploi, mais on accepte que c’est une app volontairement limitée pour réduire l’éventail des fonctionnalités et empêcher le bricolage à l’infini. Dans Bear, on choisit un thème, une poignée d’options typographiques, et puis on bosse. Point.

Ce que Bear fait très bien :

  • UX fantastique (c’est beau, rapide, efficace).
  • App mobile avancée, réactive et agréable.
  • Système de classement par tags ultra rapide pour organiser ses notes.
  • Grande simplicité dans la gestion des pièces jointes (images, PDF etc.)
  • La recherche fouille aussi dans vos pièces jointes.

Ce que Bear fait moins bien :

  • Pas de fonctions avancées (graphe, géolocalisation). Si vous avez tendance à tout paramétrer aux petits oignons pendant des heures, croyez-moi, c’est un atout… vous n’avez pas l’excuse de travailler sur votre outil au lieu de dans votre outil. (Voir les risques d’Obsidian.)
  • Pas de lien à des paragraphes ou blocs de texte (seulement à des titres, ce qui peut suffire) ni de transclusion. (Si vous ne savez pas ce que c’est, vous n’en avez pas besoin.)
  • La synchro se fait sur votre propre espace iCloud sans être chiffrée de bout en bout, mais pour moi, c’est suffisant.
  • Système de multifenêtrage un peu bizarre, nécessitant un petit temps d’apprentissage.

Obsidian est un environnement numérique pour la pensée

Par contraste, Obsidian fait tout, mais alors, absolument tout. Et c’est son plus gros piège : on peut le transformer en quasiment n’importe quoi, ce qui est intimidant, et égare le ou la novice.

À la base, Obsidian est un éditeur de fichiers Markdown gérant des liens et un graphe de connaissances. Point. Mais Obsidian est personnalisable dans ses moindres aspects (jusqu’à la position des commandes de l’interface), et présente un écosystème de près de 2000 plugins allant du petit truc pratique (ajouter un raccourci clavier) à la transformation complète de l’application (intégrer une solution de gestion de projets). Beaucoup imitée, Obsidian bénéficie aujourd’hui d’une communauté ultra dédiée, de développeurs assez géniaux et d’une éthique assez unique à notre époque.

Ce qu’Obsidian fait très bien :

  • Obsidian est de loin la meilleure app pour faire incuber ses idées. Tout est reliable, visualisable sous forme de graphe, il est possible d’intégrer des bouts de notes à d’autres (transclusion), ou des requêtes dynamiques, rien que son jeu de fonctionnalités de base est ultra puissant.
  • Obsidian est bâti sur des formats entièrement ouverts (un paquet de fichiers sur votre disque) et se synchronise avec chiffrement de bout en bout.
  • L’écosystème de plugins permet d’ajouter à peu près n’importe quelle fonction. Si vous vous demandez : « Obsidian peut-il faire ça ? », la réponse est oui1. La vraie question sera comment (et c’est là que les ennuis peuvent commencer, voir ci-dessous).

Ce qu’Obsidian fait moins bien :

  • L’app mobile est utilisable, mais un peu lourdingue. C’est pas idéal pour la capture rapide (même si l’équipe travaille dessus).
  • L’app est basée sur le framework Electron : cela signifie que quasiment aucun outil système ne fonctionne dedans (agaçant notamment sous macOS).
  • Plus vous personnalisez Obsidian, plus vous courez le risque que vos ajouts ou plugins cassent avec une mise à jour future, ce qui peut vous pousser à une maintenance malvenue et agaçante (et à éplucher les forums / Discord officiels).

Rapides conseils de survie pour vivre Obsidian sainement

  • Préférez un thème d’interface extrêmement bien suivi et développé pour éviter les migraines (acceptez d’utiliser le thème de base ou bien Minimal, développé par le CEO de la boîte).
  • N’ajoutez un plugin que si vous avez un réel besoin de la fonctionnalité associée, et prenez le temps de le maîtriser avant d’ajouter le suivant. (Limite leur prolifération extrêmement néfaste.)
  • Tenez-vous à distance des vidéos YouTube qui vous expliquent comment le transformer en tableau de bord intégré de votre existence. Vous y viendrez plus tard si nécessaire.

