Ça sent la fin pour World of Warcraft (du syndrome Dragon Ball Z)

Je ne joue plus à WoW depuis environ 2009 (j’ai publié mon premier roman en 2010, coïncidence ? je ne crois pas) mais je garde une tendresse spéciale qui ne peut être due qu’à un syndrome de Stockholm avancé en repensant au farm des feux élémentaires pour les potions de résistance nécessaires pour Molten Core, surtout quand je constate que mon cerveau a totalement effacé la géographie d’Azeroth que je connaissais pourtant autrefois mieux que le topologie de ma propre rue, de la même façon que j’ai oublié comment diagonaliser une matrice au lendemain des concours d’école d’ingénieur. Tendresse, donc, et (merci Topa pour l’info), Blizzard prépare la dixième extension de WoW, intitulée The War Within, première d’une trilogie formant une seule et même saga.

Si vous ne suivez pas le lore de WoW, c’est un joyeux foutoir à base de voyages interplanétaires et interplanaires où, dans les dernières additions, on combat même la mort (car même la mort peut mourir, disait l’autre), et d’ailleurs, les orcs ne sont pas des méchants, mais en réalité des extraterrestres (je suis sérieux). Dernièrement, il semble qu’on apprenne que les planètes sont en réalité des titans (ouais, bon, des dieux) en devenir et le dieu méchant (Sargeras) veut tuer la planète, une idée qui me rappelle un peu perso les réacteurs Mako de FF7 mais bon, c’est compliqué d’inventer un grand concept qui puisse se prêter à du loot épique. J’ai l’air chafouin comme ça mais pas du tout : j’ai une sincère affection pour le lore de WoW justement parce qu’il part dans tous les sens et il est réellement difficile de menacer la planète tous les ans pour intéresser les joueurs à la prochaine chasse à l’arme violette. Et puis, allez résumer trente ans de background en un seul paragraphe. Donnez-moi une cassure.

Bref. Sargeras, c’est le grand méchant de l’univers depuis littéralement le début, et on entre comme qui dirait dans l’échelle épique, à ce stade : quand on commence à péter des planètes entières, on s’approche dangereusement d’une inflation des enjeux que j’appelle personnellement le syndrome Dragon Ball Z. Lequel est caractérisé par une démesure tellement exponentielle de la puissance des personnages et/ou des enjeux qu’ils en deviennent paradoxalement abstraits, risquant un dangereux désengagement du lecteur ou spectateur. Pour le dire autrement : quand on commence à dézinguer des planètes, on n’a plus beaucoup de marge de progression à part dézinguer des systèmes solaires, puis des galaxies, puis on entre dans les délires des multivers et là, l’exemple des super-héros nous montre bien qu’on commence à coincer et que, pour le dire poliment, ça devient du gros nawak dont on se bat les gonades.

Pourquoi les films et comics de super-héros reviennent-ils toujours à l’origin story et nous la remixent-ils cent douze fois plutôt que de remixer l’arc où la version Vega-9000 d’Iron Man en ascension céleste a sauvé trois univers parallèles ? Parce qu’en imaginaire, nous avons besoin de deux dimensions potentiellement opposées : les enjeux, que nous tendons à vouloir cosmiques (on écrit de l’univers aussi pour pouvoir péter des planètes, hein) et l’attachement aux personnages, qui s’appuie à l’inverse sur l’intime. Et l’on n’est jamais aussi bon que quand on arrive à relier l’un à l’autre, ce qui passe souvent par l’implication de l’intime dans la destruction desdites planètes, mais ça n’est pas toujours facile à naviguer.

Les développeurs de WoW ont déclaré en toutes lettres que non, ça n’était pas la fin du jeu, qu’ils avaient encore dix extensions en stock, et je veux bien les croire en termes de gameplay, tout comme il leur est bien évidemment impossible de déclarer quoi que ce soit d’autre, que ce soit pour l’implication des joueurs dans le jeu que pour la valeur des actions d’Activision-Blizzard. Mais quand même, je suis forcé de m’interroger : après avoir vaincu littéralement la mort et peut-être flingué Sargeras, la cause première de Tout Ce Qui Déconne™ dans cet univers, où la narration pourra-t-elle bien aller ? Qu’est-ce qu’on peut bien faire après ? Personnellement, je trouverais intéressant de varier les plaisirs et de revenir à quelque chose de plus intime, mais je ne crois pas un seul instant que la fanbase s’intéresse à WoW : Mon Petit Commerce De Proximité™ après avoir probablement tué Sargeras à coup de tétralaser multimagique dans un Goldorak spatial alimenté par trois Naaru, le sacrifice de Sylvanas Coursevent et l’esprit d’Arthas Menethil revenu une énième fois pour un cameo.

Qu’est-ce qu’on retire de ça ? Un bouquin n’est pas un jeu vidéo et dans un jeu, le lore est secondaire au gameplay ; les délires multiplanaires n’ont pas dérangé D&D et Magic: the Gathering supporte visiblement les hybridations les plus invraisemblables.

Je n’ai pas joué à Magic depuis le lycée, mais j’ai un énorme man crush sur David Tennant, et je suis faible

Un roman ou un série, en revanche, n’ont que leur histoire, duh. Et du coup, on en retient une leçon pour nous : l’importance des enjeux n’est pas directement corrélée à leur envergure. Ce qui compte, c’est leur importance pour les personnages. Et c’est avant tout là que l’on peut mettre à profit narrativement l’une des plus vieilles stratégies de survie du monde animal : l’empathie pour nos semblables, qui véhicule alors le sentiment, laquelle entraîne l’implication.

2023-11-13T07:17:43+01:00lundi 13 novembre 2023|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

Entrez dans ma cave

Approchez, approchez ! Petits et grands, venez, approchez et contemplez le cirque tragicomique d’une vie d’accumulation en partie due à un trouble obsessionnel compulsif ! Cela, et aussi le fait que, toute ma vie, j’ai eu la possibilité de déménager soit dans un logement plus grand, soit avec une plus grande cave, me permettant de conserver perpétuellement des cartons dont le contenu m’était devenu aussi mystérieux que l’inconscient d’un des premiers patients de Sigmund Freud.

Bref : j’ai déménagé au bout du monde. Et chaque mètre cube coûtant là en revanche une tranche de rein, il m’a fallu opérer un tri drastique, l’occasion également de retrouver quelques merveilles crues oubliées, de la documentation et du matériel accumulés en des époques aux mœurs différentes, et même, quelques fragments de passé étrangement prescients.

Approchez, approchez, et entrez dans un voyage dans le temps personnel et vain ! Mais précieux, car c’est le mien !

