Internet et l’âge d’or de l’agitprop

L’article sur Internet et l’économie du scandale a généré un certain nombre de réactions positives (et en même temps assez désabusées), ainsi que des débats productifs sur : à quoi nous servent tous ces réseaux, en vrai ? En ce moment, tandis que j’écris allègrement La Fureur de la Terre en ne consultant mails et réseaux qu’une fois par jour, je n’éprouve absolument plus la compulsion de vérifier ce que je peux bien avoir raté dans le vaste monde ; au contraire, je savoure un silence tel qu’on n’en connaissait qu’en une ère pré-Facebook.

Cependant, encore une fois, il y a aussi de belles choses, bien sûr, à naître de ces lieux. Merci, sincèrement, auguste lectorat, d’en faire partie.

Mais les possibilités que ces médias œuvrent pour des fins néfastes semblent tellement prééminentes, surtout par les temps qui courent, qu’on peut s’interroger, au final, sur leur bien-fondé (même Mark Zuckerberg se pose la question, alors bon). Or, le fonctionnement réel de cette rhétorique du buzz, du « parlez de moi en mal, parlez de moi en bien, mais surtout parlez de moi » immortalisée par Léon Zitrone m’apparaît de manière de plus en plus limpide et, auguste lectorat, histoire de nous serrer les coudes le plus possible en cette époque de fake news et d’ingérences russes, permets-moi de te l’exposer telle que je l’ai comprise, histoire de partager un peu d’autodéfense mentale.

Comme exposé dans l’article précédent, l’exposition sur les réseaux sociaux – un canal aujourd’hui fondamental pour toucher du monde – est fonction, non pas de la qualité du contenu, mais de la quantité de réactions qu’il génère. Donc : plus il choque, plus il heurte, plus il s’adresse à un part reptilienne, viscérale, du public, plus il est susceptible de faire parler, d’être débattu, retransmis. C’est une bonne chose quand c’est une atrocité que le public doit connaître, un discours qui améliore le monde, une invention positive. C’est complètement stupide – et le système s’écroule littéralement – quand il s’agit de désinformation. Comme c’est d’actualité, prenons Alex Jones d’Infowars (non, pas de lien, mais si vous comprenez l’anglais, filer regarder cet épisode de Last Week Tonight pour en savoir plus), qui vient de se faire bannir plusieurs podcasts par Apple et Google pour ses discours incitant à la haine ; le lendemain, l’application idoine se retrouvait troisième des téléchargements de l’App Store d’iOS. La Terre plate, les antivax, toutes ces « doctrines » se répandent à la fois par auto-entraînement et par la quantité de réactions qu’elles génèrent. En résumé : plus c’est gros, plus ça fait parler, et au bout du compte, plus ça passe. C’est là-dessus que reposent les théories du complot – s’il n’y a pas de preuves, ça montre bien combien ils sont forts.

Or, c’est exactement la rhétorique de l’extrême droite américaine (que je n’appellerai pas alt-right, parce qu’un chat n’est pas une machine à laver), des masculinistes, de Donald Trump ainsi que de tous les rameaux putréfiés émanant du socle gangrené du gamergateJohn Scalzi l’explique parfaitement : le but n’est pas d’avoir raison, mais de semer le trouble, de faire perdre du temps et de l’énergie en sortant des grandes phrases toutes faites, des idées reçues que l’autre s’évertue à démonter pour la énième fois. C’est un jeu. Il s’agit de maintenir le plus longtemps possible l’engagement et la discussion, de focaliser l’attention. Et le « troll » n’a rien à perdre ; ceux dont l’existence dépend de ce dont on parle, si.

Ce qui m’épuise et m’inquiète, c’est de voir cette rhétorique se généraliser à des sujets bien plus bénins et à peu près dans tous les domaines – dès lors que l’on cherche à attirer l’attention. Encore davantage si l’on œuvre dans des domaines où la propension des gens à parler de vous peut se transcrire en reconnaissance, voire en revenu : d’où le succès d’un certain type de pose provocatrice dans les métiers médiatiques… Qui se rappelle Mickaël Vendetta ?

Mais attention, la mécanique ne s’arrête pas là. Car – et c’est là tout l’art de la chose – il faut ensuite entretenir le feu que l’on a allumé. Pour cela, il faut agiter les esprits, susciter la controverse, fédérer les « pour » et surtout chercher à accrocher les « contre », pour leur brandir des interprétations juste assez fallacieuses de leurs déclarations en utilisant tout l’attirail rhétorique, comme le raisonnement circulaire, le biais de corrélation, l’appel au ridicule, prendre la partie pour le tout etc. (je vous remets le lien de Wikipédia sur les raisonnements fallacieux, qui est passionnant) C’est certain d’attirer l’attention de la cible, surtout avec une façade de cordialité, une véritable semblance d’appel au dialogue. Le débat s’installe, d’autres s’y invitent, et l’on obtient bientôt (dans le meilleur des cas) l’équivalent d’une réunion de la Cogip où personne n’a la moindre putain d’idée de ce qu’il fout là, mais que quelqu’un doit savoir ce qu’on pense parce que non, j’ai pas dit ça comme ça, et toi non plus, et la virgule, là, enfoiré, elle est passive-agressive, ou bien ?