Comment choisir ?

Au final, si vous avez suivi ce qui précède, vous verrez clairement deux écoles.

Déjà, de base, si vous êtes sous Windows et/ou Android, c’est Obsidian. On l’a dit.

Ensuite. Si vous avez une forte tendance à la distraction et à l’obsession pour tout paramétrer au poil, préférez Bear. Vraiment. Vous allez passer des heures à bricoler Obsidian pour voir vos modifications casser progressivement au fil des mois. Faites tout de suite le deuil dudit bricolage et prenez l’outil qui vous empêche de faire ça. Oui, c’est absolument du vécu. (Après quatre ans d’oscillations constantes et d’allers-retours entre les deux, j’ai fini par me fixer sur Bear précisément pour cette raison.)

Si vous n’avez pas de tendance obsessionnelle au paramétrage, que vous voulez juste prendre des notes puissantes en Markdown avec peut-être une poignée de fonctionnalités choisies et que vous n’avez pas besoin d’une app mobile parfaite, Obsidian vous réjouira. On ne fait pas mieux dans cette catégorie.

À vous les studios : Bear | Obsidian

  1. On y trouve entre autres un lecteur de podcasts et un moteur de bases de données.
2024-07-28T02:31:05+02:00mercredi 31 juillet 2024|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

« Si vous ne descendez pas vous aussi dans l’arène vous faire botter les fesses, votre avis ne m’intéresse pas »

L’autre jour, entraîné par un lien malencontreux, j’ai fait le truc qu’il ne faut absolument jamais, jamais faire parce que c’est très dangereux – non, pas mettre les doigts dans la prise – non, pas manger les jolis champignons rouges – non, pas emmêler ma cravate1 dans un ventilateur – mais, pour la créativité et le moral, c’est à peu près aussi mortel : je me suis perdu sur quelques chroniques idiotes de mes bouquins. Notez bien que je ne dis pas négatives, je dis idiotes. Il existe des tas de chroniques négatives intelligentes et/ou constructives et/ou qui reconnaissent quand la rencontre ne s’est pas faite pour des raisons purement personnelles et font la part des choses avec les qualités du travail et ça, on serre la paluche de la personne en disant : ben oui, absolument, bien sûr, buvons un coup. (Ça commence en coulisses, soit dit en passant, par le travail avec les bêta lecteurs et sa direction éditoriale : sachez, mes amis, que les livres n’apparaissent pas de rien, ils ont la forme qu’ils ont parce qu’il y a eu des passes de correction avec des équipes, donc les choix qui s’y trouvent ont en général été tous soigneusement soupesés, on s’efforce de maîtriser ce qu’il y a dedans et pourquoi.)

Peu importe qu’elles soient une poignée perdues dans – j’ai cette chance, merci mille fois, auguste lectorat, surtout quand on se coince bêtement la cravate dans une prise de champignons rouges – une majorité positive, voire très positives ; hélas le cerveau (surtout quand il neurodiverge) a, sur l’instant, tendance à se focaliser sur ça au détriment du reste (surtout, bis, quand on bosse depuis des années sur un projet colossal qui avance par centimètres malgré les heures investies quotidiennement et qu’il faut combattre le syndrome de l’imposteur à l’arme nucléaire).

C’est absolument ridicule. Je suis parfaitement au courant. Alors, dans ces cas-là, je repense autant que possible dans ces cas-là Elizabeth Gilbert dans Big Magic avant de baisser la tête et de me remettre au taf.

Que ma mésaventure, donc – manger une prise de courant en emmêlant mes champignons rouges dans une cravate – puisse éventuellement servir à d’autres qui tombent sur cette page (« Et ces traces, un jour, un autre être affligé, / Voguant sur l’Océan solennel de la vie, / Pauvre frère en misère, et seul et naufragé, / En les voyant, Peut-être aura plus d’énergie. » – Longfellow).

