La photo de la semaine : Daffy Duck
Vous ne trouvez pas ?
Vous ne trouvez pas ?
L’EW-System, c’est un chouette souvenir : aux alentours de 2005, nous fondions avec quelques joyeux compagnons une maison d’édition de jeu de rôle, Extraordinary Worlds Studio. À l’époque, le marché se cherche un peu : l’évolution des loisirs a laissé le jeu de rôle dans un entre-deux, les joueurs de la première heure ont grandi, ont souvent des familles, et donc moins de temps.
Avec EwS, nous nous proposons de répondre à cette situation avec des jeux de rôle fouillés, amusants, faciles à prendre en main, mais surtout prêts à l’emploi, sous un format hybride entre le livre et le magazine. Quatre numéros par gamme avec de nouvelles mécaniques, du background et des épisodes d’une campagne complète qui se construit d’épisode en épisode ; c’est ainsi que naît le premier de la gamme, Arkeos, qui mélange pulp, Indiana Jones et soupçon d’ésotérisme :
Suivront notamment Cirkus (emmené à l’époque par Jean-Laurent Del Socorro), Sovok (par Cédric Ferrand, dont le roman est sorti chez les Moutons Électriques) ainsi que des ouvrages indépendants (par Emily Tibbats). Olivier Trocklé est aussi rapidement devenu un pilier de l’équipe graphique. Beaucoup d’autres auteurs, intéressé•es par l’aventure EWS, sont venus apporter des contributions, notamment à l’aspect règles de jeu.
Car, qui dit jeu de rôle dit système. 2005, c’est aussi l’explosion du d20 System de Donjons et Dragons 3, et nous trouvons qu’un système sous licence libre est une excellente idée, mais qu’il est dommage qu’il n’en existe qu’un seul qui écrase pour ainsi dire tout. Les petits Frenchies que nous sommes nous attelons donc à concevoir notre propre système pour nous frotter au géant Wizards of the Coast (peur de rien, les mecs), résolument cinématique (limitant les jets de dé) et entièrement modulaire, de manière à greffer de nouvelles mécaniques en fonction des besoins des jeux, mais aussi pour que les joueurs construisent les leurs. L’EW-System est né.
Fidèle à l’idée de licence libre, nous distribuons gratuitement l’EW-System sur le site à l’époque, ainsi qu’une version papier accompagnée de son écran vendue à prix modique. C’est assez fou, d’ailleurs, de voir que le mythique Casus Belli donne à l’époque 5 étoiles au système et lui prédit un bel avenir…
Hélas, EwS cessera ses activités en raison de sombres histoires de promesses non tenues par des banques… Et l’EW-System disparaîtra d’Internet, même si j’en trouvais parfois des miroirs survivant aux années. De loin en loin, je recevais des mails me demandant des copies, mais n’étant pas le seul auteur du système, je ne pouvais prendre sur moi de diffuser l’ouvrage.
Et à présent, grâce au Rafiot Fringant, co-auteur et prodigieux directeur artistique (qui travaillait aussi sur Asphodale !), ancien des éditions Sans Détour (le look fantastique de leurs ouvrages, c’est à lui qu’ils le doivent), l’EW-System est à nouveau disponible en ligne, en téléchargement gratuit.
C’est par là que ça se passe, avec une autre rétrospective à lire chez lui quant à cette belle aventure. Et attention, c’est la version complète de chez complète : version « deluxe », écran, version « lite », tous les modules additionnels (armes, arts martiaux, livret de campagne…). Profitez-en !
Certaines infos ou liens qui me passent devant les yeux sont trop brèves, ou n’appellent pas nécessairement de commentaires ; j’avais tenté une expérience ratée pour les relayer ici en plus des réseaux commerciaux l’année dernière (« Des brèves et des liens »), mais maintenant que j’ai dit adieu réseaux, cela vaut le coup de retenter, avec un nom plus rigolo (même si je doute d’avoir été le premier à y penser).
➡️ Parlant des réseaux : je suis heureux de constater que je ne suis pas le seul et que la tendance s’accélère :
(Merci à Tim pour ces deux informations.)