La technologie, c’est plus ce que c’était (ou bien si ?)

Regardez ! Regardez comme on se guidait et s’orientait en cet âge de pierre où l’on utilisait encore du papier pour, par exemple, rédiger sa liste de courses – comme des animaux ! Et regardez, y a des prix en francs !

Le plus étrange est que Momox m’a proposé de les racheter 1€ pièce. Il doit exister une secte collectionneuse de vieilles cartes, à la recherche du DaVinci code dans les souterrains du port des Minimes.

Mais, fantastique, ces plans recèlent également d’absolues splendeurs promouvant la technologie du futur : le téléphone en mobilité, grâce à ce fleuron qu’est… la cabine ! Avec des télécartes !

Internet étant d’ailleurs la technologie en plein essor du moment, à laquelle on peut accéder à la vitesse étourdissante de sa ligne téléphonique grâce à un modem qui, comble du raffinement, fait aussi Minitel ! Le meilleur des mondes ! Extraordinaire : ordinateur éteint, recevez et stockez vos fax ! Inclut la version complète de Netscape Navigator 3 ! Je suis étourdi.

Mais qu’allait-on bien pouvoir faire avec tout ça ? Il fallait bien de l’espace pour stocker les données récupérées à très haute vitesse sur les autoroutes de l’information. Heureusement, tout pouvait être réglé avec l’essor des disques durs externes. 20 gigaoctets ! Oh là là, avec tout ça, je pouvais bien stocker l’intégralité de ma musique la graver en mp3 à destination de mon baladeur CD.

(J’ai la tête qui tourne en considérant que ma GoPro stocke aujourd’hui cinquante fois d’espace sur une carte SD plus petite que l’ongle de mon petit doigt.)

C’est marrant (ou pas) de voir qu’en 2004, au-delà de cette nouveauté brûlante qu’est Windows XP, on testait déjà des systèmes de visioconférence. En grand écran s’il vous plaît.

Bon, on arrête les conneries.

Parce que j’ai quand même du vrai joli vintage d’origine. Non mais.

Heureusement, à l’époque, je savais tout de l’avenir. Ou pas. Le bouquin a accumulé les années tandis que je remettais perpétuellement sa lecture.

Oups.

Bizarrement, celui-là, Momox n’en a pas voulu.

Le grand carousel de mon passé chevelu

Ah, mais, auguste lectorat ! Chers grands et petits visiteurs ! Le cirque n’est pas complet tant que je ne vous ouvre pas, dans toute sa touchante vulnérabilité, l’amusement de mon propre vintage, que nous ne soufflons pas ensemble la poussière d’une vie stockée à la cave dans les diverses ramifications qu’elle a pu prendre pour terminer en méandres tantôt vivaces, tantôt asséchés.

Amusons-nous déjà que quarante ans plus tard, on puisse retrouver ceci :

QUARANTE ANS BORDEL

Alors hein, avec vos carnets de correspondance digitaux, là, je me MARRE, vous ne pourrez jamais retrouver vos PDF à la cave AHAHAH

Bon heu, bref

Je sais évidemment que j’avais toujours voulu être biologiste marin, je blague régulièrement que je voulais être commandant Cousteau mais que la place était déjà prise, en revanche, visiblement, j’avais vraiment écrit à la fondation dans un probable moment de désenchantement quant à une future orientation professionnelle, et figurez-vous que ces gens répondaient vraiment, avec de la vraie doc attachée, et que là quand même, c’est limite une mission de salut public.

Je vous dirais que retrouver ça m’a ému un brin. Y figurait le centre de recherches de La Rochelle où, sept ans plus tard (en 2000), je me retrouvais en stage de fin d’études.

Reprenons. Plus tard, j’étais donc en prépa maths sup bio, et comme un livre c’est sacré et que ça ne se jette pas, ça se vend ou se donne, on se trouve bien emmerdé quant on est écrivain professionnel et qu’on retrouve à sa cave ce genre de chose :

Nan parce que j’ai bien regardé, ça n’a rien d’un traité sur la typographie, hein, c’est plein de symboles cabalistiques que j’ai compris jadis mais qui aujourd’hui ne m’évoquent que le Necronomicon, donc dans le doute, j’ai préféré remiser ça avec mes ouvrages sur les espaces non-euclidiens (vous l’avez ? Subtil. Je suis fier.)

Il y a aussi des trucs qui énervent et consternent. Dans ma documentation papier de l’époque (assez conséquente – bon dieu, que l’invention du PDF a été une bénédiction pour les forêts), j’ai retrouvé des machins du genre :

Il en faut encore, vingt ans plus tard, pour contester et chouiner, alors que CNN, donc un média fort obscur, disait déjà que le changement climatique était “évident”. Qui aurait pu croire le débat scellé à l’époque, hein ?

Dans les mêmes eaux, visiblement, mes copies de français de prépa avaient déjà tracé ma future carrière d’écrivain. Si La Succession des Âges est à la bourre, ne cherchez plus, ma prof de français m’avait déjà cerné en 1998 :

Vous remarquerez l’exercice de haut vol qui consiste à pouvoir diluer un résumé. Et ça, c’est la marque des plus grands, parfaitement.

Mais heureusement, j’allais devenir étudiant ensuite, et WAOUH J’AI CARRÉMENT VINGT ANS, roulement de tambour chers petits et grands, préparez-vous à la tronche correspondante, on ne rigole pas, ou du moins pas assez fort pour que je vous entende depuis l’Australie :

Le joyau de l’exposition

Chers amis ! Petits et grands ! Il est temps pour moi à présent de vous révéler le joyau de cette exposition, la splendeur suprême qui, lors de ma redécouverte, m’a plongé dans un ahurissement si abyssal qu’il m’a fallu l’évacuer d’un rire si vaste que ma voisine a tapé sur son plafond avec un manche à balai.

Mes amis ! Replacez-vous il y a trente ans, dans un contexte innocent, bien avant la démocratisation d’Internet et l’inévitable explosion de mauvais esprit, de débauche (et carrément de criminalité) qu’il a charrié dans son sillage. Fut un temps, mes amis, où pour le grand public, les mots s’employaient juste à leur premier degré, sans sous-entendu gras ni arrière-pensée choquée !

C’est de ce temps-là que je vous parle ; un temps où, lors de mon adolescence, je fus très engagé pour la cause animale et notamment contre l’expérimentation en laboratoire et la vivisection ; j’ai redécouvert que j’étais membre d’une association militante à ce sujet pendant deux-trois ans. Association qui, donc défendait et aimait les animaux, c’était la plus stricte vérité d’un point de vue, disons… étymologique.