En résumé :

Tout cela porte un nom (même s’il est polysémique, historiquement) : l’agitprop. Agitation et propagande. Ce qui est funeste aujourd’hui, c’est que l’agitation récompense et alimente la propagande en cercle fermé, grâce à cette immense caisse de résonance qu’est Internet.

Oui mais bon, d’accord. J’écris moi-même, là, un article sur ces sujets sur un blog dont la vocation consiste à être un peu lu. J’ai poussé des coups de gueule par le passé. Forcément, je vais vous dire que je suis fait d’un autre bois, hein ? Ben oui1. Mais surtout, en résumé : comment reconnaître un manipulateur d’un énervé ? 

Pour moi, la clé se trouve dans une parole (si ma mémoire est bonne) d’Orson Scott Card, qui dit en substance que tout le monde a une religion : il suffit de discuter avec la personne jusqu’à trouver le sujet qui déclenche sa fureur. Voilà sa religion. (Il s’y connaît en religion, le bougre, du moins une certaine forme d’icelle, en mode « tuez-les tous et dieu reconnaîtra les siens »2.) Un véritable énervé est énervé parce que je crois, au fond, qu’il est malheureux, et s’il est malheureux, c’est parce qu’il tient à ce qu’il raconte, qu’il voudrait un monde différent, honnêtement, venant de son cœur (que celui-ci soit bien ou mal placé) : et c’est peut-être à cela que se juge la sincérité. Ce n’est pas pour dire que la sincérité équivaut à avoir raison, bien sûr ; il y a beaucoup de racistes très énervés – mais c’est aussi, je crois, qu’ils sont très malheureux au fond d’eux-mêmes. (Et dans ce cadre, compassion, mais prison.)

Le véritable maître de l’agitprop, lui, s’en bat les gonades. Dans un débat ouvertement fallacieux, il conserve une mine affable ; il attend que son interlocuteur s’emporte et se discrédite ; il endosse tout et son contraire avec l’aisance de mues, tant que cela maintient le feu du débat, que le projecteur ne s’éloigne jamais trop loin de lui – voilà son vrai but, et Donald Trump nous a donné à tous une vraie masterclass sur la question. Je crois que c’est à cela qu’on le repère ; et c’est là que, plus que jamais dans notre économie de l’attention, il faut éviter de nourrir le troll, car il se nourrit réellement, au-delà de son ego, économiquement, des retombées qu’on lui octroie. Nous créons les Donald Trump du monde, nous attisons leurs flammes par nos outrages. Je pense très fort à Ayerdhal qui nous répétait souvent que « la fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne s’en puisse dire innocent » (Jean-Paul Sartre) ; il ne s’agit certainement pas de se boucher les yeux et les oreilles au monde, surtout alors qu’aujourd’hui, on dispose de davantage de manières de s’informer que jamais ; mais de combattre la bêtise par l’intelligence, l’ignorance par le savoir, et la colère – mais non pas celle de l’autre ; la nôtre, ce jaillissement de fureur viscérale, religieuse, cher à Card – par la création, la vraie, celle qui s’efforce sincèrement d’apporter de la valeur autour de soi par de l’authenticité, de la pensée, de la recherche, de la bienveillance, de la compréhension. (Ce que j’espère, humblement, avoir un peu réussi à faire ici.)

  1. Personnellement, je ne peux pas faire ce genre de chose : je perds mon calme beaucoup trop vite, parce que je me soucie de ce dont je parle. Les quelques articles vraiment polémiques du site (écrits avec honnêteté sur le moment, même si pas forcément avec intelligence, je ne le nie absolument pas) m’ont explosé à la gueule avec grande sévérité, me faisant clairement comprendre que je n’étais pas taillé pour être éditorialiste ; j’ai tout de suite envie de régler l’affaire avec un duel de tractopelles. C’est aussi pour cela que le site, je m’en aperçois après coup, s’est replié sur des sujets plus calmes, comme la technique littéraire. Je n’ai pas signé pour m’écharper.
  2. Oui, je sais que cette citation est apocryphe.
2018-08-20T08:14:01+02:00mercredi 8 août 2018|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

Internet, cette économie du scandale

On est bien, là ? À la fraîche. Décontracté de la gonade. Moi, ça va bien, l’écriture de La Fureur de la Terre a dépassé peu ou prou le premier cinquième de la taille envisagée, je sens poindre une forme de sérénité liée à une organisation toujours plus GTD et détendue, mais dans, enfin, cette impression d’arriver à enfin escalader la montagne, je constate un truc :

 

Pour des raisons que je ne m’explique pas vraiment-vraiment, après un an et demi à plus de 10 000 lectures uniques par mois, la fréquentation du site est en train de se casser doucement la gueule.