Oui, reprenons le contrôle de nos données et de notre attention, en refusant d’alimenter cette entreprise tellement sympathique, car, dans votre feuilleton préféré « constatons encore comment Facebook n’en a rien carrer de la décence », cette semaine :
➡️ L’algorithme de Facebook promeut le négationnisme au sujet de l’Holocauste (source : The Guardian). Et Facebook refuse de catégoriser le négationnisme sur l’Holocauste comme un discours haineux. Alors heureusement, le négationnisme est puni par la loi en France, Facebook obéit à nos règles, et donc nous échappons à cela ici, mais ailleurs, où ce n’est pas codifié, c’est open bar. Que Facebook brûle dans du carburant de fusée.
Bon, allez, plus sympa :
➡️ Les lauréats des prix Elbakin.net 2020 et Bob Morane 2020 ont été annoncés : félicitations à tous les lauréats et lauréates ! Contes hybrides ne l’a pas emporté pour le Bob Morane, mais je suis ravi pour Christophe Corthouts et Bruno Pochesci !
➡️ Si vous êtes d’humeur et anglophone, Ars Technica explique en détail la Section 230, loi américaine qui exonère en grande partie les plate-formes de la responsabilité du contenu créé par les utilisateurs – en gros, c’est qui permet l’existence des forums, de Facebook, Yelp et autres en n’assimilant pas ce contenu à une responsabilité éditoriale. L’histoire de cette loi est fascinante, née d’un paradoxe bizarre des débuts d’Internet.
➡️ Enfin, cet article est fantastique, il compare les interfaces SF des briques de LEGO en débordant vers les principes de conception d’interfaces du monde réel et leurs contraintes. On y apprend plein de trucs. Et y a des LEGO. Je ne sais pas ce que je dois vous dire d’autre.
Ouais, ça semble une excellente idée. Buzzfeed cite Adrienne LaFrance à propos de la folie furieuse QAnon :
It is a movement united in mass rejection of reason, objectivity, and other Enlightenment values. … To look at QAnon is to see not just a conspiracy theory but the birth of a new religion.
Adrienne LaFrance
(Soit : « C’est un mouvement uni par un rejet de la raison, de l’objectivité et d’autres valeurs des Lumières… Examiner QAnon, ce n’est pas examiner seulement une théorie de la conspiration mais la naissance d’une nouvelle religion. »)
QAnon est tellement invraisemblable qu’on peine à croire que des gens puissent marcher, mais cela a tout de la secte, et Buzzfeed décidera donc d’utiliser à ce sujet le terme « hallucination collective » (collective delusion) plutôt que théorie de la conspiration, parce que c’est trop gros et trop nawak (je résume à la truelle, voir l’article d’origine), mais un nawak qui a déjà poussé un cinglé à tirer à l’arme automatique dans une pizzeria au titre qu’Hillary Clinton tiendrait dans la cave un réseau pédophile et vampire pour atteindre l’immortalité – je ne déconne même pas, hélas – le truc s’effondre déjà au fait que ladite de pizzeria n’a même pas de cave, pour commencer – donc bon, un nawak bien terrifiant comme le XXIe siècle sait les faire.
Hallucination collective, donc. Personnellement, je pense qu’il ne faudrait pas avoir peur d’élargir le terme aux anti-masques, paranos de la 5G, siphonnés de la terre plate et autres folies contemporaines.
… ça fait quelque chose (quand on est dans ses propres corrections) :
Que voulez-vous que je vous dise ? Parfois, ça vient du cœur. Et c’est surtout une excellente, excellente manière de s’assurer de remanier le texte en profondeur avant de l’envoyer à ses bêta-lecteurs et son éditeur.
Également appelé la montagne du Bouddha.
Je sais, je vous ai fait le coup avec La Guerre de l’Art, hein ? Eh bien, Comme par magie – Big Magic en VO1, c’est fascinant, parce que c’est exactement le même discours, avec des moyens diamétralement opposés.