Association qui publiait régulièrement son journal, dont le titre… 

euh… 

eh bien… 

… disons qu’on ne choisirait plus le même aujourd’hui, hein ?

Je vous le donne en mille.

Je ne m’en remettrai jamais.

(Ah mais c’est l’ex-“jeunesse zoophile” ! Donc tout va bien !)

Au secours.

(Pour la petite histoire, une recherche rapide montre que ladite association a cessé ses activités en 1998 après vingt ans d’exercice !)

2023-07-24T09:10:53+02:00lundi 24 juillet 2023|Best Of, Expériences en temps réel|14 Commentaires

Chère Esther, aujourd’hui, j’ai joué à Dear Esther

D’où qu’il est interdit de parler de jeux qui ont dix ans ? Hein ? Est-ce que les lycéens s’empêchent de faire des fiches de lecture sur Les Fourberies de Scapin juste parce que Molière est mort (attendez je vérifie) en 1673 ? (51 ans, merde, décidément on mourait bien jeune) Bon, techniquement, les lycéens aimeraient bien s’empêcher eux-mêmes de faire des fiches de lecture, mais en rédiger, c’est un réel plaisir d’esthète qu’on découvre à l’âge adulte, comme le whisky tourbé, le sexe dans un vrai lit et les consultations chez l’ostéopathe.

Donc, j’ai joué à Dear Esther après tout le monde, après avoir entendu aussi tout ce qu’on en a dit (« c’est pas un vrai jeu ») et… 

Ben ouais, c’est pas un vrai jeu. Mais ça n’est pas forcément un problème.

L’action se déroule à la première personne, à travers les yeux (et la charpente un peu poussive) d’un protagoniste échoué sur une île sans nom des Hébrides, qui, je dois dire, est très joliment représentée (un argument auquel j’étais forcément sensible), avec le vent constant, la mer et les vapeurs d’embruns qui te mettent le goût du sel sur les lèvres et réussissent l’exploit de te tremper sans que tu ne te sentes mouillé avant qu’il ne soit trop tard (une spécialité écossaise que même la Bretagne ne parvient pas à égaler).

C’est joli, hein ? Et là, je vous assure qu’il est midi pile avec un vache de cagnard.

Le protagoniste se met à réciter (lire ? se remémorer ?) des messages adressés à une certaine Esther, et à décrire ce que l’île, où il est s’est rendu (échoué ? exilé ?) représente pour lui.

Et là, on marche. Pas pour rien que Dear Esther est considéré comme le père des walking simulators ; il n’y a strictement rien d’autre à faire que marcher, et éventuellement regarder les trucs autour de soi d’un peu plus près. De temps en temps, en vue d’un repère, d’un monument, dans une situation, notre personnage continuera à causer, jusqu’au dénouement final (comptez deux heures). Au joueur de recoller les morceaux, de fouiller, de comprendre / composer sa propre version de l’histoire.

Dear Esther (dans son édition la plus récente, la Landmark Edition que j’ai faite) est très joli même sur Steam Deck, avec des vues magnifiques et une ambiance locale parfaitement restituée (manquent juste les cormorans qui t’engueulent). Tout le propos du jeu / de l’installation virtuelle réside dans la pesanteur du personnage que l’on contrôle : tout est loooong, on marche à un pas de sénateur, mais cela fait évidemment partie du truc, de ce “cheminement” quasi initiatique que le protagoniste est amené à suivre (ben oui, personne n’a jamais fait de téléportation initiatique)1. Le truc, c’est que le moindre déplacement étant coûteux, ça n’encourage pas l’exploration ni l’expérimentation ; d’autant plus qu’il apparaît très vite qu’en-dehors du chemin balisé, il n’y a pas vraiment de salut. Donc, on suit la route de l’expo en faisant “oooh, la vache, c’est quand même très beau”. Et des fois, des jolies choses, ça peut suffire à un type qui se tape trois vols d’avion de 7h30 (exemple absolument innocent bien entendu).

J’ai vu Dear Esther comparé à un poème et c’est probablement la forme, en réalité, dont cette “œuvre” (faute de meilleur terme) s’approche le plus. Ça n’est pas un jeu ; c’est un propos symbolique inscrit dans le temps lui-même et dont on sent la texture (pour le meilleur et pour le pire) comme consubstantielle de l’expérience. (Oui, c’est une façon polie de dire que ça frise parfois le chiant, mais c’est volontaire, et ça a du sens.)

Est-ce que c’est bien ? Diantre, comment vous dire si un poème est “bien” ? Ça dépend si ça vous parle. Ça n’est pas un jeu, c’est une expérience à qui l’on a retiré tout ce qui peut faire un “jeu” (possibilité d’un échec empreint de conséquences résultant de la mauvaise exécution de ses mécaniques – rien de ça n’existe ici). Ça cause de deuil, de solitude, de renouveau. C’est marin et venteux. Ça a beaucoup de caractère (à condition de kiffer les landes battues par les rafales, mais je suis un public conquis). C’est aussi cryptique et, certains pourraient dire, un brin prétentieux par endroits.

Personnellement, j’ai passé un bon moment. Mais si je suis absolument le cœur de cible (comme on dit dans la startup nation) des thèmes de Dear Esther, j’ai l’impression d’être un peu passé à côté de leur exécution (je ne sais pas si j’ai tout compris parce que c’était finalement très simple ou rien du tout parce que j’ai raté un niveau de lecture). Cependant, dans le genre de jeu qui n’en est pas vraiment un et qui a réussi à me mettre la larme à l’œil sans moteur 3D ni lande battue par les vents, j’ai de loin préféré To the Moon ou même, pour rester dans le même format que Dear Esther, son petit interlude gratuit A Bird’s Story. J’ai toujours été plus sensible au fond qu’à la forme, même s’il faut quand même soigner cette dernière pour emballer le paquet cadeau (et pour ça, Dear Esther a parfaitement réussi la seconde).

Si ce que je raconte vous parle, foncez.

(Pour une fois, je ne mets pas le trailer, qui présente TOUT LE FUCKING JEU en seulement deux minutes.)

  1. Rendons quand même à Esther ce qui appartient à Esther : on peut voir, loin en aval, l’héritage de ce cheminement vécu par le joueur comme substance même de l’expérience ludique dans un “vrai” jeu comme Outer Wilds, lequel est, comme chacun sait ici, le meilleur jeu du monde.
2023-04-11T22:22:05+02:00mercredi 12 avril 2023|Best Of, Geekeries|Commentaires fermés sur Chère Esther, aujourd’hui, j’ai joué à Dear Esther

Écrire est plus difficile qu’imaginer

Tout le monde ne fonctionne pas comme ça – il existe des auteurs et autrices pour qui le flot de l’écriture court automatiquement au fil des mots et du clavier ; mais j’oserais gager que même pour ces personnes, il existe des moments où elles calent – où la pensée consciente s’invite dans le flot, et fait tousser la machine.