Alors soyons clairs : les chiffres dans ce domaine ne m’ont jamais vraiment préoccupé. J’ai toujours dit que le site était mon dada, ma façon de payer ma dette karmique (ou de partager les trucs qui m’amusent, ou de me lâcher parfois), mais aussi, quand même, j’essaie un tant soit peu de recouper ce que j’ai envie de raconter avec ce que tu as envie de lire, auguste lectorat, parce que, eh bien, c’est un peu le cœur de mon métier. Un auteur est comme un DJ : tu cherches cette zone où tu fais ce que tu aimes, et où les gens aiment ce que tu fais.

Je disais que je ne me l’expliquais pas vraiment-vraiment, mais j’ai quelques pistes : c’est l’été et c’était la Coupe du monde ; l’ambiance est un peu tendue dans le milieu littéraire en ce moment et il y a d’autres chats à fouetter (pourquoi les chats ?) ; dans mon cas personnel, le passage d’un profil personnel à une page Facebook a entraîné une érosion claire des lectures et des partages des articles ; et peut-être emploie-je un ton un peu moins primesautier et empli de gros mots qu’auparavant (bite, alors).

Pourtant, les retours positifs sur le blog sont toujours présents (et merci à vous), que ce soit de visu, en privé ou en commentaires ; alors keuwah ? On ne saurait mettre en doute la qualité du contenu ici proposé (non, on ne saurait pas).

Le « problème », la réflexion un peu aléatoire à laquelle je songe en ce moment, c’est qu’un article informatif sur l’écriture, ou la productivité, aussi rigolo soit-il, ne génère pas tellement de débat (ou alors, plutôt du débat un peu stérile). Je fonde cela sur pas mal de retours que j’ai eus en privé : « je ne commente pas parce que je n’ai rien à dire, mais je fais partie du lectorat silencieux – et carrément auguste ». Hey, aucun problème. Moi-même, j’ai tendance à participer de moins en moins aux débats et discussions sur les réseaux, parce que ça part souvent en gonade (on y revient), et puis, j’avoue que pour un introverti comme moi, la tendance du tout social, du tout partage, me court un brin sur le haricot – surtout que je hais de plus en plus Facebook, Cambridge Analytica toussa, et que j’ai dansé sur la table l’autre soir en apprenant que l’action avait perdu 20% de sa valeur (bien fait, bordel) (« bordel », c’est pour remonter mes stats de lecture, on est d’accord). Donc, aucun problème, sauf que :

Heu non, pas ça.

Pour décider de la viralité d’un article, les réseaux sociaux prennent en compte le nombre de commentaires, de likes, de partages : plus l’on parle de quelque chose, plus il y a de chances qu’on vous le mette sous le nez, donc que vous en parliez, faisant boule de neige. (Principe un peu abordé ici.) Corollaire : ce qui est susceptible d’être partagé – on le sait – c’est donc ce qui suscite la réaction à chaud, l’instinct, la colère, le scandale, l’outrage. C’est ce qui vous court-circuite les neurones pour faire jaillir vos tripes et vous donne envie, là tout de suite, de prendre les armes contre le maire de Plan-de-Cuques qui menace d’interdire le loto tous les dimanches pendant la messe. Il n’y a plus de gradation : on est tout de suite « choqué », « scandalisé », avec « envie de vomir », etc.

Alors attention, il y a des causes légitimes qui suscitent bel et bien des réactions émétiques, je ne dis pas. Moi-même, je ne suis pas exempt de l’exercice du coup de gueule, du billet éditorialiste, parce que je m’énerve aussi, faut pas croire, je ne suis pas énergie pure, et puis j’ai forcément raison de le faire quand je le fais, puisque vous êtes ici et que vous lisez tout ça et que donc j’ai raison (c’est imparable). Mais aussi, après coup, je ne prétends pas avoir toujours forcément eu raison, justement, sur le fond, la forme ou les deux. Et du coup, une question plus vaste se profile au-dessus de ma tête, qui se rattache à tout ça : que veux-je offrir au monde ici, sur cet espace de liberté ? Ai-je envie de participer à cette économie du choc, à m’impliquer dans le débat, comme on dit, à continuer à m’engueuler avec des inconnus (ou connus) sur Twitter, à redresser des torts ?