Elizabeth Gilbert – l’autrice de Eat, Pray, Love – livre dans cet ouvrage une vision de la créativité heureuse, harmonieuse, qui se libère avec amusement de l’image de l’artiste qui porte ses dons artistiques comme une croix. Un peu d’autobiographie, beaucoup d’anecdotes pour certaines vraiment drôles, et pas mal de réflexions entre la philosophie et la spiritualité tracent un discours tendre mais sans complaisance sur la vie créatrice quel que soit le domaine, qu’il s’agisse d’écriture ou (véridique) de patin à glace. Résolument opposée à une vision moderne, post-Lumières, torturée de l’artiste se soumettant à des pressions inhumaines, elle prêche au contraire une démarche presque évanescente qui place le plaisir et le jeu au centre de tout ; de la légèreté, de la disponibilité, mais aussi – et c’est là que Pressfield et elle s’alignent dans une passionnante opposition de contraires – de la persévérance, de la volonté, de la confiance en soi et en l’univers.
Car là où Pressfield a une rhétorique résolument guerrière (c’est dans le titre), parfois à la limite de la culpabilisation, prêchant l’intensité et la persévérance à tout prix, avec une victoire à emporter sur la Résistance, Gilbert se place résolument sur le terrain de la coopération avec la Muse qui nous choisit pour nous murmurer des idées et, surtout, privilégie le principe de joie. Et c’est… vraiment nécessaire aussi.
Le plus beau ? C’est qu’ils disent donc, au final, exactement la même chose, avec des mots radicalement opposés : il existe quelque chose qui nous dépasse (ce que j’appelle personnellement le Mystère) où réside la créativité, qu’on le voie comme la Muse homérique (Pressfield) ou des sortes d’esprits désincarnés (Gilbert) voire des sortes d’anges (les deux auteurs) ; le travail d’un ou une artiste consiste à se mettre en lien avec cette « chose », car la création est une voie formidablement nourrissante pour l’individu et le monde ; la seule voie pour y parvenir est la persévérance et la foi.
Si vous avez détesté La Guerre de l’Art (je sais qu’il y en a), lisez Big Magic. Je suis quasiment certain que c’est le bouquin qu’il vous faut à la place. Si vous avez adoré La Guerre de l’Art, lisez Big Magic quand même, parce que c’est une bouffée d’air frais salutaire dans la tendance à la pesanteur qu’on beaucoup de créatifs, un rappel constant à sourire, rire et travailler avec les obstacles au lieu de forcément les combattre à tout prix. Tout cela n’est qu’un tendre jeu, comme l’est la vie. L’art est à la fois la chose la plus importante et la moins importante du monde. Je trouve réjouissant, fascinant, et vertigineux de voir deux personnalités aussi différentes (d’après ce qui transparaît de leurs ouvrages, du moins) toucher à ce qui me semble être exactement le même phénomène. Personnellement, les deux m’ont nourri autant l’un que l’autre de façon complètement différente, et je sais que je finirai par m’en procurer de belles éditions pour les ranger côte à côte, réunis dans leur union au Mystère et dans ce que leur totalité représente à mes yeux.
Pour découvrir le ton drôle et chaleureux d’Elizabeth Gilbert, son TED Talk le plus court, sur la manière dont elle a repris l’écriture après le succès planétaire et inattendu et Eat, Pray, Love (pour poursuivre, jetez un œil à cette interview beaucoup plus poussée autour, justement, de Big Magic) :
Il y a vingt ans, alors que j’étais un étudiant chevelu dans sa chambre en stage qui jetait les bases d’un univers de fantasy qui allait devenir Évanégyre au lieu de boucler son mémoire pour le rendre à temps (alors, je l’ai rendu à temps, le matin même, en personne, à Rennes, faisant le trajet depuis La Rochelle de nuit avec ma voiture en pleine pénurie de carburant, me maintenant réveillé à travers le marais poitevin avec du Rhapsody of Fire à fond les ballons), je me documentais sur le genre et je me souviens vivement m’être baladé sur un site déjà pas mal orange qui avait l’idée rigolote de refléter la note des bouquins avec une petite épée plus ou longue (peut-être un peu freudien, tout ça).
Vingt ans plus tard, Elbakin.net est devenu une référence incontournable du genre, La Messagère du Ciel a reçu son prix du roman francophone, et je coanime un podcast avec deux amies diffusé par son réseau.
Vraiment, je n’aurais jamais imaginé ça à l’époque où je gueulais for the king for the land for the mouuuuuntaiiiins avec un fake accent italien dans ma petite Honda en sifflant tous les cafés que je trouvais. La vie réserve de merveilleux voyages.
Merci et joyeux anniversaire, Elbakin.net ! Et aux vingt prochaines années !