Une grande partie de l’effort d’écriture vient du fait de chercher ce que l’on va dire, et comment le mettre en scène ; le jeu et la joie libres de l’imagination représentent un mode de pensée très distinct de celui d’écrire, où l’effort consiste à rendre l’infini palpable, à borner la vision, à la faire rentrer dans les briques LEGO des mots. Et ce changement de mode est difficile, peut susciter une certaine fatigue mentale (voire l’envie de fuir), car la liberté de penser se trouve à présent contrainte par un système vaste mais fini, le langage. 

Il est important de reconnaître cette difficulté de manière à accepter la fatigue mentale ponctuelle, pour ne pas céder à la peur et à la tentation de l’abandon. Cela peut être un état très vulnérable. Dans ces moments, il convient de se donner un instant pour se recentrer, accepter la peur, et potentiellement identifier la difficulté qui vient (s’agit-il d’imaginer, de concevoir, de rédiger, de trouver comment aborder une scène ou un problème ? etc.)

Car ce que l’on inventorie et identifie est à son tour délimité ; et ce qui est délimité perd de sa capacité anxiogène.

2023-03-28T03:04:11+02:00mercredi 29 mars 2023|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Dans les détails de la technique d’écriture (republication entretien de 2014 pour DraftQuest)

Au hasard des republications du site sur les réseaux commerciaux, cet article est ressorti et tu m’as fort justement fait remarquer, auguste lectorat, que le site de DraftQuest a déménagé et l’entretien a apparemment disparu au passage. (C’est à ce genre de trucs que je commence à constater que je fais ce métier depuis beaucoup trop longtemps. Ou bien que ce site est beaucoup trop vieux. Moi pas, par contre.) Vous m’exprimâtes des regrets quant à ladite disparition, et comme j’ai un OCD bien ancré, j’ai retrouvé l’entretien dans les entrailles de mon klaowde, afin de pouvoir le reposter ci-dessous dans toute sa splendeur âgée de presque une décennie.

À vos risques et périls, etc.

Dans les détails de la technique d’écriture, avec DraftQuest, entretien avec David Meulemans (2014)

David MEULEMANS: Lionel Davoust, vous avez écrit plusieurs romans. Vous semblez désormais consacrer l’essentiel de votre temps à l’écriture. Pouvez-vous-nous décrire une journée type de Lionel Davoust?

Lionel DAVOUST: C’est effectivement le cas, à l’écriture de fiction, principalement, et parfois un peu de traduction ou d’éditorial. De manière générale, je ne suis pas du matin (le matin est un endroit froid et hostile où le seul réconfort s’appelle café). Du coup, je me réveille doucement en entretenant le lien avec la communauté sur les réseaux sociaux, le site, puis en m’occupant de ce que j’appelle les « affaires courantes » : courrier électronique, et les dizaines de petits à-côtés dont il faut s’occuper quand on est travailleur indépendant (contrats, articles brefs, relations avec presse etc.). Je fais une pause à midi et je coupe toute distraction l’après-midi pour me consacrer pleinement à l’écriture sans interruption, autant que possible, m’interdisant cette fois toute incursion en ligne. En phase de rédaction, je me fixe en général un quota d’écriture, allant de 15 à 20 000 signes en fonction de la sévérité de la date-butoir et de mon énergie. 

C’est mon organisation depuis des années mais j’avoue qu’elle ne me satisfait pas entièrement : le plus important, là-dedans, c’est écrire ; la logique voudrait que je commence donc par là, mais l’expérience me montre que j’ai du mal à me concentrer quand je sais que dix petites choses rapides attendent que je les règle. Je m’en occupe donc d’abord pour avoir l’esprit libre – mais j’évite aussi qu’elles prennent trop d’importance. 

DM: Parallèlement à l’écriture de romans, vous exposez avec beaucoup de franchise et un vrai sens pratique vos méthodes. (Vous êtes notamment un connaisseur de la méthode “Getting Things Done”). Si vous deviez donner quelques conseils de travail à des écrivains en herbe, quels seraient-ils?

LD: En un mot comme en cent : arrêtez de tergiverser et mettez-vous-y. (C’est une version moins diplomate que la première règle de Robert Heinlein, « you must write », tu dois écrire.) Oui, étudier les auteurs qu’on aime, faire des recherches sur son sujet, travailler la technique, réfléchir à l’organisation de son travail aide à se donner confiance et c’est bien. Mais, à un moment, il n’y a pas de méthode magique, d’eurêka où les choses deviennent moins impressionnantes, même avec l’expérience. La méthode, la vérité de l’écriture, c’est à l’auteur lui-même d’aller les chercher, conformément à qui il/elle est. Ce grand livre dont vous rêvez ne s’écrira pas si vous n’allez pas l’écrire, si vous n’allez pas vous confronter à la difficulté, si vous ne descendez pas dans la salle des machines et mettez, kilomètre après kilomètre, phrase après phrase du charbon dans le fourneau. Écrivez. Plantez-vous. Recommencez. Écrivez encore. C’est la meilleure école – et c’est la seule qui vous rapproche du but final : avoir écrit. 

DM: Dans la communauté DraftQuest, nous disons souvent qu’il faut abandonner l’inspiration – et penser davantage en termes d’enthousiasme et de travail. Je crois que c’est une position qui n’est pas éloignée de la vôtre. Mais pouvez-vous nous dire la place de l’inspiration dans votre travail?

LD: Ah, je vais encore me faire des amis… ! Je ne crois pas à l’inspiration – si on la définit comme ce moment de grâce où l’écriture se déroule avec facilité et lumière. C’est-à-dire, oui, elle se produit (heureusement) mais elle n’est pas la règle et il ne faut surtout pas espérer qu’elle le soit. Sinon, on produit trois pages dans une année. Si l’on veut écrire sérieusement, je crois qu’il faut privilégier la discipline, et là, peut-être, peut-on espérer apprivoiser l’inspiration. (Je sais que cette position est castratrice pour certains auteurs, donc je la recommande avec prudence : c’est ma façon de fonctionner, si vous avez besoin comme moi de vous cadrer avec une main de fer pour produire, menez-vous un train d’enfer – mais si vous sentez que c’est contre-productif, prenez de la hauteur.) Je crois pour ma part, très fermement, que l’écriture se travaille, dans tous ses aspects : dans le style, la narration, mais aussi, de façon générale, dans l’attitude, le regard, la façon de penser. Plus que de l’enthousiasme, je pense qu’il s’agit d’envie. Il convient de se sonder soi-même, de traquer sa propre matière, d’observer le monde en ces termes : j’écris, mais pourquoi ? Qu’ai-je à dire, à raconter, qui me fasse envie, où est ma vérité et quelle est-elle ? Quel est mon carburant, la foi qui me motive à coucher ces mots sur le papier, jour après jour ? C’est un travail d’introspection  qui ne s’achève jamais (et c’est un des grands plaisirs du métier… ou une grande torture, pour ceux qui n’aiment pas trop plonger en eux-mêmes) et c’est là qu’on trouve sa voix, son originalité, et la motivation d’écrire, pendant des mois, parfois des années, à plein temps sur un projet. Si l’envie est là, je crois qu’elle attire l’inspiration. Et pour les jours où elle se dérobe, l’envie facilite quand même le travail. 