Je découvre que, de plus en plus, la réponse est un gros « pfouah non alors ». Cela a surtout à voir avec ce que j’ai envie de proposer au monde, en fait, à ma contribution au grand inconscient collectif, à l’impression que je laisse à chaque personne qui peut passer par ici lire des trucs. Je ne dis pas que je vais me censurer, je dis que je suis un peu las (comme depuis un moment, à dire vrai) des débats dans des verres d’eau, des « gueux qui travestissent les paroles pour exciter des sots » (paraphrasant, mal, un des plus grands vers de la poésie, ever). On a un vrai problème de nos jours (et je ne suis assurément pas le premier à le pointer), c’est que ce qui obtient la parole n’est pas ce qui est le plus intelligent, ni même ce qui crie le plus fort, MAIS ce qui suscite le plus de polémique. Donald Trump l’a parfaitement pigé (c’est peut-être le seul truc qu’il a pigé).

Ce qui est quand même super fatigant. À tous les sens du terme : je ne compte les plus fois où, par le passé, j’ai flingué une matinée d’écriture parce que je me suis enlisé dans un conflit idiot sur un mur social quelconque qui n’a pas fait changer grand-chose et dont la conséquence la plus visible a été : moi, énervé, n’ayant rien branlé.

Je vis merveilleusement bien depuis que je consulte plus les réseaux et les mails qu’une unique fois par jour. (Article là-dessus à venir, en lien avec le teaser de la semaine dernière.) Je suis bien plus concentré sur ce que je dois faire, mon cœur de métier : écrire les meilleurs bouquins possibles. Je suis pris d’une haine de plus en plus profonde envers les réseaux sociaux dont l’économie, au bout du compte, consiste à accaparer l’attention de l’utilisateur le plus longtemps possible pour lui fourguer de la pub. Tout le monde s’y trouve, donc mon boulot nécessite que j’y reste, si je veux pouvoir le faire connaître aux gens chouettes qui y sont (et il y en a, plein). Et quand même, on partage de belles choses tous ensemble là-dessus, et merci ; mais bon, sans ça, et si j’étais un utilisateur lambda, je crois que j’aurais suivi le mouvement #deletefacebook. En fait, on n’a pas besoin de ces trucs-là. Régulièrement, un gourou technologique quelconque émerge et crie avoir vu la lumière en scandant : « JE ME SUIS DÉCONNECTÉ DE FACEBOOK UNE SEMAINE ET J’AI SURVÉCU » mais c’est une claire vérité. Malgré le XXIe siècle, malgré ces outils dans nos poches, on peut en faire des trucs bien mieux que les consulter compulsivement. On peut lire. On peut construire sa propre veille informative, soi-même. On peut jouer à un jeu qui ne nous demandera pas de regarder une pub et de cracher 1,99 € pour gagner 500 turbopièces pour jouer trois tours de plus.

Alain Damasio disait aux Utopiales, lors d’une conférence publique, que les outils technologiques diminuent notre puissance. Je n’ai jamais été d’accord avec cette affirmation : tout outil augmente la puissance de l’utilisateur, au contraire, dès lors qu’il n’en est pas esclave. La question n’a jamais été, de toute l’histoire humaine, dans la nature de l’outil mais dans l’usage qu’on en fait. Le truc, c’est que peu de gens ont seulement conscience qu’une utilisation responsable du smartphone est possible (et par responsable, j’entends : qui n’interfère pas avec des buts individuels dont l’ambition dépasse un tant soit peu le douzième check d’Instagram). Et donc, qu’elle peut être toxique.

Quelle valeur veut-on offrir le monde ? La postérité concerne tout le monde et personne : la postérité, c’est tout ce qu’on a fait aujourd’hui et qui restera avec les gens demain.

Bon, je suis parti un peu loin, mais je m’en fous, il n’y a plus de lecteurs, de toute manière. N’est-ce pas ?

(SEE WHAT I DID THERE?)

2018-07-30T09:47:30+02:00lundi 30 juillet 2018|Humeurs aqueuses|35 Commentaires

Klim a tisé

Klim est une startup française dont j’ignorais l’existence jusqu’à il y a peu, mais ils font des petits accessoires informatiques bien pensés et abordables, joliment emballés et surtout AVEC DES COULEURS PARTOUUUUT (parce que le gamer aime la couleur, rapport au fait qu’il laisse les volets fermés en permanence, parce que ça fait des reflets sur l’écran courbe). Même pas honte, j’ai récemment acheté un de leurs tapis de souris pour PGM et je me sens déjà devenir diamant à StarCraft II sans même avoir installé le jeu.

C’est rigolo d’être bien accueilli dans le paquet, avec un gentil petit mot emballé dans une enveloppe façon lettre d’amour entre gens de goût qui savent le bonheur du SSD :

Où est leur compte Twitter ? Qu’ils m’envoient une photo de la photo.