Parce que, justement, une autre source peut faire du bien dans ces moments-là, et c’est Brené Brown, qui propose une approche très saine et ouverte pour affronter ce genre de critique (elle mentionne que dans son cas, évidemment, on s’en est pris à son physique, parce qu’Internet est rempli de cons) :

  • Réserver toujours une place dans son Colisée mental à ces critiques idiotes, parce qu’elles sont inévitables, donc autant reconnaître leur présence ;
  • Mais leur répondre : je vous entends, je vous vois, mais si vous ne descendez pas vous aussi dans l’arène vous faire botter les fesses, votre avis n’entre pas en ligne de compte.

Perso, j’aurais dit « j’en ai rien à carrer », mais c’est parce que j’adore secrètement utiliser des gros mots devant des publics de cadres.

Prenez soin de vous.

  1. C’est là qu’on sait que je ne suis qu’un bonimenteur, la dernière fois que j’ai porté une cravate remonte au XXe siècle.
2024-07-24T02:23:33+02:00mercredi 24 juillet 2024|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

La boîte à outils de l’écrivain : Typinator, l’expansion de texte à la vitesse de la lumière

Okay, je vous ai fait l’article avec TextExpander pendant des années, et donc chanté les louanges de l’expansion de texte : tout ce qui permet de taper du texte plus vite est une bénédiction, surtout quand on écrit, mais pas seulement. Nous passons nos vies à écrire ne serait-ce que des mails, nos claviers sont un mode d’interaction majeure de nos vies modernes, donc gagner du temps et de l’efficacité, c’est bien. J’ai longtemps promu TextExpander, mais ses performances de plus en plus mauvaises + sa formule absurde sur abonnement m’ont incité à chercher une autre solution.

Et celle-ci existe : elle est non seulement extrêmement rapide (beaucoup plus que TextExpander), mais ne requiert pas d’abonnement (MIRACLE), et c’est Typinator (sur Mac uniquement).

C’est pas sexy, hein ? C’est parce qu’il faut que je vous en cause.

En deux mots (enfin, un peu plus, sauf si vous utilisez l’expansion de texte), l’expansion de texte permet de taper une courte abréviation qui devient étendue en une expression au choix : par exemple, mon propre catalogue transforme ci-précédemment la chaîne « p.ex » en « par exemple ».

Avec l’expansion de texte, on peut1… 

Taper rapidement les mots fréquents :

  • jms → jamais
  • tps → temps
  • zk → Zettelkasten
  • prc → procrastination
  • dc → dranaclase…

Taper ses titres de livres et nouvelles qui reviennent tout le temps, surtout si on a la bonne idée d’en faire à rallonge :

Insérer d’un coup les liens qu’on emploie tout le temps :

Taper les formules de politesse courantes :

  • bcdt → Bien cordialement
  • vdisp → je reste à votre disposition
  • saldis → Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de mes salutations distinguées…

Taper simplement des caractères spéciaux et symboles pratiques :

  • -> donne →
  • => donne ⇒
  • et ça marche aussi avec les émojis : ee:) donne 🙂
  • eeid donne 💡
  • ee? donne ❓…

Insérer rapidement des macros comme la date et l’heure :

  • sdd insère la date au format année-mois-jour (2024-07-14)
  • hhh insère l’heure au format heure:minutes (13h39)
  • !z insère un timestamp pour repérer un document de manière unique au format date + heure-minutes (202407141349) (capital dans certaines approches du Zettelkasten)

Gérer la typographie des applications qui ne connaissent pas les règles françaises :

  • " donne « » (guillemets à chevrons prêts à l’emploi)
  • !! donne espace insécable + ! (conformément aux règles)
  • -- donne – (tiret semi-cadratin)…

Faciliter l’entrée du balisage Markdown :

  • mkl donne []()
  • mkfn crée [^] (lien vers une note de bas de page, fn pour « footnote »)
  • mkcd crée un bloc de code prêt à l’emploi, sauts de ligne inclus…

Créer des macros pour automatiser la création de texte : Il est très simple de créer des textes à trous pour des messages-type où l’on va remplir les champs à la volée (par exemple « cher Monsieur / chère Madame ») et taper automatiquement la touche tabulation pour changer de champ à la volée, permettant par exemple de pré-remplir un mail standard.