DM: Il y a une idée qui m’est chère, mais que je peine à faire comprendre. Je pense que l’on devient “écrivain” quand on arrive à sortir de “l’expression de soi” (qui est souvent la raison première des draftquesters pour se lancer dans l’écriture) à “raconter aux autres”. Mais, en même temps, je suis bien conscient qu’il faut parler de soi, ou plutôt, puiser en soi. Comment voyez-vous cette articulation, entre se tourner vers soi, et se tourner vers les autres?

LD: Je crois que cela revient un peu à l’envie mentionnée plus haut. C’est un exercice de funambulisme constant. Toute pratique artistique qui désire sortir de la confidentialité (au sens : être présentée au monde, à un regard autre que le sien et que celui, bienveillant, de son chat et de sa maman) porte en elle, je crois, cette contradiction entre l’élan personnel et l’obligation d’accessibilité. Dans le cadre de la littérature, il s’agit avant tout d’être compris-e. Attention, tout le monde ne place pas l’accessibilité au même niveau – tout le monde n’a pas la même tolérance aux longues descriptions, par exemple – mais, dès lors que l’on n’écrit plus uniquement pour soi, il convient de faciliter l’entrée du lecteur dans son univers, dans son histoire, de le prendre par la main et de le guider, parce qu’il est, bien sûr, fondamentalement extérieur. 

Je divise assez clairement les choses pour ma part : entre fond et forme. Mais avant de préciser comment, un mot sur votre notion « expression de soi » : je ne sais pas exactement comment vous le voyez, mais je voudrais contredire l’adage américain qui préconise « write what you know » (écrivez ce que vous connaissez). Je crois que la clé, c’est « write what you are » (écrivez ce que vous êtes). Écrire permet de vivre mille destins, de traiter mille questions, de rêver même à l’échelle de galaxies entières si l’on va en science-fiction ; il ne faut pas s’en priver et suivre ces mille chemins conformément à ses envies, et le faire avec fierté et joie. Je crois qu’il est absurde de prétendre connaître un auteur à partir des réponses qu’il donne dans sa fiction ; les réponses appartiennent à ses personnages. Par contre… on entrevoit bien mieux ce qu’il est à travers les questions qu’il pose, car il se les pose probablement aussi. 

Ceci étant posé, la différence entre l’expression de soi et le raconter aux autres, donc : pour ma part, je place la division assez simplement entre fond et forme. Le fond, les questions, les personnages, les événements de l’histoire, c’est mon envie, c’est ma matière, c’est la raison pour laquelle j’écris ce livre-là, et ce n’est globalement pas négociable. La forme, c’est mon obligation d’accessibilité, c’est mon devoir d’écrivain de vous faire voir les scènes, de vous emmener dans mon histoire avec facilité (si vous êtes mon type de lecteur et que je suis votre type d’auteur), de maîtriser mon rythme pour que mes effets fonctionnent, bref, de vous conter le récit et de vous emporter. Bien sûr, forme et fond se répondent et se conjuguent, et il s’agit aussi de faire en sorte qu’ils se servent mutuellement. 

Finalement, pour quel lecteur écrit-on ? Pour soi, je crois, pour proposer au monde les livres qui n’existent pas et qu’on aurait aimé trouver. Et il faut savoir appliquer à son propre travail cette lucidité et cet état de critique impitoyable avec laquelle on juge les livres des autres : voilà, je crois, une étape de maturation importante dans le parcours d’un auteur, et c’est là que se conjugue l’envie – personnelle – et le regard extérieur – qui juge. Les deux se déroulent en deux temps séparés : d’abord, l’écriture, égoïste, personnelle, fantasque. Ensuite, et seulement ensuite, juge-t-on au moment des corrections. 

DM: Un débat dans notre communauté, c’est l’écriture sur papier contre l’écriture sur clavier. D’un côté, les écrivains en herbe semblent davantage se lâcher sur le papier. D’un autre côté, écrire sur ordinateur permet de mieux manier le texte. C’est un sujet que vous avez évoqué sur votre blog. Pouvez-vous dire à nos écrivains en herbe comment la place que ces deux supports occupent dans votre écriture?

LD: Avant toute chose, je veux répéter le mantra que je martèle en atelier d’écriture : apprendre à écrire, c’est apprendre à se connaître. Il n’y a pas de méthode idéale autre que celle qui vous convient à vous. Vous aimez écrire sur des cahiers reliés de cuir avec un stylo plume à 200 euros au milieu de la forêt dans le calme absolu ? Si c’est votre truc (et que vous avez les moyens), allez-y. Vous préférez les outils informatiques dernier cri et emporter votre ordinateur et votre clé 3G dans les cafés parisiens et baigner dans l’agitation ? Hé, tant que ça vous fait écrire, tous les moyens sont bons. 

Pour ma part, je travaille au papier et à l’ordinateur, et chaque média correspond à une étape différente de mon avancée. Le papier est réservé aux réflexions les plus libres, où je « malaxe » les idées, les décortique sous tous les angles, jusqu’à parvenir au cœur de l’envie, pour recueillir sans contrainte tout ce que m’inspire mon sujet, mes personnages. Une fois que je sens un début de structure émerger, je passe ensuite à un outil informatique pour mettre tout cela en ordre grâce aux facilités de mise en page, de disposition qu’il offre et structurer davantage mes idées. Et enfin, une fois l’histoire planifiée, je rédige (sur ordinateur). Mais il m’arrive de revenir au papier si nécessaire ; quand j’arrive à une étape de l’histoire que je n’ai finalement pas assez développée et que j’ai besoin de m’aiguiller à nouveau, ou quand je perds le lien avec mon récit et ai besoin d’y réinjecter un peu d’envie et d’énergie, je traque et m’explique, au papier, ce dont j’ai besoin pour progresser. 