2018-07-19T18:38:34+02:00mardi 24 juillet 2018|Juste parce que c'est cool|10 Commentaires

De la réutilisation écologique de contenu (du recyclage d’articles, quoi) [annonce de service]

BEST. MEME. EVER

Donc, c’est marrant le nombre d’articles que j’ai envie de commencer par donc, parce qu’on reprend après ne pas s’être vus pendant au moins 24 heures, l’angoisse, mais bon, donc :

Je constate – et l’on m’a fait remarquer – que les anciens articles de ce site fantastique pas du tout W3-compliant à chaudière à charbon (ma faute, pas celui de mon hébergeur suisse fantastique) (tous les suisses ne sont pas fantastiques, et tous les fantastiques ne sont pas suisses, mais celui-ci est suisse est fantastique, ceci était la leçon de logique élémentaire du jour) (oui bon ça va j’arrive), les anciens articles, donc, sont quelque peu enterrés sous la pure masse du temps – à l’heure où j’écris ceci, il y a MILLE NEUF CENT VINGT articles dans les archives, oh mon dieu, certains sont des bêtises, d’autres des annonces ponctuelles, et parfois on trouve du vrai contenu – et les débuts remontent à une dizaine d’années, soit le FUCKING CRÉTACÉ en termes d’Internet, j’utilise des majuscules dans mes articles si je veux, j’imite le président des États-Unis dans ses tweets.

Je réponds aussi de plus en plus aux mêmes questions, ce qui est normal car je ne m’attends pas qu’un.e nouvel.le arrivant.e connaisse ma vie et mon œuvre par cœur (déjà moi, je commence à avoir du mal, quand je me balade dans les archives, je me dis régulièrement : « WTF is dat? Ça a l’air rigolo. » En fait, ça l’est pas toujours), mais donc, il existe pas mal d’articles qui étaient valides l’année dernière, sur l’écriture notamment, et qui peuvent être rééexposés aujourd’hui. Ou demain. Ou jusqu’au Big Crunch.

Je tente donc une expérience pour essayer de faire resurgir ce contenu splendide : lundi et jeudi un article de la catégorie « Best Of » du blog sera repartagé sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce qui rentre dans Best Of ? Les trucs qui me semblent un peu intemporels, donc principalement de la méthode d’écriture, des entretiens sur le sujet, mais aussi les petites madeleines de Proust, les articles amusants ou idiots qui peuvent supporter une rediffusion. Cette collection est appelée à évoluer dans le temps, bien sûr, et le repartage est confié à un algorithme de machine unlearning baptisé « le hasard total ». Actuellement il y en a presque 200 dans la file, ce qui donne de quoi tenir presque deux ans, donc on est bon.

Il se peut deux choses : a) que ça déconne et b) que ça fasse référence à des pages ou des articles qui ont bougé depuis. Si ça déconne, si c’est une mauvaise idée, je corrigerai, et si des liens sont morts, notamment dans les cas des entretiens, n’hésitez  pas à me le signaler, je m’efforcerai de poster ici même une version d’archive du contenu concerné si je l’ai.

N’hésite pas, auguste lectorat, à me faire part de ton avis sur cette fonctionnalité digitale de haute valeur ajoutée.

2018-07-17T17:43:15+02:00mercredi 18 juillet 2018|Journal|4 Commentaires

L’étonnante étymologie d’enfoiré

Attention, article à très explicit lyrics. (Soit : si les gros mots vous choquent, regardez plutôt cette vidéo.)

J’ai un dictionnaire des synonymes accessible en permanence quand j’écris ; j’essaie au maximum de trouver le mot juste pour le fixer dans le texte, car cela m’aide à m’ancrer dans l’ambiance d’une scène, à construire correctement pour avancer dans un livre avec la satisfaction de bien sentir le récit et son atmosphère. (Après, à la correction, je casse généralement tout pour tout reconstruire autrement, mais cela fait partie du processus ; ces premières étapes me montrent les directions que j’ai envie, ou besoin, d’explorer.) Sachant que je consulte Antidote ou ses homologues parfois plusieurs fois par minute (merci Alfred et AppleScript), et que, dans « Les Dieux sauvages », je m’amuse à recréer une sorte de parler pseudo-médiéval, j’aime bien chercher les synonymes inusités ou pittoresques.

Or doncques, l’autre jour, j’avais besoin de synonymes fleuris du mot « cul ». Très bien, Rabelais, tu n’as qu’à bien te tenir, me voici parti en quête. Et quelle n’est pas ma curiosité de découvrir dans la liste celui-ci :

Et là, d’un seul coup, tout un pan de la langue française prend sens dans ma tête : foirer quelque chose, bien sûr, c’est comme le « chier », faire de la merde, tout ça (c’est d’ailleurs le sens vieilli et très familier du terme, ce que j’ignorais) ; et là, je comprends aussi que « enfoiré » n’est en fait qu’une variante sur un thème vieux comme le monde – « enculé », même combat. Comme empaler. Et bougre d’âne : saviez-vous qu’un bougre, à la base, c’est un sodomite ?