Attends, mais on ne peut pas déjà faire ça avec les remplacements de texte du système ? Non. En tout cas, pas aussi bien. Les macros sont impossibles, mais surtout, il est impossible de forcer l’outil système à différencier l’emploi des majuscules et minuscules, ce qui est capital pour moi si j’écris vdf pour désigner le Verrou du Fleuve, la ville de Loered, dans le cours d’une narration, ou bien Vdf, Le Verrou du Fleuve, le titre de livre, tome 2 de la saga « Les Dieux sauvages ».

La beauté de la chose par comparaison avec les outils du type intégrés, par exemple, à Word, c’est que c’est un outil qui fonctionne partout sur le système, donc ça marche aussi dans Scrivener, Slack, Mail, Obsidian… et qu’il est possible très simplement de synchroniser son répertoire d’abréviations entre machines en plaçant le fichier dans un répertoire cloud quelconque. En gros, on détermine ses abréviations une fois pour toutes. C’est un outil tellement puissant et utile qu’il m’empêche de voir l’iPad comme une machine sérieuse, car cette intégration profonde est impossible sous iOS et me ralentit clairement quand elle est absente.

Typinator est le meilleur outil du genre que j’ai pu tester (c’est le plus rapide, de très loin) avec un modèle économique donc respectueux de l’utilisateur (un achat une fois pour toutes, avec des mises à jour majeures payantes). Et c’est pour cela qu’il rejoint la boîte à outils de l’écrivain.

➡️ Découvrir Typinator (démo gratuite, lien affilié)

De manière générale, si l’envie d’acheter cet outil (ou l’un des autres présentés sur ce site) vous vient, n’oubliez pas de passer par les liens proposés ici – vous contribuez à financer le temps passé à rédiger ces articles gratuitement. Merci ! 

  1. Tous les exemples viennent de mon propre catalogue.
2024-07-14T06:57:54+02:00lundi 15 juillet 2024|Best Of, Technique d'écriture|3 Commentaires

De l’écriture à la patinoire

Reçu cette question récemment :

J’ai fini la lecture de votre livre, il m’est d’une précieuse aide pour tenter d’écrire. C’était drôle et bien expliqué, merci, vraiment. […] je souhaitais aussi vous posez une question dont je n’ai pas trouvé la réponse, ni sur votre site, ni sur internet. 

Est-ce qu’on peut écrire une partie un point de vue en narration externe aligné strict à un temps de narration présent (car je trouve que ça colle avec mon perso mais j’ai cru comprendre que c’était moins usité/conseillé quand on débute) et repasser à un temps de narration au passé plus classique pour les autres points de vue? 

Ou faut-il le même temps de narration pour tous et faire un choix?

Déjà, merci beaucoup pour Comment écrire de la fiction ; ravi que cela ait pu être utile – et drôle (mon but était : avec toutes les empoignades autour de la technique d’écriture, si vous n’êtes pas d’accord avec moi, au moins, je vous aurai fait glousser bêtement).

Excellente question et, pour celle-ci et en fait plein d’autres, il me faut faire un détour par l’improvisation théâtrale.

L’impro a été formalisée au tournant des années 80 par un petit groupe d’expérimentateur·irces sur cette forme nouvelle, dont un certain Robert Gravel, qui a documenté et écrit deux courts bouquins sur le sujet (avec Jean-Marc Lavergne, sobrement intitulés Impro I et Impro II). Et à un moment, il parle de la patinoire et de sa codification.