DM: Une dernière question – qui est courte, mais dont la réponse peut s’avérer longue. Pouvez-vous nous parler de la genèse d’un de vos romans? Concrètement, par exemple, sur le premier volume du “Mystère Léviathan”: quand avez-vous eu l’idée? combien de temps vous  pris l’écriture du premier jet? une fois le premier jet achevé, est-ce que vous avez beaucoup dévié du projet initial? avez-vous eu des premiers lecteurs à qui vous avez soumis le texte pour avoir des corrections? est-ce que l’éditeur vous a suggéré des corrections? 

LD: Le Mystère Léviathan est un cas un peu particulier parce que le projet remonte à très, très longtemps – plus de quinze ans. De manière générale, je traque donc toujours l’envie, et dans ce cas, lui donner forme a pris un temps certain ! La trilogie n’est pas tellement née d’une idée précise que d’un faisceau de thèmes et de personnalités / personnages que j’avais envie de traiter (l’immortalité, l’initiation, la quête de soi, la fascination pour la mer, la fantasy urbaine, la transcendance du réel), d’où la lente maturation. L’univers s’est construit ainsi, par lente accrétion, et aussi au fil de mes recherches et intérêts personnels, dont la série se nourrit aussi. En revanche, l’écriture en elle-même est allée raisonnablement vite une fois la forme arrêtée. Quand je me suis senti prêt à me jeter à l’eau, pour ainsi dire, la planification et l’écriture du premier volume ont pris une grosse année, puis environ six mois par volume ensuite, tout compris (écriture et corrections), ce qui peut sembler très rapide, surtout pour des livres aussi épais, mais, une fois lancé, je savais précisément où j’allais. Je n’ai pas tellement dévié du projet général de la série, à part dans certains détails de scènes, de personnages, qui ont suivi leur propre cheminement et m’ont permis de présenter les choses de manière plus efficace que je ne le pensais dans mes synopsis. Je fais effectivement appel à des beta-lecteurs pour tous mes textes, des proches qui apprécient mon travail et mes univers tout en étant impitoyables (une combinaison précieuse et idéale ! et j’en profite pour les remercier à nouveau). Bien sûr, l’éditeur suggère toujours des corrections, cela fait partie du processus. Je ne prétends pas rendre un premier jet parfait, et le regard éditorial constitue une étape à mon sens indispensable pour donner au récit – et surtout aux intentions qui l’animent – la forme la plus aboutie possible. Nous en discutons, décidons des corrections (il m’arrive de ne pas être d’accord avec ce qu’on me propose, mais je m’efforce de comprendre ce qui coince et de revenir avec une version différente, qui règle la faiblesse qui a été détectée, mais d’une autre manière qui me convienne). Savoir comprendre et accepter ces retours, retravailler en fonction, mais aussi détecter les rares moments où il convient de dire non pour rester fidèle à l’esprit de son projet, cela aussi fait partie de l’apprentissage. 

2023-03-03T04:35:29+01:00jeudi 9 mars 2023|Best Of, Entretiens, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Dans les détails de la technique d’écriture (republication entretien de 2014 pour DraftQuest)

Dans le podcast Processus : Sur l’écriture au long cours, part 2

Deuxième partie de l’entretien au long cours sur l’écriture au long cours (y a comme un thème) que m’a très aimablement réservé le podcast Processus : on y parle de viscéralité, d’organisation sur une saga ou un univers, mais aussi, beaucoup, de patience dans l’écriture et la création (c’est pas très à la mode, je sais, désolé).

Encore merci à Alix M. Dehenne pour son enthousiasme autour de cette conversation qui a explosé les limites du format de son émission. Ce deuxième épisode peut s’écouter sur toutes les plate-formes où l’on écoute des podcasts, ou bien simplement ci-dessous.

2023-02-20T01:21:35+01:00mercredi 22 février 2023|Best Of, Entretiens, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Dans le podcast Processus : Sur l’écriture au long cours, part 2

Dans le podcast Processus : sur l’écriture au long cours, partie 1

J’ai eu le grand honneur et l’immense plaisir d’un long entretien au long cours dans le podcast Processus, qui s’intéresse à une question fascinante : interroger créateurs et créatrices sur leur approche pratique de leur travail afin de comprendre comment leurs réalisations s’accomplissent.

Vu que je suis un brin bavard (un peu) et que le sujet me passionne (si peu) j’ai quelque peu explosé le format de l’émission (ce n’est pas comme si ça m’arrivait dans d’autres domaines) et ce qui devait être une émission unique s’est transformé en trois (ce qui n’est jamais arrivé dans d’autres domaines). Les volets porteront :

  1. L’écriture et sa méthode, part 1
  2. L’écriture et sa méthode, part 2
  3. Musique électronique, parallèles et divergences avec l’écriture

Merci mille fois à Alix M. Dehenne de m’avoir invité dans le podcast et d’avoir reçu avec enthousiasme la longueur et la technique de mes développements. Ce premier épisode peut s’écouter sur toutes les plate-formes où l’on écoute des podcasts, ou bien simplement ci-dessous.

Et à bientôt pour la partie 2.

2023-02-25T09:09:00+01:00lundi 13 février 2023|Best Of, Entretiens, Technique d'écriture|2 Commentaires

Writing is rewriting – sauf quand pas

Il est à présent bien admis dans les cercles d’écriture que writing is rewriting – “écrire, c’est corriger” – c’est-à-dire que le premier jet d’un manuscrit est très souvent imparfait, et sera (r)affiné par la phase de correction. C’est juste et nécessaire, et nous le répétons souvent dans Procrastination.

Ou l’inverse.

Cependant, il ne faut pas sous-estimer la vérité et l’énergie du premier jet. Il y a dans la rédaction une vie et une authenticité, correspondant à la découverte de l’histoire, à son vécu aux côtés des personnages, qui me semble impossible à répliquer une fois ce chemin accompli une première fois. (On ne se baigne pas deux fois dans la même rivière, disait l’autre.) Il est possible, et fréquent, de vouloir corriger tellement son premier jet, d’y chercher tant la perfection (voire, pire : d’espérer se conformer à ce que l’on fantasme des attentes éditoriales) qu’on y lisse toute l’originalité et toute la vie qui s’y trouve. (Testé et désapprouvé : il m’arrive souvent de vouloir corriger une scène en cours d’écriture, parce qu’elle est difficile, et chaque fois que je le fais, je termine avec une v2 invariablement moins vivante, beaucoup plus scolaire. C’est pourquoi je conserve toujours mes v1.) C’est dommageable pour l’œuvre, comme pour l’espoir d’édition (si c’est ce que l’on cherche) : un manuscrit vivant et sincère, même emprunt de défauts, séduira toujours plus qu’une histoire engoncée dans les limites fermes qu’on lui a imposées.