Ah, c’est sûr que ça donne moins envie de taquiner ses enfants en les traitant affectueusement de bougres d’âne, tout de suite.

Est-ce que j’ai un point ? (Anglicisme.) En fait, oui, au-delà du fait d’avoir appris un nouveau truc linguistique, ce qui est toujours intéressant quel que soit le registre : si l’on veut s’efforcer de faire évoluer son vocabulaire d’insultes1 pour en évacuer les connotations homophobes et machistes, eh bah « enfoiré » est à mettre tout autant à l’index.

Oui, j’ai totalement fait exprès avec cette dernière phrase.

  1. Rappelons que Freud, qui a certes dit un paquet de conneries, mais pas que, affirmait que le premier à jeter une insulte plutôt qu’une pierre était le fondateur de la civilisation ; ce qui paraît assez vrai, comme le prouve le système routier de toute métropole développée, un endroit assurément très civilisé vu comme on s’y insulte.
2018-08-09T10:56:18+02:00mardi 10 juillet 2018|Best Of, Expériences en temps réel|8 Commentaires

Exercice, inconscient et Rihil

Petit exercice proposé par Jean-Claude Dunyach au cours de la Masterclass des Imaginales que nous avons donnée la semaine dernière (temps imposé : dix minutes) :

Le Rihil inclina sa tête communicante, invitant Jethra à franchir le palier de laminaires tressées. Peu rassurée, mais peu disposée à contrarier un individu qui la dépassait d’un bon demi-mètre et aux pseudopodes terminés de lourdes massues osseuses, elle s’exécuta avec un sourire embarrassé – en espérant tout à coup que montrer les dents ne serait pas perçu comme un signe d’agression.

L’intérieur de l’habitat dégageait une puissante odeur de jasmin inexplicable sur une planète gazeuse. Jethra maudit une nouvelle fois ses préjugés ataviques de primate évolué en contemplant l’austère sérénité de la sphère. Le fond était rempli d’un sable noir ultra-fin qui épousa la semelle de ses bottes avec le moelleux d’un épais tapis. Les parois courbes arboraient d’étranges images géométriques monochromes réalisées sur un papier brun – mais, pour autant que la jeune femme le sache, il aurait tout aussi bien pu s’agit de calligraphies exquises, des diplômes du Rihil ou de la variante locale du test de Rorschach. Une lanterne à huile de baleine-ciel pendait à la voûte – probablement la source de l’odeur de jasmin.

Le Rihil la dépassa de son étrange démarche chaloupée pour s’asseoir en tailleur sur le sable devant elle ; un exercice fascinant pour une espèce munie de quatre membres inférieurs dotés d’articulations à 360°. D’un pseudopode à massue, il invita Jethra à l’imiter.

Celle-ci réfréna un raclement de gorge gêné.

Portant le traducteur universel à sa tête communicante, le Rihil démarra la séance :

« Pour commencer notre travail ensemble, préférez-vous me parler de votre enfance, ou bien de votre mère ? »

C’est amusant de constater comment l’inconscient fonctionne : j’avais besoin d’un nom immédiatement pour mon personnage (en dix minutes, on n’a pas le temps de finasser) et c’est « Jethra » qui s’est imposé à mon esprit, comme étant à la fois compréhensible, féminin et exotique. Je me suis évidemment rappelé aussitôt que c’est le nom d’une des îles de l’Archipel du Rêve, de Christopher Priest ; or, j’avais le plaisir d’être son interprète pendant les Imaginales proprement dites, qui commençaient le lendemain, et je venais de me replonger pas mal dans son œuvre pour faire sa traduction correctement. Visiblement, mon inconscient était resté « connecté » en sous-main à ses histoires.

2018-05-28T10:31:52+02:00lundi 28 mai 2018|Journal|1 Commentaire

Rechercher baleines et dauphins en mer

Comment recherche-t-on orques et baleines en mer ? Pourquoi les connaître est-il si difficile ? Dans ce dernier article en anglais de ma série sur le blog d’Orca Guardians, un petit tour d’horizon de la réalité de l’observation en mer, et des outils qu’on utilise. Pour faire très web moderne : « la vérité va vous étonner ! »

C’est ici : The Spotter’s Job.

2018-05-15T11:42:11+02:00mercredi 16 mai 2018|Carnets de voyage|Commentaires fermés sur Rechercher baleines et dauphins en mer

Peut-on démontrer l’intelligence des baleines et dauphins ?

… est le sujet d’un article que j’ai proposé et écrit pour le blog d’Orca Guardians. La thèse que j’y propose me tient assez à cœur : à travers les différentes natures de l’intelligence, elle creuse en particulier ce que l’être humain désigne dans cette question et ce qu’il y projette.