L’impro, dans sa forme codifiée au Québec, ne se pratique pas sur une scène, mais une patinoire, laquelle est directement inspirée de la patinoire du hockey sur glace, un muret d’un mètre de haut environ qui entoure la zone de jeu :

On pourrait penser que parce que, haha, c’est des Québecois, ils ont fait un truc en lien avec le hockey, regardez comme c’est drôle. Sauf que peut-être, mais pas seulement. Gravel explique (de mémoire) que la patinoire a un effet particulier sur la discipline. Elle coupe la silhouette du joueur en deux, ce qui le réduit presque à une marionette grotesque, et c’est le cas en effet si la personne ne donne pas tout à son jeu : la patinoire ajoute une difficulté supplémentaire qui pardonne peu. En revanche, avec quelqu’un qui se consacre intégralement à son jeu, qui a à la fois les bonnes idées et la compétence théâtrale, la patinoire disparaît totalement et n’a plus aucune importance.

Soit : la contrainte aiguise le danger de la discipline chez ceux et celles qui n’ont pas la compétence et/ou l’engagement dans leur jeu. Mais quand la magie opère, la contrainte est transcendée.

J’imagine que vous voyez où je veux en venir. Un chapitre de Comment écrire de la fiction ? s’intitule « Tout est possible, tant que c’est bien fait ». C’est la réponse à la question posée comme à la situation de la patinoire : sortir des codes, ajouter une contrainte inhabituelle (un muret d’un mètre de haut, un changement de temps de narration ou – c’est souvent la question analogue – un changement de focalisation dans le choral, passer du « il/elle » au « je »), c’est courir le risque de « briser le rêve de la fiction » cher à John Gardner. C’est s’ajouter une occasion supplémentaire de se prendre les pieds dans le tapis et d’avoir l’air d’une marionnette grotesque ; que l’artifice révèle l’artificialité.

Mais si ça marche, bon dieu, ça marche, et la contrainte devient sublimée, le jeu / l’œuvre s’appuient dessus et la transforment en force, la transcendent au lieu d’être limités par elle.

Tout est possible tant que c’est bien fait.

De manière générale, je pense, à ce titre, qu’il faut faire confiance à son sentiment, son envie, ses tripes. Si la forme que tout cela dicte est inhabituelle, inusitée, peu importe, c’est la forme qu’il faut. Il est toujours possible de voir ensuite si c’est pertinent / si la contrainte est transcendée. Et si ce n’est pas le cas, de corriger en fonction ; car, contrairement à l’impro, l’écriture n’est pas un art de représentation. On a une infinité de chances d’y arriver du premier coup.

2024-06-24T02:42:48+02:00lundi 24 juin 2024|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Vous écrivez dans des apps en ligne à vos risques et périls

Un peu plus tôt cette année, une autrice a relaté une mésaventure assez glacante : ses livres en cours d’écriture et de bêta-lecture avaient été signalés comme « inappropriés » par Google Docs, la rendant incapable de partager ses documents dans son cercle.

Au risque de rabâcher, vos créations figurent parmi les choses les plus précieuses de votre existence. Elles sont beaucoup trop importantes pour être confiées à un service en ligne, en tout cas qui ne soient pas chiffré de bout en bout. K. Renee écrit de la romance épicée, déclenchant probablement la méfiance du robot, qui ignore la destination des publics, la nuance, la différence entre fiction et réalité. Je reçois toujours de loin en loin des proposition de test d’application d’écriture, mais si la chose est en ligne, c’est une disqualification directe.

Je veux pouvoir écrire ce que je veux, avec les maladresses, biais, bêtises, errances, érotismes, et même potentiellement déviances qui président à la recherche artistique sans craindre un regard sur l’épaule. (Je veux pouvoir écrire hors ligne, aussi.) L’écriture n’est pas un art de représentation : la phase de correction vient juger et parfaire ce qui doit l’être après coup, après que les erreurs ont été commises. Et tout cela se fait en local, ou chiffré dans le cas d’une synchro via le cloud ; ne pas le faire, comme le montre la mésaventure de K. Renee, pose un risque certes faible, mais toujours présent – et désastreux s’il se déclenche.

Car, comme le dit l’adage : le cloud n’existe pas. C’est juste l’ordinateur de quelqu’un d’autre.

2024-05-28T16:38:23+02:00mardi 28 mai 2024|Best Of, Technique d'écriture|1 Commentaire
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