Donc, writing is rewriting, oui, mais uniquement quand il s’agit de porter plus haut cet élan vital initial, ou alors, de réécrire totalement autre chose parce que l’histoire a pris un mauvais virage. La meilleure façon d’éviter de tuer la vie de son manuscrit, je crois, consiste à s’astreindre à corriger le plus tard possible, et surtout pas une scène en cours d’écriture. Il est vital de juger son travail sans être teinté par le découragement lié à la difficulté de la réalisation même, et pour cela, il faut du temps (ou un bon coup sur la tête).

2023-01-19T07:07:42+01:00jeudi 26 janvier 2023|Best Of, Technique d'écriture|4 Commentaires

De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Autre serpent de mer assez régulier sur la pertinence de la technique artistique et de son apprentissage, quand il existe (c’est vrai) des contre-exemples ponctuels qui ont tout appris tout seuls (l’exemple du guitariste qui apprend tout dans sa chambre et revient avec une approche novatrice). L’existence de prodiges autodidactes prouve-t-elle l’inutilité de la technique, voire, comme on peut le lire, sa nocivité en dévoyant les instincts ?

Ces contre-exemples (évoqués à l’occasion d’une conversation sur Twitter) sont souvent brandis comme la preuve qu’en art, la théorie artistique est inutile, voire contreproductive.

C’est faux (et la conversation est tellement importante que j’en ai dit un mot dans Comment écrire de la fiction).

Tout d’abord, absolument, il existe des autodidactes géniaux en art. Dans la conversation sus-nommée, il était question de Martin Gore, on pourrait mentionner quantité de jazz people. Ce que l’on oublie très fréquemment quand on parle de ces cas particuliers, c’est le boulot qu’il faut pour en arriver là. Si vous pensez qu’il est difficile d’apprendre une langue étrangère, imaginez-vous le faire sans méthode ni prof. Est-ce possible ? Absolument. Est-ce que cela vous donnera une perception unique et personnelle ? Sans doute. Est-ce que c’est difficile sa mère ? Voyons ça comme ça : combien de fois êtes-vous passé.e devant un instrument de musique / un pinceau et n’avez-vous PAS décidé de vous y investir corps et âme au détriment de tout le reste ?

Pour un prodige autodidacte, il existe trois millions (estimation non contractuelle) de personnes qui avaient mieux à faire que prendre la guitare pour en faire leur mission. Je veux dire. Combien de fois n’avez-vous PAS pratiqué l’instrument pour lequel vous preniez pourtant des cours ?

Ensuite, et c’est beaucoup plus important, la technique et la théorie n’ont jamais fait des génies, mais elles expliquent comment les choses fonctionnent. Quand on sait comment elles fonctionnent, on peut y adhérer quand c’est indiqué, les déconstruire et/ou les pousser plus loin. (J’utilise génie comme raccourci, mais – comprenez “personne dont la pratique artistique qualitative entraîne des réalisations couronnées d’un succès marquant son époque”.) Aux prodiges autodidactes, j’oppose Picasso, à qui il a fallu “toute une vie [d’étude] pour apprendre à dessiner comme un enfant”. Ou Pierre Henry, figure de proue de la musique concrète (plus pionnier tu meurs) qui sortait du Conservatoire de Paris.

La bonne voie, c’est celle qui nous permet d’avancer et d’appréhender l’art que l’on veut faire. Ni plus, ni moins. Sauf que c’est un apprentissage bougrement difficile et qu’il est pertinent d’envisager de ne pas réinventer la roue, en profitant de millénaires de théorie.

Théorie qui ne fait pas des génies. Les génies se font autrement, par la passion, le feu et le dévouement. Théorie ou non, ce n’est pas le sujet : en revanche, la théorie peut souvent faciliter le processus et éviter de vraies maladresses dans les premiers temps du parcours.

Unpopular opinion : ce qui me gêne fondamentalement dans l’argument “la technique est facultative”, c’est que cela devient souvent une justification pour ne pas bosser. Souvent, il y a de la peur derrière, une peur cent fois compréhensible devant l’envergure de la tâche. Mais on n’y échappe pas, que ce soit en bossant la guitare dans sa chambre ou en allant au Conservatoire. On peut avoir des facilités, mais comme disait Brassens, “sans travail, le talent n’est qu’une sale manie”. Seule la pratique (guidée ou non) améliore ce qu’on fait.

L’argument qu’on voit souvent, c’est : “Moi, je brise les codes, je fais différemment, c’est original, je suis à contre-courant !” Hélas, 99 fois sur 100, ça ne fonctionne pas… parce que ça n’est pas abouti. Ça me fend le cœur chaque fois que je vois un jeune (ou moins jeune) auteur prometteur se paralyser dans sa fierté (en réalité sa peur) sans faire l’effort d’humilité nécessaire pour admettre que l’on peut, et doit apprendre toujours1.

Bref: il n’existe encore et toujours qu’une seule chose à notre portée en art, c’est notre travail (par des cours, de la recherche, de la pratique, en proportions variables et personnelles). Il existe des génies, comme le talent existe peut-être, mais je pense toujours plus sûr de ne pas considérer qu’on en fait partie ni qu’on en a.

Que nous reste-t-il quoi qu’il arrive ? Faire notre art, le lire / écouter / voir, s’en imprégner, le bosser. Le travail ne vous trahira jamais. C’est même la seule chose sur laquelle on puisse compter.

Je répète : le seul chemin valable, c’est celui qui vous permet de faire ce que vous souhaitez. Que cela passe par la théorie (c’est recommandé) ou pas (OK, si vous avez une volonté en béton armé). Ce dont vous ne ferez pas l’économie, c’est le travail (motivé par la passion).

Comprendre le fonctionnement des choses n’abîme pas une vision. Cela la renforce, la précise. Et j’arguerais qu’un.e artiste solide ne peut être abîmé.e par un peu de théorie. Sa vision est assez forte pour être transmutée et la transmuter.

Sinon, il y a un autre problème.

  1. Le travail devrait d’ailleurs former sa propre récompense. Ce qui compte, c’est le processus avant le résultat, car on ne pratique QUE le processus, et se concentrer sur le résultat, l’accueil, la publication, c’est se tromper fondamentalement de jeu. C’est un autre débat.
2023-01-10T05:33:00+01:00jeudi 12 janvier 2023|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Idée reçue 1254 sur l’édition : il faut être connu.e pour publier

On pourrait espérer qu’avec Internet, les podcasts, la généralisation de la connaissance, certaines questions connaîtraient des réponses stables qu’on n’aurait plus besoin de ressasser tous les quatre matins (la rotondité de la terre, l’efficacité de la vaccination, les calibrages en signes espaces comprises – HAH), mais : non.