Elle aurait dû former le centre d’un court essai qui ne se fera finalement pas avec l’éditeur pressenti (la faute, disons, à des méthodes de travail incompatibles). Peut-être l’écrirai-je quand même un jour mais, dans l’intervalle, il commençait à me sembler pressant de contribuer ces idées à la noosphère tandis que nous continuons à fuckupper la planète. Je suis content que ça soit dans l’air, et merci à Orca Guardians de l’avoir hébergé.

C’est ici sur le blog de la fondation : Proving cetacean intelligence.

2018-05-06T19:26:25+02:00mardi 8 mai 2018|Carnets de voyage|Commentaires fermés sur Peut-on démontrer l’intelligence des baleines et dauphins ?

Une assemblée de baleines

Les rencontres qu’on fait dans le plus grand fjord d’Islande, Breiðafjörður, sont nombreuses et toutes fascinantes. La seule vision d’un pod d’orques voyageant à vive allure dans une direction donnée, sans ralentir, comme décidés à se rendre à une destination connue d’eux seule pour des raisons insondables, suffit à distraire l’humble volontaire un temps de son appareil photo pour la recherche et à rester un instant hébété, prenant la pleine mesure de l’ignorance de l’espèce humaine.

J’avais espéré pouvoir bloguer davantage sur mon travail pour Orca Guardians, et je me rends compte que le temps file – dans quelques jours, je rentre déjà. Alors aujourd’hui, auguste lectorat, j’aimerais te parler un peu d’une des rencontres les plus bizarres que j’aie faite sur l’eau récemment.

Eux.

Whale assembly

Les cachalots (Physeter macrocephalus) sont d’immenses cétacés à dents solitaires qui peuvent mesurer jusqu’à 20 m. Ils ont été lourdement chassés pour l’huile contenue dans leur crâne, le spermaceti, ainsi que pour leurs concrétions intestinales servant notamment en parfumerie (le fameux ambre gris) ; Melville les a faits entrer dans la légende (Moby Dick est un cachalot). Ils restent très rares, et les voir est un grand privilège. On les rencontre cependant parfois dans Breiðafjörður, en ce qu’on appelle des « bachelor pods » – des troupes de mâles célibataires. Ces animaux assez peu sociaux, champions de la plongée (ils peuvent rester jusqu’à 2 h en apnée) sont pourtant régulièrement vus en groupe toutefois sans interaction visible. Que font-ils là ? On n’en sait rien. Ils se nourrissent probablement, mais de quoi ?

Voir un cachalot pour la première fois est une expérience étrange. Le cachalot a tendance a hyper-ventiler avant ses longues plongées – il se repose en surface, flottant telle une bûche, et souffle à intervalles réguliers un panache de vapeur incliné sur le côté. En voyant pour la première fois ce souffle puis l’immense animal bercé par les vagues en-dessous, on comprend sans mal comment les marins d’autrefois pouvaient les considérer comme des îles vivantes. Puis ils sondent, sans signe avant-coureur à part la caudale dressée dans l’air, et on ne les revoit plus avant un minimum de vingt minutes.

C’est pourquoi la photo ci-dessus est particulièrement insolite, en tout cas à mes yeux, après une poignée de premières rencontres avec eux. Ces huit cachalots flottaient, à peine séparés de quelques mètres, sans qu’aucune interaction ne soit visible, comme de vieux camarades bougons qui s’apprécient sans rien se montrer. Ils soufflaient à tour de rôle, une étrange symphonie visuelle qui donnait à mes yeux de primate avide de motifs l’impression d’un rythme parfait.

Puis ils ont sondé, les uns après les autres, dans l’ordre – les plus proches d’abord. Là aussi, à intervalles parfaitement espacés, suivant le battement d’un métronome imaginaire, ou peut-être imaginé – car rien ne permet de dire que ce ballet était volontaire. Le bon sens, d’ailleurs, et la parcimonie scientifique, obligent à dire qu’il n’en était rien. Ce qui ne rend pas le phénomène moins fascinant, au contraire. Il montre qu’au-delà des esprits, de l’homme ou du cétacé, le monde est d’une étrangeté presque inconcevable, et que ce n’est pas parce que la mélodie échappe à tous ou qu’elle est involontaire qu’elle n’existe pas. 

2019-06-04T20:24:16+02:00jeudi 3 mai 2018|Best Of, Carnets de voyage|3 Commentaires

Comment étudie-t-on les orques sur le terrain ? (À mi-chemin auprès d’Orca Guardians)

Heeeyyy bien, un peu comme d’habitude, je pensais pouvoir bloguer un peu ici en Islande sur mon volontariat auprès d’Orca Guardians, mais à chaque fois l’action s’emballe et les jours passent. La vie en volontariat est un espace étrange, où une fois le rythme acquis, les jours s’organisent selon des rythmes étrangement semblables, mais avec d’infinies variations dues aux surprises de la nature. (Si vous lisez ceci pas en avril 2018… continuez à lire : c’est un article de fond ! Sans mauvais jeu de mot.)

Ton humble serviteur dans une tenue différente de d’habitude, auguste lectorat. Photo Megan Hockin-Bennett.

Alors, comment étudie-t-on les orques ? Orca Guardians met résolument sur la recherche non-invasive (pas de biopsies ni de balises, par exemple), ce qui est rendu possible par le soutien de Láki Tours, qui permet aux chercheurs de sortir en mer chaque fois que le temps le permet. Des observations quotidiennes, parfois pour la journée entière en fonction de la saison, représentent une véritable manne de données et une chance particulièrement rare – une sortie en mer est coûteuse en personnel et carburant.

Et les chercheurs, en l’occurrence, c’est en ce moment ma chef et son humble assistant (moi), qui restons sur le pont supérieur de l’Iris par tous les temps (et on a beau être en avril, quand le vent souffle en Islande, il faut a) être vêtu chaudement et b) avoir le cœur bien accroché) à la recherche de souffles, de dorsales, de tout indice de la présence d’animaux, pour que les passagers de Láki Tours puissent les admirer tout à leur guise et avec plaisir – et, de notre côté, récolter les données. Soit : prendre des photos. Plein, plein de photos. En notant évidemment la position GPS, la date, la météo, le comportement, d’éventuelles associations avec d’autres animaux : oiseaux, baleines…

Car l’observation se fait principalement par la technique connue et éprouvée de la photo-identification. Bien des espèces de cétacés présentent des zones susceptibles de recevoir des marques et des entailles en milieu naturel qui ne se résorbent pas ; elles forment une sorte d’empreinte digitale unique pour chaque animal. Avec des observations régulières et de bonnes photos, on peut déduire une incroyable quantité d’informations : quel animal a été vu quand et où ; son succès de reproduction dans le cas d’une femelle accompagnée d’un petit ; ses associations sociales…

Chez les orques – sujet d’Orca Guardians, évidemment – on s’intéresse tout spécialement aux entailles sur la dorsale et à la forme de la selle (la zone plus claire en retrait de la dorsale). Plus tout autre signe distinctif, mais bien sûr, mais il s’agit du cas général. Par exemple :

© Lionel Davoust

Tout de suite, en sortant cette photo un peu au pif des dossiers que j’ai accumulés depuis mon séjour ici, trois caractéristiques me sautent aux yeux :

  • La présence de deux entailles visibles sur le fil de la dorsale (en rouge)
  • Un motif pigmentaire ou cicatriciel sur la selle (en vert) qui permettra d’isoler cet individu parmi les plusieurs dizaines (ou centaines) de photos prises dans le feu de l’action
  • La selle présente une forme intéressante, presque sans aucune extension vers l’avant (en jaune). (Il faudrait s’en assurer sur d’autres clichés, toutefois.)

On pourrait repérer encore bien d’autres points, mais c’est juste pour donner une idée générale.

De retour à terre, on épluche toutes les photos qu’on a prises, et qu’on espère aussi bonnes que possibles :

  • On trie les bonnes, on garde la meilleure dans une série de rafales, on jette tout ce qui est flou, inutile, ou qui a été pris selon un mauvais angle ne permettant pas de distinguer les traits qu’on veut mettre en valeur ;
  • On les sépare en côtés gauche et droit. On traite les côtés séparément ; on recoupe les photos pour déterminer lesquelles désignent le même animal pour un côté donné au sein d’une même rencontre – cela revient à un jeu des sept erreurs en mode hardcore ;
  • À partir des observations de terrain (on se rappelle qu’il y avait par exemple trois animaux) et des détails sur les photos, on associe les côtés gauche et droit pour déterminer ce qui relève d’un seul et même animal autant que possible ;
  • Enfin, on cherche dans le catalogue des animaux identifiés par Orca Guardians (plus de 300 à l’heure actuelle) qui l’on a bien pu voir… ou si l’on a affaire à un ou une inconnue !
Extrait du catalogue d’Orca Guardians.

C’est un travail de très, très longue haleine. Plus que n’importe quel autre domaine, les données naturalistes nécessitent une ténacité et une persévérance à toute épreuve pour commencer à dégager des tendances sur une population. Le travail conjoint d’Orca Guardians et Láki Tours est vraiment admirable (et je ne dis pas ça parce que je travaille pour eux en ce moment – je dis ça parce que je le savais et voulais donc travailler pour eux).

2019-06-04T20:23:42+02:00jeudi 26 avril 2018|Best Of, Carnets de voyage|9 Commentaires
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