Donc, vu passer une nouvelle fois, comme très régulièrement, l’idée que pour publier, il faut être connu dans les maisons d’édition, que tout le métier n’est que népotisme, entregent et pistonnage mutuel pour entretenir un système croulant et poussiéreux étouffant la vraie créativité des jeunes auteurs et autrices. C’est l’autre tête de cette hydre (à deux têtes) que l’édition traditionnelle va forcément déposséder le jeune auteur de son manuscrit et de son œuvre pour la formater (idée tellement tenace qu’on a dû y réserver un épisode de Procrastination). Mais celle-ci se démonte très facilement par l’absurde :

Aucun auteur ne naît connu, donc si les maisons d’édition ne prenaient que les auteurs connus, au bout d’un moment, ils seraient tous morts, et ce système s’écroulerait sur lui-même faute de combattants. Merci, salut. Moi-même, vous savez, j’ai été jeune (je vous assure) avec des cheveux (il ne fallait pas) et j’ai commencé ma carrière de zéro, comme tout le monde.

Bon, mais soyons de bonne foi. On constate que les auteurs qui publient ont tendance à continuer à publier. Ce qui entraîne, effectivement, l’impression qu’on voit toujours les mêmes. Qu’est-ce que ça cache, HEIN ?

Il y a à cela une explication infiniment (au moins) plus simple que le népotisme ou quelque sinistre conspiration étranglant l’emploi du présent de narration et les phrases nominales, et elle tient en deux mots : compétence et professionnalisme.

Rappelons-nous ce qu’est l’édition – dans les mots minimalistes de John Scalzi, c’est « une mécanique visant la production d’écrits compétents ». (Article que tout jeune auteur présentant des penchants à l’automalédiction devrait lire, encadrer, et relire tous les trimestres.) Parvenir à franchir la barre de la publication en maison d’édition – avec tout le relativisme et la diversité que celle-ci présente – dénote la présence d’une compétence moyenne concernant la maîtrise de la langue et des codes de la narration pour présenter une histoire dont on pense qu’elle peut intéresser un lectorat prêt à l’acheter. Parce que, je suis vraiment désolé, mais tout texte n’est pas publiable, parce que tout texte n’est pas automatiquement compétent. Notons en outre que d’une, comme le dit Scalzi, compétence et qualité se recoupent, mais ne sont pas synonymes ; d’autre part, les éditeurs (les personnes) ne détiennent pas la Vérité et il arrive qu’ils se plantent, dans un sens (louper le manuscrit du siècle) comme dans l’autre (publier des trucs qui ne marchent pas). Pour revenir au sujet qui nous intéresse : une compétence tend à rester et à se développer sur la durée, donc il n’est quand même pas ahurissant de constater qu’un auteur qui a réussi à surmonter la barre une première fois arrive à le refaire par la suite. Vous avez là 75% de l’explication.

Ensuite : le professionnalisme. Surmonter la barre de la publication est l’essentiel, mais il est bon d’avoir aussi un certain nombre de qualités humaines, de persévérance, d’aisance dans le travail en équipe (car même si l’écriture est un travail solitaire, l’édition en maison traditionnelle ne se fait pas dans un vide absolu) qui font de vous quelqu’un avec qui il est possible de travailler en confiance, tout simplement. Pour le dire plus clairement : si vous êtes un emmerdeur qui râle à la moindre virgule et qui termine bourré avec des comportements inacceptables à chaque cocktail, vous aurez beau être Mozart, si vous n’êtes pas correct, pas gérable, vous risquez de voir la porte un de ces quatre matins, parce que vous finissez par représenter un risque commercial, voire humain, pour ceux qui travaillent avec vous. C’est du bon sens.

Alors oui, effectivement, pour savoir qu’il est facile de travailler avec vous, il faut vous connaître un minimum. Aha ! C’est du piston ! Écoutez, mes chers amis, ça n’est ni pire ni meilleur qu’ailleurs : pour un poste avec deux candidats parfaitement égaux, on tend à préférer celui qu’on connaît et avec qui on a de bonnes relations, parce qu’on sait où l’on met les pieds, ça n’est pas, là non plus, complètement dingue. Et comme, quand même, il est ultra-rare d’avoir deux manuscrits identiquement positionnés et compétents au même moment, on en revient toujours au texte qui forme le juge de paix (parce qu’on vend des textes, pas des gens).

Est-ce à dire que le népotisme n’existe absolument pas dans l’édition, que l’entregent n’y a aucune place ? Soyons clairs : l’édition est un milieu humain, donc évidemment que tous les travers propres à l’humanité s’y retrouvent. Bien sûr qu’il y a du piston, aussi, parfois. Parfois aussi, vous avez fait un énorme carton commercial et on vous ouvre d’un coup toutes les portes parce que vous êtes “bankable” (mais rien n’indique que vous pourrez rééditer votre premier exploit : attention donc à la chute). Cependant, souvent, c’est surtout davantage une question d’un éditeur qui adore le travail d’un auteur donné et persiste à vouloir le faire connaître, parfois en dépit du bon sens commercial (et parfois, la postérité leur donne même raison). J’arguerais en outre que l’édition est probablement un des milieux qui pardonne le moins ces manigances : un livre invendable édité et promu à tour de bras reste un livre invendable, et produire un livre, c’est CHER. Les « carrières » bâties sur ces fondations ne durent pas (je ne citerai évidemment personne, mais disons que depuis une vingtaine d’années, j’en ai vues – notez spécialement l’emploi du passé). L’édition est un métier déjà assez difficile, où les marges sont très étroites, pour continuer à financer à perte quelqu’un en qui on ne croit autrement que parce que « c’est un pote ». Au bout d’un moment, c’est plus facile et ça coûte moins cher d’inviter le dit pote toutes les semaines à la Closerie des Lilas, vous voyez.

Bref de manière générale, encore une fois, il est toujours beaucoup plus facile de répondre à ces questions quand les transcrit à, par exemple, la musique, où la technicité ne fait guère de doute. Est-ce qu’on s’interroge sur le fait que « Quand même, est-ce qu’on n’entend pas un peu tout le temps les mêmes groupes ? » Si on se pose cette question, on peut y trouver des explications sensées et plus immédiates qu’une Grande Conspiration Mondiale™. La littérature ne fait pas exception.

2022-12-05T02:28:12+01:00mercredi 7 décembre 2022|Best Of, Le monde du livre|Commentaires fermés sur Idée reçue 1254 sur l’édition : il faut être connu.e pour publier

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